ACTE TROISIÈME


Pastorale Mystique

(Dans la chapelle de l'Abbaye. Bien en vue, la statue de la Vierge. La chapelle est disposée de telle sorte que, d'un côté, un puisse voir Jean sans qu'il aperçoive lui-même ceux qui l'observent. Les Moines achèvent de chanter l'hymne et disparaissent lentement dans le cloître. Le Moine Peintre seul devant la statue peinte)

▼LES MOINES▲
(au loin peu à peu)
Ave coeleste lilium
Ave rosa speciosa,
In hac valle lacrymarum,
Da robur, fer auxilium.

▼LE MOINE PEINTRE▲
(en pieuse admiration devant la statue)
Un regard, le dernier… à mon œuvre,

(orgueilleusement)

à ma Vierge…

▼LES MOINES▲
(de très loin)
Ave coeleste lilium.

▼LE MOINE PEINTRE▲
Le chant s'éloigne et meurt…
Dans le silence où dort l'immobile
flamme des cierges,
Pour son peintre jaloux
Elle est plus belle encor.
Mais on entre… c'est Jean.
Pourquoi tout ce bagage?

(Il se dissimule derrière un pilier. Jean, entre encore vêtu de sa robe de moine, portant sa viele et sa besace de jongleur. Il entre à pas de loup, regardant partout avec inquiétude)

▼JEAN▲
(ému)
Personne… allons, courage!
Nul à cette heure, ne vient plus.

(S'approchant de l'autel et restant devant en fervente et muette contemplation. Avec foi et tendresse)

Vierge, mère adorable de Jésus,
Blanche souveraine,
Me voilà donc seul devant vous…
Tremblant… le cœur
plein d'amour et de peine,
Je tombe à vos genoux… écoutez ma prière:
Hélas, le pauvre Jean n'est rien qu'un vil jongleur;

(timidement)

Laissez-le cependant, à son humble manière,
Travailler sous vos yeux,
ô Vierge, en votre honneur.

(Dépouillant sa robe de moine, il apparaît en surcot de jongleur, étend son tapis et, saisissant sa vièle, en tire les même accords qui annonçaient sa venue sur la place)

▼LE MOINE PEINTRE▲
(à part)
Il devient fou.
Je cours avertir le Prieur.

(Il sort vivement)

▼JEAN▲
(à haute voix)
Je commence.

(d'abord, il salue la Vierge, puis, avec force et rapidité, il commence son boniment)

Place! Place! Place! Silence!
Ecoutez Jean, Roi des Jongleurs!
Mais dans ma sébile,
d'avance ce quelques sols…

(s'arrêtant confus; à la Vierge)

L'habitude! Pardon.

(reprenant son boniment avec vivacité)

Attention! Pour vous plaire,
Je chante une chanson de guerre.

(chaque syllabe brutalement accentuée)

Il fait beau voir ces hommes d'armes
Quand ils sont montés et bardés;
Il fait beau voir luire ces armes
Dessous les étendards dorés.
Pour gagner gloire et belle terre,
Entre nous gentils compagnons,
Suivons

(presque en hurlant)

la guerre!
Suivons la guerre! la guerre!

(à part)

Mais, ce vacarme à la Vierge fait peur.

(s'adressant à la Vierge, naïvement)

Vous préférez peut-être Le Romance d'Amour?
«Belle Doètte à sa fenêtre…»

(la mémoire lui manque)

«Belle Doètte…»

(honteux)

Je ne sais plus…

(commençant une autre romance)

«Belle Erembourg
Sur la plus haute tour…

(cherchant à se rappeler la suite)

Sur la plus haute tour…
Sur la plus haute tour…»
Ah! mémoire infidèle!
Eh bien, rabâche alors, imbécile histrion,
L'éternelle Pastourelle de Robin et Marion.

(franchement)

A l'oré' du joli bocage,
Saderaladon.
Chante rossignolet, Saderaladon,
Marion, pastoure bien sage,
A ses amours
Pense toujours
Saderaladon!
Aé! Aé! Aé!

