ACTE CINQUIEME

Premier Tableau

(Le vestibule de la cathédrale de Palerme. Au fond, un rideau qui sépare le vestibule du sanctuaire; à gauche, une niche et une image de madone indiquant que c'est un lieu d'asile. Au lever du rideau, des moines)

Scène Première

(Moines, fugitifs)

▼CHOEUR DE MOINES▲
Malheureux ou coupable,
Hâtez-vous d'accourir
En ce lieu redoutable
Ouvert au repentir!
Ici, de l'humaine justice
Vous pouvez braver le courroux.
De la madone protectrice
L'image veillera sur vous.
Malheureux ou coupable,
Hâtez-vous d'accourir
En ce lieu redoutable
Ouvert au repentir!

(Pendant le choeur, plusieurs fugitifs viennent demander asile; après le chœur tous entrent dans l'église)

Scène Seconde

(Robert, entrant vivement, Bertram)

▼ROBERT▲
Viens!

▼BERTRAM▲
Pourquoi dans ce lieu me forcer à te suivre?

▼ROBERT▲
Cet asile est sacré,
l'on ne peut m'y poursuivre.
Délivré par tes soins, j'ai cherché mon rival,
Ce prince de Grenade.

▼BERTRAM▲
Eh bien?

▼ROBERT▲
O sort fatal!
Je suis vaincu.

▼BERTRAM▲
Toi!

▼ROBERT▲
Mon glaive lui-même
Dans ce combat m'a trahi!
Tout me trahit aujourd'hui.

▼BERTRAM▲
Excepté moi qui t'aime,
Et qui veux ton bonheur.
Ne le comprends-tu pas?
Oui, puisque tu brisas d'une main imprudente
Ce rameau qui devait te livrer ton amante,
Elle est à ton rival!

▼ROBERT▲
Pour l'ôter de ses bras,
Quel moyen? parle!

▼BERTRAM▲
Un seul offert à ta vengeance.

▼ROBERT▲
Quel qu'il soit, je le veux!

▼BERTRAM▲
Sois à nous! sois à moi!
Qu'un écrit solennel nous engage ta foi!

▼ROBERT▲
Pourvu que je me venge! il suffit… donne…

(On entend en ce moment les chants religieux qui partent de l'église qui est au fond. Robert étonné s'arrête)

▼BERTRAM▲
Eh quoi! Déjà ton cœur balance!

▼ROBERT▲
(écoutant)
N'entends-tu pas ces chants?

▼BERTRAM▲
(voulant l'entraîner)
Ils nous importent peu.

▼ROBERT▲
(avec émotion)
Ils frappaient mon oreille aux jours de mon enfance,
Lorsque pour moi,
le soir, ma mère priait Dieu.

Ensemble

▼LE CHOEUR▲
(dans l'église)
Gloire à la Providence!
Gloire au Dieu tout-puissant
Qui sauva l'innocence
Des pièges du méchant!

▼ROBERT▲
O divine harmonie!
O célestes accords!
D'une aveugle furie
Vous calmez les transports.

▼BERTRAM▲
(à part)
Sur son âme attendrie redoublons nos efforts;
D'une aveugle furie excitons les transports.

▼ROBERT▲
C'est Dieu lui-même qui rappelle
L'ingrat prêt à l'abandonner.

▼BERTRAM▲
(à part)
De ces lieux il faut l'entraîner.

(Haut)

Daigne en croire un ami fidèle…

▼ROBERT▲
(écoutant les chants qui continuent)
Entends-tu?

▼BERTRAM▲
Qui peut t'effrayer Suis-moi.

▼ROBERT▲
Si je pouvais prier!

Ensemble

▼LE CHOEUR▲
(dans l'église)
Gloire à la Providence!
Gloire au Dieu tout-puissant
Qui sauva l'innocence
Des pièges du méchant!

▼ROBERT▲
O divine harmonie!
O célestes accords,
D'une aveugle furie
Vous calmez les transports.

▼BERTRAM▲
Sur son âme attendrie redoublons nos efforts;
D'une aveugle furie excitons les transports.

▼BERTRAM▲
Je conçois que ces chants puissent troubler ton âme;
Pour ton heureux rival ce peuple fait des vœux.

▼ROBERT▲
Que dis-tu?

