(Tous rentrent dans le pavillon dont la porte et la fenêtre se referment. L'Hôtelier reste seul.)

L'HÔTELIER
C'est très bien de dîner! Il faut aussi payer!
Et je vais... Mais, au fait, pensons au Chevalier des Grieux!
Le temps passe...
Et j'ai promis de retenir sa place
Au premier coche.
(se dirigeant au fond et apercevant les Bourgeois qui se disposent à envahir l'hôtellerie.)
Et mais, voilà,
Déjà
La ribambelle
Des bons bourgeois!
Ils viennent regarder
Si l'on peut lorgner
Quelque belle,
On se moquer de quelque voyageur!
(sentencieusement)
J'ai remarqué que l'homme est très observateur!

(Il entre dans le bureau. La Cloche de l'hôtellerie se fait entendre. Les Bourgeois et les Bourgeoises envahissent peu à peu l'hôtellerie.)

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(avec calme)
Entendez-vous la cloche,
Voici l'heure du coche,
Il faut tout voir! tout voir!
Les voyageurs, les voyageuses,
Il faut tout voir!
Pour nous c'est un devoir!

(Lescaut entre suivi de deux Gardes.)

LESCAUT
(s'adressant aux Gardes)
C'est bien ici l'hôtellerie
Où le coche d'Arras
Va tantôt s'arrêter?

LES GARDES
C'est bien ici!

LESCAUT
(les congédiant)
Bonsoir!

LES GARDES
(se récriant)
Quelle plaisanterie!
Lescaut, tu pourrais nous quitter!

LESCAUT
(avec bonne humeur)
Jamais! jamais! jamais!
Allez à l'auberge voisine,
On y vend un clairet joyeux;
Je vais attendre ma cousine...
Je vais attendre ma cousine...
Et je vous rejoins tous les deux!

LES GARDES
Rappelle-toi!

LESCAUT
(froissé)
Vous m'insultez, c'est imprudent!

LES GARDES
(suppliant)
Lescaut!

LESCAUT
(satisfait et insolent)
C'est bon!
Je perdrais la mémoire
Quand il s'agit de boire!
(avec autorité)
Allez!
(finement, changeant de ton)
à l'auberge voisine
On y vend un clairet joyeux!
Je vais attendre ma cousine!
Allez trinquer en m'attendant!
en m'attendant, allez trinquer!

(La rue s'emplit de postillons, de porteurs portant des malles, des cartons, des valises et précédés ou suivis de voyageurs et voyeuses qui tournent autour d'eux pour obtenir leur bagages.)

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(avec joie)
Les voilà! les voilà! les voilà!

ARRIVÉE DU COCHE
(Au fond on aperçoit le coche,
duquel descendent des voyageurs.)

UNE VIEILLE DAME
(se rajustant)
Oh! ma coiffure! Oh! ma toilette!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(riant)
Voyez-vous pas cette coquette!

UN VOYAGEUR
Eh! le porteur!

UN PORTEUR
(de mauvaise humeur)
Dans un instant!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(de même)
Ah! le singulier personnage!

UNE VOYAGEUSE
Où sont mes oiseaux et ma cage?

UN VOYAGE
Hé! postillon!

UNE AUTRE
(appelant aussi)
Postillon!

UN AUTRE
(de même)
Hé! postillon!

UNE AUTRE
(appelant aussi)
Postillon!

UN AUTRE
Ma malle!
(réunis)
Postillon!

UNE AUTRE
Mon panier!
(réunies)
Postillon

POSTILLONS ET PORTEURS
(Les postillons et les Porteurs se dégageant)
Dans un moment! dans un moment!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
(criant à tue-tête)
Donnez à chacun son bagage!
Voyons! voyons! voyons!

POSTILLONS ET PORTEURS
Moins de tapage! non! non! non! non!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
Dieux quel tracas et quel tourment
Quand il faut monter en voiture!
Ah! je le jure! On ferait bien
de faire avant son testament!

POSTILLONS ET PORTEURS
Ah! c'est à se damner vraiment,
Chacun d'eux gémit et murmure
Rien qu'en montant dans la voiture
Et recommence en descendant!
Ça recommence en descendant!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
Ah! c'est à se damner vraiment,
Chacun gémit
Rien qu'en montant ou descendant!
Dieux! que! tourment!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
Dieux! quel tracas et quel tourment! ah! quel tourment!
Ah! l'on devrait faire avant tout son testament!
Quel tracas! Quel tourment!
Dieux quel tracas et quel tourment!

