SCÈNE IX
La Périchole, puis Don Andrès, et ensuite les Trois Cousines.
LA PÉRICHOLE
seule
Ah! Piquillo! pauvre Piquillo!... que vas-tu dire, quand tu recevras cette lettre?...
Elle se lève, sa lettre à la main, et se met à la relire.
Morceau
«O mon cher amant, je te jure
Que je t'aime de tout mon coeur;
Mais, vrai, la misère est trop dure,
Et nous avons trop de malheur!
Tu dois le comprendre toi-même,
Que cela ne saurait durer,
Et qu'il vaut mieux... (Dieu! que je t'aime!)
Et qu'il vaut mieux nous séparar!
Crois-tu qu'on puisse être bien tendre,
Alors que l'on manque de pain?
A quels transports peut-on s'attendre,
En s'aimant quand on meurt de faim?
Je suis faible, car je suis femme,
Et j'aurais rendu, quelque jour,
Le dernier soupir, ma chère âme,
Croyant en pousser un d'amour...
Ces paroles-là sont cruelles,
Je le sais bien... mais que veux-tu?...
Pour les choses essentielles,
Tu peux compter sur ma vertu.
Je t'adore!... Si je suis folle,
C'est de toi!... compte là-dessus...
Et je signe: la Périchole,
Qui t'aime, mais qui n'en peut plus!...»
Paraît Don Andrès sur le seuil de sa petite maison. Il tient un sac de piastres à la main.
DON ANDRÈS
Me voilà, moi!
LA PÉRICHOLE
Avec les?...
DON ANDRÈS
Oui, avec les petits portraits.
Il lui donne le sac.
LA PÉRICHOLE
C'est très bien... Appelez, maintenant... faites venir quelqu'un.
DON ANDRÈS
passant à gauche et appelant
Holà!... hé!... les trois cousines!...
Entrent les trois cousines.
GUADALENA
riant
Nous voici, monsieur le docteur, nous voici!
DON ANDRÈS
montrant le Périchole
C'est à madame qu'il faut parler.
BERGINELLA
riant
C'est très bien, monsieur le docteur.
DON ANDRÈS
Qu'est-ce que vous avez à rire, à la fin?
MASTRILLA
riant
Mais rien, monsieur le docteur, rien absolument!...
LA PÉRICHOLE
allant aux trois cousines
Tenez, voici une lettre...
à Don Andrès
Je présume que vous allez me faire plaisir de ne pas écouter.
DON ANDRÈS
avec empressement
Je m'éloigne, mon amour... je m'éloigne...
Il se retire à droite.
LA PÉRICHOLE
aux trois cousines, en donnant la lettre à Guadalena
Tenez, voici une lettre que vous remettrez à ce grand beau garçon qui, tout à l'heure, a chanté avec moi... Tenez... vous lui remettrez em même temps...
Elle lui donne aussi le sac de piastres.
DON ANDRÈS
se rapprochant
A présent, si nous allions dîner?
LA PÉRICHOLE
à part, en regardant le côté par lequel Piquillo est sorti
Ah! maintenant encore, s'il revenait... mais, puis qu'il ne revient pas... Allons dîner, puisqu'il ne revient pas!...
Elle reprend machinalement son tapis par les quatre coins et se dispose à l'emporter
DON ANDRÈS
Eh bien, qu'est-ce que vous faites donc?
LA PÉRICHOLE
Ah!
Elle rejette le tapis près du banc et entre avec Don Andrès dans la petite maison.
SCÈNE X
Mastrilla, Guadalena, Berginella, puis Piquillo.
GUADALENA
On nous a chargées de remettre une lettre et l'on nous a donné un sac d'argent!... Comment entendez-vous cela, mes cousines?
BERGINELLA
Mais il me semble que c'est très simple.
MASTRILLA
Il n'y a pas deux façons d'entendre la chose... Il faut remettre la lettre très exactement...
