ACTE IV
Premier Tableau
(La terrasse de Cendrillon)
Scène Première
▼PANDOLFE▲
(affectueusement, attentif et presque à voix basse, pendant que Cendrillon sommeille; lentement, parlé)
O pauvre enfant! depuis que l'on
t'a ramenée
Des bords du ruisselet où nous
t'avons trouvée…
Gisant près des roseaux, glacée, inanimée…
Voilà des jours… des mois!
quel souvenir affreux,
Quelle angoisse cruelle!
En te prenant, la mort nous aurait pris
tous deux…
Mais la mort n'osa pas en te voyant
si belle…
▼CENDRILLON▲
(s'éveillant; vaguement)
Je m'étais rendormie…
(doucement à son père)
Et toi, tu restais là…
Me soignant sans repos…
▼PANDOLFE▲
(affectueusement)
Ah! mon enfant chérie…
Ne me plains pas. Je suis bien heureux;
(avec bonne humeur)
Te voilà vaillante maintenant et
tout à fait guérie,
(mouvement de Cendrillon)
Reste calme…
Il te faut encore ménager.
▼CENDRILLON▲
(l'interrogeant doucement mais gentiment et résolument)
Dis-moi la vérité.
▼PANDOLFE▲
(embarrassé)
Pourquoi m'interroger?
▼CENDRILLON▲
(sérieuse)
J'étais donc insensée…
▼PANDOLFE▲
(gêné)
A quoi vas-tu songer?
▼CENDRILLON▲
Alors, père, c'était comme si ma pensée
M'avait tout à coup délaissée?
▼PANDOLFE▲
(voulant la distraire tout en lui avouant la vérité)
Tu riais… tu pleurais…
Sans motif et sans trêve…
Tu vivais comme dans un rêve…
Comme au hasard tu murmurais
des mots confus…
▼CENDRILLON▲
(attentive)
Quoi donc?
▼PANDOLFE▲
(expressif)
Pauvre enfant, tu souffrais!
J'épiais les moindres paroles…
▼CENDRILLON▲
Et je parlais?
▼PANDOLFE▲
(gaîment)
Si tu parlais!
▼CENDRILLON▲
(anxieuse)
Je parlais…
▼PANDOLFE▲
Du bal de la Cour… oui, vraiment!
(en se moquant d'elle, mais très gentiment)
Tu parlais du Prince Charmant,
Du Prince que tu n'as jamais vu seulement…
Tu parlais de brillant avenir,
(gaîment)
et de promesses folles…
(avec emphase)
D'un grand chêne enchanté…
(changeant de ton)
D'un petit coeur sanglant…
(vivement et comme se souvenant subitement)
D'une pantoufle en verre!
(éclatant de rire)
Ah! ah! ah! ah! tu voyais des lutins
qui traînaient ta voiture!
▼CENDRILLON▲
(avec désenchantement)
Quoi! rien de tout cela ne serait arrivé!
▼PANDOLFE▲
(avec bonhomie)
Rien, ma chère fillette!
▼CENDRILLON▲
(inquiète)
Hélas! j'ai donc rêvé.
Hélas! Hélas! j'ai donc rêvé!
▼PANDOLFE▲
(de bonne humeur)
Tu riais!
▼CENDRILLON▲
(étonnée)
Je pleurais… Sans motif…
▼PANDOLFE▲
… et sans trêve…
▼CENDRILLON▲
Je vivais comme dans un rêve…
▼PANDOLFE▲
Comme dans un rêve,
▼CENDRILLON▲
Et je parlais?
▼PANDOLFE▲
et tu parlais de riche parure,
▼CENDRILLON▲
(attentive)
… d'un petite coeur sanglant…
▼PANDOLFE▲
(insistant avec bonhomie)
… et surtout du Prince Charmant!
▼CENDRILLON▲
(insistant)
… du Prince?
▼PANDOLFE▲
(en riant)
Que tu n'as jamais vue seulement!
▼CENDRILLON▲
Je croyais aux lutins…
▼PANDOLFE▲
… qui traînaient ta voiture!
