Acte III
Entr'acte
(Le parloir d'un couvent en Espagne. Au fond deux poaes conduisant dans les cours du monastère. A gauche, eh sur le premier plan, la cellule de l'abbesse. A droite du spectateur, sur le premier plan, une petite porte qui conduit au jardin; du même côté, sur le second plan, une large travoe qui donne sur l'intérieur de la chapelle.)
▼BRIGITTE▲
(seule)
J'ai beau essayer de réciter mes prières c'est impossible…
je suis trop inquiète… sœu Angèle n'est pas encore de retour au couvent
Pauvre Angèle, mais qu'est elle devenue?
La future abbesse des Annonciades obligée de découcher
et perdue dans les rues de Madrid!… quel scandale!…
Si encore je pouvais ce matin cacher son absence…
mais ici il n'y a que des femmes.. pis encore, des nonnes…
et toutes ces demo~selles sont si curieuses si indiscrètes si bavardes…
On n'a pas d'idée dé cela dans le monde!
Au réfectoire, à la prière, méme en récitant son rosaire on jase,
on jase tant, hélas, que la cloche ne s'entend pas.
Et, s'il faut parler sans rien dire, sur le prochain s'il faut médire,
savez-vous où cela s'apprend?
C'est au couvent.
Mes demoiselles qu'on trouve les meilleurs modèles, oui,
c'est au couvent qu'en peu de temps cela s'apprend.
Humble et les paupières baissées,
jamais de mauvaises pensées mais avant d'entrer au parloir,
on jette un coup d'œii au miroir.
Si vous voulez, jeune fillette, être à la fois prude et coquette,
savez-vous où cela s'apprend?
C'est au couvent.
Mes demoiselles qu'on trouve les meilleurs modèles, oui,
c'est au couvent que tous les temps cela s'apprend.
▼URSULE▲
(la saluant en entrant)
Ave, ma sœur!
▼BRIGITTE▲
Ave sœur Ursule!
Vous voici levée de bon matin!
▼URSULE▲
J'avais à parler à sœur Angèle.
▼BRIGITTE▲
À notre jeune aoPesse?
▼URSULE▲
Oh, elle ne l'est Pas encore.
▼BRIGITTE▲
Aujourd'hui même… dès qu'eile aura pris le voile.
▼URSULE▲
Si elle le prend!
▼BRIGITTE▲
Et qui s'y opposera?
▼URSULE▲
Moi peut-être! Angèle d'Olivarès est cousine de la re~ne,
on la nomme à la plus riche abbaye de Madrid…
avant l'âge et avant qu'elle n'ait prononcé ses vœux!
L'injustice me révolte
et je ne vois là-dedans que l'intérêt du ciel et du couvent.
▼BRIGITTE▲
Et le désir d'être abbesse.
▼URSULE▲
Et quand ce serait
Est-ce qu'elle n'est pas dans son appartement?
▼BRIGITTE▲
E!le ne reçoit personne.
▼URSULE▲
Encore!
▼BRIGITTE▲
Elle a la migraine.
▼URSULE▲
Comme les grandes dames!
(On frappe à la porte du jardin.)
Qui vient là?
▼BRIGITTE▲
Si c'était elle!
▼URSULE▲
Ouvrez donc… ouvrez vite.
▼BRIGITTE▲
Je n'ai pas la clefje l'ai remise dans la paneterie avec les autres.
▼URSULE▲
Je vais !a prendre.
▼BRIGITTE▲
(à part)
Va .. tu !a chercheras longtemps…
(haut)
Je vous suis, ma chère sœur!…
(Elles sontent par la porte au fond. Angèle entr'ouvre la porte à droite. Elle est en domino noir, pâle et se soutenant à peine.)
▼ANGÈLE▲
Je suis sauvée enfin!… le jour allait éclore, et l'on ne m'a pas vue.
(se jetant sur un fauteuil)
Ah! respirons un peu.
(se levant brusquement)
Qu'entendsje, ô mon Dieu!
Non, rien… j'y croyais étre encore.
(Elle se lève et jette sur le fauteuil qu'elle vient de quitter
le trousseau de clefs qu'elle tenait à la main.)
Ah! quelle nuit!
Le moindre bruit me trouble et m'interdit!
Et je m'arrête, hélas à chaque pas.
Soudain j'entends de lourds fusils au loin retentissants… et puis
Qui vive? Holà!
Qui marche là?
Ce sont des soldats un peu gris par un sergent ivre conduits.
Sous un sombre portail soudain je me blottis,
et grâce à mon domino noir on passe sans m'apercevoir.
Tandis que moi, droite, immobile et mourante d'effroi,
en mon cœur je priais, et je disais:
O mon Dieu! Dieu puissant sauve-moi de tout accident,
sauve ithonneur du couvent!
En cet instant, passe en chantant un jeune ètudiant!
Le voleur à ce bruit soudain s'enfuit.
Mon défenseur s'approche alors--
Calmez votre frayeur, je ne vous quitte pas, prenez mon bras.
Non, non, monsieur, seule j'irai…
Non, signora, bon gré, malgré, jusqu'en votre logis je vous escorterai.
Non, non, cessez de me presser.