GUADALENA
Sans doute!
BERGINELLA
Et quant au sac d'argent...
MASTRILLA
Il faut le garder, pour la commission.
GUADALENA
passant à droite
Voilà!
Rentre par le fond à droite Piquillo, désespéré, le chapeau enfoncé sur les yeux, murmurant son refrain d'une voix qu'on entend à peine.
PIQUILLO
Deux maravédis... en tout! deux maravédis! et encore, il y a un qui a une façon de sonner... Pauvre Périchole!... Est-ce bien la peine de la réveiller, pour lui dire?... Tiens!... où donc est-elle?...
BERGINELLA
s'approchant
Beau chanteur!...
MASTRILLA
de même
Nous avons une lettre pour vous, beau chanteur.
PIQUILLO
Une lettre?
GUADALENA
lui donnant la lettre
Oui, une lettre qu'une personne, qui était ici tout à l'heure, nous a priées de vous remettre.
PIQUILLO
après avoir parcouru la lettre, à lui-même
Ah! mon Dieu!... Eh bien! il ne manquait plus que cela!...
Guadalena passe à gauche de Piquillo.
MASTRILLA
Dites-nous, beau chanteur... Si vous avez envie de consommer quelque chose?...
BERGINELLA
Ne vous gênez pas.
GUADALENA
Et, vous savez, pour le prix, nous n'en parlerons pas...
PIQUILLO
Je vous remercie bien de votre honnêteté... mais là, vrai, pour l'instant, je n'ai pas le coeur à la consommation... Ce sera pour une autre fois, si vous le voulez bien, ce sera pour une autre fois!
Les trois cousines rentrent dans leur cabaret. – L'orchestre joue piano le motif de la lettre pendant la scène qui suit.
SCÈNE XI
PIQUILLO
seul, relisant un passage de la lettre
«Je t'adore!... Si je suis folle,
C'est de toi!... compte là-dessus...
Et je signe: la Périchole,
Qui t'aime, mais qui n'en peut plus!...»
C'est très bien!... et je pense que maintenant le pauvre Piquillo a chanté sa dernière chanson!
Relisant la lettre
«Pour les choses essentielles,
Tu peux compter sur ma vertu.»
Mais certainement j'y compte!... et tu vas bien voir comme j'y compte!... Ah! Périchole! Périchole!...
Il regarde autour de lui, aperçoit la guitare de la Périchole et en détache la corde.
Une corde... voici qui en tiendra lieu.
Il va au cabaret et avise un gros clou à l'un des piliers.
Un clou! c'est très bien... un escabeau, maintenant...
Il prend un tabouret et le met sous le clou.
Là... j'ai tout ce qu'il me faut...
Il monte sur le tabouret, attache le ruban au clou et se le passe autour du cou.
Il n'y a plus qu'à donner un coup de pied dans l'escabeau... ça a l'air tout simple... et c'est justement la chose délicate... allons!... une! deux!... trois!...
Il ne bouge pas.
Décidément, c'est la chose délicate... C'est comme, au billard, le dernier carambolage... tous les amateurs vous diront que c'est la plus difficile... allons!...
Panatellas sort rapidement du cabaret et heurte par mégarde le tabouret qui tombe; Piquillo se trouve pendu; la corde qui doit être très élastique s'allonge et Piquillo tombe sur le dos de Panatellas, qui se met à crier.
SCÈNE XII
Piquillo, Panatellas, puis les Trois Cousines.
PIQUILLO
tout étourdi, soutenu par Panatellas
Ah! mon Dieu! ah! mon Dieu!...
PANATELLAS
Holà! quelqu'un!.. à moi!...
Les trois cousines accourent; Berginella prend un tabouret sur lequel on fait asseoir Piquillo.
Cet homme... il était là... en train de se pendre!...
GUADALENA
vivement
Ah! ce n'est pas notre faute, seigneur... Nous lui avons offert...
