ACTE DEUXIÈME

Le théâtre représente l'intérieur du temple de Vesta, de forme circulaire. Les murailles sont décorées delames de feu. Le feu sacré brûle sur un vaste autel de marbre, au centre du sanctuaire. La vestale de garde a un siège ménagé dans le massif de l'autel, auquel on arrive par des gradins circulaires. Une porte de bronze occupe le fond de la scène; d'autres portes plus petites conduisent au logement particulier des vestales, et dans les autres parties du temple. Le palladium est placé sur un socle derrière l'autel.

SCÈNE PREMIÈRE
Julia, La Grande Vestale; Les Vestales.

Hymne du Soir

VESTALES
autour de l'autel
Feu créateur, ame du monde,
De la vie emblème immortel,
Que ta flamme active et féconde
Brille à jamais sur cet autel.

LA GRANDE VESTALE
en remettant à Julia la verge d'or qui sert à attiser le feu
Du plus auguste ministère,
Le signe révéré que je mets en vos mains,
Cette nuit, Julia, vous rend dépositaire
De la faveur des Dieux et du sort des Romains.
Cette heure auguste et solennelle
Vous met en présence des dieux;
Songez qu'ils puniront un soupir infidèle,
Et que ces voûtes ont des yeux.

LES VESTALES
en sortant
Feu créateur, âme du monde, etc.

SCÈNE II
Julia seule, dans l'attitude du plus profond accablement; elle s'agenouille sur les marches de l'autel, où elle reste un instant prosternée.

Air

JULIA
Toi que j'implore avec effroi,
Redoutable déesse,
Que ta malheureuse prêtresse
Obtienne grace devant toi.
Tu vois mes mortelles alarmes,
Mon trouble, mes combats, mes remords, ma douleur,
Laisse-toi fléchir par mes larmes,
Etouffe ma funeste ardeur.

Elle se lève, monte sur l'autel, et attise le feu.

Sur cet autel sacré, que ma priere assiege,
Je porte en frémissant une main sacrilege.
Mon aspect odieux
Fait pâlir la flamme immortelle:
Vesta ne reçoit point mes vœux,
Et je sens que son bras me repousse loin d'elle.

Elle parcourt la scene d'un pas égaré.

Eh bien! fils de Vénus, tu le veux, je me rends!
Où vais-je? ô ciel! quel délire
S'est emparé de mes sens! ...
Un pouvoir invincible à ma perte conspire;
Il m'entraîne, il me presse .... Arrête, il en est temps;
La mort est sous tes pas, la foudre sur ta tête ....

Avec délire

Licinius est là, je pourrais le revoir,
L'entendre, lui parler; et la crainte m'arrête! ....
Non, je n'hésite plus; l'amour, le désespoir
Prononcent mon arrêt.

Air

Suspendez la vengeance,
Impitoyables dieux!
Que le bienfait de sa présence
Enchante un seul moment ces lieux,
Et Julia, soumise à votre loi sévère,
Abandonne à votre colere
Le reste infortuné de ses jours odieux.
Le sort en est jeté, ma carriere est remplie:
Viens, mortel adoré, je te donne ma vie.

Elle ouvre la porte du temple, et va s'appuyer contre l'autel.

SCÈNE III
Julia, Licinius.

LICINIUS
au fond
Julia!

JULIA
C'est sa voix.

LICINIUS
Julia!

JULIA
L'autel tremble!

LICINIUS
Enfin je te revois!

JULIA
Dans quel temps! dans quels lieux!

LICINIUS
Le dieu qui nous rassemble
Veille autour de ces murs, et prend soin de tes jours.

JULIA
Je ne crains que pour toi.

LICINIUS
Des dangers que tu cours
J'ai repoussé l'image.
Par ce terrible effort, juge de mon courage.

JULIA
Licinius ....

LICINIUS
s'approchant
Reçois le serment que je fais;
Je vivrai pour t'aimer, te servir, te défendre.

JULIA
Au bonheur d'un instant je puis du moins prétendre.

LICINIUS
N'est-il donc point d'asile au milieu des forêts,
Sous un ciel étranger, dans quelque antre sauvage?
Dis un mot, un seul mot; d'un affreux esclavage
Je puis t'affranchir.

JULIA
Non, jamais.
Dispose de mes jours, je te les sacrifie:
Je dois compte des tiens aux dieux, à la patrie;
Et, parmi les périls qu'il m'est doux de braver,
Ta gloire est tout pour moi, je la veux conserver.