Calmez vous… je vais vous laisser.
Mais un baiser, un seul baiser!
Comment le refuser? Un baiser… je le veux…
Il en prit deux! Et pendant ce moment,
O mon Dieu, disaisje en tremblant, sauve l'honneur du couvent!
Mais je suis, grâce au ciel, à l'abri de l'orage;
et je n'ai plus rien à craindre en ce pieux réduit,
et je ne sais pourtant quelle fatale image
jusqu'au pied du saint lieu m'agite et me poursuit.
Flamme vengeresse, tourment qui m'oppresse,
amour qui sans espoir me laisse, tu vois ma faiblesse, hélas pauvre abbesse,
devant toi mon pouvoir s'abaisse.
Rends à mon cœur le calme et la paix, toi qu'hélas autrefois je bravais.
Flamme vengeresse, etc.
Comment le fuir et le bannir- le moyen, ah mon Dieu, je l'ignore.
Je veux ici l'oublier, oui, je le veux, et je le vois encore.
Flamme vengeresse, etc. Amour, va tten pour jamais.
▼BRIGITTE▲
(rentrant par la porte du fond qu'elle referme)
C'est vous, madame! Mais qui donc vous a ouvert la porte du couvent?
▼ANGÈLE▲
(montrant le trousseau de clefs qu'elle a jeté sur le fauteuil)
Je te le dirai.
▼BRIGITTE▲
Le trousseau de clefs de Gil Perez, le concierge.
Comment est-il entré entre vos mains?
▼ANGÈLE▲
C'est une longue histoire…
▼BRIGITTE▲
Et aujourd'hui méme, où vous devez prendre le voile!
▼ANGÈLE▲
Ah, ces vœux que je vais prononcer feront maintenant le malheur de ma vie.
▼BRIGITTE▲
Mais refusez.
▼ANGÈLE▲
Est-ce que c'est possible, quand la reine l'ordonne.
Il faut se soumettre à sa destinée, aujourd'hui, tout sera fini pour moi!
▼BRIGITTE▲
Pauvre abbesse!
On vient, partez vite.
(Angèle rentre dans son appartement à gauche.)
Chœur DE NONNES
(entrant, vif et babillard)
Ah! quel malheur pour nous!
Ma chère sœur, combien,
élas, mon cœur partage sa douleur!
Pour calmer son tourment il nous faut sur-le-champ prier dévotement
tous les saints du couvent.
Mais avant tout, le fait est-il certain?
Quoi, madame l'abbesse a depuis ce matin une migraine affreuse!
Oh, le ciel complaisant devrait de pareils maux préserver le couvent!
▼BRIGITTE▲
Qui vous a dit cela?
▼LES NONNES▲
Vraiment, c'est notre chère sœur Ursule!
▼BRIGITTE▲
(à part)
C'est par elle, dans le couvent, que chaque nouvelle circule.
(haut)
Mais calmez-vous, cela va mieux.
▼LES NONNES▲
Cela va mieux!…
Ah! quelle ivresse!
Aujourd'hui madame l'abbesse pourra donc prononcer ses vœux?
Ah! la belle cérémonie!
Que! beau spectacle, quel beau jour!
Chez nous, où toujours on s'ennuie, nous aurons la ville et la cour!
Et puis ensuite au réfectoire un grand repas.
Mes chères sœurs. un grand repas.
▼BRIGITTE▲
C'est étonnant, et, d'honneur,
on ne pourrait croire comme on est gourmande au couvent!
▼LES NONNES▲
Ah! quel bonheur pour nous, ma chère sœur.
Quoi! le ciel protecteur dissipe sa douleur!
D'un miracle aussi grand il faut dévotement remercier le ciel
et les saints du couvent.
Il est donc vrai?
Le fait est bien certain!
Cette affreuse migraine a disparu soudain!
Le ciel nous !e devait, oui,
le ciel bienfaisant devrait de pareils maux préserver le couvent.
(Ursule entre par le fond. On frappe à la porte à droite.)
▼URSULE▲
Quoi! vous n'entendez pas qu'ici l'on frappe encore?
▼LES NONNES▲
Et la clef?
▼BRIGITTE▲
(la leur donnant)
La voici.
▼URSULE▲
(bas à Brigitte)
Vous qui ne l'aviez pas?…
▼BRIGITTE▲
(d'un air naif)
Tout à l'heure, ma chère, je l'ai retrouvée.
▼URSULE▲
(à part, d'un air de déliance)
Ah!
▼LES NONNES▲
Comment, c'est la tourière! Qui donc l'amène?
▼LA TOURIÈRE▲
(entrant par la porte à droite, que l'on vient d'ouvrir)
On le saura.
Et sur un fait auquel votre honneur s'intéresse
Je viens pour consulter madame notre abbesse.
▼URSULE▲
(à part)
On ne peut la voir. Et cela cache encore un mystère.
▼BRIGITTE▲
Tenez, la voilà!
(Angèle sort de son appartement. Elle porte le costume d'abbesse.)
▼ANGÈLE▲
Mes chères sœurs, mes sœurs, que l'allégresse
et la paix règnent dans vos cœurs,
que Dieu vous protège sans cesse et vous comble de ses faveurs!
