DEUXIÈME PARTIE
SCÈNE IV
Nord de l’Allemagne
FAUST
seul dans son cabinet de travail
Sans regrets j’ai quitté les riantes campagnes
Où m’a suivi l’ennui;
Sans plaisirs je revois nos altières montagnes;
Dans ma vieille cité je reviens avec lui.
Oh! je souffre! et la nuit sans étoiles,
Qui vient d’étendre au loin son silence et ses voiles,
Ajoute encore à mes sombres douleurs.
Ô terre!
pour moi seul tu n’as donc pas de fleurs!
Par le monde, où trouver ce qui manque à ma vie?
Je chercherais en vain, tout fuit mon âpre envie!
Allons! il faut finir!... Mais je tremble... Pourquoi
Trembler devant l’abîme entr’ouvert devant moi?
Ô coupe trop longtemps à mes désirs ravie,
Viens, viens, noble cristal, verse-moi le poison
Qui doit illuminer ou tuer ma raison.
Il porte la coupe à ses lèvres. Sons des cloches. Chants religieux dans l’église voisine
Chant de la Fête de Pâques
CHŒUR
Christ vient de ressusciter!
FAUST
Qu’entends-je ?
CHŒUR
Quittant du tombeau
Le séjour funeste,
Au parvis céleste
Il monte plus beau.
Vers les gloires immortelles
Tandis qu’il s’élance à grands pas,
Ses disciples fidèles
Languissent ici-bas.
Hélas! c’est ici qu’il nous laisse
Sous les traits brûlants du malheur.
Ô divin Maître! ton bonheur
Est cause de notre tristesse.
Ô divin Maître! tu nous laisses
Sous les traits brûlants du malheur.
FAUST
Ô souvenirs!
CHŒUR
Christ vient de ressusciter!
Hosanna!
FAUST et CHŒUR
ensemble
FAUST
avec le chœur
Ô mon âme tremblante!
Sur l’aile de ces chants vas-tu voler aux cieux?
La foi chancelante
Revient, me ramenant la paix des jours pieux,
Mon heureuse enfance,
La douceur de prier,
CHŒUR
Quittant du tombeau
Le séjour funeste,
Au parvis céleste
Il monte plus beau.
Vers les gloires immortelles
Tandis qu’il s’élance à grands pas,
FAUST
avec le chœur
La pure jouissance
D’errer et de rêver
Par les vertes prairies,
Aux clartés infinies
D’un soleil de printemps!
CHŒUR
Ses disciples fidèles
Languissent ici-bas.
FAUST
avec le chœur
Ô baiser de l’amour céleste
Qui remplissais mon cœur de doux pressentiments
Et chassais tout désir funeste!
CHŒUR
Mais croyons en sa parole éternelle,
Nous le suivrons un jour
Au céleste séjour
Où sa voix nous appelle.
Hosanna! Hosanna! Hosanna!
FAUST
seul
Hélas! doux chants du ciel, pourquoi dans sa poussière
Réveiller le maudit? Hymnes de la prière,
Pourquoi soudain venir ébranler mon dessein?
Vos suaves accords rafraîchissent mon sein.
Chants plus doux que l’aurore
Retentissez encore,
Mes larmes ont coulé, le ciel m’a reconquis.
SCÈNE V
MÉPHISTOPHÉLÈS
apparaissant brusquement
Ô pure émotion! Enfant du saint parvis!
Je t’admire, docteur! Les pieuses volées
Des ces cloches d’argent
Ont charmé grandement
Tes oreilles troublées!
FAUST
Qui donc es-tu, toi dont l’ardent regard
Pénètre ainsi que l’éclat d’un poignard,
Et qui, comme la flamme,
Brûle et dévore l’âme?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Vraiment pour un docteur, la demande est frivole!
Je suis l’esprit de vie, et c’est moi qui console.
Je te donnerai tout, le bonheur, le plaisir,
Tout ce que peut rêver le plus ardent désir!
FAUST
Eh bien! pauvre démon, fais-moi voir tes merveilles!
MÉPHISTOPHÉLÈS
Certes! j’enchanterai tes yeux et tes oreilles.
Au lieu de t’enfermer, triste comme le ver
Qui ronge tes bouquins, viens! suis-moi! change d’air!
FAUST
J’y consens.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Partons donc pour connaître la vie.
Et laisse le fatras de la philosophie!
Ils disparaissent dans les airs
SCÈNE VI
La cave d’Auerbach à Leipzig
BUVEURS
À boire encor! du vin
Du Rhin!
MÉPHISTOPHÉLÈS
Voici, Faust, un séjour de folle compagnie.
Ici vins et chansons réjouissent la vie.
Chœur de buveurs
BUVEURS
Oh! qu’il fait bon, quand le ciel tonne,
Rester près d’un bol enflammé,
Et se remplir comme une tonne,
Dans un cabaret enfumé!