LICINIUS

Air

Les dieux prendront pitié du sort qui nous accable;
Ils ont jeté sur nous un regard favorable.
Fille du ciel, idole de mon cœur,
Sois à jamais l'arbitre de ma vie;
Un seul de tes regards est pour moi le bonheur;
Va, c'est aux immortels à nous porter envie:
Que puis-je desirer auprès de Julia?

JULIA
Auprès de celle qui t'adore,
Qui frémit de t'aimer en le jurant encore ....

LICINIUS
Vénus un jour nous unira;
C'est elle que mon cœur atteste.

JULIA
regardant l'autel
Eloigne-toi de cet autel funeste,
Le feu pâlit.

Julia monte sur l'autel, attise le feu. Licinius se retire avec frayeur dans le fond.

LICINIUS
Chaste divinité,
Dissipe un sinistre présage.
Tout mon crime, Vesta, c'est d'aimer ton image,
Et nos feux ont des tiens toute la pureté.

LICINIUS, JULIA
L'amour qui brûle dans notre âme
Ne saurait être criminel;
Nous avons épuré sa flamme
En l'allumant sur ton autel.

JULIA
La fille de Saturne entend notre priere:
De l'autel embrasé l'éclatante lumiere
Signale autour de nous la céleste faveur.

LICINIUS
Ah! je ne doutais pas d'un pouvoir que j'adore.
Quel dieu, quand Julia l'implore,
Pourrait, en l'écoutant, conserver sa rigueur!

JULIA
descend de l'autel, et s'approche de Licinius
Au bonheur je viens de renaître;
Du passé je n'ai plus qu'un faible souvenir,
Un nuage à mes yeux s'étend sur l'avenir,
Et l'instant où je suis réunit tout mon être.
Quel trouble!

Duo

LICINIUS
Quels transports!

JULIA
Je suis auprès de toi.

LICINIUS
De tes regards mon cœur s'enivre;
Sur cet autel sacré viens recevoir ma foi.

JULIA
A l'amour mon ame se livre;
Sur cet autel sacré viens recevoir ma foi

LICINIUS, JULIA
Dans l'ivresse du bien suprême,
J'oublie et la terre et les dieux.
O douce moitié de moi-même!
Le ciel est pour moi dans tes yeux.

LICINIUS
A l'amour mon ame se livre;
L'univers n'est plus rien pour moi.

JULIA
C'est pour toi seul que je veux vivre.

LICINIUS
Pour toi Licinius veut vivre.

JULIA ET LICINIUS
Sur cet autel sacré viens recevoir ma foi.

Au moment où les deux amants vont pour monter à l'autel, le feu, qui s'est affaibli par degré, s'éteint tout-à-coup, et le théâtre n'est plus éclairé que de la faible clarté qu'on peut supposer venir du dehors.

JULIA
Quelle nuit!

LICINIUS
Justes dieux!

JULIA
sur l'autel
Ma perte est assuré:
Plus d'espoir, j'ai vécu; la flamme est expirée.

LICINIUS
Que dis-tu?

JULIA
C'en est fait.

LICINIUS
Tu me glaces d'effroi.

SCÈNE IV
Les Mêmes, Cinna.

CINNA
se précipitant dans le temple.
Licinius!

JULIA
Quelle voix! ....

CINNA
Le temps presse:
Vers la premiere enceinte on entend quelque bruit;
Nous pouvons échapper dans l'ombre de la nuit;
Profitons des moments que le destin nous laisse.

LICINIUS
à Cinna
Regarde cet autel; le feu céleste est mort,
Et tu veux que je l'abandonne!

JULIA
Ta présence en ces murs, loin de changer mon sort,
Des horreurs du trépas sans espoir m'environne.

LICINIUS
à Julia, d'un ton égaré
Eh bien! suis-moi .... sortons.

CINNA
l'arrêtant
Que dis-tu, malheureux?
Tu vas creuser sa tombe.

LICINIUS
O désespoir affreux!
Julia!

CINNA
Quel délire!

Trio

JULIA
Ah! si je te suis chere,
Prends pitié de tes jours:
A ses maux étrangere,
Mon âme est tout entiere
Aux dangers que tu cours.
Au nom du saint nœud qui nous lie,
Quitte ces tristes lieux;
En t'éloignant, sauve ma vie.

LICINIUS
Dans ce temple odieux,
Je laisserais toujours ma vie.

CINNA
De ces funestes lieux
Eloignons-nous, je t'en supplie.
Viens.

Il le saisit.

LICINIUS
Moi, que je la quitte!

JULIA
Il le faut.

LICINIUS
Je ne puis.

CINNA
Un seul moment encore, elle meurt ....