Que Dieu vous protège sans cesse et vous comble de ses faveurs!
▼URSULE▲
(à part)
Qu'elle est heureuse d'être abbesse!
Mais to s'obtient par la faveur, et bientôt,
grâce à mon adresse, j'aurai peut-être ce bonheur.
▼BRIGITTE, LA TOURIÈRE, LES NONNES▲
Qu'elle est gentille, notre abbesse!
Qu'elle a de grâce et de douceur!
Avec elle règnent sans cesse ia douce paix et ie bonheur.
▼URSULE▲
(allant à Angéle)
Ah! madame, combien j'étais inquiétée…
Comment avez-v
us donc passé la nuit!
▼ANGÈLE▲
(regardant Brigitte)
Fort bien. Une nuit assez agitée; mais ce matin ce n'est plus rien.
▼URSULE▲
Quel bonheur!
▼ANGÈLE▲
(à la tourière qui s'avance)
Eh bien! qu'est-ce?
▼LA TOURIÈRE▲
Hélas! dans ces saints lieux je n'avais jamais vu scandale de la sorte…
Le portier du couvent qui se trouve à la porte.
▼URSULE▲
Passer la nuit dehors, c'est un scandale affreux.
▼URSULE, LA TOURIÈRE▲
Compromettre à ce point la maison!
Un tel événement jamais jusqu'à présent n'aff!igea le couvent.
▼LES NONNES▲
Ah! quelle horreur, m a is voyez-do n c, ma sœ u r,
compromettre à ce point la maison du seigneur!
Ah! quel scandale affreux!
Un tel événement jamais jusqu'à présent n'affligea le couvent.
N'en parlons pas, car du soir au matin,
sans y penser on jase aux dépens du prochain.
Cette fois taisons nous, mes sœurs!
C'est plus prudent pour sauver notre honneur. et celui du couvent.
▼ANGÈLE▲
Un instant… un instant… ayons de l'indulgence.
Quelquefois, mes sœurs, on ne peut rentrer aussitôt qu'on le veut.
(à part)
Je le sais!
(à la tourière)
Que dit-il enfin pour sa défense?
▼LA TOURIÈRE▲
Par des brigands, hier soir arrêté…
▼ANGÈLE▲
(à part)
Ah! comme il ment!
▼LA TOURIÈRE▲
…par eux enchaîné, garrotté…
▼ANGÈLE▲
(à part)
Ah! comme il ment!
▼LA TOURIÈRE▲
…et de tout son argent, et de ses clefs, dépouillé.
▼ANGÈLE▲
(à part)
Comme il ment!
▼BRIGITTE▲
(regardant les clefs qu'elle a prises)
Les voici!
▼ANGÈLE▲
(vivement et à voix basse)
Cache-les!
(haut et les yeux fixês sur les clefs)
Je vois bien qu'au couvent il ne pouvait rentrer…
et qu'il faut qu'on pardonne.
▼LA TOURIÈRE, URSULE▲
Ah! que! horreur…
C'est scandaieux
Elle est trop bonne…
Un tel événement, etc.
▼LES NONNES▲
Ah! quelle horreur, ma is voyez-donc, ma sœu r,
compromettre à ce point la maison du seigneur! etc.
▼ANGÈLE▲
(à part)
Que le ciel me pardonne!
▼LA TOURIÈRE▲
Ce n'est pas tout encore, et voilà qu'au parloir,
un cavalier demande à voir Madame notre abbesse.
▼ANGÈLE▲
Impossible à cette heure.
Voici matines, et déjà nous sommes en retard…
Son nom?
▼LA TOURIÈRE▲
Massarena.
▼ANGÈLE▲
Horace! O ciel ! Que dans cette demeure, i! nous attende!…
▼URSULE▲
Eh! mais, à ce nom-là, Madame semble bien émue.
▼ANGÈLE▲
Qui, moi? non pas…
(à part)
M'aurait-on reconnue?
(faisant un pas)
Et saurait-il?
▼LES NONNES▲
Les cloches argentines pour nous sonnent matines
Allons d'un cœur fervent prier pour le couvent!
▼URSULE▲
Madame, voici matines, et déjà nous sommes en retard.
▼BRIGITTE▲
(avec impatience)
Eh! mon Dieu, I'on y va.
▼ANGÈLE▲
M'aurait-on reconnue?
▼URSULE▲
Elle semble bien émue.
▼TOUTES LES NONNES▲
Les cloches argentines pour nous sonnent matines, etc.
(Elles dêfilent toutes par les portes du fond, que l'on referme, et la tourière, à qui Angèle a parlê bas, reste la demière.)
▼LA TOURIÈRE▲
Entrez, entrez, seigneur cavalier.
(Horace entre de la porte à droite.)
Madame la supérieure vous prie de l'attendre dans ce parloir…
en ce moment nous sommes toutes à
matines!
Dieu vous garde, mon frère.
(Elle sort.)
(On entend le son de l'orgue dans la chapelle.)
▼HORACE▲
À ces accords religieux, le calme renaît dans mon âme.
Filles du ciel, vous qu'un saint zèle enflamme,
à vos pieux accents je veux mêler mes vœux.
Avec elles prions.