POSTILLONS ET PORTEURS
Ah! c'est à se damner vraiment! chacun gémit!
Ah! c'est à se damner vraiment chacun gémit!
Taisez-vous! ah! c'est a se damner vraiment!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
Ah! Quel tracas et quel tourment!
Ah! quel tracas et quel tourment! ah!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
(poursuivant les Postillons)
Je suis la première (le premier)!
(parle)
la première (le premier)!

POSTILLONS ET PORTEURS
(brusquement)
Le dernier!
(parle)
Non!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(imitant les postillons en riant)
Les dernier!
(parle)
Non!

(Manon qui vient de sortir de la foule considère tout ce tohu-bohu avec étonnement)

LESCAUT
(l'observant à son tour)
Eh! j'imagine
Que cette belle enfant, c'est Manon! ma cousine!
(allant vers elle; à Manon franchement)
Je suis Lescaut...

MANON
(avec une légère surprise)
Vous... mon cousin...
(simplement et sans retenir)
embrassez-moi!

LESCAUT
Mais très volontiers, sur ma foi!
Morbleu! c'est une belle fille
Qui fait honneur à la famille!

MANON
(avec embarras)
Ah! mon cousin! mon cousin, excusez-moi!

LESCAUT
(à part)
Elle est charmante!

MANON
(avec charme et émotion)
Je suis encor tout étourdie...
Je suis encor tout engourdie...
Ah! mon cousin!
Excusez-moi! excusez un moment d'émoi...
Je suis encor tout étourdie...
(vivement déclamé)
Pardonnez à mon bavardage
J'en suis à mon premier voyage!
(en racontant)
Le coche s'éloignait à peine
Que j'admirais de tous mes yeux,
Les hameaux, les grands bois... la plaine...
Les voyageurs jeunes et vieux...
(en liant)
Ah!
(changeant de ton)
mon cousin, excusez-moi! c'est mon premier voyage!
(continuant son récit.)
Je regardais fuir, curieuse,
Les arbres frissonnant au vent!
Et j'oubliais, toute joyeuse,
Que je partais pour le couvent!
pour le couvent! pour le couvent!
(bien chanté, en dehors)
Devant tant de choses nouvelles,
Ne riez pas, si je vous dis
Que je croyais avoir des
(à volonté)
ailes,
Et m'envoler en paradis!
Oui, mon cousin!... Puis... j'eus un moment de tristesse...
Je pleurais... je ne sais pas quoi?
(changeant de ton)
L'instant d'après, je le confesse,
Je riais...
(riant aux éclats)
Ah! ah!
(à volonté)
Mais sans savoir pourquoi?
Ah! ah!
(sans retenir)
ah!
(confuse)
Ah! mon cousin... excusez-moi... ah! mon cousin... pardon!
Je suis encor tout étourdie...
Je suis... encor tout engourdie!
(vivement déclamé)
Pardonnez à mon bavardage,
J'en suis à mon premier voyage!

GRAND MOUVEMENT
(Les voyageurs précédés des postillons envahissent la cour de l'hôtellerie.)

LES POSTILLONS
(aux Voyageurs)
Partez! On sonne!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
(avec une épouvante comique)
Comment? Partir!

LES POSTILLONS
(brutalement aux Voyageurs)
Allons! sortez! voici l'autre voiture!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
Partir! Comment? Quelle mésaventure!

LES POSTILLONS
Partez! Allons!
On sonne!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
(Tous se bousculent et réclament)
Mon carton!

UNE VOYAGEUSE
Mes oiseaux!

UN VOYAGEUR
Non! Mon paquet!

DEUX AUTRES
Mon paquet!

UN AUTRE
Non! Mon chapeau!
(tous)
Mes oiseaux! Mon carton! Mon paquet! Mon chapeau!

