ACTE III


Les cadets de Gascogne

(Le poste qu'occupe la compagnie de Carbon de Castel-Jaloux, au siège d'Arras)

LE BRET
C'est affreux!

CARBON
Oui... plus rien!

LE BRET
Mordious!...

CARBON
Jure en sourdine. Tu vas les réveiller.

(aux cadets)

Chut!... Dormez!... Qui dort dîne!

(Coups de feu au loin.)

Ah! Maugrébis des coups de feu!...

PREMIÈRE SENTINELLE
(au dehors)
Qui va là?...

CYRANO
(au dehors)
Bergerac...

DEUXIÈME SENTINELLE
(en scène)
Qui va là?...

CYRANO
(paraît)
¡Bergerac, imbécile!...

LE BRET
Grand Dieu!... blessé?...

CYRANO
Tu sais bien qu'ils ont pris l'habitude
de me manquer tous les matins.

LE BRET
C'est un peu fort... Pour porter une lettre
à chaque jour levant, de risquer...

CYRANO
J'ai promis qu'il écrirait souvent.

(s'arrêtant devant Christian)

Il dort! Il est pâli. Quand je songe
à la cruauté de ce Comte de Guiche,
le faisant arracher des bras de Roxane,
dès que fut prononcé le "oui" de mariage...

LE BRET
Penser que chaque jour vous risquez une vie
comme la vôtre, pour porter...

(le voyant qui se dirige vers une tente)

Où vas-tu?

CYRANO
J'en vais écrire une autre...

(Le jour se lève. Trompettes en scène.)

CARBON
La Diane... Hélas!...
Sommeil succulent... tu prends fin...

LES CADETS
J'ai faim... Je meurs!...

CARBON
Levez-vous!...

LES CADETS
Plus un geste!... Plus un pas!...
Ma langue est jaune... Oh! Oui!
Du pain! Du pain! Assez! Révoltons-nous!

CARBON
Au secours! Cyrano!

LES CADETS
Nous avons faim!

CYRANO
(sortant de sa tente)
Ah! Ça?
Mais vous ne pensez qu'à manger?
Approche, berger...
Du double étui de cuir tire l'un de tes fifres;
souffle, et joue à ces tas de goinfres
et de piffres ces vieux airs du pays
au doux rythme obsesseur,
dont chaque note est comme une petite soeur!

(Le vieux s'assied et prépare son fifre.)

C'est airs dont la lenteur
est celle des fumées que le hameau natal
exhale de ses toits, ces airs dont la musique
a l'air d'être en patois!

(Le vieux joue.)

Écoutez les, les Gascons! Écoutez!
C'est le lent galoubet
des nos meneurs de chèvres...
Écoutez! C'est le val, la lande, la forêt, le petit
pâtre brun sous son rouge béret, c'est la verte
douceur des soirs sur la Dordogne...
Écoutez les, gascons, c'est toute la Gascogne!

LES CADETS
Ah!...

(Des larmes sont furtivement essuyées.)

CARBON
Mais tu les fais pleurer.

CYRANO
De nostalgie, un mal plus noble que la faim!

CARBON
Tu vas les affaiblir...

CYRANO
Laisse donc, il suffit.

(Il fait un geste. Le tambour roule. Tous se lèvent.)

LES CADETS
Hein? Quoi? Qu'est-ce?

CYRANO
Tu vais?

LE BRET
Monsieur De Guiche!

(Tous se mettent rapidement à jouer et à fumer: Cyrano lit dans un petit livre. De Guiche entre)

DE GUICHE
(regardant les cadets)
Voici donc les mauvaises têtes!

CARBON
(à part)
Il n'a plus que les yeux.

DE GUICHE
Oui ! Messieurs. Il me revient de tous côtés
qu'on me brocarde chez vous, que les cadets,
noblesse montagnarde, hobereaux béarnais,
barons périgourdins...
n'ont pour leur colonel pas assez de dédain...
m'appelant intrigant, courtisan.
Qu'il les gêne de voir sur ma cuirasse un col
au point de Gênes et qu'ils ne cessent pas
de s'indigner entre eux qu'on puisse être gascon,
et ne pas être gueux!
Je peux méprises vos bravades.
On connaît ma façon d'aller aux mousquetades.
Hier à Bapaume on vit la furie
avec quoi j'ai fait lâcher le pied
au Comte de Bucquoi;
ramenant sur ses gens les miens en avalanche,
j'ai chargé par trois fois!

CYRANO
(sans lever le nez de son livre)
Et votre écharpe blanche?

DE GUICHE
Vous savez ce détail? Oui!
Craignant qu'on me prît
et qu'on m'arquebusât, j'eus le bon esprit
de tromper l'Espagnol
laissant tomber à terre l'écharpe qui disait
mon grade militaire, en sorte que je pus
en revenant sur eux suivi de tous
les miens réconfortés les battre.
Eh bien, que dites-vous de ce trait?

CYRANO
Qu'Henri Quatre n'eût jamais consenti
à se diminuer de son panache blanc!

DE GUICHE
L'adresse a réussi cependant.

CARBON
C'est possible.
Mais on n'abdique pas l'honneur d'être un cible!
Si j'eusse été présent,
quand l'écharpe coula,
je l'aurais ramassée et me la serais mise.