(Il se lève et s'approche de la travée à droite qui donne sur la chapelle. Il s'agenouille sur une chaise qui est contre la travée.)
▼ANGÈLE▲
(chantant en dehors)
Heureux qui ne respire que pour suivre ta !oi, mon Dieu,
sous ton empire ramè
e notre foi.
Que ton amour m'enflamme, et vienne rendre, Seigneur,
le bonheur à mon âme et le calme à mon cœur.
▼HORACE▲
(qui pendant ce eantique a montré la olus grande émotion)
Ah! quel troubie de moi s'empare!
De surprise et d'effroi tout mon sang s'est glacé!
C'est elle encor! c'est elle!
Ah! ma raison s'égare.
Filles du ciel, priez pour un pauvre insensé
▼LE CHŒUR▲
Que ton amour l'enflamme, prends pitié du pécheur!
Rends la paix à son âme et le calme à son cœur.
▼ANGÈLE▲
Les amours de la terre ont bien vite passé;
leur bonheur éphémère c'est bientôt éclipsé;
mais quand tu nous enflammes, toi seul donnes, Seigneur,
le bonheur à nos âmes et la paix à nos cœurs.
▼HORACE▲
Ah! quel trouble de moi s'empare! De surprise et d'effroi, etc.
▼LE CHŒUR▲
Que ton amour l'enflamme, prends pitié du pécheur! etc.
▼ANGÈLE▲
Toi seul donnes, Seigneur, le bonheur à nos ârnes et la paix à nos coeurs.
▼BRIGITTE▲
(entrant par la porte du fond)
Madame l'abbesse!
(Angèle paratt: elle est enveloppée rdans son voile. Brigitte sort.)
▼ANGÈLE▲
Seigneur Horace de Massarena, on m'a dit que vous demandez à me parler…
▼HORACE▲
Oui, ma sœur… d'une affaire très importante.
M. le duc de San Lucar me destinait sa fille en mariage…
Mais ce mariage est impossible.
▼ANGÈLE▲
Que dites-vous?
▼HORACE▲
Il ne peut plus avoir lieu, parce qu'il en est une autre que j'aime
et que j'aimerai toute ma vie.
▼ANGÈLE▲
(à part)
Ah, mon Dieu!
▼URSULE▲
(entrant)
Madame, voici déjà 1e comte Juliano, lord et lady Elfort
et puis M
de San Lucar…
et des seigneurs de la cour qui arrivent pour la cérémonie…
▼ANGÈLE▲
O ciei!…
▼URSULE▲
Mon oncle don Gregorio m'a dit de vous remettre cette ordonnance
qui est scellée des armes de Sa Majesté.
▼ANGÈLE▲
Donnez!
▼URSULE▲
(à part)
Je veux être témoin de son dépit… pour aller le conter à tout le couvent.
▼ANGÈLE▲
(écartant un instant son voile wur lire la lettre)
Dieu! Que vois-je!
(Elle s'enfuit.)
▼HORACE▲
(reconnaissant Angéle)
Ah!…
▼URSULE▲
Elle sait tout.
(Elle sort en courant )
▼HORACE▲
C'est mon inconnue… c'est mon domino noir…
c'est la servante aragonaise… c'est Inésille, l'abbesse…
Non… elle a pris sa robe, eile a pris ses traits… mais, ce n'est pas elle!
(Entrent Lord et Lady Eltont, Juliano, seigneurs de la cour. Puis Brigitte, Ursule, la tourière et toutes les nonnes. Les nonnes entrent par les portes du fond, et se rangent en demi-cercle au fond du théâtre; derrière elles, les dames et seigneurs de la cour; Angéle, habillée en blanc et voilée, sort de son appantement, et se place au milieu du théâtre; Ursule à côté d'elle.)
▼ANGÈLE▲
Mes sœurs, mes chères sœurs,
notre auguste souveraine la reine ne veut pas que je sois votre abbesse.
▼URSULE▲
(a part)
Quel bonheur!
▼ANGÈLE▲
Et par son ordre exprès, à sœur Ursule je remets ce titre et le pouvoir suprême.
▼LES NONNES▲
Ah! quel malheur! Ah! quels regrets!
(Pendant que parle Angèle, Horace témoigne la plus grande émotion. Il veut aller à elle. Juliano, qui est plus près de lui, le retient)
▼ANGÈLE▲
Il faut vous quitter pour jamais,
car on m'ordonne aujourd'hui méme d'avoir à choisir un époux.
▼LORD ELFORT▲
(s'approchant d'Angèle)
Ah! quelle tyrannie extrême!
Ce n'était pas ainsi chez nous, on était libre…
▼ANGÈLE▲
(s'avançant vers Horace)
Et cet époux, voulez-vous l'être, Horace, voulez-vous?
(Pendant cette phrase de chant Brigitte, qui est derriêre Angèle, a retiré peu à peu son voile. Horace lève les yeux, reconnait les traits d'Angèle, pousse un cn et tombe à ses genoux )
▼HORACE▲
Ah! C'est elle, toujours elle! O moment trop heureux!
Démon, ange ou mortelle, ne fuyez plus mes yeux! etc.