(fièrement)

Vient à passer, fier sous l'armure,
Saderaladon,
Chante, rossignolet,
Saderaladon.
Chevalier de belle figure;

(Le Prieur, conduit par le Moine Peintre, arrive avec Boniface. Jean ne peut les apercevoir; ils observent le manège du jongleur)

«Je suis le Roi;
Sois toute à moi, Saderaladon,
Aé! Aé! Aé!

▼LE PRIEUR▲
(scandalisé, il fait mine de se précipiter vers Jean)
Sacrilège!

▼JEAN▲
«Non, beau seigneur, je reste sage,
Saderaladon,
Chante rossignolet, Saderaladon

▼BONIFACE▲
(contenant le Prieur)
Attendez… la fin de la chanson
Catholiquement Marie
La fille avec le garçon.

▼JEAN▲
Avec ma cotte et mon fromage,
Toute à Robin.
J'aime Robin, Saderaladon!
Aé! Aé! Aé!

(avec volubilité, sur le mode d'un rapide boniment)

Et maintenant, Voulez-vous tours de jonglerie,
Voire de sorcellerie?
Voulez vous griffons et diables volants?

(Jean s'est arrêté, honteux de ce sacrilège, à la Vierge)

Pardon…

(avec confusion)

l'habitude!

(se rapprochant de la Vierge, et en confidence)

Entre nous, j'exagère,
Mais vous savez qu'un boniment n'est jamais absolument sincère.

(reprenant)

Attention! Pour finir la séance,
J'aurai l'honneur de danser devant vous,

▼LE PRIEUR▲
(prêt à s'élancer)
Ah! je cours!

▼BONIFACE▲
(le retenant)
Patience!

▼JEAN▲
(avec humilité)
Tout simplement la danse de chez nous.

(Le Jongleur se met à danser alors une sorte de bourrée avec des appels de pieds et des exclamations jetées par intervalles. Il danse de plus en plus vite, jusqu'au moment où, couvert de sueur, haletant, il tombe aux pieds de la Vierge et s'y prosterne dans une longue et profonde adoration. Successivement arrivent tous les Moines y compris le Moine musicien, le Moine poète, le Moine sculpteur ils entourent le Prieur. Jean ne peut savoir qu'il est regardé. Il n'entend aucune des imprécations de colère qui grandissent à mesure que la danse du jongleur s'accentue)

▼LE PRIEUR▲
(à Boniface, désignant Jean, avec dégoût et colère)
A son vomissement vois retourner le chien!

▼BONIFACE▲
(au Prieur, à part, comme pour l'apaiser)
Devant l'arche dansa le roi David.

(de bonne humeur)

Je pense que David! n'était pas païen.

(Rumeurs de colère peu à peu grandissantes)

▼LES MOINES▲
(entre eux, désignant Jean)
Sacrilège! Sacrilège! chassons-le… du Saint lieu!
Quelle insulte!

(d'autre arrivant)

Quelle insulte!
Chassons-le, chassons-le du Saint lieu!
Vengeance! Vengeance!
Il se vautre
Il se joue dans son impiété…
Vengeance! Vengeance! Vengeance!

▼TOUS LES MOINES▲
(réunis)
Mort à l'impie! Mort!
Mort à l'impie! Mort!

▼LE PRIEUR▲
Anathème sur lui!

▼BONIFACE▲
(très expressif)
Pitié, pitié pour lui!

▼LE PRIEUR▲
Anathème sur lui!

▼BONIFACE▲
Pitié pour lui!

▼LE PRIEUR▲
Anathème!
Mort au sacrilège!

▼LE PRIEUR, LES MOINES▲
Mort!

▼BONIFACE▲
Non!

(Furieux, les Moines vont se précipiter sur Jean. Mais Boniface, d'un geste vers la statue de la Vierge, les arrête)

Arrière tous! la Vierge le protège!

(avec une terreur religieuse)

Voyez-vous…

(presque sans voix)

le tableau…
D'une étrange lumière
Il commence à briller…
Un doux regard se lève au bord de la paupière,
Sur la bouche…
un sourire est près de s'éveiller.

▼LES MOINES▲
(entre eux, désignant la statue)
… là! là!

▼LES MOINE PEINTRE▲
… là! voyez-vous?

▼LES MOINES▲
O miracle! Voyez!

