DEUXIÈME ACTE
La vallée de Soreck en Palestine.
La demeure de Dalila, précédée d'un léger portique et entourée de plantes asiatiques et de lianes luxuriantes. La nuit commence et se fait plus complète pendant toute la durée de l'acte.
SCÈNE I
Dalila
Au lever du rideau, elle est assise sur une roche, près du portique de sa maison et semble rêveuse.
DALILA
Samson, recherchant ma présence,
Ce soir doit venir en ces lieux.
Voici l'heure de la vengeance
Qui doit satisfaire nos dieux!
Amour! viens aider ma faiblesse!
Verse le poison dans son sein!
Fais que, vaincu par mon adresse,
Samson soit enchaîné demain!
Il voudrait en vain de son âme
Pouvoir me chasser, nie bannir!
Pourrait-il éteindre la flamme
Qu'alimente le souvenir?
Il est à moi! c'est mon esclave!
Mes frères craignent son courroux;
Moi, seule entre tous, je le brave
Et le retiens à nies genoux!
Amour! viens aider ma faiblesse!
Verse le Poison dans son sein!
Fais que, vaincu par mon adresse,
Samson soit enchaîné demain!
Contre l'amour, sa force est vaine;
Et lui, le fort parmi les forts,
Lui, qui d'un peuple rompt la chaîne,
Succombera sous mes efforts!
Eclair lointain
SCÈNE II
Dalila, le Grand-Prêtre de Dagon
Le Grand- Prêtre entre et va vers Dalila
LE GRAND-PRÊTRE
J'ai gravi la montagne
Pour venir jusqu'à toi;
Dagon qui m'accompagne
M'a guidé vers ton toit.
DALILA
Salut à vous, mon père!
Soyez le bienvenu,
Vous qu'ici l'on révère!
LE GRAND-PRÊTRE
Notre sort t'est connu!
La victoire facile
Des esclaves Hébreux
Leur a livré la ville.
Nos soldats devant eux
Ont fui, pleins d'épouvante
Au seul nom de Samson
Dont l'audace effrayante
A troublé leur raison.
Fatal è notre rare,
il reçut de son Dieu
La force avec l'audace.
Enchaîné par un voeu,
Samson, dès sa naissance,
Fut marqué par le ciel
Pour rendre la puissance
Au peuple d'israël.
DALILA
Je sais que son courage
Brave votre courroux,
Et qu'il n'est pas d'outrage
Qu'il ne garde pour vous.
LE GRAND-PRÈTRE
A tes genoux sa force
Un jour l'abandonna;
Mats depuis il s'efforce
D'oublier Dalila.
On dit que, dans son âme
Oubliant ton amour,
Il se rit de la flamme
Qui ne dura qu'un jour!
DALILA
Je sais que de ses frères
Ecoutant les discours,
Et les plaintes amères
Que causent nos amours,
Samson, malgré lui-même,
Combat et lutte en vain;
Je sais combien il m'aime
Et mon cour ne craint rien.
C'est en vain qu'il me brave,
Il est fort aux combats,
Mais il est mon esclave
Et tremble dans mes bras.
LE GRAND-PRÊTRE
Sers-nous de ta puissance!
Prête-nous ton appui!
Que surpris, sans défense,
Il succombe aujourd'hui!
Vends-moi ton esclave Samson!
Et, pour te payer sa rançon,
Je ne ferai point de promesses;
Tu peux choisir dans mes richesses.
DALILA
Qu'importe à Dalila ton or?
Et que pourrait tout un trésor,
Si je ne rêvais de vengeance?
Toi-même, malgré ta science,
Je t'ai trompé par cet amour.
Samson sut vous dompter un jour;
Mais il n'a pu me vaincre encore,
Car, autant que toi, je l'abhorre!
LE GRAND-PRÊTRE
J'aurai dû deviner ta haine et ton dessein!
Mon coeur en t'écoutant tressaille d'allégresse.
Mais sur son coeur déjà n'aurais-tu pas en vain
Mesuré ta puissance, essayé ton adresse?
DALILA
Oui! .. déjà par trois fois, déguisant mon projet,
J'ai voulu de sa force éclaircir le secret.
J'allumai cet amour, espérant qu'à sa flamme
Je lirais l'inconnu dans te fond de son âme.
Mais, par trois fois aussi, déjouant mon espoir,
H ne s'est point livré, ne m'a rien laissé voir.
En vain d'un fol amour j'imitai les tendresses,
Espérant amollir son coeur par mes caresses!
J'ai vu ce fier captif, enlacé dans mes bras,
S'arracher de ma couche et courir aux combats.
Auiourd'hui cependant il subit ma puissance,
Car je l'ai vu pâlir, trembler en ma présence,
Et je sais qu'à cette heure, abandonnant les siens,
Il revient en ces lieux resserrer nos liens.