▼ANGÈLE▲
Ce n'est qu'une mortelle qui veut vous rendre heureux,
et d'un amant fidèle récompenser les feux! etc.
▼TOUS▲
C'est elle, c'est bien elle qui veut le rendre heureux!
O surprise nouvelle qui vient charmer ses yeux! etc.
▼HORACE▲
De mon bonheur je doute encor moi-même!
Après les changements qu'à chaque instant j'ai vus,
c ha nge me nts biza rres et contus.
▼ANGÈLE▲
Qu'un mot peut expliquer Horace, je vous aime!
▼HORACE▲
Ah! maintenant, ne changez plus!
C'est elle, toujours elle, etc.
▼ANGÈLE▲
Ce n'est qu'une mortelle, etc.
▼TOUS▲
C'est elle, toujours elle, etc.
FIN
Acte III
Entr'acte
Le parloir d'un couvent en Espagne. Au fond deux poaes conduisant dans les cours du monastère. A gauche, eh sur le premier plan, la cellule de l'abbesse. A droite du spectateur, sur le premier plan, une petite porte qui conduit au jardin; du même côté, sur le second plan, une large travoe qui donne sur l'intérieur de la chapelle.
BRIGITTE
seule
J'ai beau essayer de réciter mes prières c'est impossible…
je suis trop inquiète… sœu Angèle n'est pas encore de retour au couvent
Pauvre Angèle, mais qu'est elle devenue?
La future abbesse des Annonciades obligée de découcher
et perdue dans les rues de Madrid!… quel scandale!…
Si encore je pouvais ce matin cacher son absence…
mais ici il n'y a que des femmes.. pis encore, des nonnes…
et toutes ces demo~selles sont si curieuses si indiscrètes si bavardes…
On n'a pas d'idée dé cela dans le monde!
Au réfectoire, à la prière, méme en récitant son rosaire on jase,
on jase tant, hélas, que la cloche ne s'entend pas.
Et, s'il faut parler sans rien dire, sur le prochain s'il faut médire,
savez-vous où cela s'apprend?
C'est au couvent.
Mes demoiselles qu'on trouve les meilleurs modèles, oui,
c'est au couvent qu'en peu de temps cela s'apprend.
Humble et les paupières baissées,
jamais de mauvaises pensées mais avant d'entrer au parloir,
on jette un coup d'œii au miroir.
Si vous voulez, jeune fillette, être à la fois prude et coquette,
savez-vous où cela s'apprend?
C'est au couvent.
Mes demoiselles qu'on trouve les meilleurs modèles, oui,
c'est au couvent que tous les temps cela s'apprend.
URSULE
la saluant en entrant
Ave, ma sœur!
BRIGITTE
Ave sœur Ursule!
Vous voici levée de bon matin!
URSULE
J'avais à parler à sœur Angèle.
BRIGITTE
À notre jeune aoPesse?
URSULE
Oh, elle ne l'est Pas encore.
BRIGITTE
Aujourd'hui même… dès qu'eile aura pris le voile.
URSULE
Si elle le prend!
BRIGITTE
Et qui s'y opposera?
URSULE
Moi peut-être! Angèle d'Olivarès est cousine de la re~ne,
on la nomme à la plus riche abbaye de Madrid…
avant l'âge et avant qu'elle n'ait prononcé ses vœux!
L'injustice me révolte
et je ne vois là-dedans que l'intérêt du ciel et du couvent.
BRIGITTE
Et le désir d'être abbesse.
URSULE
Et quand ce serait
Est-ce qu'elle n'est pas dans son appartement?
BRIGITTE
E!le ne reçoit personne.
URSULE
Encore!
BRIGITTE
Elle a la migraine.
URSULE
Comme les grandes dames!
On frappe à la porte du jardin.
Qui vient là?
BRIGITTE
Si c'était elle!
URSULE
Ouvrez donc… ouvrez vite.
BRIGITTE
Je n'ai pas la clefje l'ai remise dans la paneterie avec les autres.
URSULE
Je vais !a prendre.
BRIGITTE
à part
Va .. tu !a chercheras longtemps…
haut
Je vous suis, ma chère sœur!…
Elles sontent par la porte au fond. Angèle entr'ouvre la porte à droite. Elle est en domino noir, pâle et se soutenant à peine.
ANGÈLE
Je suis sauvée enfin!… le jour allait éclore, et l'on ne m'a pas vue.
se jetant sur un fauteuil
Ah! respirons un peu.
se levant brusquement
Qu'entendsje, ô mon Dieu!
Non, rien… j'y croyais étre encore.
{Elle se lève et jette sur le fauteuil qu'elle vient de quitter
le trousseau de clefs qu'elle tenait à la main.}
Ah! quelle nuit!
Le moindre bruit me trouble et m'interdit!
Et je m'arrête, hélas à chaque pas.
Soudain j'entends de lourds fusils au loin retentissants… et puis
Qui vive? Holà!
Qui marche là?
Ce sont des soldats un peu gris par un sergent ivre conduits.
Sous un sombre portail soudain je me blottis,
et grâce à mon domino noir on passe sans m'apercevoir.
Tandis que moi, droite, immobile et mourante d'effroi,
en mon cœur je priais, et je disais:
O mon Dieu! Dieu puissant sauve-moi de tout accident,
sauve ithonneur du couvent!