DE GUICHE
Vantardise de gascon!

CYRANO
Vantardise? Prêtez-la-moi.
Je m'offre à monter dès ce soir à l'assaut
le premier avec elle en sautoir.

DE GUICHE
Offre encore de gascon!
Vous savez que l'écharpe resta à l'ennemi
en un lieu où nul ne peut aller la chercher.

CYRANO
(tirant de sa poche l'écharpe et la lui tendant)
La voilà.

DE GUICHE
(prenant l'écharpe)
Merci.
Je vais faire un signal que j'hésitais à faire.

(Il va au talus et agite l'écharpe en l'air.)

CARBON
Hein?

CHRISTIAN
(en haut du talus)
Cet homme là-bas qui se sauve en courant?

DE GUICHE
(redescendant)
C'est un faux espion espagnol.
Il est venu me prévenir qu'on va nous attaquer.

CARBON
Quoi?

DE GUICHE
Oui, dans une heure.

CARBON
Mais la moitié de l'armée est absente du camp.

DE GUICHE
Vous aurez l'obligeance de vous faire tuer!

CYRANO
Ah! Voilà la vengeance!

(aux cadets)

Et bien donc, nous allons au blason de Gascogne
qui porte six chevrons, Messieurs,
d'azur et d'or, joindre un chevron de sang
qui lui manquait encore!

CARBON
Messieurs, préparons-nous!

LES CADETS
Préparons-nous!

(De Guiche et Carbon causent bas, au fond. On donne des ordres. La résistance se prépare.)

CYRANO
Christian!

CHRISTIAN
Roxane...

CYRANO
Hélas!

CHRISTIAN
Au moins je voudrais mettre tout l'adieu de
mon coeur... dans une belle lettre...

CYRANO
(tire un billet de son pourpoint)
Je me doutais que ce serait pour aujourd'hui
et j'ai fait tes adieux!...

CHRISTIAN
Donne...

CYRANO
Tu veux?

CHRISTIAN
(lui prenant la lettre)
Mais oui!

(Il lit et s'arrête.)

Tiens...

CYRANO
Quoi?...

CHRISTIAN
Ce petit rond?...

CYRANO
Un rond?...

CHRISTIAN
C'est une larme...

CYRANO
(reprenant vivement la lettre)
Oui. Poète, on se prend à son jeu.
Et d'ailleurs... il faut que je te dise...

CHRISTIAN
Parle vite...

CYRANO
Oh! Mon Dieu; c'est bien simple...

CHRISTIAN
Vite...

CYRANO
Tu lui as écrit plus souvent que tu ne crois...

CHRISTIAN
Hein?...

CYRANO
Dame... Je m'en étais chargé,
j'écrivais sans te dire: j'écris... C'est bien simple.

CHRISTIAN
Et comment t'y es-tu pris depuis
qu'on est bloqué, pour...

CYRANO
Oh ! Avant l'aurore je pouvais traverser...

CHRISTIAN
Ah!... c'est tout simple encore?...
Et... qu'aije écrit de fois par semaine?
Deux?... Trois?... Quatre?...

CYRANO
Plus...

CHRISTIAN
Tous les jours?...

CYRANO
Oui...Tous les jours.. deux fois...

CHRISTIAN
Et cela t'enivrait...
Et l'ivresse était telle que tu bravais la mort?...

CYRANO
Oui... parce que... mourir n'est pas terrible...
mais ne plus la revoir... voilà l'horrible!

CHRISTIAN
(lui arrachant la lettre)
Donne-moi ce billet...

LES SENTINELLES
Ventrebleu! Qui va là?...

(Coups de feu. Bruits de voix. Grelots.)

CARBON, LE BRET
Qu'est-ce?...

LES SENTINELLES
Un carrosse...

LES CADETS
Quoi?... Dans le camp?

LES SENTINELLES
Il y entre... Il a l'air de venir de chez l'ennemi!...

CARBON, LE BRET, CADETS
Tirez...

LES SENTINELLES, CADETS
Non!...

LES CADETS
Le cocher à crié...

CARBON, LE BRET, CADETS
Crié? Quoi?

LES SENTINELLES, CADETS
Crié: service du Roi!

DE GUICHE
Hein? Du Roi? Rangez-vous, vile tourbe!...

(Le carrosse entre.)

CARBON
Battez au champ!

DE GUICHE
Baissez le marchepied!

ROXANE
(sautant du carrosse)
Bonjour!

DE GUICHE
Service du Roi? Vous?...

ROXANE
Mais... du seul Roi: l'Amour!

CYRANO
(à part)
Dieu! Le regarderai-je?

CHRISTIAN
(à Roxane)
Vous? Pourquoi?

ROXANE
(à Christian)
Je te dirai.

DE GUICHE
(à Roxane)
Vous ne pouvez rester ici!...

ROXANE
Mais si! Si!
Voulez-vous m'avancer un tambour?...

(Elle s'assied sur un tambour.)

Là! Merci!

CYRANO
Voyons... C'est fou!...
Par où diable avez vous bien pu passer?

ROXANE
Par où? Par chez les Espagnols!