LICINIUS
avec fureur, à Cinna
Je te suis.
Je n'en crois plus que mon audace.
à Julia
Mon amour t'a perdue, il doit te protéger:
Quel que soit aujourd'hui le sort qui te menace,
Je saurai t'y soustraire ou bien le partager.

CINNA
écoutant.
Les cris du peuple se font entendre en dehors.
Des sons lointains se font entendre,
Hâtons-nous de sortir.

LICINIUS
Dieux immortels, quel parti prendre?

CINNA
Fuyons.

JULIA
Fuyez.

LICINIUS
Que vas-tu devenir?

JULIA
Au nom de l'amour le plus tendre!

JULIA, LICINIUS, CINNA
Des sons lointains se font entendre,
Sortons / Sortez pour la / me défendre.

LICINIUS
Je vais te sauver, ou mourir.

Ils sortent.

SCÈNE V

JULIA
seule
Il vivra .... D'un œil ferme
Je puis de mon destin envisager l'horreur;
Mes jours étaient comptés par la douleur,
Un instant de bonheur en a marqué le terme,
Ne les regrettons pas .... On vient. Quelles clameurs!
Licinius! Grands dieux! s'il étoit .... Je me meurs.

Elle tombe évanouie sur les marches de l'autel.

SCÈNE VI
Julia, Le Souverain Pontife, Prêtres, Vestales.

Les prêtres entrent par la porte à droite, les vestales par celle de gauche. Licinius est sorti par le fond.
Le théâtre s'éclaire.

CHOEUR DE PEUPLE
en dehors
Les dieux demandent vengeance:
Deux sacrileges mortels
Ont souillé les saints autels
De leur indigne présence.

LE PONTIFE
O crime! ô désespoir! ô comble des revers!
Le feu céleste éteint! .... la prêtresse expirante!
Les dieux, pour signaler leur colere éclatante,
Vont-ils dans le chaos replonger l'univers?

Des vestales s'empressent autour de Julia.

JULIA
Eh! quoi je vis encore?

UNE VESTALE
O fille infortunée!

LE PONTIFE
Du temple de Vesta l'enceinte est profanée
Les dieux et le peuple d'accord
Poursuivent le forfait, réclament la victime.
Est-ce à vous d'expier le crime?
Répondez, Julia.

JULIA
Qu'on me mene à la mort:
Je l'attends, je la veux; elle est mon espérance,
De mes longues douleurs l'affreuse récompense:
Le trépas m'affranchit de votre autorité,
Et mon supplice au moins sera ma liberté.
Prêtre de Jupiter, je confesse que j'aime.

LE PONTIFE
Sous ces portiques saints, quel horrible blasphème!
Ainsi, du temple auguste outrageant tous les droits,
A vos vœux infidele, à vos serments parjure,
Votre cœur a trahi la plus sainte des lois.

JULIA
Est-ce assez d'une loi pour vaincre la nature?

Final

CHOEUR DE PRÊTRES
Sa bouche a prononcé l'arrêt;
La mort est due à son forfait.

Air

JULIA
O des infortunés déesse tutélaire!
Latone, écoute ma priere;
Mon dernier vœu doit te fléchir:
Daigne, avant que j'y tombe,
Ecarter de ma tombe
Le mortel adoré pour qui je vais mourir.

LE PONTIFE
Nommez ce mortel téméraire
Qui, de Vesta sur vous attirant la colere,
Dans l'enceinte sacrée osa porter ses pas.
Quel est son nom?

JULIA
Vous ne le saurez pas.

LE PONTIFE
Interprète suprême
Du céleste courroux,
Ma voix lance sur vous
Le terrible anathême.

JULIA
Le temps finit pour moi, mes jours sont effacés;
De la mort sur mon front je sens les doigts glacés.

LE PONTIFE
De ces lieux prêtresse adultere,
Préparez-vous à sortir pour jamais:
Allez dans le sein de la terre,
Allez au jour dérober vos forfaits.
Aux vestales
De son front, que la honte accable,
Détachez ces bandeaux, ces voiles imposteurs,
Et livrez sa tête coupable
Aux mains sanglantes des licteurs.

On dépouille Julia de ses ornements de vestale, qu'on lui donne à baiser.

CHOEUR GÉNÉRAL
De son front que la honte accable
Détachons / Détachez ces bandeaux, ces voiles imposteurs,
Et livrons / livrez sa tête coupable
Aux mains sanglantes des licteurs.