En cet instant, passe en chantant un jeune ètudiant!
Le voleur à ce bruit soudain s'enfuit.
Mon défenseur s'approche alors--
Calmez votre frayeur, je ne vous quitte pas, prenez mon bras.
Non, non, monsieur, seule j'irai…
Non, signora, bon gré, malgré, jusqu'en votre logis je vous escorterai.
Non, non, cessez de me presser.
Calmez vous… je vais vous laisser.
Mais un baiser, un seul baiser!
Comment le refuser? Un baiser… je le veux…
Il en prit deux! Et pendant ce moment,
O mon Dieu, disaisje en tremblant, sauve l'honneur du couvent!
Mais je suis, grâce au ciel, à l'abri de l'orage;
et je n'ai plus rien à craindre en ce pieux réduit,
et je ne sais pourtant quelle fatale image
jusqu'au pied du saint lieu m'agite et me poursuit.
Flamme vengeresse, tourment qui m'oppresse,
amour qui sans espoir me laisse, tu vois ma faiblesse, hélas pauvre abbesse,
devant toi mon pouvoir s'abaisse.
Rends à mon cœur le calme et la paix, toi qu'hélas autrefois je bravais.
Flamme vengeresse, etc.
Comment le fuir et le bannir- le moyen, ah mon Dieu, je l'ignore.
Je veux ici l'oublier, oui, je le veux, et je le vois encore.
Flamme vengeresse, etc. Amour, va tten pour jamais.
BRIGITTE
rentrant par la porte du fond qu'elle referme
C'est vous, madame! Mais qui donc vous a ouvert la porte du couvent?
ANGÈLE
montrant le trousseau de clefs qu'elle a jeté sur le fauteuil
Je te le dirai.
BRIGITTE
Le trousseau de clefs de Gil Perez, le concierge.
Comment est-il entré entre vos mains?
ANGÈLE
C'est une longue histoire…
BRIGITTE
Et aujourd'hui méme, où vous devez prendre le voile!
ANGÈLE
Ah, ces vœux que je vais prononcer feront maintenant le malheur de ma vie.
BRIGITTE
Mais refusez.
ANGÈLE
Est-ce que c'est possible, quand la reine l'ordonne.
Il faut se soumettre à sa destinée, aujourd'hui, tout sera fini pour moi!
BRIGITTE
Pauvre abbesse!
On vient, partez vite.
Angèle rentre dans son appartement à gauche.
Chœur DE NONNES
entrant, vif et babillard
Ah! quel malheur pour nous!
Ma chère sœur, combien,
élas, mon cœur partage sa douleur!
Pour calmer son tourment il nous faut sur-le-champ prier dévotement
tous les saints du couvent.
Mais avant tout, le fait est-il certain?
Quoi, madame l'abbesse a depuis ce matin une migraine affreuse!
Oh, le ciel complaisant devrait de pareils maux préserver le couvent!
BRIGITTE
Qui vous a dit cela?
LES NONNES
Vraiment, c'est notre chère sœur Ursule!
BRIGITTE
à part
C'est par elle, dans le couvent, que chaque nouvelle circule.
haut
Mais calmez-vous, cela va mieux.
LES NONNES
Cela va mieux!…
Ah! quelle ivresse!
Aujourd'hui madame l'abbesse pourra donc prononcer ses vœux?
Ah! la belle cérémonie!
Que! beau spectacle, quel beau jour!
Chez nous, où toujours on s'ennuie, nous aurons la ville et la cour!
Et puis ensuite au réfectoire un grand repas.
Mes chères sœurs. un grand repas.
BRIGITTE
C'est étonnant, et, d'honneur,
on ne pourrait croire comme on est gourmande au couvent!
LES NONNES
Ah! quel bonheur pour nous, ma chère sœur.
Quoi! le ciel protecteur dissipe sa douleur!
D'un miracle aussi grand il faut dévotement remercier le ciel
et les saints du couvent.
Il est donc vrai?
Le fait est bien certain!
Cette affreuse migraine a disparu soudain!
Le ciel nous !e devait, oui,
le ciel bienfaisant devrait de pareils maux préserver le couvent.
Ursule entre par le fond. On frappe à la porte à droite.
URSULE
Quoi! vous n'entendez pas qu'ici l'on frappe encore?
LES NONNES
Et la clef?
BRIGITTE
la leur donnant
La voici.
URSULE
bas à Brigitte
Vous qui ne l'aviez pas?…
BRIGITTE
d'un air naif
Tout à l'heure, ma chère, je l'ai retrouvée.
URSULE
à part, d'un air de déliance
Ah!
LES NONNES
Comment, c'est la tourière! Qui donc l'amène?
LA TOURIÈRE
entrant par la porte à droite, que l'on vient d'ouvrir
On le saura.
Et sur un fait auquel votre honneur s'intéresse
Je viens pour consulter madame notre abbesse.
URSULE
à part
On ne peut la voir. Et cela cache encore un mystère.
BRIGITTE
Tenez, la voilà!
Angèle sort de son appartement. Elle porte le costume d'abbesse.