▼CENDRILLON▲
Je croyais aux lutins!
(plus retenu et expressif)
Rien de cela n'est arrivé…
▼PANDOLFE▲
(la calmant)
Oui, tout cela tu l'as rêvé!
▼CENDRILLON▲
(plus expressif)
Rien de cela n'est arrivé!
▼PANDOLFE▲
Oui, tout cela tu l'as rêvé!
▼CENDRILLON▲
Hélas! j'ai donc rêvé!
Hélas! hélas! j'ai donc rêvé!
▼PANDOLFE▲
Oui, tout cela tu l'as rêvé! tu l'as rêvé!
▼CENDRILLON▲
(simplement)
Mon papa… j'ai rêvé…
▼PANDOLFE▲
Oui! Tout…
Scène Deuxième
▼VOIX DES JEUNES FILLES▲
(voix au loin, dans les coulisses)
Ah!
(avec fraîcheur et gaîté très rythmé)
Ouvre ta porte et ta fenêtre,
Ouvre-les, mais pas à demi…
Ouvre pour que l'Avril ami
Chez toi pénètre!
Ouvre pour que l'Avril ami
Chez toi pénètre!
(plus près)
Ouvre ta porte, c'est l'Avril!
(sous le balcon de la terrasse)
Ouvre la porte, c'est l'Avril!
(très accentuée)
Comment vas-tu ce matin, Lucette?
▼CENDRILLON▲
(du balcon, à ses amies, joyeusement)
Merci, je vais bien et m'apprête
Avec mon père à descendre au jardin.
(heureuse et comme transfigurée)
Printemps revient,
Printemps revient en ses habits de fête!
Allons cueillir la pâquerette
Et les muguets au fond du bois…
▼PANDOLFE▲
Au fond du bois.
▼CENDRILLON▲
Les ramures sont en émois!
Printemps revient!
Printemps revient!
▼VOIX DES JEUNES FILLES▲
(toujours au dehors)
Bon espoir! Bon espoir!
▼CENDRILLON▲
Charmés les yeux! charmés les coeurs!
▼PANDOLFE▲
(sans respirer)
Charmés les yeux! charmés les coeurs!
▼CENDRILLON▲
Les frelons butinent les roses;
Les près semblent brodés de fleurs,
brodés de fleurs.
▼PANDOLFE▲
Voici l'Avril!
Tout est en fête, voici l'Avril!
▼CENDRILLON▲
Les marjolaines sont écloses!
Printemps revient
▼PANDOLFE▲
C'est l'Avril joyeux qui revient!
▼CENDRILLON▲
(à ses amies)
Au revoir!
▼VOIX DES JEUNES FILLES▲
(les voix devront sembler déjà éloignées)
Ouvre ta porte et ta fenêtre,
Ouvre-les, mais pas à demi!
Ouvre pour que l'Avril ami
Chez toi pénètre!
(plus éloignés)
Ouvre ta porte, c'est l'Avril!
(très éloignés)
Ouvre ta porte, c'est l'Avril!
▼PANDOLFE▲
(avec effroi)
Ah! c'est ma femme qui j'entends…
Pour éviter cris et gourmandes,
(de bonne humeur)
Viens! retrouvons tes camarades!
Profitons du beau temps…
(il emmêne doucement Cendrillon)
Tous tes chagrins sont finis, je l'espère…
▼CENDRILLON▲
(en sortant avec lui)
Comme vous êtes bon, mon père!
(préoccupé à part, au moment de disparaître avec son père)
Hélas! j'ai rêvé… j'ai rêvé…
Scène Troisième
(Entrée tumultueuse de Mme. de la Haltière et d'un groupe de serviteurs.)
▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(avec vivacité)
Avancez!
Reculez!
Apprenez qu'aujourd'hui
L'ordre de notre Roi convoque près de lui
Les princesses sans nombre,
à son appel venues
De régions qui sont ou ne sont pas connues.