▼BERTRAM▲
Dans ce temple où l'hymen les réclame
Que ne vas-tu prier comme eux?

▼ROBERT▲
Ah! ce mot seul a ranimé ma rage;
Va-t'en! Tu n'es qu'un ennemi!

▼BERTRAM▲
Qui? moi!
Ton ennemi! Moi, qui n'aime que toi!
Moi, qui dans tous les temps protégeai ton jeune âge!
Moi, qui voudrais avoir tous les biens en partage
Pour te les donner tous!

▼ROBERT▲
O ciel! qui donc es-tu?

▼BERTRAM▲
Ce trouble, cet effroi…
dont mon cœur est ému,
Ne te l'ont-ils pas dit?
n'as-tu pas entendu
Ce matin… ce Raimbaut… et ce récit funeste
Des malheurs de ta mère…
Ils n'étaient que trop vrais!

▼ROBERT▲
Dieu!

▼BERTRAM▲
Je fus son amant! son époux!
je l'atteste.

▼ROBERT▲
Qu'entends-je?

▼BERTRAM▲
Et maintenant, Robert, tu me connais!

▼ROBERT▲
Malheureux que je suis!

▼BERTRAM▲
Jamais, c'est impossible,
Ton malheur, ô mon fils, n'égalera le mien.
Notre tourment à nous, c'est de vivre insensible,
De ne pouvoir aimer, de n'aimer jamais rien.
Tel est l'enfer… Eh bien!
Quand le souverain maître
Eut lancé dans l'abîme un ange révolté,
Dans mon cœur un instant le repentir vint naître;
Et ce Dieu dans sa bonté,
Dans sa vengeance peut-être,
Me permit d'aimer!…
Oui, depuis ce jour cruel,
Où par toi seul, Robert, mon cœur a pu connaître
Les craintes, le bonheur,
les tourments d'un mortel…
En toi seul à présent est ma vie et mon être.
O mon fils! ô Robert! ô mon unique bien!
D'un seul mot va dépendre et ton sort et le mien!
Je t'ai trompé, je fus coupable:
Tu sauras tout: Avant minuit,
Si tu n'as pas signé ce pacte irrévocable
Qui pour l'éternité tous les deux nous unit,
Ce Dieu qui me poursuit,
ce Dieu qui nous accable,
Reprend sur toi tout son pouvoir;
Je te perds à jamais, je ne dois plus te voir!
Minuit!… minuit!…
tel est son arrêt immuable…
O mon fils! ô Robert! ô mon unique bien!
De ce mot va dépendre et ton sort et le mien!
De ton rival je suis le maître,
Un des miens avait pris ses traits;
Dis un mot, il va disparaître,
L'hymen va combler tes souhaits;
Et les honneurs et la richesse,
Et les plaisirs et les amours,
Dans une éternelle jeunesse,
Vont près de moi charmer tes jours!
Et ne crois pas qu'ici je veuille te séduire.
C'est pour ton seul bonheur qu'à présent je respire;
Et si ce bonheur même est ailleurs qu'avec moi,
Va… fuis… Je t'aime assez pour renoncer à toi!

▼ROBERT▲
L'arrêt est prononcé,
l'enfer est le plus fort,
Ne crains pas que je t'abandonne.

▼BERTRAM▲
O bonheur!

▼ROBERT▲
Maintenant le devoir me l'ordonne,
Qui que tu sois, je partage ton sort.

Scène Troisième

(Les mêmes; Alice)

▼ALICE▲
(qui a entendu les derniers mots)
Robert, qu'ai-je entendu?

▼BERTRAM▲
(à Alice)
Dans ce lieu qui t'amène?

▼ALICE▲
Une heureuse nouvelle!…
Ah! je respire à peine.

(à Robert)

Vous pouvez maintenant compter sur le succès
Et rendre grâce au ciel qui vous protège:
Le prince de Grenade et son brillant cortège,
N'ont pu franchir le seuil du lieu saint.

▼ROBERT▲
Je le sais.

▼ALICE▲
Et la noble princesse à votre amour ravie
Vous attend à l'autel.

▼BERTRAM▲
(à Robert)
Pars, il faut t'éloigner.

▼ALICE▲
(à Robert)
Pourriez-vous donc l'abandonner?
Avez-vous oublié le serment qui vous lie?