J’aime le vin et cette eau blonde
Qui fait oublier le chagrin.
Quand ma mère me mit au monde
J’eus un ivrogne pour parrain.
Oh! qu’il fait bon, quand le ciel tonne, etc.
QUELQUES BUVEURS
Qui sait quelque plaisante histoire?
En riant le vin est meilleur.
AUTRES BUVEURS
À toi, Brander!
QUELQUES BUVEURS
Il n’a plus de mémoire!
BRANDER
ivre
J’en sais une, et j’en suis l’auteur.
BUVEURS
Eh bien donc! vite!
BRANDER
Puis qu’on m’invite,
Je vais vous chanter du nouveau.
BUVEURS
Bravo! bravo!
BRANDER
Certain rat, dans une cuisine
Établi, comme un vrai frater,
S’y traitait si bien que sa mine
Eût fait envie au gros Luther.
Mais un beau jour le pauvre diable,
Empoisonné, sauta dehors
Aussi triste, aussi misérable
Que s’il eût eu l’amour au corps!
BUVEURS
Que s’il eût eu l’amour au corps!
BRANDER
Il courait devant et derrière;
Il grattait, reniflait, mordait,
Parcourait la maison entière;
La rage à ses maux ajoutait,
Au point qu’à l’aspect du délire
Qui consumait ses vains efforts,
Les mauvais plaisants pouvaient dire:
Ce rat a bien l’amour au corps!
BUVEURS
Ce rat a bien l’amour au corps!
BRANDER
Dans le fourneau le pauvre sire
Crut pourtant se cacher très bien;
Mais il se trompait, et le pire,
C’est qu’on l’y fit rôtir enfin.
La servante, méchante fille,
De son malheur rit bien alors!
Ah! disait-elle, comme il grille!
Il a vraiment l’amour au corps!
BUVEURS
Il a vraiment l’amour au corps!
Requiescat in pace. Amen.
BRANDER
Pour l’Amen une fugue! une fugue, un choral!
Improvisons un morceau magistral!
MÉPHISTOPHÉLÈS
bas à Faust
Écoute bien ceci ! nous allons voir, docteur,
La bestialité dans toute sa candeur.
Fugue
sur le thème de la chanson de Brander
BRANDER et BUVEURS
Amen, amen, amen etc.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Vrai Dieu, messieurs, votre fugue est fort belle,
Et telle
Qu’à l’entendre on se croit aux saints lieux!
Souffrez qu’on vous le dise:
Le style en est savant, vraiment religieux;
On ne saurait exprimer mieux
Les sentiments pieux
Qu’en terminant ses prières l’Église
En un seul mot résume. Maintenant,
Puis-je à mon tour riposter par un chant
Sur un sujet non moins touchant
Que le vôtre?
BUVEURS
Ah ça! mais se moque-t-il de nous?
Quel est cet homme?
Oh! qu’il est pâle, et comme
Son poil est roux!
N’importe! Volontiers! Autre chanson! À vous!
Chanson de Méphistophélès
MÉPHISTOPHÉLÈS
Une puce gentille
Chez un prince logeait.
Comme sa propre fille,
Le brave homme l’aimait,
Et, l’histoire l’assure,
À son tailleur, un jour,
Lui fit prendre mesure
Pour un habit de cour.
L’insecte, plein de joie,
Dès qu’il se vit paré
D’or, de velours, de soie,
Et de croix décoré,
Fit venir de province
Ses frères et ses sœurs
Qui, par ordre du prince,
Devinrent grands seigneurs.
Mais ce qui fut bien pire,
C’est que les gens de cour,
Sans en oser rien dire,
Se grattaient tout le jour.
Cruelle politique!
Ah! plaignons leur destin,
Et, dès qu’une nous pique,
Écrasons-la soudain!
BUVEURS
Bravo! bravo! bravo!
Ha! ha! bravo! bravissimo!
Oui, écrasons-la soudain!
FAUST
Assez! fuyons ces lieux, où la parole est vile,
La joie ignoble et le geste brutal!
N’as-tu d’autres plaisirs,
un séjour plus tranquille
À me donner, toi, mon guide infernal?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Ah! ceci te déplaît? suis-moi!
Ils partent dans les airs
SCÈNE VII
Bosquets et prairies du bord de l’Elbe
Air de Méphistophélès
MÉPHISTOPHÉLÈS
Voici des roses,
De cette nuit écloses.
Sur ce lit embaumé,
Ô mon Faust bien-aimé,
Repose!
Dans un voluptueux sommeil
Où glissera sur toi plus d’un baiser vermeil,
Où des fleurs pour ta couche ouvriront leurs corolles,
Ton oreille entendra de divines paroles.
Écoute! écoute! Les esprits de la terre et de l’air
Commencent pour ton rêve un suave concert.