ANGÈLE
Mes chères sœurs, mes sœurs, que l'allégresse
et la paix règnent dans vos cœurs,
que Dieu vous protège sans cesse et vous comble de ses faveurs!
Que Dieu vous protège sans cesse et vous comble de ses faveurs!
URSULE
à part
Qu'elle est heureuse d'être abbesse!
Mais to s'obtient par la faveur, et bientôt,
grâce à mon adresse, j'aurai peut-être ce bonheur.
BRIGITTE, LA TOURIÈRE, LES NONNES
Qu'elle est gentille, notre abbesse!
Qu'elle a de grâce et de douceur!
Avec elle règnent sans cesse ia douce paix et ie bonheur.
URSULE
allant à Angéle
Ah! madame, combien j'étais inquiétée…
Comment avez-v
us donc passé la nuit!
ANGÈLE
regardant Brigitte
Fort bien. Une nuit assez agitée; mais ce matin ce n'est plus rien.
URSULE
Quel bonheur!
ANGÈLE
à la tourière qui s'avance
Eh bien! qu'est-ce?
LA TOURIÈRE
Hélas! dans ces saints lieux je n'avais jamais vu scandale de la sorte…
Le portier du couvent qui se trouve à la porte.
URSULE
Passer la nuit dehors, c'est un scandale affreux.
URSULE, LA TOURIÈRE
Compromettre à ce point la maison!
Un tel événement jamais jusqu'à présent n'aff!igea le couvent.
LES NONNES
Ah! quelle horreur, m a is voyez-do n c, ma sœ u r,
compromettre à ce point la maison du seigneur!
Ah! quel scandale affreux!
Un tel événement jamais jusqu'à présent n'affligea le couvent.
N'en parlons pas, car du soir au matin,
sans y penser on jase aux dépens du prochain.
Cette fois taisons nous, mes sœurs!
C'est plus prudent pour sauver notre honneur. et celui du couvent.
ANGÈLE
Un instant… un instant… ayons de l'indulgence.
Quelquefois, mes sœurs, on ne peut rentrer aussitôt qu'on le veut.
à part
Je le sais!
à la tourière
Que dit-il enfin pour sa défense?
LA TOURIÈRE
Par des brigands, hier soir arrêté…
ANGÈLE
à part
Ah! comme il ment!
LA TOURIÈRE
…par eux enchaîné, garrotté…
ANGÈLE
à part
Ah! comme il ment!
LA TOURIÈRE
…et de tout son argent, et de ses clefs, dépouillé.
ANGÈLE
à part
Comme il ment!
BRIGITTE
regardant les clefs qu'elle a prises
Les voici!
ANGÈLE
vivement et à voix basse
Cache-les!
haut et les yeux fixês sur les clefs
Je vois bien qu'au couvent il ne pouvait rentrer…
et qu'il faut qu'on pardonne.
LA TOURIÈRE, URSULE
Ah! que! horreur…
C'est scandaieux
Elle est trop bonne…
Un tel événement, etc.
LES NONNES
Ah! quelle horreur, ma is voyez-donc, ma sœu r,
compromettre à ce point la maison du seigneur! etc.
ANGÈLE
à part
Que le ciel me pardonne!
LA TOURIÈRE
Ce n'est pas tout encore, et voilà qu'au parloir,
un cavalier demande à voir Madame notre abbesse.
ANGÈLE
Impossible à cette heure.
Voici matines, et déjà nous sommes en retard…
Son nom?
LA TOURIÈRE
Massarena.
ANGÈLE
Horace! O ciel ! Que dans cette demeure, i! nous attende!…
URSULE
Eh! mais, à ce nom-là, Madame semble bien émue.
ANGÈLE
Qui, moi? non pas…
à part
M'aurait-on reconnue?
faisant un pas
Et saurait-il?
LES NONNES
Les cloches argentines pour nous sonnent matines
Allons d'un cœur fervent prier pour le couvent!
URSULE
Madame, voici matines, et déjà nous sommes en retard.
BRIGITTE
avec impatience
Eh! mon Dieu, I'on y va.
ANGÈLE
M'aurait-on reconnue?
URSULE
Elle semble bien émue.
TOUTES LES NONNES
Les cloches argentines pour nous sonnent matines, etc.
Elles dêfilent toutes par les portes du fond, que l'on referme, et la tourière, à qui Angèle a parlê bas, reste la demière.
LA TOURIÈRE
Entrez, entrez, seigneur cavalier.
Horace entre de la porte à droite.
Madame la supérieure vous prie de l'attendre dans ce parloir…
en ce moment nous sommes toutes à
matines!
Dieu vous garde, mon frère.
Elle sort.
On entend le son de l'orgue dans la chapelle.
HORACE
À ces accords religieux, le calme renaît dans mon âme.
Filles du ciel, vous qu'un saint zèle enflamme,
à vos pieux accents je veux mêler mes vœux.
Avec elles prions.
Il se lève et s'approche de la travée à droite qui donne sur la chapelle. Il s'agenouille sur une chaise qui est contre la travée.
ANGÈLE
chantant en dehors
Heureux qui ne respire que pour suivre ta !oi, mon Dieu,
sous ton empire ramè
e notre foi.