CARBON
Cela dût être bien difficile!...

ROXANE
Pas trop!...
J'ai simplement passé dans mon carrosse au trot...
Si quelque hidalgo montrait sa mine altière,
je mettais mon plus beau sourire à la portière...
et ces messieurs étant, n'en déplaise aux français,
les plus galantes gens du monde,
je passais!

CARBON
Mais on a fréquemment dû vous sommer
dédire où vous alliez ainsi, Madame?...

ROXANE
Fréquemment!... Alors je répondais:
je vais voir mon amant!
Aussitôt l'Espagnol à l'air le plus féroce
refermait gravement la porte du carrosse...
et superbe de grâce, le feutre au vent,
pourquoi la plume palpitât,
s'inclinait en disant: passez, Señorita!

LES CADETS
Ah! Qu'elles sont malignes!...

CHRISTIAN
Mais... Roxane...

ROXANE
J'ai dit mon amant... Oui, pardonne...
Tu comprends... Si j'avais dit: mon mari...
personne ne m'eût laissé passer.

CHRISTIAN
Mais...

ROXANE
Qu'avez-vous?

DE GUICHE
Il faut vous en aller d'ici. On va se battre...
c'est un poste terrible!...

CYRANO
Et la preuve
c'est qu'il nous l'a donné!...

ROXANE
Ah!...Vous me vouliez veuve?...

DE GUICHE
Je vous jure!...

ROXANE
Non! Je suis folle à présent; je reste!
Qu'on me tue avec toi!

(Elle se jette dans les bras de Christian. De Guiche sort.)

LES CADETS
Elle reste!

CYRANO
Eh quoi?
La précieuse était une héroïne?

ROXANE
Monsieur de Bergerac, je suis votre cousine!

CARBON
Par grâce ouvrez la main...
Ma compagnie était sans drapeau...
C'est le plus beau du camp...

ROXANE
Mais l'air est vif... Et moi-même affame...
Ragueneau! Ragueneau!

LES CADETS
Hein?

RAGUENEAU
(debout sur son siège)
Ça... Messieurs...
À l'assaut des pâtes, des jambonneaux!

LES CADETS
Tonnerre!...

RAGUENEAU
Les coussins sont remplis d'ortolans!

LES CADETS
Des flacons de rubis! Ah! Viédaze!...
Des flacons de topaze!...

ROXANE
Défaites cette nappe, hop!... Soyez légers...

CYRANO
Bonne fée!...

RAGUENEAU
Chaque lanterne est un garde-manger!

ROXANE
Et si De Guiche vient, personne ne l'invite!...
Là!

(à Cyrano)

Une aile?...

CYRANO
Je l'adore!...

ROXANE
(à Christian)
Vous?...

CHRISTIAN
Rien...

ROXANE
Si!... Ce biscuit dans ce Muscat!

(Ils se mettent tous à danser.)

LES CADETS
Là! Là! Là!...

LES SENTINELLES
Monsieur De Guiche!...

ROXANE
Hop!... Cachons tout!...

(En un clin d'oeil, tout a été caché De Guiche entre vivement.)

DE GUICHE
Vite!... Fuyez, Madame!

ROXANE
Non!

DE GUICHE
Puis qu'il en est ainsi,
qu'on me donne un mousquet.

ROXANE
Quoi?...

DE GUICHE
Je ne quitte pas une femme en danger!...

CARBON
(à De Guiche)
J'ai rangé mes piquiers... leur troupe est résolue.
Veillez, Monsieur, les passer en revue?

(De Guiche remonte vers le talus et sort avec Carbon. Cyrano rentre dans sa tente. Au fond, allées et venues de cadets.)

ROXANE
Et maintenant, Christian...

CHRISTIAN
Maintenant dis-moi pourquoi, bravant les dangers
effroyables, tu m'as rejoint ici?

ROXANE
C'est à cause des lettres!

CHRISTIAN
Tu dis?...

ROXANE
De ces lettres d'amour plus belles chaque
jour que vous avez écrites!...

CHRISTIAN
Et quoi? Pour quelques petites lettres?...

ROXANE
Tais-toi. Tu ne peux pas savoir...

(tendrement)

C'est vrai... Je t'adorais depuis qu'un soir
sous ma fenêtre, d'une voix que je t'ignorais,
ton âme commença à se faire connaître.
Eh bien, tes lettres c'est comme si je t'entendais
ta voix de ce soir là... si tendre et qui vous
enveloppe. Je lisais, je relisais.
J'étais à toi; chacun de ces feuillets
était comme un pétale envolé de ton âme.
On sent à claque mot de ces lettres
de flamme l'amour puissant,
l'amour sincère...

CHRISTIAN
Ah! Cela se sent, Roxane?...

ROXANE
Oh! Si cela se sent!

CHRISTIAN
Et vous venez...

ROXANE
Je viens... ô mon Christian, mon maître...
je viens te demander pardon...
de t'avoir fait d'abord dans ma frivolité
l'insulte de t'aimer pour ta seule beauté!

CHRISTIAN
Ah! Roxane!...

ROXANE
Et plus tard, ton âme m'entraînant,
je t'aimais pour les deux ensemble.