Il en vient du Japon, de l'Espagne et de Tyr,…
(croyant avoir remarqué de l'incrédulité, elle affirme avec hauteur et comme n'admettant pas de réplique)
… oui, de Tyr,
(continuant l'énumération)
Des bords de la Tarmise et du Guadalquivir,
Il en vient du Cambodje,
Il en vient, il en vient, il en vient de Norvège!
Et tout à l'heure, ici passera
(très mesuré)
le cortège!
(changeant de ton)
Puis… comme le ciel clair succède à l'ouragan,
La source murmurante au fracas du torrent,
Vous verrez, vers la fin,
(bien chanté et soutenu)
s'avancer noblement,
Comme une vision idéale et céleste,
Trois femmes au maintien radieux et modeste.
(comme devant la plus suave des apparitions)
Alors vous entendrez un long frémissement,
Car le peuple dira:
«Voyez ces inconnues…
Pour le Prince Charmant du ciel bleu descendues.»
(changeant de ton)
Sans penser que ce sont
(avec un gracieux sourire)
mes deux filles et moi,
Nous rendant au palais pour saluer le Roi
(en extase)
Voyez! voyez!
(s'exaltant)
c'est nous, c'est moi; nous saluons
(en faisant un grande révérence)
le Roi!
(Tambours à l'extérieur)
C'est le héraut du Roi!
(Trompettes à l'extérieur)
▼NOÉMIE, DOROTHÉE, SERVITEURS▲
C'est le héraut du Roi!
▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(bousculant ceux qui encombrent)
Eh bien! s'il vous plaît après moi!
(Cendrillon entre sans être aperçue des personnes présentes: elle écoute, anxieuse.)
▼LA VOIX DU HÉRAUT▲
(dans la rue)
«Bonnes gens, vous êtes avertis
qu'aujourd'hui même,
le Prince va recevoir en personne,
dans la grande cour du Palais,
les Princesses qui viennent essayer
la pantoufle de verre,
perdue par la femme inconnue dont
le départ a déchiré la coeur
du fils du Roi et dont l'absence le fait
mourir de langueur et de désespoir…
(l'orchestre continue du suite, après le dernier mot du Héraut.)
▼CENDRILLON▲
(frappée)
Mon rêve était donc vrai!
▼LA FOULE▲
(Les choeurs à l'extérieur)
Hourrah! Hourrah! le cortège s'avance!
▼CENDRILLON▲
(à part; avec conviction et joie)
Maintenant, j'en ai l'assurance,
(suffoquée par l'émotion)
Si mon ami me revoyait…
Chère espérance…
A mon aspect il revivrait…
Je sais qu'il m'aime!
Il m'aime!
Il me l'a dit… il me l'a dit lui-même…
(suppliante, en larmes)
O Marraine, venez à mon appel fervent!
Et laissez-moi revoir mon doux Prince Charmant!
(acclamations au dehors; rideau)
Deuxième Tableau
(Chez le Roi. Le cour d'honneur - grand soleil)
Marche des Princesses
▼LA FOULE▲
Salut! Salut! aux Princesses!
Salut aux Princesses!
Salut aux Princesses!
Salut aux Altesses!
Salut! Salut!
▼LE PRINCE CHARMANT▲
(d'une voix faible)
Posez dans son écrin, sur un coussin de fleurs,
La pantoufle d'azur déteinte par mes pleurs.
(avec fièvre)
Qu'à mon regard avide enfin
elle apparaisse…
La divine princesse
Qui croit pouvoir la réclamer.
Je ne puis vivre encor'… vivre encor'…
que si je puis l'aimer!
(aux Princesses, tristement)
Chacune de vous est bien belle…
Mais je cherche… je cherche…
et ce n'est pas elle!
Il faudra donc que rien n'apaise
ma douleur…
Il faudra donc que sans de tendres
baisers reste ma lèvre…
On ne m'a pas rendu mon coeur!
(Il est prêt à s'évanouir)
▼LA FOULE▲
Sur sa tête pâlie…
Quelle mélancolie!