PANATELLAS
Bien! bien!...
A Piquillo
Un mot seulement... es-tu marié?
PIQUILLO
encore étourdi
Hé?...
PANATELLAS
Es-tu marié?
PIQUILLO
Non.
PANATELLAS
aux trois cousines
Emmenez-le chez vous, alors, et faites-le revenir à lui... donnez-lui à boire... j'irai lui parler tout à l'heure.
Berginella et Guadalena font lever Piquillo et le soutiennent.
PIQUILLO
emmené, ou, pour mieux dire, emporté par Guadalena et Berginella
Qui est-ce qui a donné un coup de pied dans l'escabeau?... ça n'est pas moi!... ça n'est pas moi!...
Il entre dans le cabaret avec Guadalena et Berginella. – Mastrilla remet le tabouret à sa place; Don Andrès sort de sa petite maison.
Scène XIII
Mastrilla, Panatellas, Don Andrès, puis Don Pedro, ensuite Guadalena, et enfin Berginella.
DON ANDRÈS
vivement à Mastrilla
Du malaga!... Vite, la fille, apportez-nous du malaga!
MASTRILLA
riant
Oui, monsieur le docteur.
Elle entre dans le cabaret
DON ANDRÈS
à Panatellas
Eh bien! comte, avez vous trouvé?...
PANATELLAS
Mais, oui, j'espère...
DON ANDRÈS
Ah! mon ami!... cette femme, c'est un ange!... Une réserve, une distinction... et un appétit!... Par exemple, quand je lui ai proposé de la marier, elle a refusé tout net... Mais j'espère la décider avec deux ou trois verres du malaga.
PANATELLAS
Je ne perds pas de temps, alors, et je vais, moi, tâcher de décider mon homme.
DON ANDRÈS
En même temps, je vous en prie, dites donc à cette fille de se dépêcher avec ce malaga...
Panatellas entre dans le cabaret. -- Don Pedro sort brusquement de la maison du fond.
DON PEDRO
criant
Du porto!... tout de suite, du porto!...
DON ANDRÈS
allant à lui
Eh bien! monsieur le gouverneur, ce notaire?...
DON PEDRO
J'ai eu du bonheur, Altesse... Celui qui demeure là était chez lui... et je l'ai trouvé en train de jouer une petite partie avec un de ses collègues.
DON ANDRÈS
Quel heureux hasard!
DON PEDRO
Je leur ai proposé l'affaire... mais ils font un tas d'objections... Ils disent que c'est aujourd'hui jour de fête et qu'alors... Avec du porto j'en viendrai à bout.
Mastrilla sort du cabaret avec le malaga.
MASTRILLA
Le malaga demandé!...
DON PEDRO
Je vous en prie, la belle, ayez la honté de me faire donner du porto, à moi.
MASTRILLA
Tout de suite, monsieur.
Criant à la porte du cabaret
Du porto pour monsieur le gouverneur!
GUADALENA
dans l'intérieur du cabaret
Voilà! voilà!
DON ANDRÈS
à Mastrilla
Maintenant, venez vite.
Il traverse la scène et entre dans sa petite maison avec Mastrilla portant le malaga. – Panatellas sort du cabaret.
PANATELLAS
Pas moyen de se faire servir dans cette maison!
DON PEDRO
A qui en avez-vous, Miguel?
PANATELLAS
S'il est Dieu possible d'imaginer des choses pareilles!... Un homme qui ne demandait pas mieux que de se pendre!... je lui propose de se marier, et il fait des façons... Heureusement, avec du madère... Mastrilla sort de la maison de Don Andrès. Mademoiselle, je vous en prie, envoyez-moi du madère...
MASTRILLA
Oui, monsieur.
Elle rentre dans le cabaret. – Guadalena en sort, apportant du porto.
GUADALENA
Pour où ça, le porto?... pour où ça?
DON PEDRO
Pour ici, mademoiselle, pour ici.