Que ton amour m'enflamme, et vienne rendre, Seigneur,
le bonheur à mon âme et le calme à mon cœur.
HORACE
qui pendant ce eantique a montré la olus grande émotion
Ah! quel troubie de moi s'empare!
De surprise et d'effroi tout mon sang s'est glacé!
C'est elle encor! c'est elle!
Ah! ma raison s'égare.
Filles du ciel, priez pour un pauvre insensé
LE CHŒUR
Que ton amour l'enflamme, prends pitié du pécheur!
Rends la paix à son âme et le calme à son cœur.
ANGÈLE
Les amours de la terre ont bien vite passé;
leur bonheur éphémère c'est bientôt éclipsé;
mais quand tu nous enflammes, toi seul donnes, Seigneur,
le bonheur à nos âmes et la paix à nos cœurs.
HORACE
Ah! quel trouble de moi s'empare! De surprise et d'effroi, etc.
LE CHŒUR
Que ton amour l'enflamme, prends pitié du pécheur! etc.
ANGÈLE
Toi seul donnes, Seigneur, le bonheur à nos ârnes et la paix à nos coeurs.
BRIGITTE
entrant par la porte du fond
Madame l'abbesse!
Angèle paratt: elle est enveloppée rdans son voile. Brigitte sort.
ANGÈLE
Seigneur Horace de Massarena, on m'a dit que vous demandez à me parler…
HORACE
Oui, ma sœur… d'une affaire très importante.
M. le duc de San Lucar me destinait sa fille en mariage…
Mais ce mariage est impossible.
ANGÈLE
Que dites-vous?
HORACE
Il ne peut plus avoir lieu, parce qu'il en est une autre que j'aime
et que j'aimerai toute ma vie.
ANGÈLE
à part
Ah, mon Dieu!
URSULE
entrant
Madame, voici déjà 1e comte Juliano, lord et lady Elfort
et puis M
de San Lucar…
et des seigneurs de la cour qui arrivent pour la cérémonie…
ANGÈLE
O ciei!…
URSULE
Mon oncle don Gregorio m'a dit de vous remettre cette ordonnance
qui est scellée des armes de Sa Majesté.
ANGÈLE
Donnez!
URSULE
à part
Je veux être témoin de son dépit… pour aller le conter à tout le couvent.
ANGÈLE
écartant un instant son voile wur lire la lettre
Dieu! Que vois-je!
Elle s'enfuit.
HORACE
reconnaissant Angéle
Ah!…
URSULE
Elle sait tout.
Elle sort en courant
HORACE
C'est mon inconnue… c'est mon domino noir…
c'est la servante aragonaise… c'est Inésille, l'abbesse…
Non… elle a pris sa robe, eile a pris ses traits… mais, ce n'est pas elle!
Entrent Lord et Lady Eltont, Juliano, seigneurs de la cour. Puis Brigitte, Ursule, la tourière et toutes les nonnes. Les nonnes entrent par les portes du fond, et se rangent en demi-cercle au fond du théâtre; derrière elles, les dames et seigneurs de la cour; Angéle, habillée en blanc et voilée, sort de son appantement, et se place au milieu du théâtre; Ursule à côté d'elle.
ANGÈLE
Mes sœurs, mes chères sœurs,
notre auguste souveraine la reine ne veut pas que je sois votre abbesse.
URSULE
a part
Quel bonheur!
ANGÈLE
Et par son ordre exprès, à sœur Ursule je remets ce titre et le pouvoir suprême.
LES NONNES
Ah! quel malheur! Ah! quels regrets!
Pendant que parle Angèle, Horace témoigne la plus grande émotion. Il veut aller à elle. Juliano, qui est plus près de lui, le retient
ANGÈLE
Il faut vous quitter pour jamais,
car on m'ordonne aujourd'hui méme d'avoir à choisir un époux.
LORD ELFORT
s'approchant d'Angèle
Ah! quelle tyrannie extrême!
Ce n'était pas ainsi chez nous, on était libre…
ANGÈLE
s'avançant vers Horace
Et cet époux, voulez-vous l'être, Horace, voulez-vous?
Pendant cette phrase de chant Brigitte, qui est derriêre Angèle, a retiré peu à peu son voile. Horace lève les yeux, reconnait les traits d'Angèle, pousse un cn et tombe à ses genoux
HORACE
Ah! C'est elle, toujours elle! O moment trop heureux!
Démon, ange ou mortelle, ne fuyez plus mes yeux! etc.
ANGÈLE
Ce n'est qu'une mortelle qui veut vous rendre heureux,
et d'un amant fidèle récompenser les feux! etc.
TOUS
C'est elle, c'est bien elle qui veut le rendre heureux!
O surprise nouvelle qui vient charmer ses yeux! etc.
HORACE
De mon bonheur je doute encor moi-même!
Après les changements qu'à chaque instant j'ai vus,
c ha nge me nts biza rres et contus.
ANGÈLE
Qu'un mot peut expliquer Horace, je vous aime!
HORACE
Ah! maintenant, ne changez plus!
C'est elle, toujours elle, etc.
ANGÈLE
Ce n'est qu'une mortelle, etc.
TOUS
C'est elle, toujours elle, etc.
FIN