Nous implorons les Cieux!
▼LE ROI▲
(anxieux)
Ses yeux vont se fermer…
parle-moi, mon enfant!
mon enfant!
▼LA VOIX DE LA FÉE▲
(se fait entendre au loin)
Ah! ah! Ah! ah!
(La Foule écoute interdite.)
▼LA FOULE▲
(comme un murmure)
Enchantement! merveille!
ah! voyez
la beauté sans pareille! voyez!
▼LE ROI▲
Enchantement! ô merveille! voyez!
ah! voyez!
▼LA FÉE▲
(au Prince Charmant)
Prince Charmant, rouvrez les yeux!
▼LE PRINCE CHARMANT▲
(tremblant, dans une joie d'extase et apercevant Cendrillon)
C'est elle! c'est ma Lucette!
▼CENDRILLON▲
(simplement)
Cendrillon la pauvrette!
(simple et tendre)
Vous êtes mon Prince Charmant…
Laissez-vous renaître à la vie…
(expressif)
O mon prince, voilà, mon envie…
(lui rendant son coeur)
Reprenez-le ce coeur sanglant…
Vous êtes mon Prince Charmant!
▼LE PRINCE CHARMANT▲
(avec tendresse)
Ah! garde-le chère maîtresse!
▼LA FÉE▲
Avril pour eux a refleuri!
▼LE PRINCE CHARMANT▲
Avril a refleuri!
▼CENDRILLON▲
Avril a refleuri!
▼LE ROI, LA FOULE▲
(joyeuse)
Honneur! Honneur! à votre souveraine!
(Pandolfe arrive avec Mme. de la Haltière et ses filles.)
▼PANDOLFE▲
(se précipite vers Cendrillon qui s'élance vers son père)
Grands Dieux! c'est…
▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(écarte vivement son mari et reçoit dans ses bras Cendrillon, qu'elle câline)
Ma fille!
▼NOÉMIE, DOROTHÉE, PANDOLFE LE DOYEN, LE SURITENDANT LE 1ER MINISTRE▲
Ah! quel aplomb est le sien!
▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(très exaltée)
Lucette que j'adore!
▼PANDOLFE▲
(au public - à part)
Ici tout finit bien!
▼TOUS▲
(au public)
La pièce est terminée.
On a fait de son mieux
Pour vous faire envoler
par les beaux pays bleus.
ACTE IV
Premier Tableau
(La terrasse de Cendrillon)
Scène Première
PANDOLFE
(affectueusement, attentif et presque à voix basse, pendant que Cendrillon sommeille; lentement, parlé)
O pauvre enfant! depuis que l'on
t'a ramenée
Des bords du ruisselet où nous
t'avons trouvée…
Gisant près des roseaux, glacée, inanimée…
Voilà des jours… des mois!
quel souvenir affreux,
Quelle angoisse cruelle!
En te prenant, la mort nous aurait pris
tous deux…
Mais la mort n'osa pas en te voyant
si belle…
CENDRILLON
(s'éveillant; vaguement)
Je m'étais rendormie…
(doucement à son père)
Et toi, tu restais là…
Me soignant sans repos…
PANDOLFE
(affectueusement)
Ah! mon enfant chérie…
Ne me plains pas. Je suis bien heureux;
(avec bonne humeur)
Te voilà vaillante maintenant et
tout à fait guérie,
(mouvement de Cendrillon)
Reste calme…
Il te faut encore ménager.
CENDRILLON
(l'interrogeant doucement mais gentiment et résolument)
Dis-moi la vérité.
PANDOLFE
(embarrassé)
Pourquoi m'interroger?
CENDRILLON
(sérieuse)
J'étais donc insensée…
PANDOLFE
(gêné)
A quoi vas-tu songer?
CENDRILLON
Alors, père, c'était comme si ma pensée
M'avait tout à coup délaissée?
PANDOLFE
(voulant la distraire tout en lui avouant la vérité)
Tu riais… tu pleurais…
Sans motif et sans trêve…
Tu vivais comme dans un rêve…
Comme au hasard tu murmurais
des mots confus…
CENDRILLON
(attentive)
Quoi donc?