Il entre avec Guadalena dans la maison du fond.
PANATELLAS
criant, à la porte du cabaret
Tout ce que vous avez de plus fort comme madère, n'est-ce pas?... tout ce que vous avez de plus fort!
Don Andrès sort de sa maison.
DON ANDRÈS
Du xérès, je vous prie... je ne serais pas fâché d'avoir un peu de xérès...
PANATELLAS
Eh bien, Altesse?
DON ANDRÈS
un peu ému
Eh bien! ça va, mon ami... ça va très bien!... pourtant elle a encore des scrupules... des tout petits... Aussi, avec quelque biscuits trempés dans du xérès...
Guadalena sort de la maison du fond.
Mademoiselle, je vous en prie, du xérès...
GUADALENA
Tout de suite, monsieur.
Elle rentre dans le cabaret, Don Andrès repasse à droite.
DON ANDRÈS
à Panatellas
Vous savez, si ça peut vous aider à décider votre homme, annoncez-lui qu'en se mariant il devient marquis du Mançanarez, comte de Tabago.
PANATELLAS
Je n'y manquerai pas, Altesse.
DON ANDRÈS
Annoncez-lui ça... Si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal.
MASTRILLA
sortant du cabaret avec le madère
Voici le madère...
GUADALENA
de même, avec le xérès
Voici le xérès!
PANATELLAS
allant à Mastrilla
Par ici, le madère!
DON ANDRÈS
Par ici, le xérès!
Don Andrès entre dans sa petite maison avec Guadalena, et Panatellas rentre dans le cabaret avec Mastrilla. – Don Pedro, un peu gris, sort de la maison du fond.
DON PEDRO
De l'alicante, maintenant! il paraît que le collègue aime mieux l'alicante...
BERGINELLA
paraissant sur la porte du cabaret
Monsieur veut?...
DON PEDRO
De l'alicante, la belle enfant!...
BERGINELLA
Tout de suite, monsieur.
Elle rentre.
DON PEDRO
Ça ne va pas du tout, là dedans...
A Guadalena qui sort de chez don Andrès
Figurez-vous, cousine, que ça ne va pas du tout... Ils boivent tout ce qu'on veut, mais, quant à consentir à ce que je leur demande... va te promener!
Il prend la taille de Guadalena, qui lui échappe en riant et rentre dans le cabaret au moment où Berginella en sort, tenant une bouteille d'alicante.
BERGINELLA
Alicante, monsieur!
DON PEDRO
Venez alors, venez vite.
Il entre dans la maison du fond avec Berginella. – En même temps, Don Andrès et Panatellas paraissent, l'un à droite, l'autre à gauche, assez gris tous les deux.
DON ANDRÈS
sortant de sa maison
Eh bien, mon ami?
PANATELLAS
sortant du cabaret
Eh bien, Altesse?
DON ANDRÈS
avec joie
Elle consent, mon ami, elle consent!.. mais j'ai eu du mal!...
PANATELLAS
Moi aussi, j'ai eu du mal!... je ne le regrette pas, puisque j'ai réussi...
DON ANDRÈS
Votre homme est décidé?
PANATELLAS
Tout à fait décidé... Seulement, pour venir à bout des scrupules de ce drôle, il a fallu livrer une si belle bataille que je le déclare incapable de faire dix pas.
DON ANDRÈS
N'est-ce que cela?... Le mariage aura lieu ici.
PANATELLAS
Ici?
DON ANDRÈS
Ici même.
A Berginella, qui sort de la maison du fond
Annoncez cela à vos amis et connaissances, mademoiselle la cabaretière, et dites-leur que, si ça les amuse de voir un mariage, un mariage pour de bon, il n'ont qu'à venir ici tout à l'heure.
BERGINELLA
Je vais le leur dire, monsieur le docteur!