LES POSTILLONS
Partez! Voici l'autre voiture! on sonne! partez! ah!
C'est à se damner vraiment!
Chacun d'eux gémit et murmure
Rien qu'en montant dans la voiture
Et recommence en descendant!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(riant)
Ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah!
C'est à se damner vraiment!
Chacun gémit!
Rien qu'en montant ou descendant
Dieux! quel tourment!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
On nous rançonne!
Voyons! voyons! voyons! Dieux!
Quel tracas et quel tourment! quand il faut monter en voiture, ah! je le jure, On ferait bien de faire avant son testament!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
Dieux! quel tracas et quel tourment! ah! quel tourment!
Ah! L'on devrait faire avant tout son testament!
Ah! L'on devrait faire avant tout son testament!

POSTILLONS ET PORTEURS
Ça recommence en descendant!
Ah! C'est à se damner vraiment!
Chacun gémit!
Ah! C'est à se damner vraiment!
Chacun gémit!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
Ah! Quel tracas et quel tourment!
Ah! Quel tracas et quel tourment!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
Quel tracas! quel tourment!
Dieux! quel tracas et quel tourment!

POSTILLONS ET PORTEURS
Taisez-vous! ah! quel tourment!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(riant)
Ah! ah!
Ah! quel tourment!
(riant)
Ah! ah! ah!

(La foule s'éloigne peu à peu laissant ensemble Lescaut et Manon.)

LESCAUT
(Au moment de sortir pour aller chercher les paquets de Manon)
Attendez-moi, soyez bien sage,
Je vais chercher votre bagage!

LES BOURGEOISES ET LES BOURGEOIS
Il faut tout voir!
Pour nous c'est un devoir!

(Ils disparaissent. Manon reste seule.
Paraît Guillot sur le balcon du pavillon.)

GUILLOT
Hôtelier de malheur! Il est donc entendu
Que nous n'aurons jamais de vin!
(apercevant Manon)
Ciel! qu'ai-je vu?
Mademoiselle! hem! hem!.. Mademoiselle...
(à part)
Ce qui se passe en ma cervelle
Est inouï!

MANON
(à part, en riant)
Cet homme est fort drôle, ma foi!

GUILLOT
Mademoiselle, écoutez-moi?
On me nomme Guillot de Morfontaine,
De louis d'or ma caisse est pleine,
Et j'en donnerais beaucoup pour
Obtenir de vous un seul mot d'amour...
J'ai fini, qu'avez-vous à dire?

MANON
Que je me fâcherais se je n'aimais mieux rire...

(Manon éclate de rire, et son rire est répété par Brétigny, Javotte, Poussette et Rosette qui viennent d'arriver sur le balcon.)

BRÉTIGNY
Eh bien, Guillot, que faites-vous? Nous vous attendons!

GUILLOT
Au diable les fous!

POUSSETTE
(à Guillot)
N'avez-vous pas honte? à votre âge!

JAVOTTE
... à votre âge!

ROSETTE
... à votre âge!

BRÉTIGNY
Cette fois-ci, le drôle a par hasard
Découvert un trésor.
Jamais plus doux regard
N'illumina plus gracieux visage...

LES TROIS FEMMES
(à Guillot; en riant; léger et gai)
Revenez, Guillot, revenez!
Dieu sait où vous mène un faux pas!
Cher ami Guillot, n'en faites pas!
Revenez! Vous allez, vous casser le nez!
Revenez! donc, Guillot! non! non! point de faux pas!
Guillot! n'en faites pas!
(riant)
Ah! ah!
Revenez! Vous allez vous casser le nez!
Revenez! donc, Guillot!
(riant)
Ah! ah!
(rires)

BRÉTIGNY
Allons, Guillot, laissez Mademoiselle,
Et revenez, l'on vous appelle!

GUILLOT
(impatienté)
Oui, je reviens dans un moment!
(à Manon)
Ma mignonne, un mot seulement!

BRÉTIGNY
Guillot, laissez Mademoiselle...

GUILLOT
(bas à Manon)
De ma part tout à l'heure un postillon viendra,
Quand vous l'apercevrez, cela signifiera
Qu'une voiture attend, que vous pouvez la prendre,
Et qu'après... vous devez comprendre...

(Lescaut vient de rentrer.)

LESCAUT
(brusquement, à Guillot)
Plaît-il, Monsieur!

GUILLOT
(interdit balbutiant)
Monsieur?

LESCAUT
Eh bien! Vous disiez...

GUILLOT
(de même)
Je ne disais rien!