PANDOLFE
(expressif)
Pauvre enfant, tu souffrais!
J'épiais les moindres paroles…
CENDRILLON
Et je parlais?
PANDOLFE
(gaîment)
Si tu parlais!
CENDRILLON
(anxieuse)
Je parlais…
PANDOLFE
Du bal de la Cour… oui, vraiment!
(en se moquant d'elle, mais très gentiment)
Tu parlais du Prince Charmant,
Du Prince que tu n'as jamais vu seulement…
Tu parlais de brillant avenir,
(gaîment)
et de promesses folles…
(avec emphase)
D'un grand chêne enchanté…
(changeant de ton)
D'un petit coeur sanglant…
(vivement et comme se souvenant subitement)
D'une pantoufle en verre!
(éclatant de rire)
Ah! ah! ah! ah! tu voyais des lutins
qui traînaient ta voiture!
CENDRILLON
(avec désenchantement)
Quoi! rien de tout cela ne serait arrivé!
PANDOLFE
(avec bonhomie)
Rien, ma chère fillette!
CENDRILLON
(inquiète)
Hélas! j'ai donc rêvé.
Hélas! Hélas! j'ai donc rêvé!
PANDOLFE
(de bonne humeur)
Tu riais!
CENDRILLON
(étonnée)
Je pleurais… Sans motif…
PANDOLFE
… et sans trêve…
CENDRILLON
Je vivais comme dans un rêve…
PANDOLFE
Comme dans un rêve,
CENDRILLON
Et je parlais?
PANDOLFE
et tu parlais de riche parure,
CENDRILLON
(attentive)
… d'un petite coeur sanglant…
PANDOLFE
(insistant avec bonhomie)
… et surtout du Prince Charmant!
CENDRILLON
(insistant)
… du Prince?
PANDOLFE
(en riant)
Que tu n'as jamais vue seulement!
CENDRILLON
Je croyais aux lutins…
PANDOLFE
… qui traînaient ta voiture!
CENDRILLON
Je croyais aux lutins!
(plus retenu et expressif)
Rien de cela n'est arrivé…
PANDOLFE
(la calmant)
Oui, tout cela tu l'as rêvé!
CENDRILLON
(plus expressif)
Rien de cela n'est arrivé!
PANDOLFE
Oui, tout cela tu l'as rêvé!
CENDRILLON
Hélas! j'ai donc rêvé!
Hélas! hélas! j'ai donc rêvé!
PANDOLFE
Oui, tout cela tu l'as rêvé! tu l'as rêvé!
CENDRILLON
(simplement)
Mon papa… j'ai rêvé…
PANDOLFE
Oui! Tout…
Scène Deuxième
VOIX DES JEUNES FILLES
(voix au loin, dans les coulisses)
Ah!
(avec fraîcheur et gaîté très rythmé)
Ouvre ta porte et ta fenêtre,
Ouvre-les, mais pas à demi…
Ouvre pour que l'Avril ami
Chez toi pénètre!
Ouvre pour que l'Avril ami
Chez toi pénètre!
(plus près)
Ouvre ta porte, c'est l'Avril!
(sous le balcon de la terrasse)
Ouvre la porte, c'est l'Avril!
(très accentuée)
Comment vas-tu ce matin, Lucette?
CENDRILLON
(du balcon, à ses amies, joyeusement)
Merci, je vais bien et m'apprête
Avec mon père à descendre au jardin.
(heureuse et comme transfigurée)
Printemps revient,
Printemps revient en ses habits de fête!
Allons cueillir la pâquerette
Et les muguets au fond du bois…
PANDOLFE
Au fond du bois.
CENDRILLON
Les ramures sont en émois!
Printemps revient!
Printemps revient!
VOIX DES JEUNES FILLES
(toujours au dehors)
Bon espoir! Bon espoir!
CENDRILLON
Charmés les yeux! charmés les coeurs!