Elle va au fond, fait des signes comme pour appeler, puis rentre au cabaret. Don Pedro sort de la maison du fond, un peu plus gris que précédemment, très gai.
DON ANDRÈS
Eh bien, ces notaires?...
Don Pedro se contente de sourire et d'incliner la tête, pour faire comprendre qu'ils ont consenti enfin. Tout en souriant, il s'approche de Panatellas et lui donne une tape sur le ventre. – Don Andrès est rentré dans sa maison.
PANATELLAS
Eh bien, monsieur!...
DON PEDRO
Pardonne-moi Miguel, j'en mourais d'envie!
SCÈNE XIV
Don Pedro, Panatellas, Foule de Péruviens et d'Indiens arrivant de tous les côtés, les Trois Cousines, sortant de leur cabaret, puis les Deux Notaires, puis Don Andrès, puis La Périchole, et enfin Piquillo.
Finale
CHŒUR
Holà! he!... holà! de là-bas,
Venez vite... pressez le pas.
On dit que, pour nous amuser,
Deux personnes vont s'épouser,
Et qu'à leur santé l'on boira,
Sans avoir à payer pour ça.
Holà! de là-bas, venez tous
Boire à la santé des époux!
Don Pedro va chercher les deux notaires, qui paraissent à la porte de la maison du fond, suivis de leurs clercs.
GUADALENA
Voici les notaires!... paix là!
Les deux notaires, les voilà!
BERGINELLA
Accompagnés de leurs deux clercs.
MASTRILLA
riant
Ah! comme ils marchent de travers!
LES TROIS COUSINES
riant
Ah! comme ils marchent de travers!
LE CHŒUR
de même
Ah! comme ils marchent de travers!
Les deux notaires sont entrés, donnant chacun le bras à don Pedro. -- Pendant que l'on chante: «Ah! comme ils marchent de travers, etc.,» ils décrivent et font décrire à don Pedro une marche en zigzag. Les trois cousines passent à gauche.
LES DEUX NOTAIRES
à Don Pedro
Tenez-nous bien par le bras,
Et ne nous remuez pas!
PREMIER NOTAIRE
Le xérès était fort vieux.
DEUXIÈME NOTAIRE
Le malaga valait mieux.
PREMIER NOTAIRE
Que dites-vous du madère?
DEUXIÈME NOTAIRE
Un rude vin, mon confrère!
PREMIER NOTAIRE
L'alicante était fort sec.
DEUXIÈME NOTAIRE
J'ai pris des biscuits avec.
PREMIER NOTAIRE
Et le porto! quel régal!
DEUXIÈME NOTAIRE
Oui, mais il me fait du mal.
LES NOTAIRES
à Don Pedro
Tenez-nous bien par le bras,
Et ne nous remuez pas!
DON PEDRO
les lâchant
Allons, messieurs, quittez mes bras,
Et prenez les bras de vos clercs!
Les clercs viennent prendre leur patrons.
LES TROIS COUSINES
pendant que les notaires, appuyés sur leurs clercs, remontent la scène
Ah! comme ils marchent de travers!
LE CHŒUR
Ah! comme ils marchent de travers!
DON ANDRÈS
sortant de sa maison, à don Pedro
Eh bien, tout est-il prêt?
DON PEDRO
Il ne manque plus rien.
DON ANDRÈS
allant prendre la Périchole, qui sort de sa maison, recouverte d'un long voile avec couronne et bouquet de fleurs d'oranger
Voici la fiancée!
LE CHŒUR
Voici la fiancée!
DON ANDRÈS
Elle est un peu lancée,
Mais ça lui va fort bien.
La Périchole paraît, en effet, un peu lancée.
LA PÉRICHOLE
I
Ah! quel diner je viens de faire!
Et quel vin extraordinaire!
J'en ai tant bu... mais tant et tant,
Que je crois bien que maintenant
Je suis un peu grise...
Mais chut!
Faut pas qu'on le dise!
Chut!