Pour ce dernier combat j'ai préparé mes armes:
Samson ne pourra pas résister à nies larmes.
LE GRAND-PRÊTRE
Que Dagon, notre Dieu, daigne étendre son bras!
Tu combats pour sa gloire, et par lui tu vaincras!
DALILA
Il faut, pour assouvir ma haine,
Il faut que Dalila l'enchaîne!
Je veux que, vaincu par l'amour,
Il courbe le front à son tour!
LE GRAND-PRÊTRE
Je veux, pour assouvir ma haine,
Je veux que Dalila l'enchaîne;
Il faut que, vaincu par l'amour,
Il courbe le front à son tour!
DALILA
Il faut, pour assouvir ma haine,
Il faut que mon pouvoir l'enchaîne.
LE GRAND-PRÊTRE
En toi seule est mon espérance.
DALILA
Je veux que, vaincu par l'amour,
Il courbe le front à son tour!
LE GRAND-PRÊTRE
A toi l'honneur de la vengeance!
DALILA, LE GRAND-PRÊTRE
A moi (A toi) l'honneur de la vengeance!
Il faut (Je veux), pour assouvir ma haine,
II faut (Je veux) que mon pouvoir (Dalila)
l'enchaîne!
Je veux que, vaincu par l'amour,
Il courbe le front à son tour!
Unissons-nous tous deux!
Mort au chef des Hébreux!
LE GRAND-PRÊTRE
Samson, me disais-tu, dans ces lieux doit se rendre?
DALILA
Je l'attends!
LE GRAND-PRÊTRE
Je m'éloigne, il pourrait nous surprendre.
Bientôt, je reviendrai par de secrets chemins.
Le destin demon peuple, ô femme, est danstes mains.
Déchire de son cour l'invulnérable écorce,
Et surprends le secret qui nous cache sa force.
Il sort. Dalila se rapproche de sa maison et s'appuie, rêveuse, contre un des piliers.
DALILA
Se pourrait-il que sur son coeur
L'amour eût perdu sa puissance?
La nuit est sombre et sans lueur
Rien ne petit trahir sa présence.
Hélas!
Il ne vient pas!
Elle rentre dans sa maison.
SCÈNE III
Dalila, Samson
Samson arrive. Il semble ému, troublé, hésitant; il regarde autour de lui. La nuit s'assombrit de plus en plus. - Eclairs lointains.
SAMSON
En ces lieux, malgré moi, m'ont ramené mes pas. t
Je voudrais fuir, hélas! et ne puis pas.
Je maudis mon amour.. . et pourtant j'aime encore.
Fuyons, fuyons ces lieux que ma faiblesse adore!
DALILA
s'élance vers Samson
C'est toi, mon bien-aimé! j'attendais ta présence!
J'oublie, en te voyant, des heures de souffrance!
Salut! salut! ô mon doux maître!
SAMSON
Arrête ces transports!
Je ne puis t'écouter sans honte et sans remords!
DALILA
Samson! ô toi! mon bien-aimé,
Pourquoi repousser ma tendresse?
Pourquoi, de mon front parfumé,
Pourquoi détourner tes caresses?
SAMSON
Tu fus toujours chère à mon cour,
Et tu n'en peux être bannie!
J'aurais voulu donner ma vie
A l'amour qui fit mon bonheur!
DALILA
Près de moi pourquoi ces alarmes?
Aurais-tu douté demon cour?
N'es-tu pas mon maître et seigneur?
L'amour a-t-il perdu ses charmes?
SAMSON
Hélas! esclave de mon Dieu,
Je subis sa volonté sainte;
Il faut, par un dernier adieu,
Rompre sans murmure et sans crainte
Le doux lien de notre amour.
D'Israël renaît l'espérance.
Le Seigneur a marqué le jour
Qui verra notre délivrance!
II a dit à son serviteur:
Je t'ai choisi parmi tes frères,
Pour les guider vers le Seigneur
Et mettre un terme à leurs misères.
DALILA
Qu'importe à mon cour désolé
Le sort d'Israël et sa gloire!
Pour moi le bonheur envolé
Est le seul fruit de ta victoire.
L'amour égarait ma raison
Quand je croyais à tes promesses,
Et je n'ai bu que le poison
En m'enivrant de tes caresses.
SAMSON
Ah! cesse d'affliger mon cour!
Je subis une loi suprême.
Tes pleurs ravivent ma douleur!
Dalila! Dalila! je t'aime!
Eclairs lointains
DALILA
Un dieu plus puissant que le tien,
Ami, te parle par ma bouche:
C'est le dieu d'amour, c'est le mien!
Et, si ce souvenir te touche,
Rappelle à ton cour ces beaux jours
Passés aux genoux d'une amante
Que tu devais aimer toujours,
Et qui seule, hélas! est constante!
SAMSON
Insensée! oser m'accuser!
Quand pour toi tout parle à mon âme!