CHRISTIAN
Et maintenant?

ROXANE
Maintenant... je t'aimerais encore...
si toute la beauté tout à coup s'envolait!...

CHRISTIAN
Oh! Ne dis pas cela!...

ROXANE
Si!... je le dis...

CHRISTIAN
Quoi?... Laid?...

ROXANE
Je le jure!...

CHRISTIAN
Dieu!...

ROXANE
Et ta joie est profonde? Oui? Oui? Ah!

(Christian la repousse doucement.)

Qu'as-tu?...

CHRISTIAN
Rien...
Deux mots à dire, une seconde...

ROXANE
Mais...

CHRISTIAN
À ces pauvres gens mon amour t'enleva.
Va leur sourire un peu puisqu'ils vont mourir!...
Va!...

ROXANE
Cher Christian!

(Elle remonte vers les gascons.)

CHRISTIAN
(appelant vers la tente de Cyrano)
Cyrano!...

CYRANO
(reparaissant)
Qu'est-ce?...Te voilà blâme!...

CHRISTIAN
Elle ne m'aime plus!...

CYRANO
Comment?

CHRISTIAN
C'est toi qu'elle aime!...

CYRANO
Non!...

CHRISTIAN
Elle n'aime plus que mon âme!...

CYRANO
Non!...

CHRISTIAN
Si! C'est donc bien toi qu'elle aime!
Et tu l'aimes aussi!...

CYRANO
Moi?

CHRISTIAN
Je le sais!

CYRANO
C'est vrai!...

CHRISTIAN
Comme un fou!...

CYRANO
D'avantage!...

CHRISTIAN
Dis-le-lui!

CYRANO
Non!...

CHRISTIAN
Pourquoi?...

CYRANO
Regarde mon visage!...

CHRISTIAN
Elle m'aimerais laid...

CYRANO
Elle ta l'as dit?...

CHRISTIAN
Là!...

CYRANO
Non! Ne la prends pas au mot!...

CHRISTIAN
C'est que je veux voir!... Tu vas lui dire tout...

CYRANO
Non!...

CHRISTIAN
Qu'elle choisisse!

(Il appelle.)

Roxane...

CYRANO
Non!...

CHRISTIAN
Cyrano vous dira une chose importante!

(Il sort.)

ROXANE
(entrant)
Importante?...

CYRANO
(à Roxane)
Rien...
Il attache, mon Dieu, de l'importance à rien...

ROXANE
Il a douté de ce que j'ai dit là?
J'ai vu qu'il a douté...

CYRANO
Mais avez-vous bien dit la vérité?...

ROXANE
Oui!... Oui!... Je l'aimerais même...

(Elle hésite une seconde.)

CYRANO
Même laid?

ROXANE
Même laid!

(Mousquetaire au dehors.)

Tiens... on a tiré!

CYRANO
Affreux? Grotesque?

ROXANE
(distraite)
Oui!

CYRANO
Je... Roxane... Écoutez!

LE BRET
(entrant rapidement, appelle à mi-voix)
Cyrano!...

CYRANO
Hein?

LE BRET
Chut...

CYRANO
(sans voix)
Ah!...

(Des cadets sont entré cachant quelque chose qu'ils portent.)

ROXANE
Qu'avez-vous? Que se passe-t-il?

CYRANO
Rien.

ROXANE
Ces hommes?
Mais qu'alliez-vous me dire avant?

CYRANO
Ce que j'allais vous dire?... Rien… rien...
je le jure... je jure que l'esprit de Christian...
que son âme, étaient...
sont les plus grands!

ROXANE
Etaient? Sont? Ah!

(Elle se précipite et écarte tout le monde.)

LE BRET
(à Cyrano)
Le premier coup de feu de l'ennemi!

CARBON
C'est l'attaque! Aux mousquets!

ROXANE
Christian!

CARBON
Qu'on se dépêche!

(Ragueneau est accouru.)

ROXANE
Christian!

CARBON
(derrière le talus)
Mesurez!

ROXANE
Il n'est pas mort?

CARBON
Mêche...

ROXANE
Christian!

Je sens sa joue devenir froide...

CARBON
Ouvrez la charge!

ROXANE
Une lettre sur lui!

CYRANO
(pour lui même)
Ma lettre...

ROXANE
Pour moi!

CARBON
Feu!

VOIX DE L'OFFICIER ESPAGNOL
(au dehors)
Rendez-vous!

LES CADETS
Non!

CYRANO
Mais, Roxane, on se bat.
Adieu, Roxane!

DE GUICHE
(reparaissant sur le talus)
Tenez encore un peu!

ROXANE
(se jetant sur le corps de Christian)
Il est mort!

(Tumulte. Cris. De Guiche et Ragueneau emportent Roxane évanouie.)

CARBON
Nous plions...

CYRANO
Reculez pas, drollos!

L'OFFICIER ESPAGNOL
(entrant)
Mais quels sont ces gens qui se font tous tuer?

CYRANO, LES CADETS, puis CARBON
Ce sont les cadets de Gascogne...
De Carbon de Castel-Jaloux;
Bretteurs et menteurs sans vergogne...