(remontant malgré lui dans le pavillon)

POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE ET BRÉTIGNY
(en riant)
Revenez, Guillot, Revenez!
Dieu sait où nous même un faux pas!
Cher ami Guillot, n'en faites pas!
Revenez! Vous vous êtes cassé le nez!

(Ils rentrent en riant dans le pavillon.)

LESCAUT
(à Manon sérieusement)
Il vous parlait, Manon?

MANON
(légèrement et vif)
Ce n'était pas ma faute...

LESCAUT
Certes! et j'ai de vous opinion trop haute
Pour me fâcher...

UN GARDE
(à Lescaut)
Eh bien, tu ne viens pas?

UN AUTRE
(de même)
Les cartes et les dés nous attendent là-bas!

LESCAUT
Je viens, Mais à cette jeunesse
Permettez d'abord que j'adresse
(avec suffisance)
Quelques conseils tout remplis de sagesse!

LES DEUX GARDES
(résignés et avec respect)
Écoutons la sagesse.

LESCAUT
(à Manon avec importance)
Regardez-moi bien dans les yeux.
Je vais tout près, à la caserne,
Discuter avec ces messieurs,
De certain point qui les concerne.
Attendez-moi donc... un instant... un seul moment,...
Ne bronchez pas, Soyez gentille
Et n'oubliez pas, mon cher coeur,
Que je suis gardien de l'honneur
De la famille!
De la famille!
Si par hasard... quelque imprudent
Vous tenait un propos frivole...
Dans la crainte... d'un accident...
Ne dites pas une parole!
Priez-le d'attendre un instant! un seul moment!
Ne bronchez pas, soyez gentille
Et n'oubliez pas, mon cher coeur,
Que je suis gardien de l'honneur
De la famille! de la famille!
(Aux gardes, leur faisant signe de partir)
Et maintenant, voyons à qui de nous
La Déesse du jeu va faire les yeux doux!
(Au moment de s'éloigner, il se retourne vers Manon.)
Ne bronchez pas, Soyez gentille!

(Il s'éloigne.)
(Tous rentrent dans le pavillon dont la porte et la fenêtre se referment. L'Hôtelier reste seul.)

L'HÔTELIER
C'est très bien de dîner! Il faut aussi payer!
Et je vais... Mais, au fait, pensons au Chevalier des Grieux!
Le temps passe...
Et j'ai promis de retenir sa place
Au premier coche.
(se dirigeant au fond et apercevant les Bourgeois qui se disposent à envahir l'hôtellerie.)
Et mais, voilà,
Déjà
La ribambelle
Des bons bourgeois!
Ils viennent regarder
Si l'on peut lorgner
Quelque belle,
On se moquer de quelque voyageur!
(sentencieusement)
J'ai remarqué que l'homme est très observateur!

(Il entre dans le bureau. La Cloche de l'hôtellerie se fait entendre. Les Bourgeois et les Bourgeoises envahissent peu à peu l'hôtellerie.)

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(avec calme)
Entendez-vous la cloche,
Voici l'heure du coche,
Il faut tout voir! tout voir!
Les voyageurs, les voyageuses,
Il faut tout voir!
Pour nous c'est un devoir!

(Lescaut entre suivi de deux Gardes.)

LESCAUT
(s'adressant aux Gardes)
C'est bien ici l'hôtellerie
Où le coche d'Arras
Va tantôt s'arrêter?

LES GARDES
C'est bien ici!

LESCAUT
(les congédiant)
Bonsoir!

LES GARDES
(se récriant)
Quelle plaisanterie!
Lescaut, tu pourrais nous quitter!

LESCAUT
(avec bonne humeur)
Jamais! jamais! jamais!
Allez à l'auberge voisine,
On y vend un clairet joyeux;
Je vais attendre ma cousine...
Je vais attendre ma cousine...
Et je vous rejoins tous les deux!

LES GARDES
Rappelle-toi!

LESCAUT
(froissé)
Vous m'insultez, c'est imprudent!

LES GARDES
(suppliant)
Lescaut!

LESCAUT
(satisfait et insolent)
C'est bon!
Je perdrais la mémoire
Quand il s'agit de boire!
(avec autorité)
Allez!
(finement, changeant de ton)
à l'auberge voisine
On y vend un clairet joyeux!
Je vais attendre ma cousine!
Allez trinquer en m'attendant!
en m'attendant, allez trinquer!