Chœur de gnomes et de sylphes - Songe de Faust
GNOMES ET SYLPHES
Dors, dors, heureux Faust;
Bientôt, oui, bientôt, sous un voile
D’or et d’azur, heureux Faust,
Tes yeux vont se fermer,
Au front des cieux va briller ton étoile,
Songes d’amour vont enfin te charmer.
De sites ravissants
La campagne se couvre,
Et notre œil y découvre
Des fleurs, des bois, des champs,
Et d’épaisses feuillées,
Où de tendres amants
Promènent leurs pensées.
MÉPHISTOPHÉLÈS
avec le chœur
Heureux Faust,
Bientôt, sous un voile
D’or et d’azur, tes yeux vont se fermer.
GNOMES ET SYLPHES
Mais plus loin sont couverts
Les longs rameaux des treilles
De bourgeons, pampres verts,
Et de grappes vermeilles.
FAUST
avec le chœur
Ah! sur mes yeux
Déjà s’étend un voile...
MÉPHISTOPHÉLÈS
avec le chœur
Au front des cieux
Va briller ton étoile.
GNOMES ET SYLPHES
Vois ces jeunes amants,
Le long de la vallée,
Oublier les instants
Sous la fraîche feuillée!
Une beauté les suit
Ingénue et pensive;
À sa paupière luit
Une larme furtive.
Faust, elle t’aimera.
MÉPHISTOPHÉLÈS
avec le chœur
Une beauté les suit.
Faust, elle t’aimera.
FAUST
endormi
Margarita!
MÉPHISTOPHÉLÈS, GNOMES et SYLPHES
Le lac étend ses flots
À l’entour des montagnes;
Dans les vertes campagnes
Il serpente en ruisseaux.
GNOMES ET SYLPHES
Là, de chants d’allégresse
La rive retentit. Ha!
D’autres chœurs là sans cesse
La danse nous ravit.
Les uns gaiement s’avancent
Autour des coteaux verts! Ha!
De plus hardis s’élancent
Au sein des flots amers.
FAUST
rêvant
Margarita! ô Margarita!
MÉPHISTOPHÉLÈS, GNOMES et SYLPHES
Le lac étend ses flots
À l’entour des montagnes;
Dans les vertes campagnes
Il serpente en ruisseaux.
GNOMES ET SYLPHES
Partout l’oiseau timide,
Cherchant l’ombre et le frais,
S’enfuit d’un vol rapide
Au milieu des marais.
MÉPHISTOPHÉLÈS
avec le chœur
Le charme opère; il est à nous!
GNOMES ET SYLPHES
Tous, pour goûter la vie,
Tous cherchent dans les cieux
Une étoile chérie
Qui s’alluma pour eux.
C’est elle, si belle,
Qu’Amour te destina.
Dors, dors, dors, heureux Faust, dors, dors!
FAUST
avec le chœur
Margarita!
MÉPHISTOPHÉLÈS
avec le chœur
C’est bien, c’est bien, jeunes esprits,
Je suis content de vous.
Bercez, bercez son sommeil enchanté!
Ballet des sylphes
Les esprits de l’air se balancent quelque temps en silence autour de Faust endormi et disparaissent peu à peu
FAUST
s’éveillant en sursaut
Margarita!
Qu’ai-je vu ! qu’ai-je vu!
Quelle céleste image! quel ange
Au front mortel!
Où le trouver? Vers quel autel
Traîner à ses pieds ma louange?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Eh bien! il faut me suivre encor
Jusqu’à cette alcôve embaumée
Où repose ta bien-aimée.
À toi seul ce divin trésor!
Des étudiants voici la joyeuse cohorte
Qui va passer devant sa porte;
Parmi ces jeunes fous, au bruit de leurs chansons,
Vers ta beauté nous parviendrons.
Mais contiens tes transports et suis bien mes leçons.
SCÈNE VIII
Final
Chœur d’étudiants et de soldats marchant vers la ville
Chœur de soldats
SOLDATS
Villes entourées
De murs et remparts,
Fillettes sucrées,
Aux malins regards,
Victoire certaine
Près de vous m’attend;
Si grande est la peine,
Le prix est plus grand.
Au son des trompettes,
Les braves soldats
S’élancent aux fêtes
Ou bien aux combats;
Fillettes et villes
Font les difficiles;
Bientôt tout se rend.
Si grande est la peine,
Le prix est plus grand.
Chanson d’étudiants
ÉTUDIANTS
Jam nox stellata velamina pandit;
Nunc, nunc bibendum et amandum est!
Vita brevis fugaxque voluptas.
Gaudeamus igitur, gaudeamus!
Nobis subridente luna,
per urbem quaerentes puellas eamus!
Ut cras, fortunati Caesares, dicamus:
Veni, vidi, vici!
Gaudeamus igitur!
Chœur de soldats et chanson des étudiants ensemble
SOLDATS
Villes entourées, etc
ÉTUDIANTS, FAUST et MÉPHISTOPHÉLÈS
avec les étudiants
Jam nox stellata, etc.