PANDOLFE
(sans respirer)
Charmés les yeux! charmés les coeurs!
CENDRILLON
Les frelons butinent les roses;
Les près semblent brodés de fleurs,
brodés de fleurs.
PANDOLFE
Voici l'Avril!
Tout est en fête, voici l'Avril!
CENDRILLON
Les marjolaines sont écloses!
Printemps revient
PANDOLFE
C'est l'Avril joyeux qui revient!
CENDRILLON
(à ses amies)
Au revoir!
VOIX DES JEUNES FILLES
(les voix devront sembler déjà éloignées)
Ouvre ta porte et ta fenêtre,
Ouvre-les, mais pas à demi!
Ouvre pour que l'Avril ami
Chez toi pénètre!
(plus éloignés)
Ouvre ta porte, c'est l'Avril!
(très éloignés)
Ouvre ta porte, c'est l'Avril!
PANDOLFE
(avec effroi)
Ah! c'est ma femme qui j'entends…
Pour éviter cris et gourmandes,
(de bonne humeur)
Viens! retrouvons tes camarades!
Profitons du beau temps…
(il emmêne doucement Cendrillon)
Tous tes chagrins sont finis, je l'espère…
CENDRILLON
(en sortant avec lui)
Comme vous êtes bon, mon père!
(préoccupé à part, au moment de disparaître avec son père)
Hélas! j'ai rêvé… j'ai rêvé…
Scène Troisième
(Entrée tumultueuse de Mme. de la Haltière et d'un groupe de serviteurs.)
MME DE LA HALTIÈRE
(avec vivacité)
Avancez!
Reculez!
Apprenez qu'aujourd'hui
L'ordre de notre Roi convoque près de lui
Les princesses sans nombre,
à son appel venues
De régions qui sont ou ne sont pas connues.
Il en vient du Japon, de l'Espagne et de Tyr,…
(croyant avoir remarqué de l'incrédulité, elle affirme avec hauteur et comme n'admettant pas de réplique)
… oui, de Tyr,
(continuant l'énumération)
Des bords de la Tarmise et du Guadalquivir,
Il en vient du Cambodje,
Il en vient, il en vient, il en vient de Norvège!
Et tout à l'heure, ici passera
(très mesuré)
le cortège!
(changeant de ton)
Puis… comme le ciel clair succède à l'ouragan,
La source murmurante au fracas du torrent,
Vous verrez, vers la fin,
(bien chanté et soutenu)
s'avancer noblement,
Comme une vision idéale et céleste,
Trois femmes au maintien radieux et modeste.
(comme devant la plus suave des apparitions)
Alors vous entendrez un long frémissement,
Car le peuple dira:
«Voyez ces inconnues…
Pour le Prince Charmant du ciel bleu descendues.»
(changeant de ton)
Sans penser que ce sont
(avec un gracieux sourire)
mes deux filles et moi,
Nous rendant au palais pour saluer le Roi
(en extase)
Voyez! voyez!
(s'exaltant)
c'est nous, c'est moi; nous saluons
(en faisant un grande révérence)
le Roi!
(Tambours à l'extérieur)
C'est le héraut du Roi!
(Trompettes à l'extérieur)
NOÉMIE, DOROTHÉE, SERVITEURS
C'est le héraut du Roi!
MME DE LA HALTIÈRE
(bousculant ceux qui encombrent)
Eh bien! s'il vous plaît après moi!
(Cendrillon entre sans être aperçue des personnes présentes: elle écoute, anxieuse.)
LA VOIX DU HÉRAUT
(dans la rue)
«Bonnes gens, vous êtes avertis
qu'aujourd'hui même,
le Prince va recevoir en personne,
dans la grande cour du Palais,
les Princesses qui viennent essayer
la pantoufle de verre,
perdue par la femme inconnue dont
le départ a déchiré la coeur
du fils du Roi et dont l'absence le fait
mourir de langueur et de désespoir…
(l'orchestre continue du suite, après le dernier mot du Héraut.)
CENDRILLON
(frappée)
Mon rêve était donc vrai!