(Le reste se perde dans la bataille.)
ACTE III


Les cadets de Gascogne

(Le poste qu'occupe la compagnie de Carbon de Castel-Jaloux, au siège d'Arras)

LE BRET
C'est affreux!

CARBON
Oui... plus rien!

LE BRET
Mordious!...

CARBON
Jure en sourdine. Tu vas les réveiller.

(aux cadets)

Chut!... Dormez!... Qui dort dîne!

(Coups de feu au loin.)

Ah! Maugrébis des coups de feu!...

PREMIÈRE SENTINELLE
(au dehors)
Qui va là?...

CYRANO
(au dehors)
Bergerac...

DEUXIÈME SENTINELLE
(en scène)
Qui va là?...

CYRANO
(paraît)
¡Bergerac, imbécile!...

LE BRET
Grand Dieu!... blessé?...

CYRANO
Tu sais bien qu'ils ont pris l'habitude
de me manquer tous les matins.

LE BRET
C'est un peu fort... Pour porter une lettre
à chaque jour levant, de risquer...

CYRANO
J'ai promis qu'il écrirait souvent.

(s'arrêtant devant Christian)

Il dort! Il est pâli. Quand je songe
à la cruauté de ce Comte de Guiche,
le faisant arracher des bras de Roxane,
dès que fut prononcé le "oui" de mariage...

LE BRET
Penser que chaque jour vous risquez une vie
comme la vôtre, pour porter...

(le voyant qui se dirige vers une tente)

Où vas-tu?

CYRANO
J'en vais écrire une autre...

(Le jour se lève. Trompettes en scène.)

CARBON
La Diane... Hélas!...
Sommeil succulent... tu prends fin...

LES CADETS
J'ai faim... Je meurs!...

CARBON
Levez-vous!...

LES CADETS
Plus un geste!... Plus un pas!...
Ma langue est jaune... Oh! Oui!
Du pain! Du pain! Assez! Révoltons-nous!

CARBON
Au secours! Cyrano!

LES CADETS
Nous avons faim!

CYRANO
(sortant de sa tente)
Ah! Ça?
Mais vous ne pensez qu'à manger?
Approche, berger...
Du double étui de cuir tire l'un de tes fifres;
souffle, et joue à ces tas de goinfres
et de piffres ces vieux airs du pays
au doux rythme obsesseur,
dont chaque note est comme une petite soeur!

(Le vieux s'assied et prépare son fifre.)

C'est airs dont la lenteur
est celle des fumées que le hameau natal
exhale de ses toits, ces airs dont la musique
a l'air d'être en patois!

(Le vieux joue.)

Écoutez les, les Gascons! Écoutez!
C'est le lent galoubet
des nos meneurs de chèvres...
Écoutez! C'est le val, la lande, la forêt, le petit
pâtre brun sous son rouge béret, c'est la verte
douceur des soirs sur la Dordogne...
Écoutez les, gascons, c'est toute la Gascogne!

LES CADETS
Ah!...

(Des larmes sont furtivement essuyées.)

CARBON
Mais tu les fais pleurer.

CYRANO
De nostalgie, un mal plus noble que la faim!

CARBON
Tu vas les affaiblir...

CYRANO
Laisse donc, il suffit.

(Il fait un geste. Le tambour roule. Tous se lèvent.)

LES CADETS
Hein? Quoi? Qu'est-ce?

CYRANO
Tu vais?

LE BRET
Monsieur De Guiche!

(Tous se mettent rapidement à jouer et à fumer: Cyrano lit dans un petit livre. De Guiche entre)

DE GUICHE
(regardant les cadets)
Voici donc les mauvaises têtes!

CARBON
(à part)
Il n'a plus que les yeux.

DE GUICHE
Oui ! Messieurs. Il me revient de tous côtés
qu'on me brocarde chez vous, que les cadets,
noblesse montagnarde, hobereaux béarnais,
barons périgourdins...
n'ont pour leur colonel pas assez de dédain...
m'appelant intrigant, courtisan.
Qu'il les gêne de voir sur ma cuirasse un col
au point de Gênes et qu'ils ne cessent pas
de s'indigner entre eux qu'on puisse être gascon,
et ne pas être gueux!
Je peux méprises vos bravades.
On connaît ma façon d'aller aux mousquetades.
Hier à Bapaume on vit la furie
avec quoi j'ai fait lâcher le pied
au Comte de Bucquoi;
ramenant sur ses gens les miens en avalanche,
j'ai chargé par trois fois!

CYRANO
(sans lever le nez de son livre)
Et votre écharpe blanche?

DE GUICHE
Vous savez ce détail? Oui!
Craignant qu'on me prît
et qu'on m'arquebusât, j'eus le bon esprit
de tromper l'Espagnol
laissant tomber à terre l'écharpe qui disait
mon grade militaire, en sorte que je pus
en revenant sur eux suivi de tous
les miens réconfortés les battre.
Eh bien, que dites-vous de ce trait?

CYRANO
Qu'Henri Quatre n'eût jamais consenti
à se diminuer de son panache blanc!

DE GUICHE
L'adresse a réussi cependant.

CARBON
C'est possible.
Mais on n'abdique pas l'honneur d'être un cible!
Si j'eusse été présent,
quand l'écharpe coula,
je l'aurais ramassée et me la serais mise.