(La rue s'emplit de postillons, de porteurs portant des malles, des cartons, des valises et précédés ou suivis de voyageurs et voyeuses qui tournent autour d'eux pour obtenir leur bagages.)

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(avec joie)
Les voilà! les voilà! les voilà!

ARRIVÉE DU COCHE
(Au fond on aperçoit le coche,
duquel descendent des voyageurs.)

UNE VIEILLE DAME
(se rajustant)
Oh! ma coiffure! Oh! ma toilette!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(riant)
Voyez-vous pas cette coquette!

UN VOYAGEUR
Eh! le porteur!

UN PORTEUR
(de mauvaise humeur)
Dans un instant!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(de même)
Ah! le singulier personnage!

UNE VOYAGEUSE
Où sont mes oiseaux et ma cage?

UN VOYAGE
Hé! postillon!

UNE AUTRE
(appelant aussi)
Postillon!

UN AUTRE
(de même)
Hé! postillon!

UNE AUTRE
(appelant aussi)
Postillon!

UN AUTRE
Ma malle!
(réunis)
Postillon!

UNE AUTRE
Mon panier!
(réunies)
Postillon

POSTILLONS ET PORTEURS
(Les postillons et les Porteurs se dégageant)
Dans un moment! dans un moment!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
(criant à tue-tête)
Donnez à chacun son bagage!
Voyons! voyons! voyons!

POSTILLONS ET PORTEURS
Moins de tapage! non! non! non! non!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
Dieux quel tracas et quel tourment
Quand il faut monter en voiture!
Ah! je le jure! On ferait bien
de faire avant son testament!

POSTILLONS ET PORTEURS
Ah! c'est à se damner vraiment,
Chacun d'eux gémit et murmure
Rien qu'en montant dans la voiture
Et recommence en descendant!
Ça recommence en descendant!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
Ah! c'est à se damner vraiment,
Chacun gémit
Rien qu'en montant ou descendant!
Dieux! que! tourment!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
Dieux! quel tracas et quel tourment! ah! quel tourment!
Ah! l'on devrait faire avant tout son testament!
Quel tracas! Quel tourment!
Dieux quel tracas et quel tourment!

POSTILLONS ET PORTEURS
Ah! c'est à se damner vraiment! chacun gémit!
Ah! c'est à se damner vraiment chacun gémit!
Taisez-vous! ah! c'est a se damner vraiment!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
Ah! Quel tracas et quel tourment!
Ah! quel tracas et quel tourment! ah!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
(poursuivant les Postillons)
Je suis la première (le premier)!
(parle)
la première (le premier)!

POSTILLONS ET PORTEURS
(brusquement)
Le dernier!
(parle)
Non!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(imitant les postillons en riant)
Les dernier!
(parle)
Non!

(Manon qui vient de sortir de la foule considère tout ce tohu-bohu avec étonnement)

LESCAUT
(l'observant à son tour)
Eh! j'imagine
Que cette belle enfant, c'est Manon! ma cousine!
(allant vers elle; à Manon franchement)
Je suis Lescaut...

MANON
(avec une légère surprise)
Vous... mon cousin...
(simplement et sans retenir)
embrassez-moi!

LESCAUT
Mais très volontiers, sur ma foi!
Morbleu! c'est une belle fille
Qui fait honneur à la famille!

MANON
(avec embarras)
Ah! mon cousin! mon cousin, excusez-moi!

LESCAUT
(à part)
Elle est charmante!