Pendant la ritournelle, elle chancelle un peu et passe à la droite de Don Andrès; les trois cousines descendent à droite et Panatellas va rejoindre Don Pedro à gauche.
II
Si ma parole est un peu vague,
Si tout en marchant je zigzague,
Et si mon oeil est égrillard,
Il ne faut s'en étonner, car...
Je suis un peu grise...
Mais chut!
Faut pas qu'on le dise!
Chut!
DON ANDRÈS
C'est un ange, messieurs!
LA PÉRICHOLE
à Don Andrès
Dites-moi, je vous prie,
Ce qu'il faut que je fasse?...
DON ANDRÈS
Enfant, je vous marie.
LA PÉRICHOLE
Moi! jamais de la vie!
DON ANDRÈS et PANATELLAS
Vous vouliez tout à l'heure...
LA PÉRICHOLE
Oui, lorsque j'avais faim!
J'ai diné, maintenant, seigneur, c'est autre chose.
DON ANDRÈS
A votre souverain
Vous osez résister!
LA PÉRICHOLE
Je l'ose!...
Elle passe à droite. Les cousines remontent.
PANATELLAS
bas, à Don Andrès
Nous la déciderons.
DON ANDRÈS
à Panatellas
Exhibons le mari.
Il s'approche de la Périchole
DON PEDRO
regardant à gauche
Le voici! le voici!
Paraît Piquillo sortant du cabaret, absolument gris. La Périchole le reconnaît. Lui est hors d'état de reconnaître personne et de rien comprendre à ce qui se passe.
CHŒUR
à demi-voix
Ah! les autres étaient bien gris,
Mais il l'est tant, celui-là gris,
Qu'à lui tout seul il est plus gris
Que tous les autres n'étaient gris!
Panatellas passe à la droite de Piquillo.
LA PÉRICHOLE
à part
C'est lui!... c'est Piquillo!...
DON ANDRÈS
Vous dites, chère enfant?
LA PÉRICHOLE
Ne soyez plus fâché... je consens maintenant.
PIQUILLO
Messieurs, je vous salue et d'abord je dirai...
Je ne sais pas pourquoi... mais je suis assez gai...
Pour avoir bien bu, j'ai bien bu...
Faut maintenant payer mon dû,
Faut se marier, et, ma foi,
Ne sais à qui, ne sais à quoi!
Mais où diable est ma femme?
LES TROIS COUSINES
montrant la Périchole
Elle est là-bas, au bout.
PANATELLAS
à Piquillo
Ne la voyez-vous pas?
Don Andrès fait avancer la Périchole. Les trois cousines descendent à droite.
PIQUILLO
Je ne vois rien du tout.
Panatellas pousse Piquillo vers la Périchole.
Êtes-vous là?
LA PÉRICHOLE
ramenant son voile sur sa figure
J'y suis.
PIQUILLO
à la Périchole
Pourrais-je vous prier
D'écouter quelques mots dits en particulier?
Il amène la Périchole sur le devant de la scène.
Je dois vous prévenir, madame,
En bon époux,
Que j'aime fort une autre femme,
Pas du tout vous!...
N'ayant pour vous, soyez-en sûre,
Rien dans le coeur,
Je vous tromperai, je vous jure,
Avec bonheur!
LA PÉRICHOLE
Comme vous ferez, je ferai...
Si vous me trompez, je vous le rendrai.
PIQUILLO
Me tromper, vous!...
LA PÉRICHOLE
Vous verrez ça.
ENSEMBLE
Allon-y qui vivra verra!
DON ANDRÈS
Mon Dieu!... que de cérémonie!...
Qu'on se hâte et qu'on les marie!
CHŒUR
Qu'on se hâte, et qu'on les marie!
Les deux clercs placent une table au milieu de la scène.
LA PÉRICHOLE
à Piquillo
Donnez-moi la main, cher seigneur!