DE GUICHE
Vantardise de gascon!

CYRANO
Vantardise? Prêtez-la-moi.
Je m'offre à monter dès ce soir à l'assaut
le premier avec elle en sautoir.

DE GUICHE
Offre encore de gascon!
Vous savez que l'écharpe resta à l'ennemi
en un lieu où nul ne peut aller la chercher.

CYRANO
(tirant de sa poche l'écharpe et la lui tendant)
La voilà.

DE GUICHE
(prenant l'écharpe)
Merci.
Je vais faire un signal que j'hésitais à faire.

(Il va au talus et agite l'écharpe en l'air.)

CARBON
Hein?

CHRISTIAN
(en haut du talus)
Cet homme là-bas qui se sauve en courant?

DE GUICHE
(redescendant)
C'est un faux espion espagnol.
Il est venu me prévenir qu'on va nous attaquer.

CARBON
Quoi?

DE GUICHE
Oui, dans une heure.

CARBON
Mais la moitié de l'armée est absente du camp.

DE GUICHE
Vous aurez l'obligeance de vous faire tuer!

CYRANO
Ah! Voilà la vengeance!

(aux cadets)

Et bien donc, nous allons au blason de Gascogne
qui porte six chevrons, Messieurs,
d'azur et d'or, joindre un chevron de sang
qui lui manquait encore!

CARBON
Messieurs, préparons-nous!

LES CADETS
Préparons-nous!

(De Guiche et Carbon causent bas, au fond. On donne des ordres. La résistance se prépare.)

CYRANO
Christian!

CHRISTIAN
Roxane...

CYRANO
Hélas!

CHRISTIAN
Au moins je voudrais mettre tout l'adieu de
mon coeur... dans une belle lettre...

CYRANO
(tire un billet de son pourpoint)
Je me doutais que ce serait pour aujourd'hui
et j'ai fait tes adieux!...

CHRISTIAN
Donne...

CYRANO
Tu veux?

CHRISTIAN
(lui prenant la lettre)
Mais oui!

(Il lit et s'arrête.)

Tiens...

CYRANO
Quoi?...

CHRISTIAN
Ce petit rond?...

CYRANO
Un rond?...

CHRISTIAN
C'est une larme...

CYRANO
(reprenant vivement la lettre)
Oui. Poète, on se prend à son jeu.
Et d'ailleurs... il faut que je te dise...

CHRISTIAN
Parle vite...

CYRANO
Oh! Mon Dieu; c'est bien simple...

CHRISTIAN
Vite...

CYRANO
Tu lui as écrit plus souvent que tu ne crois...

CHRISTIAN
Hein?...

CYRANO
Dame... Je m'en étais chargé,
j'écrivais sans te dire: j'écris... C'est bien simple.

CHRISTIAN
Et comment t'y es-tu pris depuis
qu'on est bloqué, pour...

CYRANO
Oh ! Avant l'aurore je pouvais traverser...

CHRISTIAN
Ah!... c'est tout simple encore?...
Et... qu'aije écrit de fois par semaine?
Deux?... Trois?... Quatre?...

CYRANO
Plus...

CHRISTIAN
Tous les jours?...

CYRANO
Oui...Tous les jours.. deux fois...

CHRISTIAN
Et cela t'enivrait...
Et l'ivresse était telle que tu bravais la mort?...

CYRANO
Oui... parce que... mourir n'est pas terrible...
mais ne plus la revoir... voilà l'horrible!

CHRISTIAN
(lui arrachant la lettre)
Donne-moi ce billet...

LES SENTINELLES
Ventrebleu! Qui va là?...

(Coups de feu. Bruits de voix. Grelots.)

CARBON, LE BRET
Qu'est-ce?...

LES SENTINELLES
Un carrosse...

LES CADETS
Quoi?... Dans le camp?

LES SENTINELLES
Il y entre... Il a l'air de venir de chez l'ennemi!...

CARBON, LE BRET, CADETS
Tirez...

LES SENTINELLES, CADETS
Non!...

LES CADETS
Le cocher à crié...

CARBON, LE BRET, CADETS
Crié? Quoi?

LES SENTINELLES, CADETS
Crié: service du Roi!

DE GUICHE
Hein? Du Roi? Rangez-vous, vile tourbe!...

(Le carrosse entre.)

CARBON
Battez au champ!

DE GUICHE
Baissez le marchepied!

ROXANE
(sautant du carrosse)
Bonjour!

DE GUICHE
Service du Roi? Vous?...

ROXANE
Mais... du seul Roi: l'Amour!

CYRANO
(à part)
Dieu! Le regarderai-je?

CHRISTIAN
(à Roxane)
Vous? Pourquoi?

ROXANE
(à Christian)
Je te dirai.

DE GUICHE
(à Roxane)
Vous ne pouvez rester ici!...

ROXANE
Mais si! Si!
Voulez-vous m'avancer un tambour?...

(Elle s'assied sur un tambour.)

Là! Merci!

CYRANO
Voyons... C'est fou!...
Par où diable avez vous bien pu passer?

ROXANE
Par où? Par chez les Espagnols!