MANON
(avec charme et émotion)
Je suis encor tout étourdie...
Je suis encor tout engourdie...
Ah! mon cousin!
Excusez-moi! excusez un moment d'émoi...
Je suis encor tout étourdie...
(vivement déclamé)
Pardonnez à mon bavardage
J'en suis à mon premier voyage!
(en racontant)
Le coche s'éloignait à peine
Que j'admirais de tous mes yeux,
Les hameaux, les grands bois... la plaine...
Les voyageurs jeunes et vieux...
(en liant)
Ah!
(changeant de ton)
mon cousin, excusez-moi! c'est mon premier voyage!
(continuant son récit.)
Je regardais fuir, curieuse,
Les arbres frissonnant au vent!
Et j'oubliais, toute joyeuse,
Que je partais pour le couvent!
pour le couvent! pour le couvent!
(bien chanté, en dehors)
Devant tant de choses nouvelles,
Ne riez pas, si je vous dis
Que je croyais avoir des
(à volonté)
ailes,
Et m'envoler en paradis!
Oui, mon cousin!... Puis... j'eus un moment de tristesse...
Je pleurais... je ne sais pas quoi?
(changeant de ton)
L'instant d'après, je le confesse,
Je riais...
(riant aux éclats)
Ah! ah!
(à volonté)
Mais sans savoir pourquoi?
Ah! ah!
(sans retenir)
ah!
(confuse)
Ah! mon cousin... excusez-moi... ah! mon cousin... pardon!
Je suis encor tout étourdie...
Je suis... encor tout engourdie!
(vivement déclamé)
Pardonnez à mon bavardage,
J'en suis à mon premier voyage!

GRAND MOUVEMENT
(Les voyageurs précédés des postillons envahissent la cour de l'hôtellerie.)

LES POSTILLONS
(aux Voyageurs)
Partez! On sonne!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
(avec une épouvante comique)
Comment? Partir!

LES POSTILLONS
(brutalement aux Voyageurs)
Allons! sortez! voici l'autre voiture!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
Partir! Comment? Quelle mésaventure!

LES POSTILLONS
Partez! Allons!
On sonne!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
(Tous se bousculent et réclament)
Mon carton!

UNE VOYAGEUSE
Mes oiseaux!

UN VOYAGEUR
Non! Mon paquet!

DEUX AUTRES
Mon paquet!

UN AUTRE
Non! Mon chapeau!
(tous)
Mes oiseaux! Mon carton! Mon paquet! Mon chapeau!

LES POSTILLONS
Partez! Voici l'autre voiture! on sonne! partez! ah!
C'est à se damner vraiment!
Chacun d'eux gémit et murmure
Rien qu'en montant dans la voiture
Et recommence en descendant!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(riant)
Ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah!
C'est à se damner vraiment!
Chacun gémit!
Rien qu'en montant ou descendant
Dieux! quel tourment!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
On nous rançonne!
Voyons! voyons! voyons! Dieux!
Quel tracas et quel tourment! quand il faut monter en voiture, ah! je le jure, On ferait bien de faire avant son testament!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
Dieux! quel tracas et quel tourment! ah! quel tourment!
Ah! L'on devrait faire avant tout son testament!
Ah! L'on devrait faire avant tout son testament!

POSTILLONS ET PORTEURS
Ça recommence en descendant!
Ah! C'est à se damner vraiment!
Chacun gémit!
Ah! C'est à se damner vraiment!
Chacun gémit!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
Ah! Quel tracas et quel tourment!
Ah! Quel tracas et quel tourment!

VOYAGEUSES ET VOYAGEURS
Quel tracas! quel tourment!
Dieux! quel tracas et quel tourment!

POSTILLONS ET PORTEURS
Taisez-vous! ah! quel tourment!

BOURGEOISES ET BOURGEOIS
(riant)
Ah! ah!
Ah! quel tourment!
(riant)
Ah! ah! ah!

(La foule s'éloigne peu à peu laissant ensemble Lescaut et Manon.)

LESCAUT
(Au moment de sortir pour aller chercher les paquets de Manon)
Attendez-moi, soyez bien sage,
Je vais chercher votre bagage!

LES BOURGEOISES ET LES BOURGEOIS
Il faut tout voir!
Pour nous c'est un devoir!

(Ils disparaissent. Manon reste seule.
Paraît Guillot sur le balcon du pavillon.)

GUILLOT
Hôtelier de malheur! Il est donc entendu
Que nous n'aurons jamais de vin!
(apercevant Manon)
Ciel! qu'ai-je vu?
Mademoiselle! hem! hem!.. Mademoiselle...
(à part)
Ce qui se passe en ma cervelle
Est inouï!

MANON
(à part, en riant)
Cet homme est fort drôle, ma foi!

GUILLOT
Mademoiselle, écoutez-moi?
On me nomme Guillot de Morfontaine,
De louis d'or ma caisse est pleine,
Et j'en donnerais beaucoup pour
Obtenir de vous un seul mot d'amour...
J'ai fini, qu'avez-vous à dire?