▼BERTRAM▲
(à Robert)
Hâtons-nous, le temps presse,
et l'heure va sonner.

Trio

▼ROBERT▲
(à Bertram)
A tes lois je souscris d'avance.
Que faut-il faire?

▼ALICE▲
O ciel!

(à Robert)

Avant de vous quitter,
Je voudrais vous parler.

▼ROBERT▲
Silence!

▼ALICE▲
D'un devoir rien ne nous dispense,
D'un dernier je dois m'acquitter.

Ensemble

▼BERTRAM▲
O tourment! ô supplice!
Mon fils, mon seul bonheur!
A mes vœux sois propice,
J'en appelle à ton cœur!

▼ALICE▲
Dieu puissant, ciel propice,
Que ton nom protecteur
Dans son cœur retentisse,
Et le rende au bonheur!

▼ROBERT▲
O tourment! ô supplice!
Qui déchirent mon cœur,
Vaut-il que je périsse
D'épouvante et d'horreur!

▼BERTRAM▲
Hâtons-nous.

(Tirant de son sein un rouleau de parchemin et un stylet de fer)

Tiens, voici cet écrit redoutable
Qui peut seul engager ta foi!

▼ALICE▲
(à part)
O ciel! inspire-moi!

▼ROBERT▲
(tendant la main du coté de Bertram)
Donne donc!

(Alice en ce moment tire de son sein le testament de la mère de Robert; elle s'élance entre Bertram et Robert, et le donne à celui-ci)

▼ALICE▲
Le voici! Fils ingrat, fils coupable!
Lisez!

▼ROBERT▲
O ciel! c'est la main de ma mère!

(Lisant en tremblant)

»Mon fils, ma tendresse assidue
Veille sur toi du haut des cieux.
Fuis les conseils audacieux
Du séducteur qui m'a perdue.«

(Robert laisse tomber le papier, qu'Alice se hâte de ramasser)

▼BERTRAM▲
Eh quoi! Ton cœur hésite entre nous deux?

▼ROBERT▲
Je tremble… je frémis…
Que décider? ô cieux!

▼ALICE▲
(sans regarder Robert et Bertram, et relisant à haute voix le papier qu'elle a ramassé)
»Mon fils! mon fils! ma tendresse assidue
Veille sur toi du haut des cieux.«

▼BERTRAM▲
(à Robert)
Mon fils! mon fils! Jette sur moi la vue,
Vois mes tourments, entends mes vœux;
D'un vain écrit ton âme est-elle émue?

▼ALICE▲
(de même)
»Fuis les conseils audacieux
Du séducteur qui m'a perdue.«

▼ROBERT▲
(entre Bertram et Alice)
Prenez pitié de moi!

▼BERTRAM▲
(aux côté)
Non, partons à l'instant.
Tu me vois à tes pieds.

▼ALICE▲
(de l'autre côté)
Vois le ciel qui t'attend.

Ensemble

▼BERTRAM▲
O tourment! ô supplice!
Mon fils, mon seul bonheur,
A mes vœux sois propice,
J'en appelle à ton cœur!

▼ALICE▲
Dieu puissant, ciel propice!
Que ton nom protecteur
Dans son cœur retentisse,
Et le rende au bonheur!

▼ROBERT▲
O tourment! ô supplice!
Qui déchirent mon cœur,
Faut-il que je périsse
D'épouvante et d'horreur!

▼ROBERT▲
(prenant la main d'Alice)
Viens.

▼ALICE▲
Viens.

(Un coup de tam-tam se fait entendre)

C'est minuit… ô bonheur!

▼BERTRAM▲
(poussant un cri terrible)
Ah! tu l'emportes, Dieu vengeur!

(La terre s'entrouvre, il disparaît. Robert, hors de lui, éperdu, tombe évanoui aux pieds d'Alice, qui cherche à le rappeler à la vie. A la musique terrible qu'on entend encore gronder dans le lointain, succèdent des chants célestes et une musique religieuse)

Deuxième Tableau

(Les rideaux du fond, qui se sont ouverts, laissent apercevoir l'intérieur de la cathédrale de Palerme remplie de fidèles qui sont en prières. Au milieu du chœur, la princesse est à genoux avec toute sa cour; à côté d'elle un siège vide destiné à Robert)

Scène Quatrième

▼CHOEUR AÉRIEN▲
Chantez, troupe immortelle,
Reprenez vos divins concerts:
Il nous est resté fidèle,
Que les cieux lui soient ouverts!