▼LES MOINES PEINTRE▲
(radieux d'orgueil)
O Peinture!

▼BONIFACE▲
Ah!, voyez… la main blanche
Vers le Jongleur incline un geste maternel…
Le front délicieux avec amour se penche…

▼PRIEUR, LE MOINE PEINTRE, MOINES▲
O miracle!

▼LES ANGES▲
(Voix invisibles au très loin; sopranos, contraltos, enfants)
Hosanna! Gloire à Jean.
Gloire au plus haut des cieux,
Hosanna!
Gloire et sérénité. Paix sur la terre
Aux hommes de bonne volonté,
Hosanna!

(les sopranos seulement)

Hosanna!

▼BONIFACE▲
(extasié)
Ecoutez les musiques du ciel!
Adorable mystère.

▼LES MOINES▲
(les Moine Peintre avec les barytons)
Adorable mystère.

▼LE PRIEUR▲
Adorable mystère.

▼BONIFACE, PRIEUR, MOINES▲
Miracle!

(Le Prieur, suivi des Moines, s'approche de Jean toujours aux pieds de la Vierge, abîmé dans sa prière. Jean se relève, et se retourne au bruit, effrayé d'être surpris dans son costume de jongleur)

▼JEAN▲
C'est le Prieur! ah! pardon!

▼LE PRIEUR▲
(le relevant)
Relevez-vous,
C'est à moi d'être à vos genoux…
Vous êtes un grand Saint.
Priez, priez pour nous.

▼BONIFACE, LES MOINES▲
Priez pour nous.

▼JEAN▲
(croyant qu'on le raille)
Non! ne me raillez point.
Punissez-moi, mon Père.

▼LE PRIEUR▲
Vous railler, vous punir,
Vous, l'honneur de ce monastère,

(désignant la statue)

Quand je vois de mes yeux la Vierge vous bénir.

▼JEAN▲
(très simplement)
Je ne vois rien.

▼BONIFACE, LES MOINES▲
Etrange merveille!

▼LE PRIEUR▲
Enseignement des cieux et leçon non pareille de candide vertu, de sainte humilité.

(s'adressant à la Vierge)

Mais cependant, ô Vierge souveraine,
Mère d'amour et de bonté,
pour le délasser de sa peine,
Aux yeux fermés encor de Votre cher Jongleur,
Divine et vivante Pâleur,
Révélez-vous!

▼BONIFACE, LES MOINES▲
Miracle! Miracle!

(Se détachant des mains de la Vierge, l'auréole des bienheureux vient briller sur la tête de Jean)

▼JEAN▲
(extasié)
Rayonnement!
Ah! bonheur!
Délicieusement… je meurs…

▼BONIFACE, LE PRIEUR, MOINES▲
Miracle! Miracle!
Miracle! Miracle!

(Jean défaille)

▼LES MOINES▲
(tombant à genoux)
Kyrie eleison,
Christe, exaudi nos,
Sancta Maria,
Ora pro nobis.

▼JEAN▲
(d'un ton naïf et tendre)
Enfin… Je comprends le latin…

(Il retombe)

▼DEUX ANGES▲
Caressé du vent de nos ailes,
Souriant, le jongleur s'endort;
Voyez devant son humble zèle
S'ouvrir aux cieux la porte d'or.

▼LES ANGES▲
Alléluia! Alléluia!

▼DEUX ANGES▲
Voyez s'ouvrir la porte d'or,
Voyez s'ouvrir la porte d'or!

▼JEAN▲
(extasié, souriant)
Spectacle radieux…
Je vois s'ouvrir les cieux!
Parfums divins… frais palpitèments d'ailes…

(tendrement, ému)

La Vierge de la main me fait signe…
Je viens… quel doux sourire…
Ah! sa main blanche… sa main…
La Gloire du Paradis

(La Vierge, au milieu du Paradis, entourée des Anges)

▼BONIFACE▲
(contemplant Jean avec une ardent et radieuse piété)
Délivré des terrestres liens…
Il s'envole… au bonheur… de l'Eternel Dimanche…
Plus de chagrin… plus de souci…
Il entre en la céleste ronde…

▼JEAN▲
(sans voix)
Me voici…

(Il meurt)

▼LE PRIEUR▲
Heureux les simples car ils verront Dieu.