CARBON
Cela dût être bien difficile!...

ROXANE
Pas trop!...
J'ai simplement passé dans mon carrosse au trot...
Si quelque hidalgo montrait sa mine altière,
je mettais mon plus beau sourire à la portière...
et ces messieurs étant, n'en déplaise aux français,
les plus galantes gens du monde,
je passais!

CARBON
Mais on a fréquemment dû vous sommer
dédire où vous alliez ainsi, Madame?...

ROXANE
Fréquemment!... Alors je répondais:
je vais voir mon amant!
Aussitôt l'Espagnol à l'air le plus féroce
refermait gravement la porte du carrosse...
et superbe de grâce, le feutre au vent,
pourquoi la plume palpitât,
s'inclinait en disant: passez, Señorita!

LES CADETS
Ah! Qu'elles sont malignes!...

CHRISTIAN
Mais... Roxane...

ROXANE
J'ai dit mon amant... Oui, pardonne...
Tu comprends... Si j'avais dit: mon mari...
personne ne m'eût laissé passer.

CHRISTIAN
Mais...

ROXANE
Qu'avez-vous?

DE GUICHE
Il faut vous en aller d'ici. On va se battre...
c'est un poste terrible!...

CYRANO
Et la preuve
c'est qu'il nous l'a donné!...

ROXANE
Ah!...Vous me vouliez veuve?...

DE GUICHE
Je vous jure!...

ROXANE
Non! Je suis folle à présent; je reste!
Qu'on me tue avec toi!

(Elle se jette dans les bras de Christian. De Guiche sort.)

LES CADETS
Elle reste!

CYRANO
Eh quoi?
La précieuse était une héroïne?

ROXANE
Monsieur de Bergerac, je suis votre cousine!

CARBON
Par grâce ouvrez la main...
Ma compagnie était sans drapeau...
C'est le plus beau du camp...

ROXANE
Mais l'air est vif... Et moi-même affame...
Ragueneau! Ragueneau!

LES CADETS
Hein?

RAGUENEAU
(debout sur son siège)
Ça... Messieurs...
À l'assaut des pâtes, des jambonneaux!

LES CADETS
Tonnerre!...

RAGUENEAU
Les coussins sont remplis d'ortolans!

LES CADETS
Des flacons de rubis! Ah! Viédaze!...
Des flacons de topaze!...

ROXANE
Défaites cette nappe, hop!... Soyez légers...

CYRANO
Bonne fée!...

RAGUENEAU
Chaque lanterne est un garde-manger!

ROXANE
Et si De Guiche vient, personne ne l'invite!...
Là!

(à Cyrano)

Une aile?...

CYRANO
Je l'adore!...

ROXANE
(à Christian)
Vous?...

CHRISTIAN
Rien...

ROXANE
Si!... Ce biscuit dans ce Muscat!

(Ils se mettent tous à danser.)

LES CADETS
Là! Là! Là!...

LES SENTINELLES
Monsieur De Guiche!...

ROXANE
Hop!... Cachons tout!...

(En un clin d'oeil, tout a été caché De Guiche entre vivement.)

DE GUICHE
Vite!... Fuyez, Madame!

ROXANE
Non!

DE GUICHE
Puis qu'il en est ainsi,
qu'on me donne un mousquet.

ROXANE
Quoi?...

DE GUICHE
Je ne quitte pas une femme en danger!...

CARBON
(à De Guiche)
J'ai rangé mes piquiers... leur troupe est résolue.
Veillez, Monsieur, les passer en revue?

(De Guiche remonte vers le talus et sort avec Carbon. Cyrano rentre dans sa tente. Au fond, allées et venues de cadets.)

ROXANE
Et maintenant, Christian...

CHRISTIAN
Maintenant dis-moi pourquoi, bravant les dangers
effroyables, tu m'as rejoint ici?

ROXANE
C'est à cause des lettres!

CHRISTIAN
Tu dis?...

ROXANE
De ces lettres d'amour plus belles chaque
jour que vous avez écrites!...

CHRISTIAN
Et quoi? Pour quelques petites lettres?...

ROXANE
Tais-toi. Tu ne peux pas savoir...

(tendrement)

C'est vrai... Je t'adorais depuis qu'un soir
sous ma fenêtre, d'une voix que je t'ignorais,
ton âme commença à se faire connaître.
Eh bien, tes lettres c'est comme si je t'entendais
ta voix de ce soir là... si tendre et qui vous
enveloppe. Je lisais, je relisais.
J'étais à toi; chacun de ces feuillets
était comme un pétale envolé de ton âme.
On sent à claque mot de ces lettres
de flamme l'amour puissant,
l'amour sincère...

CHRISTIAN
Ah! Cela se sent, Roxane?...

ROXANE
Oh! Si cela se sent!

CHRISTIAN
Et vous venez...

ROXANE
Je viens... ô mon Christian, mon maître...
je viens te demander pardon...
de t'avoir fait d'abord dans ma frivolité
l'insulte de t'aimer pour ta seule beauté!

CHRISTIAN
Ah! Roxane!...

ROXANE
Et plus tard, ton âme m'entraînant,
je t'aimais pour les deux ensemble.

CHRISTIAN
Et maintenant?