MANON
Que je me fâcherais se je n'aimais mieux rire...

(Manon éclate de rire, et son rire est répété par Brétigny, Javotte, Poussette et Rosette qui viennent d'arriver sur le balcon.)

BRÉTIGNY
Eh bien, Guillot, que faites-vous? Nous vous attendons!

GUILLOT
Au diable les fous!

POUSSETTE
(à Guillot)
N'avez-vous pas honte? à votre âge!

JAVOTTE
... à votre âge!

ROSETTE
... à votre âge!

BRÉTIGNY
Cette fois-ci, le drôle a par hasard
Découvert un trésor.
Jamais plus doux regard
N'illumina plus gracieux visage...

LES TROIS FEMMES
(à Guillot; en riant; léger et gai)
Revenez, Guillot, revenez!
Dieu sait où vous mène un faux pas!
Cher ami Guillot, n'en faites pas!
Revenez! Vous allez, vous casser le nez!
Revenez! donc, Guillot! non! non! point de faux pas!
Guillot! n'en faites pas!
(riant)
Ah! ah!
Revenez! Vous allez vous casser le nez!
Revenez! donc, Guillot!
(riant)
Ah! ah!
(rires)

BRÉTIGNY
Allons, Guillot, laissez Mademoiselle,
Et revenez, l'on vous appelle!

GUILLOT
(impatienté)
Oui, je reviens dans un moment!
(à Manon)
Ma mignonne, un mot seulement!

BRÉTIGNY
Guillot, laissez Mademoiselle...

GUILLOT
(bas à Manon)
De ma part tout à l'heure un postillon viendra,
Quand vous l'apercevrez, cela signifiera
Qu'une voiture attend, que vous pouvez la prendre,
Et qu'après... vous devez comprendre...

(Lescaut vient de rentrer.)

LESCAUT
(brusquement, à Guillot)
Plaît-il, Monsieur!

GUILLOT
(interdit balbutiant)
Monsieur?

LESCAUT
Eh bien! Vous disiez...

GUILLOT
(de même)
Je ne disais rien!

(remontant malgré lui dans le pavillon)

POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE ET BRÉTIGNY
(en riant)
Revenez, Guillot, Revenez!
Dieu sait où nous même un faux pas!
Cher ami Guillot, n'en faites pas!
Revenez! Vous vous êtes cassé le nez!

(Ils rentrent en riant dans le pavillon.)

LESCAUT
(à Manon sérieusement)
Il vous parlait, Manon?

MANON
(légèrement et vif)
Ce n'était pas ma faute...

LESCAUT
Certes! et j'ai de vous opinion trop haute
Pour me fâcher...

UN GARDE
(à Lescaut)
Eh bien, tu ne viens pas?

UN AUTRE
(de même)
Les cartes et les dés nous attendent là-bas!

LESCAUT
Je viens, Mais à cette jeunesse
Permettez d'abord que j'adresse
(avec suffisance)
Quelques conseils tout remplis de sagesse!

LES DEUX GARDES
(résignés et avec respect)
Écoutons la sagesse.

LESCAUT
(à Manon avec importance)
Regardez-moi bien dans les yeux.
Je vais tout près, à la caserne,
Discuter avec ces messieurs,
De certain point qui les concerne.
Attendez-moi donc... un instant... un seul moment,...
Ne bronchez pas, Soyez gentille
Et n'oubliez pas, mon cher coeur,
Que je suis gardien de l'honneur
De la famille!
De la famille!
Si par hasard... quelque imprudent
Vous tenait un propos frivole...
Dans la crainte... d'un accident...
Ne dites pas une parole!
Priez-le d'attendre un instant! un seul moment!
Ne bronchez pas, soyez gentille
Et n'oubliez pas, mon cher coeur,
Que je suis gardien de l'honneur
De la famille! de la famille!
(Aux gardes, leur faisant signe de partir)
Et maintenant, voyons à qui de nous
La Déesse du jeu va faire les yeux doux!
(Au moment de s'éloigner, il se retourne vers Manon.)
Ne bronchez pas, Soyez gentille!

(Il s'éloigne.)


最終更新:2010年06月04日 19:42