▼LES ANGES▲
(au très loin)
Amen.

▼BONIFACE, LE PRIEUR, LES MOINES▲
Amen.
ACTE TROISIÈME


Pastorale Mystique

(Dans la chapelle de l'Abbaye. Bien en vue, la statue de la Vierge. La chapelle est disposée de telle sorte que, d'un côté, un puisse voir Jean sans qu'il aperçoive lui-même ceux qui l'observent. Les Moines achèvent de chanter l'hymne et disparaissent lentement dans le cloître. Le Moine Peintre seul devant la statue peinte)

LES MOINES
(au loin peu à peu)
Ave coeleste lilium
Ave rosa speciosa,
In hac valle lacrymarum,
Da robur, fer auxilium.

LE MOINE PEINTRE
(en pieuse admiration devant la statue)
Un regard, le dernier… à mon œuvre,

(orgueilleusement)

à ma Vierge…

LES MOINES
(de très loin)
Ave coeleste lilium.

LE MOINE PEINTRE
Le chant s'éloigne et meurt…
Dans le silence où dort l'immobile
flamme des cierges,
Pour son peintre jaloux
Elle est plus belle encor.
Mais on entre… c'est Jean.
Pourquoi tout ce bagage?

(Il se dissimule derrière un pilier. Jean, entre encore vêtu de sa robe de moine, portant sa viele et sa besace de jongleur. Il entre à pas de loup, regardant partout avec inquiétude)

JEAN
(ému)
Personne… allons, courage!
Nul à cette heure, ne vient plus.

(S'approchant de l'autel et restant devant en fervente et muette contemplation. Avec foi et tendresse)

Vierge, mère adorable de Jésus,
Blanche souveraine,
Me voilà donc seul devant vous…
Tremblant… le cœur
plein d'amour et de peine,
Je tombe à vos genoux… écoutez ma prière:
Hélas, le pauvre Jean n'est rien qu'un vil jongleur;

(timidement)

Laissez-le cependant, à son humble manière,
Travailler sous vos yeux,
ô Vierge, en votre honneur.

(Dépouillant sa robe de moine, il apparaît en surcot de jongleur, étend son tapis et, saisissant sa vièle, en tire les même accords qui annonçaient sa venue sur la place)

LE MOINE PEINTRE
(à part)
Il devient fou.
Je cours avertir le Prieur.

(Il sort vivement)

JEAN
(à haute voix)
Je commence.

(d'abord, il salue la Vierge, puis, avec force et rapidité, il commence son boniment)

Place! Place! Place! Silence!
Ecoutez Jean, Roi des Jongleurs!
Mais dans ma sébile,
d'avance ce quelques sols…

(s'arrêtant confus; à la Vierge)

L'habitude! Pardon.

(reprenant son boniment avec vivacité)

Attention! Pour vous plaire,
Je chante une chanson de guerre.

(chaque syllabe brutalement accentuée)

Il fait beau voir ces hommes d'armes
Quand ils sont montés et bardés;
Il fait beau voir luire ces armes
Dessous les étendards dorés.
Pour gagner gloire et belle terre,
Entre nous gentils compagnons,
Suivons

(presque en hurlant)

la guerre!
Suivons la guerre! la guerre!

(à part)

Mais, ce vacarme à la Vierge fait peur.

(s'adressant à la Vierge, naïvement)

Vous préférez peut-être Le Romance d'Amour?
«Belle Doètte à sa fenêtre…»

(la mémoire lui manque)

«Belle Doètte…»

(honteux)

Je ne sais plus…

(commençant une autre romance)

«Belle Erembourg
Sur la plus haute tour…

(cherchant à se rappeler la suite)

Sur la plus haute tour…
Sur la plus haute tour…»
Ah! mémoire infidèle!
Eh bien, rabâche alors, imbécile histrion,
L'éternelle Pastourelle de Robin et Marion.

(franchement)

A l'oré' du joli bocage,
Saderaladon.
Chante rossignolet, Saderaladon,
Marion, pastoure bien sage,
A ses amours
Pense toujours
Saderaladon!
Aé! Aé! Aé!