LA FOULE
(Les choeurs à l'extérieur)
Hourrah! Hourrah! le cortège s'avance!
CENDRILLON
(à part; avec conviction et joie)
Maintenant, j'en ai l'assurance,
(suffoquée par l'émotion)
Si mon ami me revoyait…
Chère espérance…
A mon aspect il revivrait…
Je sais qu'il m'aime!
Il m'aime!
Il me l'a dit… il me l'a dit lui-même…
(suppliante, en larmes)
O Marraine, venez à mon appel fervent!
Et laissez-moi revoir mon doux Prince Charmant!
(acclamations au dehors; rideau)
Deuxième Tableau
(Chez le Roi. Le cour d'honneur - grand soleil)
Marche des Princesses
LA FOULE
Salut! Salut! aux Princesses!
Salut aux Princesses!
Salut aux Princesses!
Salut aux Altesses!
Salut! Salut!
LE PRINCE CHARMANT
(d'une voix faible)
Posez dans son écrin, sur un coussin de fleurs,
La pantoufle d'azur déteinte par mes pleurs.
(avec fièvre)
Qu'à mon regard avide enfin
elle apparaisse…
La divine princesse
Qui croit pouvoir la réclamer.
Je ne puis vivre encor'… vivre encor'…
que si je puis l'aimer!
(aux Princesses, tristement)
Chacune de vous est bien belle…
Mais je cherche… je cherche…
et ce n'est pas elle!
Il faudra donc que rien n'apaise
ma douleur…
Il faudra donc que sans de tendres
baisers reste ma lèvre…
On ne m'a pas rendu mon coeur!
(Il est prêt à s'évanouir)
LA FOULE
Sur sa tête pâlie…
Quelle mélancolie!
Nous implorons les Cieux!
LE ROI
(anxieux)
Ses yeux vont se fermer…
parle-moi, mon enfant!
mon enfant!
LA VOIX DE LA FÉE
(se fait entendre au loin)
Ah! ah! Ah! ah!
(La Foule écoute interdite.)
LA FOULE
(comme un murmure)
Enchantement! merveille!
ah! voyez
la beauté sans pareille! voyez!
LE ROI
Enchantement! ô merveille! voyez!
ah! voyez!
LA FÉE
(au Prince Charmant)
Prince Charmant, rouvrez les yeux!
LE PRINCE CHARMANT
(tremblant, dans une joie d'extase et apercevant Cendrillon)
C'est elle! c'est ma Lucette!
CENDRILLON
(simplement)
Cendrillon la pauvrette!
(simple et tendre)
Vous êtes mon Prince Charmant…
Laissez-vous renaître à la vie…
(expressif)
O mon prince, voilà, mon envie…
(lui rendant son coeur)
Reprenez-le ce coeur sanglant…
Vous êtes mon Prince Charmant!
LE PRINCE CHARMANT
(avec tendresse)
Ah! garde-le chère maîtresse!
LA FÉE
Avril pour eux a refleuri!
LE PRINCE CHARMANT
Avril a refleuri!
CENDRILLON
Avril a refleuri!
LE ROI, LA FOULE
(joyeuse)
Honneur! Honneur! à votre souveraine!
(Pandolfe arrive avec Mme. de la Haltière et ses filles.)
PANDOLFE
(se précipite vers Cendrillon qui s'élance vers son père)
Grands Dieux! c'est…
MME DE LA HALTIÈRE
(écarte vivement son mari et reçoit dans ses bras Cendrillon, qu'elle câline)
Ma fille!
NOÉMIE, DOROTHÉE, PANDOLFE LE DOYEN, LE SURITENDANT LE 1ER MINISTRE
Ah! quel aplomb est le sien!
MME DE LA HALTIÈRE
(très exaltée)
Lucette que j'adore!
PANDOLFE
(au public - à part)
Ici tout finit bien!
TOUS
(au public)
La pièce est terminée.
On a fait de son mieux
Pour vous faire envoler
par les beaux pays bleus.