DEUXIÈME ACTE
Le jardin de Juliette
Un jardin. À gauche le pavillon habité par Juliette. Au premier étage, une fenêtre avec un balcon. Au fond, une balustrade dominant d'autres jardins.
N°6 - Entr'acte et Chœur
Stéphano, appuyé contre la balustrade du font, tient une échelle de corde et aide Roméo à escalader la balustrade; puis il se retire en emportant l'échelle.
ROMÉO
seul
O nuit! sous tes ailes obscures
Abrite-moi!
MERCUTIO
appelant du dehors
Roméo! Roméo!
ROMÉO
C'est la voix de Mercutio!
Celui-là se rit des blessures
Qui n'en reçut jamais!
MERCUTIO, BENVOLIO ET LEURS AMIS
Mystérieux et sombre,
Roméo ne nous entend pas!
L'amour se plaît dans l'ombre,
Puisse l'amour guider ses pas!
Les voix s'éloignent.
N° 7 - Cavatine
ROMÉO
L'amour! L'amour!
Oui, son ardeur a troublé tout mon être!
La fenêtre de Juliette s'éclaire.
Mais quelle soudaine clarté
Resplendit à cette fenêtre!
C'est là que dans la nuit rayonne sa beauté!
Ah! lève-toi, soleil! fais pâlir les étoiles,
Qui, dans l'azur sans voiles,
Brillent aux firmament.
Ah! lève-toi! parais! parais!
Astre pur et charmant!
Elle rêve! elle dénoue
Une boucle de cheveux
Qui vient caresse sa joue!
Amour! Amour! porte-lui mes vœux!
Elle parle! Qu'elle est belle!
Ah! je n'ai rien entendu!
Mais ses yeux parlent pour elle,
Et mon cœur a répondu!
Ah! lève-toi, soleil!, etc
N° 8 - Scène et Chœurs
La fenêtre s'ouvre. Juliette paraît sur le balcon et s'appuie d'un air mélancolique.
JULIETTE
Hélas! moi, le haïr! haine aveugle et barbare!
O Roméo! pourquoi ce nom est-il le tien?
Abjure-le, ce nom fatal qui nous sépare,
Ou j'abjure le mien.
ROMÉO
s'avançant
Est-il vrai? l'as-tu dit? ah! dispèle le doute
D'un cœur trop heureux.
JULIETTE
Qui m'écoute
Et surprend mes secrets dans l'ombre de la nuit?
ROMÉO
Je n'ose en me nommant, te dire qui je suis!
JULIETTE
N'es-tu pas Roméo?
ROMÉO
Non! je ne veux plus l'être
Si ce nom détesté me sépare de toi!
Pour t'aimer, laisse-moi renaître
Dans un autre que moi!
JULIETTE
Ah! tu sais que la nuit te cache mon visage!
Tu le sais! si tes yeux en voyaient la rougeur!
Elle te rendrait témoignage
De la pureté de mon cœur!
Adieu les vains détours! m'aimes-tu? je devine
Ce que tu répondras: ne fais pas de serments!
Phœbé de ses rayons inconstants,
J'imagine,
Éclaire le parjure et se rit des amants!
Cher Roméo! dis-moi loyalement: je t'aime!
Et je te crois! et mon honneur se fie au tien,
O mon seigneur! comme tu peux te fier à moi même!
N'accuse pas mon cœur, dont tu sais le secret,
D'être léger pour n'avoir pu se taire
Mais accuse la nuit, dont la voile indiscret
A trahi le mystère.
ROMÉO
avec feu
Devant Dieu qui m'entend, je t'engage ma foi!
JULIETTE
Écoute! on vient! silence! éloigne-toi!
Grégoire et les valets entrent, des lanternes sourdes à la main.
GRÉGORIO ET LES VALETS
Personne! personne!
Le page aura fui!
Au diable on le donne,
Le diable est pour lui!
Le fourbe, le traître,
Attendait son maître!
Le destin jaloux
L'arrache à nos coups!
Et demain, peut-être,
Il rira de nous!
Le fourbe, le traître!
Personne! personne! etc
GERTRUDE
entrant en scène
De qui parlez-vous donc?
GRÉGORIO
D'un page
Des Montaigus!
Maître et valet
En passant notre seuil ont osé faire outrage
Au seigneur Capulet!
GERTRUDE
Vous moquez-vous?
GRÉGORIO
Non! sur ma tête!
Un des Montaigus s'est permis
De venir avec ses amis
À notre fenêtre!
GERTRUDE
Un Montaigu!
GRÉGORIO
Un Montaigu!