(fièrement)

Vient à passer, fier sous l'armure,
Saderaladon,
Chante, rossignolet,
Saderaladon.
Chevalier de belle figure;

(Le Prieur, conduit par le Moine Peintre, arrive avec Boniface. Jean ne peut les apercevoir; ils observent le manège du jongleur)

«Je suis le Roi;
Sois toute à moi, Saderaladon,
Aé! Aé! Aé!

LE PRIEUR
(scandalisé, il fait mine de se précipiter vers Jean)
Sacrilège!

JEAN
«Non, beau seigneur, je reste sage,
Saderaladon,
Chante rossignolet, Saderaladon

BONIFACE
(contenant le Prieur)
Attendez… la fin de la chanson
Catholiquement Marie
La fille avec le garçon.

JEAN
Avec ma cotte et mon fromage,
Toute à Robin.
J'aime Robin, Saderaladon!
Aé! Aé! Aé!

(avec volubilité, sur le mode d'un rapide boniment)

Et maintenant, Voulez-vous tours de jonglerie,
Voire de sorcellerie?
Voulez vous griffons et diables volants?

(Jean s'est arrêté, honteux de ce sacrilège, à la Vierge)

Pardon…

(avec confusion)

l'habitude!

(se rapprochant de la Vierge, et en confidence)

Entre nous, j'exagère,
Mais vous savez qu'un boniment n'est jamais absolument sincère.

(reprenant)

Attention! Pour finir la séance,
J'aurai l'honneur de danser devant vous,

LE PRIEUR
(prêt à s'élancer)
Ah! je cours!

BONIFACE
(le retenant)
Patience!

JEAN
(avec humilité)
Tout simplement la danse de chez nous.

(Le Jongleur se met à danser alors une sorte de bourrée avec des appels de pieds et des exclamations jetées par intervalles. Il danse de plus en plus vite, jusqu'au moment où, couvert de sueur, haletant, il tombe aux pieds de la Vierge et s'y prosterne dans une longue et profonde adoration. Successivement arrivent tous les Moines y compris le Moine musicien, le Moine poète, le Moine sculpteur ils entourent le Prieur. Jean ne peut savoir qu'il est regardé. Il n'entend aucune des imprécations de colère qui grandissent à mesure que la danse du jongleur s'accentue)

LE PRIEUR
(à Boniface, désignant Jean, avec dégoût et colère)
A son vomissement vois retourner le chien!

BONIFACE
(au Prieur, à part, comme pour l'apaiser)
Devant l'arche dansa le roi David.

(de bonne humeur)

Je pense que David! n'était pas païen.

(Rumeurs de colère peu à peu grandissantes)

LES MOINES
(entre eux, désignant Jean)
Sacrilège! Sacrilège! chassons-le… du Saint lieu!
Quelle insulte!

(d'autre arrivant)

Quelle insulte!
Chassons-le, chassons-le du Saint lieu!
Vengeance! Vengeance!
Il se vautre
Il se joue dans son impiété…
Vengeance! Vengeance! Vengeance!

TOUS LES MOINES
(réunis)
Mort à l'impie! Mort!
Mort à l'impie! Mort!

LE PRIEUR
Anathème sur lui!

BONIFACE
(très expressif)
Pitié, pitié pour lui!

LE PRIEUR
Anathème sur lui!

BONIFACE
Pitié pour lui!

LE PRIEUR
Anathème!
Mort au sacrilège!

LE PRIEUR, LES MOINES
Mort!

BONIFACE
Non!

(Furieux, les Moines vont se précipiter sur Jean. Mais Boniface, d'un geste vers la statue de la Vierge, les arrête)

Arrière tous! la Vierge le protège!

(avec une terreur religieuse)

Voyez-vous…

(presque sans voix)

le tableau…
D'une étrange lumière
Il commence à briller…
Un doux regard se lève au bord de la paupière,
Sur la bouche…
un sourire est près de s'éveiller.

LES MOINES
(entre eux, désignant la statue)
… là! là!

LES MOINE PEINTRE
… là! voyez-vous?

LES MOINES
O miracle! Voyez!