PIQUILLO
lui donnant la main
Je vous la donne, et de grand coeur.
LA PÉRICHOLE
Voue me paraissez un peu gris.
PIQUILLO
Ma belle, c'est que je le suis.
LA PÉRICHOLE et PIQUILLO
Nous aurons tous deux, sur l'honneur,
Un adorable intérieur.
DON ANDRÈS
à part
Elle est à lui, de par le loi:
Par conséquent, elle est à moi!
PANATELLAS
à part
Encourageons sa passion,
Pour sauver ma position.
DON PEDRO
à part
Ah! puisse cet événement
Me valoir de l'avancement!
LES NOTAIRES
Marions-les vite: après ça,
Il est probable qu'on boira.
LES TROIS COUSINES
Mariez-les vite: après ça,
Nous vous promettons qu'on boira.
CHŒUR
Le beau mariage
Que nous voyons là!
Le joli ménage
Que cela fera!
Que la vie est belle,
Quand le vin est bon!
J'ai dans la cervelle
Des airs de chanson!
Sur la ritournelle, les deux notaires se placent derrière la table. Don Andrès y conduit la Périchole, et Panatellas y pousse Piquillo. Cela se fait avec quelque difficulté, vu l'état des époux.
PREMIER NOTAIRE
à Piquillo
Répondez-nous... vous, le mari...
Vous prenez madame
Pour femme?
PIQUILLO
Oui, oui, oui, oui!
CHŒUR d'HOMMES
Oui, oui, oui, oui!
DEUXIÈME NOTAIRE
à la Périchole
Répondez-nous, aussi, madame:
Vous prenez monsieur pour mari?
LA PÉRICHOLE
Oui, oui, oui, oui!
CHŒUR de FEMMES
Oui, oui, oui, oui!
On quitte la table que les clercs enlèvent.
LES NOTAIRES
avec une grande gaieté
C'est fini, mes petits amis,
Au nom de la loi, vous êtes unis!
CHŒUR
Au nom de la loi, vous êtes unis!
Les notaires descendent à gauche.
CHŒUR
Le beau mariage
Que nous voyons là!
Le joli ménage
Que cela fera!
Que la vie est belle,
Quand le vin est bon!
J'ai dans la cervelle
Des airs de chanson!
LA PÉRICHOLE
à Piquillo
Donnez-moi la main, cher seigneur.
PIQUILLO
Je vous la donne de bon coeur!
LA PÉRICHOLE
Vous me paraissez un peu gris.
PIQUILLO
Ma belle, c'est que je le suis.
CHŒUR
Gai! gai! mariez-vous!
Vivent les deux époux!
DON ANDRÈS
venant au milieu avec Panatellas, bas
Et maintenant, séparez-les,
Et qu'on les conduise au palais!
PANATELLAS
bas
Séparément?
DON ANDRÈS
bas
Certainement.
Don Andrès retourne à la gauche de la Périchole et Panatellas à la gauche de Piquillo.
CHŒUR
Il se fait tard, la nuit est noire;
Qu'on les reconduise chez eux!
Allon, partez... Tout porte à croire
Que vous serez heureux tous deux!
Entrent alors, de droite et de gauche, deux riches palanquins portés chacun par quatre hommes. Don Andrès fait monter la Périchole sur celui de gauche, et Piquillo est poussé par Panatellas sur celui de droite. Puis les porteurs enlèvent les palanquins sur leurs épaules.
PIQUILLO
reprenant à tue-tête le motif de la Jeune Indienne
Un an plus tard, gage de leur tendresse,
Un jeune enfant dort sous un parasol.
LA PÉRICHOLE
Et ses parents chantent avec ivresse:
«Il grandira, car il est Espagnol!»
TOUS LES DEUX
«Il grandira, car il est Espagnol!»
CHŒUR GÉNÉRAL
«Il grandira, car il est Espagnol!»
Les deux palanquins prennent des directions absolument contraires.