CHŒUR
avec malice
Est-ce pour les beaux jeux que le traître est venu?
GERTRUDE
Qu'il vienne encore! et sur ma vie,
Je vous le ferai marcher droit, si droit
Qu'il n'aura pas envie de recommencer!
GRÉGORIO
On vous croit!
CHŒUR
riant
Pour cela, nourrice, on vous croit!
Bonne nuit, charmante nourrice,
Joignez le grâce à vos vertus!
Que le ciel vous bénisse
Et confonde les Montaigus!
Grégorio et les valets s'éloignent.
GERTRUDE
Béni soit le bâton qui tôt ou tard me venge
De ces coquins!
JULIETTE
paraissant sur le seuil du pavillon
C'est toi, Gertrude?
GERTRUDE
Oui, mon bel ange!
À cette heure comment ne reposez-vous pas?
JULIETTE
Je t'attendais!
GERTRUDE
Rentrons!
JULIETTE
Ne gronde pas!
Elle jette un regard autour d'elle et rentre dans le pavillon suivie de Gertrude. Roméo reparaît.
N° 9 - Duo
ROMÉO
Ô nuit divine! je t'implore, laissez mon cœur à ce rêve enchanté!
Je crois de m'éveiller et n'ose croire encore à sa réalit& eacute;!
JULIETTE
reparaissant sur le seuil du pavillon à demi-voix
Roméo!
ROMÉO
se retournant
Douce amie!
JULIETTE
l'arrêtant du geste et toujours sur le seuil
Un seul mot puis adieu!
Quelqu'un ira demain te trouver:
solennellement
sur ton âme!
Si tu me veux pour femme,
Fais-moi dire quel jour, à quelle heure, en ce lieu,
Sous le regard de Dieu notre union sera bénie!
Alors, ô mon seigneur! sois mon unique loi;
Je te livre ma vie entière,
Et je renie
Tout ce qui n'est pas toi!
Mais! si ta tendresse
Ne veut de moi que de folles amours,
Ah! je t'en conjure alors, par cette heure d'ivresse,
Ne me revois plus,
Et me laisse à la douleur qui remplira mes jours!
ROMÉO
à genoux devant Juliette
Ah! je te l'ai dit, je t'adore!
Dissipe ma nuit! sois l'aurore
Où va mon cœur, où vont mes yeux!
Dispose en reine, dispose de ma vie,
Verse à mon âme assouvie
Toute la lumière des cieux!
GERTRUDE
au dehors
Juliette!
JULIETTE
On m'appelle!
ROMÉO
se relevant et saisissant la main de Juliette
Ah déjà!
JULIETTE
Pars! je tremble!
Que l'on nous voie ensemble!
GERTRUDE
Juliette!
JULIETTE
Je viens!
ROMÉO
Écoute-moi! …
JULIETTE
Plus bas! …
ROMÉO
attirant Juliette à lui et l'amenant en scène
… non, non, on ne t'appelle pas!
JULIETTE
… plus bas, parle plus bas!
ROMÉO
Ah! ne fuis pas encore!
Laisse, laisse ma main s'oublier dans ta main!
JULIETTE
Ah! l'on peut nous surprendre!
Laisse, laisse ma main s'échapper de ta main! Adieu! …
ROMÉO
Adieu! …
JULIETTE
… adieu! …
ROMÉO ET JULIETTE
… adieu!
De cet adieu si douce est la tristesse,
Que je voudrais te dire adieu jusqu'à demain!
JULIETTE
Maintenant, je t'en supplie, pars!
ROMÉO
Ah! cruelle! ah! cruelle!
JULIETTE
Pourquoi te rappellais-je? ô folie!
À peine es-tu près de moi, que soudain mon cœur l'oublie!
Je te voudrais parti! pas trop loin cependant
Comme un oiseau captif que la main d'un enfant
Tient enchaîné d'un fil de soie,
À peine vole-t-il, dans l'espace emporté,
Que l'enfant le ramène avec des cris de joie,
Tant son amour jaloux lui plaint la liberté!
ROMÉO
Ah! ne fuis pas encore!
JULIETTE
Hélas! il le faut!
ROMÉO ET JULIETTE
Adieu! adieu!
De cet adieu si douce, etc.
JULIETTE
Adieu mille fois!
Elle échappe des bras de Roméo et rentre dans le pavillon.
ROMÉO
seul
Va! repose en paix! sommeille!
Qu'un sourire d'enfant sur ta bouche vermeille
Doucement vienne se poser!
Et murmurant encor: je t'aime! à ton oreille
Que la brise des nuits te porte en ce baiser!
Il s'éloigne.