Oui! dût la foudre m'écraser,
Dussé-je périr de sa flamme,
Eclairs plus rapprochés
Pour toi si grand est mon amour,
Que j'ose aimer malgré Dieu même!
Oui! dussé-je en mourir un jour,
Dalila! Dalila! je t'aime!
DALILA
Mon coeur s'ouvre à ta voix comme s'ouvrent les fleurs
Aux baisers de l'aurore!
Mais, ô mon bien-aimé, pour mieux sécher mes pleurs,
Que ta voix parle encore!
Dis-moi qu'à Dalila tu reviens pour jamais!
Redis à ma tendresse
Les serments d'autrefois, ces serments que j'aimais!
Ah! réponds à ma tendresse,
Verse-moi, verse-moi l'ivresse!
Réponds à ma tendresse.
Ah! verse-moi, verse-moi l'ivresse!
SAMSON
Dalila! Dalila! je t'aime!
DALILA
Ainsi qu'on voit des blés les épis onduler
Sous la brise légère,
Ainsi frémit mon cour, prêt à se consoler,
A ta voix qui m'est chère!
La flèche est moins rapide à porter le trépas
Que ne l'est ton amante à voler dans tes bras!
Ah! réponds à ma tendresse!
Verse-moi, verse-moi l'ivresse!
SAMSON
Par mes baisers je veux sécher tes larmes,
Et de ton coeur éloigner les alarmes!
Dalila! Dalila! je t'aime!
Eclair - Violent coup de tonnerre
DALILA
Mais! non! que dis-je? hélas! la triste Datila
Doute de tes paroles!
Egarant ma raison,
Tu me trompas déjà par des serments frivoles!
SAMSON
Quand pour toi j'ose oublier Dieu,
Sa gloire, mon peuple et mon voeu!
Ce Dieu qui marqua ma naissance
Du sceau divin de sa puissance!
DALILA
Eh bien! connais donc mon amour!
C'est ton Dieu même que j'envie!
Ce Dieu qui te donna le jour,
Ce Dieu qui consacra ta vie!
Le voeu qui t'enchaîne à ce Dieu
Et qui fait ton bras redoutable,
A mon amour fais-en l'aveu!
Chasse le doute qui m'accable!
Eclairs et tonnerre lointains
SAMSON
Dalila! que veux-tu de moi?
Crains que je ne doute de toi!
DALILA
Si j'ai conservé ma puissance,
Je veux l'essayer en ce jour.
Je veux éprouver ton amour,
En réclamant ta confiance!
Eclairs et tonnerre de plus en plus rapprochés
SAMSON
Hélas! qu'importe à ton bonheur
Le lien sacré qui m'enchaîne,
Ce secret que garde mon cour?
DALILA
Par cet aveu soulage ma douleur!
SAMSON
Pour le ravir, ta force est vaine!
Eclairs sans tonnerre
DALILA
Oui! vain est mon pouvoir,
Car vaine est ta tendresse!
Quand je veux le savoir,
Ce secret qui me blesse,
Dont je veux la moitié,
Oses-tu dans ton âme
Sans honte et sans pitié,
M'accuser d'être infâme?
SAMSON
D'une immense douleur
Ma pauvre âme accablée
Implore le Seigneur
D'une voix désolée.
DALILA
J'avais paré pour lui
Ma jeunesse et mes charmes!
Je n'ai plus aujourd'hui
Qu'à répandre des larmes.
SAMSON
Dieu tout-puissant,
J'invoque ton appui!
DALILA
Pour ces derniers adieux
Ma voix est impuissante.
Fuis! Samson, fuis ces lieux
Où mourra ton amante!
SAMSON
Laisse-moi!
DALILA
Ton secret?
SAMSON
Je ne puis!
DALILA
Ton secret?
Ce secret qui cause mes alarmes!
Eclairs sans tonnerre.
SAMSON
L'orage sur ces monts
Déchaîne sa colère.
Le Seigneur sur nos fronts
Fait gronder son tonnerre.
DALILA
Je le brave avec toi!
Viens!
SAMSON
Non!
DALILA
Viens!
SAMSON
Laisse-moi!
Je ne puis m'y résoudre...
DALILA
Que m'importe la foudre!
SAMSON
C'est la voix de mon Dieu.
DALILA
Lâche! coeur sans amour,
Je te méprise. Adieu!
Eclairs et tonnerre jusqu 'à la fin. Daub court vers sa demeure; l'orage est dans toute sa fureur.
Samson, levant les bras au ciel, semble invoquer Dieu.
Il s'élance à la suite de Dalila, hésite et enfin entre dans sa demeure. -
Par la droite arrivent des soldats philistins qui s'approchent doucement de la demeure de Dulila.
Violent coup de tonnerre.
DALILA
paraissant sur la terrasse
A moi! Philistins! à moi!
SAMSON
Trahison!
Les soldats se précipitent dans la demeure de Dalila.