LES MOINES PEINTRE
(radieux d'orgueil)
O Peinture!

BONIFACE
Ah!, voyez… la main blanche
Vers le Jongleur incline un geste maternel…
Le front délicieux avec amour se penche…

PRIEUR, LE MOINE PEINTRE, MOINES
O miracle!

LES ANGES
(Voix invisibles au très loin; sopranos, contraltos, enfants)
Hosanna! Gloire à Jean.
Gloire au plus haut des cieux,
Hosanna!
Gloire et sérénité. Paix sur la terre
Aux hommes de bonne volonté,
Hosanna!

(les sopranos seulement)

Hosanna!

BONIFACE
(extasié)
Ecoutez les musiques du ciel!
Adorable mystère.

LES MOINES
(les Moine Peintre avec les barytons)
Adorable mystère.

LE PRIEUR
Adorable mystère.

BONIFACE, PRIEUR, MOINES
Miracle!

(Le Prieur, suivi des Moines, s'approche de Jean toujours aux pieds de la Vierge, abîmé dans sa prière. Jean se relève, et se retourne au bruit, effrayé d'être surpris dans son costume de jongleur)

JEAN
C'est le Prieur! ah! pardon!

LE PRIEUR
(le relevant)
Relevez-vous,
C'est à moi d'être à vos genoux…
Vous êtes un grand Saint.
Priez, priez pour nous.

BONIFACE, LES MOINES
Priez pour nous.

JEAN
(croyant qu'on le raille)
Non! ne me raillez point.
Punissez-moi, mon Père.

LE PRIEUR
Vous railler, vous punir,
Vous, l'honneur de ce monastère,

(désignant la statue)

Quand je vois de mes yeux la Vierge vous bénir.

JEAN
(très simplement)
Je ne vois rien.

BONIFACE, LES MOINES
Etrange merveille!

LE PRIEUR
Enseignement des cieux et leçon non pareille de candide vertu, de sainte humilité.

(s'adressant à la Vierge)

Mais cependant, ô Vierge souveraine,
Mère d'amour et de bonté,
pour le délasser de sa peine,
Aux yeux fermés encor de Votre cher Jongleur,
Divine et vivante Pâleur,
Révélez-vous!

BONIFACE, LES MOINES
Miracle! Miracle!

(Se détachant des mains de la Vierge, l'auréole des bienheureux vient briller sur la tête de Jean)

JEAN
(extasié)
Rayonnement!
Ah! bonheur!
Délicieusement… je meurs…

BONIFACE, LE PRIEUR, MOINES
Miracle! Miracle!
Miracle! Miracle!

(Jean défaille)

LES MOINES
(tombant à genoux)
Kyrie eleison,
Christe, exaudi nos,
Sancta Maria,
Ora pro nobis.

JEAN
(d'un ton naïf et tendre)
Enfin… Je comprends le latin…

(Il retombe)

DEUX ANGES
Caressé du vent de nos ailes,
Souriant, le jongleur s'endort;
Voyez devant son humble zèle
S'ouvrir aux cieux la porte d'or.

LES ANGES
Alléluia! Alléluia!

DEUX ANGES
Voyez s'ouvrir la porte d'or,
Voyez s'ouvrir la porte d'or!

JEAN
(extasié, souriant)
Spectacle radieux…
Je vois s'ouvrir les cieux!
Parfums divins… frais palpitèments d'ailes…

(tendrement, ému)

La Vierge de la main me fait signe…
Je viens… quel doux sourire…
Ah! sa main blanche… sa main…
La Gloire du Paradis

(La Vierge, au milieu du Paradis, entourée des Anges)

BONIFACE
(contemplant Jean avec une ardent et radieuse piété)
Délivré des terrestres liens…
Il s'envole… au bonheur… de l'Eternel Dimanche…
Plus de chagrin… plus de souci…
Il entre en la céleste ronde…

JEAN
(sans voix)
Me voici…

(Il meurt)

LE PRIEUR
Heureux les simples car ils verront Dieu.

LES ANGES
(au très loin)
Amen.

BONIFACE, LE PRIEUR, LES MOINES
Amen.
最終更新:2021年02月19日 14:21