▼ISABELLE ALICE, CHOEUR▲
Gloire, gloire immortelle
Au Dieu de l'univers!

(Montrant Robert)

Il est resté fidèle!
Les cieux lui sont ouverts.
ACTE CINQUIEME

Premier Tableau

(Le vestibule de la cathédrale de Palerme. Au fond, un rideau qui sépare le vestibule du sanctuaire; à gauche, une niche et une image de madone indiquant que c'est un lieu d'asile. Au lever du rideau, des moines)

Scène Première

(Moines, fugitifs)

CHOEUR DE MOINES
Malheureux ou coupable,
Hâtez-vous d'accourir
En ce lieu redoutable
Ouvert au repentir!
Ici, de l'humaine justice
Vous pouvez braver le courroux.
De la madone protectrice
L'image veillera sur vous.
Malheureux ou coupable,
Hâtez-vous d'accourir
En ce lieu redoutable
Ouvert au repentir!

(Pendant le choeur, plusieurs fugitifs viennent demander asile; après le chœur tous entrent dans l'église)

Scène Seconde

(Robert, entrant vivement, Bertram)

ROBERT
Viens!

BERTRAM
Pourquoi dans ce lieu me forcer à te suivre?

ROBERT
Cet asile est sacré,
l'on ne peut m'y poursuivre.
Délivré par tes soins, j'ai cherché mon rival,
Ce prince de Grenade.

BERTRAM
Eh bien?

ROBERT
O sort fatal!
Je suis vaincu.

BERTRAM
Toi!

ROBERT
Mon glaive lui-même
Dans ce combat m'a trahi!
Tout me trahit aujourd'hui.

BERTRAM
Excepté moi qui t'aime,
Et qui veux ton bonheur.
Ne le comprends-tu pas?
Oui, puisque tu brisas d'une main imprudente
Ce rameau qui devait te livrer ton amante,
Elle est à ton rival!

ROBERT
Pour l'ôter de ses bras,
Quel moyen? parle!

BERTRAM
Un seul offert à ta vengeance.

ROBERT
Quel qu'il soit, je le veux!

BERTRAM
Sois à nous! sois à moi!
Qu'un écrit solennel nous engage ta foi!

ROBERT
Pourvu que je me venge! il suffit… donne…

(On entend en ce moment les chants religieux qui partent de l'église qui est au fond. Robert étonné s'arrête)

BERTRAM
Eh quoi! Déjà ton cœur balance!

ROBERT
(écoutant)
N'entends-tu pas ces chants?

BERTRAM
(voulant l'entraîner)
Ils nous importent peu.

ROBERT
(avec émotion)
Ils frappaient mon oreille aux jours de mon enfance,
Lorsque pour moi,
le soir, ma mère priait Dieu.

Ensemble

LE CHOEUR
(dans l'église)
Gloire à la Providence!
Gloire au Dieu tout-puissant
Qui sauva l'innocence
Des pièges du méchant!

ROBERT
O divine harmonie!
O célestes accords!
D'une aveugle furie
Vous calmez les transports.

BERTRAM
(à part)
Sur son âme attendrie redoublons nos efforts;
D'une aveugle furie excitons les transports.

ROBERT
C'est Dieu lui-même qui rappelle
L'ingrat prêt à l'abandonner.

BERTRAM
(à part)
De ces lieux il faut l'entraîner.

(Haut)

Daigne en croire un ami fidèle…

ROBERT
(écoutant les chants qui continuent)
Entends-tu?

BERTRAM
Qui peut t'effrayer Suis-moi.

ROBERT
Si je pouvais prier!

Ensemble

LE CHOEUR
(dans l'église)
Gloire à la Providence!
Gloire au Dieu tout-puissant
Qui sauva l'innocence
Des pièges du méchant!

ROBERT
O divine harmonie!
O célestes accords,
D'une aveugle furie
Vous calmez les transports.

BERTRAM
Sur son âme attendrie redoublons nos efforts;
D'une aveugle furie excitons les transports.

BERTRAM
Je conçois que ces chants puissent troubler ton âme;
Pour ton heureux rival ce peuple fait des vœux.