ROXANE
Maintenant... je t'aimerais encore...
si toute la beauté tout à coup s'envolait!...

CHRISTIAN
Oh! Ne dis pas cela!...

ROXANE
Si!... je le dis...

CHRISTIAN
Quoi?... Laid?...

ROXANE
Je le jure!...

CHRISTIAN
Dieu!...

ROXANE
Et ta joie est profonde? Oui? Oui? Ah!

(Christian la repousse doucement.)

Qu'as-tu?...

CHRISTIAN
Rien...
Deux mots à dire, une seconde...

ROXANE
Mais...

CHRISTIAN
À ces pauvres gens mon amour t'enleva.
Va leur sourire un peu puisqu'ils vont mourir!...
Va!...

ROXANE
Cher Christian!

(Elle remonte vers les gascons.)

CHRISTIAN
(appelant vers la tente de Cyrano)
Cyrano!...

CYRANO
(reparaissant)
Qu'est-ce?...Te voilà blâme!...

CHRISTIAN
Elle ne m'aime plus!...

CYRANO
Comment?

CHRISTIAN
C'est toi qu'elle aime!...

CYRANO
Non!...

CHRISTIAN
Elle n'aime plus que mon âme!...

CYRANO
Non!...

CHRISTIAN
Si! C'est donc bien toi qu'elle aime!
Et tu l'aimes aussi!...

CYRANO
Moi?

CHRISTIAN
Je le sais!

CYRANO
C'est vrai!...

CHRISTIAN
Comme un fou!...

CYRANO
D'avantage!...

CHRISTIAN
Dis-le-lui!

CYRANO
Non!...

CHRISTIAN
Pourquoi?...

CYRANO
Regarde mon visage!...

CHRISTIAN
Elle m'aimerais laid...

CYRANO
Elle ta l'as dit?...

CHRISTIAN
Là!...

CYRANO
Non! Ne la prends pas au mot!...

CHRISTIAN
C'est que je veux voir!... Tu vas lui dire tout...

CYRANO
Non!...

CHRISTIAN
Qu'elle choisisse!

(Il appelle.)

Roxane...

CYRANO
Non!...

CHRISTIAN
Cyrano vous dira une chose importante!

(Il sort.)

ROXANE
(entrant)
Importante?...

CYRANO
(à Roxane)
Rien...
Il attache, mon Dieu, de l'importance à rien...

ROXANE
Il a douté de ce que j'ai dit là?
J'ai vu qu'il a douté...

CYRANO
Mais avez-vous bien dit la vérité?...

ROXANE
Oui!... Oui!... Je l'aimerais même...

(Elle hésite une seconde.)

CYRANO
Même laid?

ROXANE
Même laid!

(Mousquetaire au dehors.)

Tiens... on a tiré!

CYRANO
Affreux? Grotesque?

ROXANE
(distraite)
Oui!

CYRANO
Je... Roxane... Écoutez!

LE BRET
(entrant rapidement, appelle à mi-voix)
Cyrano!...

CYRANO
Hein?

LE BRET
Chut...

CYRANO
(sans voix)
Ah!...

(Des cadets sont entré cachant quelque chose qu'ils portent.)

ROXANE
Qu'avez-vous? Que se passe-t-il?

CYRANO
Rien.

ROXANE
Ces hommes?
Mais qu'alliez-vous me dire avant?

CYRANO
Ce que j'allais vous dire?... Rien… rien...
je le jure... je jure que l'esprit de Christian...
que son âme, étaient...
sont les plus grands!

ROXANE
Etaient? Sont? Ah!

(Elle se précipite et écarte tout le monde.)

LE BRET
(à Cyrano)
Le premier coup de feu de l'ennemi!

CARBON
C'est l'attaque! Aux mousquets!

ROXANE
Christian!

CARBON
Qu'on se dépêche!

(Ragueneau est accouru.)

ROXANE
Christian!

CARBON
(derrière le talus)
Mesurez!

ROXANE
Il n'est pas mort?

CARBON
Mêche...

ROXANE
Christian!

Je sens sa joue devenir froide...

CARBON
Ouvrez la charge!

ROXANE
Une lettre sur lui!

CYRANO
(pour lui même)
Ma lettre...

ROXANE
Pour moi!

CARBON
Feu!

VOIX DE L'OFFICIER ESPAGNOL
(au dehors)
Rendez-vous!

LES CADETS
Non!

CYRANO
Mais, Roxane, on se bat.
Adieu, Roxane!

DE GUICHE
(reparaissant sur le talus)
Tenez encore un peu!

ROXANE
(se jetant sur le corps de Christian)
Il est mort!

(Tumulte. Cris. De Guiche et Ragueneau emportent Roxane évanouie.)

CARBON
Nous plions...

CYRANO
Reculez pas, drollos!

L'OFFICIER ESPAGNOL
(entrant)
Mais quels sont ces gens qui se font tous tuer?

CYRANO, LES CADETS, puis CARBON
Ce sont les cadets de Gascogne...
De Carbon de Castel-Jaloux;
Bretteurs et menteurs sans vergogne...

(Le reste se perde dans la bataille.)


最終更新:2018年11月28日 21:49