ROBERT
Que dis-tu?

BERTRAM
Dans ce temple où l'hymen les réclame
Que ne vas-tu prier comme eux?

ROBERT
Ah! ce mot seul a ranimé ma rage;
Va-t'en! Tu n'es qu'un ennemi!

BERTRAM
Qui? moi!
Ton ennemi! Moi, qui n'aime que toi!
Moi, qui dans tous les temps protégeai ton jeune âge!
Moi, qui voudrais avoir tous les biens en partage
Pour te les donner tous!

ROBERT
O ciel! qui donc es-tu?

BERTRAM
Ce trouble, cet effroi…
dont mon cœur est ému,
Ne te l'ont-ils pas dit?
n'as-tu pas entendu
Ce matin… ce Raimbaut… et ce récit funeste
Des malheurs de ta mère…
Ils n'étaient que trop vrais!

ROBERT
Dieu!

BERTRAM
Je fus son amant! son époux!
je l'atteste.

ROBERT
Qu'entends-je?

BERTRAM
Et maintenant, Robert, tu me connais!

ROBERT
Malheureux que je suis!

BERTRAM
Jamais, c'est impossible,
Ton malheur, ô mon fils, n'égalera le mien.
Notre tourment à nous, c'est de vivre insensible,
De ne pouvoir aimer, de n'aimer jamais rien.
Tel est l'enfer… Eh bien!
Quand le souverain maître
Eut lancé dans l'abîme un ange révolté,
Dans mon cœur un instant le repentir vint naître;
Et ce Dieu dans sa bonté,
Dans sa vengeance peut-être,
Me permit d'aimer!…
Oui, depuis ce jour cruel,
Où par toi seul, Robert, mon cœur a pu connaître
Les craintes, le bonheur,
les tourments d'un mortel…
En toi seul à présent est ma vie et mon être.
O mon fils! ô Robert! ô mon unique bien!
D'un seul mot va dépendre et ton sort et le mien!
Je t'ai trompé, je fus coupable:
Tu sauras tout: Avant minuit,
Si tu n'as pas signé ce pacte irrévocable
Qui pour l'éternité tous les deux nous unit,
Ce Dieu qui me poursuit,
ce Dieu qui nous accable,
Reprend sur toi tout son pouvoir;
Je te perds à jamais, je ne dois plus te voir!
Minuit!… minuit!…
tel est son arrêt immuable…
O mon fils! ô Robert! ô mon unique bien!
De ce mot va dépendre et ton sort et le mien!
De ton rival je suis le maître,
Un des miens avait pris ses traits;
Dis un mot, il va disparaître,
L'hymen va combler tes souhaits;
Et les honneurs et la richesse,
Et les plaisirs et les amours,
Dans une éternelle jeunesse,
Vont près de moi charmer tes jours!
Et ne crois pas qu'ici je veuille te séduire.
C'est pour ton seul bonheur qu'à présent je respire;
Et si ce bonheur même est ailleurs qu'avec moi,
Va… fuis… Je t'aime assez pour renoncer à toi!

ROBERT
L'arrêt est prononcé,
l'enfer est le plus fort,
Ne crains pas que je t'abandonne.

BERTRAM
O bonheur!

ROBERT
Maintenant le devoir me l'ordonne,
Qui que tu sois, je partage ton sort.

Scène Troisième

(Les mêmes; Alice)

ALICE
(qui a entendu les derniers mots)
Robert, qu'ai-je entendu?

BERTRAM
(à Alice)
Dans ce lieu qui t'amène?

ALICE
Une heureuse nouvelle!…
Ah! je respire à peine.

(à Robert)

Vous pouvez maintenant compter sur le succès
Et rendre grâce au ciel qui vous protège:
Le prince de Grenade et son brillant cortège,
N'ont pu franchir le seuil du lieu saint.

ROBERT
Je le sais.

ALICE
Et la noble princesse à votre amour ravie
Vous attend à l'autel.

BERTRAM
(à Robert)
Pars, il faut t'éloigner.

ALICE
(à Robert)
Pourriez-vous donc l'abandonner?
Avez-vous oublié le serment qui vous lie?

BERTRAM
(à Robert)
Hâtons-nous, le temps presse,
et l'heure va sonner.

Trio

ROBERT
(à Bertram)
A tes lois je souscris d'avance.
Que faut-il faire?

ALICE
O ciel!

(à Robert)

Avant de vous quitter,
Je voudrais vous parler.

ROBERT
Silence!

ALICE
D'un devoir rien ne nous dispense,
D'un dernier je dois m'acquitter.

Ensemble

BERTRAM
O tourment! ô supplice!
Mon fils, mon seul bonheur!
A mes vœux sois propice,
J'en appelle à ton cœur!

ALICE
Dieu puissant, ciel propice,
Que ton nom protecteur
Dans son cœur retentisse,
Et le rende au bonheur!

ROBERT
O tourment! ô supplice!
Qui déchirent mon cœur,
Vaut-il que je périsse
D'épouvante et d'horreur!

BERTRAM
Hâtons-nous.

(Tirant de son sein un rouleau de parchemin et un stylet de fer)

Tiens, voici cet écrit redoutable
Qui peut seul engager ta foi!

ALICE
(à part)
O ciel! inspire-moi!

ROBERT
(tendant la main du coté de Bertram)
Donne donc!

(Alice en ce moment tire de son sein le testament de la mère de Robert; elle s'élance entre Bertram et Robert, et le donne à celui-ci)

ALICE
Le voici! Fils ingrat, fils coupable!
Lisez!

ROBERT
O ciel! c'est la main de ma mère!

(Lisant en tremblant)

»Mon fils, ma tendresse assidue
Veille sur toi du haut des cieux.
Fuis les conseils audacieux
Du séducteur qui m'a perdue.«

(Robert laisse tomber le papier, qu'Alice se hâte de ramasser)

BERTRAM
Eh quoi! Ton cœur hésite entre nous deux?

ROBERT
Je tremble… je frémis…
Que décider? ô cieux!

ALICE
(sans regarder Robert et Bertram, et relisant à haute voix le papier qu'elle a ramassé)
»Mon fils! mon fils! ma tendresse assidue
Veille sur toi du haut des cieux.«

BERTRAM
(à Robert)
Mon fils! mon fils! Jette sur moi la vue,
Vois mes tourments, entends mes vœux;
D'un vain écrit ton âme est-elle émue?

ALICE
(de même)
»Fuis les conseils audacieux
Du séducteur qui m'a perdue.«

ROBERT
(entre Bertram et Alice)
Prenez pitié de moi!

BERTRAM
(aux côté)
Non, partons à l'instant.
Tu me vois à tes pieds.

ALICE
(de l'autre côté)
Vois le ciel qui t'attend.

Ensemble

BERTRAM
O tourment! ô supplice!
Mon fils, mon seul bonheur,
A mes vœux sois propice,
J'en appelle à ton cœur!

ALICE
Dieu puissant, ciel propice!
Que ton nom protecteur
Dans son cœur retentisse,
Et le rende au bonheur!

ROBERT
O tourment! ô supplice!
Qui déchirent mon cœur,
Faut-il que je périsse
D'épouvante et d'horreur!

ROBERT
(prenant la main d'Alice)
Viens.

ALICE
Viens.

(Un coup de tam-tam se fait entendre)

C'est minuit… ô bonheur!

BERTRAM
(poussant un cri terrible)
Ah! tu l'emportes, Dieu vengeur!

(La terre s'entrouvre, il disparaît. Robert, hors de lui, éperdu, tombe évanoui aux pieds d'Alice, qui cherche à le rappeler à la vie. A la musique terrible qu'on entend encore gronder dans le lointain, succèdent des chants célestes et une musique religieuse)

Deuxième Tableau

(Les rideaux du fond, qui se sont ouverts, laissent apercevoir l'intérieur de la cathédrale de Palerme remplie de fidèles qui sont en prières. Au milieu du chœur, la princesse est à genoux avec toute sa cour; à côté d'elle un siège vide destiné à Robert)

Scène Quatrième

CHOEUR AÉRIEN
Chantez, troupe immortelle,
Reprenez vos divins concerts:
Il nous est resté fidèle,
Que les cieux lui soient ouverts!

ISABELLE ALICE, CHOEUR
Gloire, gloire immortelle
Au Dieu de l'univers!

(Montrant Robert)

Il est resté fidèle!
Les cieux lui sont ouverts.
最終更新:2021年10月24日 19:44