Le grand Pontife jette un voile noir sur la tête de Julia, qui sort escortée des licteurs, par la porte du fond;
les vestales et les prêtres sortent par les portes latérales.
ACTE DEUXIÈME

Le théâtre représente l'intérieur du temple de Vesta, de forme circulaire. Les murailles sont décorées delames de feu. Le feu sacré brûle sur un vaste autel de marbre, au centre du sanctuaire. La vestale de garde a un siège ménagé dans le massif de l'autel, auquel on arrive par des gradins circulaires. Une porte de bronze occupe le fond de la scène; d'autres portes plus petites conduisent au logement particulier des vestales, et dans les autres parties du temple. Le palladium est placé sur un socle derrière l'autel.

SCÈNE PREMIÈRE
Julia, La Grande Vestale; Les Vestales.

Hymne du Soir

VESTALES
autour de l'autel
Feu créateur, ame du monde,
De la vie emblème immortel,
Que ta flamme active et féconde
Brille à jamais sur cet autel.

LA GRANDE VESTALE
en remettant à Julia la verge d'or qui sert à attiser le feu
Du plus auguste ministère,
Le signe révéré que je mets en vos mains,
Cette nuit, Julia, vous rend dépositaire
De la faveur des Dieux et du sort des Romains.
Cette heure auguste et solennelle
Vous met en présence des dieux;
Songez qu'ils puniront un soupir infidèle,
Et que ces voûtes ont des yeux.

LES VESTALES
en sortant
Feu créateur, âme du monde, etc.

SCÈNE II
Julia seule, dans l'attitude du plus profond accablement; elle s'agenouille sur les marches de l'autel, où elle reste un instant prosternée.

Air

JULIA
Toi que j'implore avec effroi,
Redoutable déesse,
Que ta malheureuse prêtresse
Obtienne grace devant toi.
Tu vois mes mortelles alarmes,
Mon trouble, mes combats, mes remords, ma douleur,
Laisse-toi fléchir par mes larmes,
Etouffe ma funeste ardeur.

Elle se lève, monte sur l'autel, et attise le feu.

Sur cet autel sacré, que ma priere assiege,
Je porte en frémissant une main sacrilege.
Mon aspect odieux
Fait pâlir la flamme immortelle:
Vesta ne reçoit point mes vœux,
Et je sens que son bras me repousse loin d'elle.

Elle parcourt la scene d'un pas égaré.

Eh bien! fils de Vénus, tu le veux, je me rends!
Où vais-je? ô ciel! quel délire
S'est emparé de mes sens! ...
Un pouvoir invincible à ma perte conspire;
Il m'entraîne, il me presse .... Arrête, il en est temps;
La mort est sous tes pas, la foudre sur ta tête ....

Avec délire

Licinius est là, je pourrais le revoir,
L'entendre, lui parler; et la crainte m'arrête! ....
Non, je n'hésite plus; l'amour, le désespoir
Prononcent mon arrêt.

Air

Suspendez la vengeance,
Impitoyables dieux!
Que le bienfait de sa présence
Enchante un seul moment ces lieux,
Et Julia, soumise à votre loi sévère,
Abandonne à votre colere
Le reste infortuné de ses jours odieux.
Le sort en est jeté, ma carriere est remplie:
Viens, mortel adoré, je te donne ma vie.

Elle ouvre la porte du temple, et va s'appuyer contre l'autel.

SCÈNE III
Julia, Licinius.

LICINIUS
au fond
Julia!

JULIA
C'est sa voix.

LICINIUS
Julia!

JULIA
L'autel tremble!

LICINIUS
Enfin je te revois!

JULIA
Dans quel temps! dans quels lieux!

LICINIUS
Le dieu qui nous rassemble
Veille autour de ces murs, et prend soin de tes jours.

JULIA
Je ne crains que pour toi.

LICINIUS
Des dangers que tu cours
J'ai repoussé l'image.
Par ce terrible effort, juge de mon courage.

JULIA
Licinius ....

LICINIUS
s'approchant
Reçois le serment que je fais;
Je vivrai pour t'aimer, te servir, te défendre.

JULIA
Au bonheur d'un instant je puis du moins prétendre.

LICINIUS
N'est-il donc point d'asile au milieu des forêts,
Sous un ciel étranger, dans quelque antre sauvage?
Dis un mot, un seul mot; d'un affreux esclavage
Je puis t'affranchir.

JULIA
Non, jamais.
Dispose de mes jours, je te les sacrifie:
Je dois compte des tiens aux dieux, à la patrie;
Et, parmi les périls qu'il m'est doux de braver,
Ta gloire est tout pour moi, je la veux conserver.

LICINIUS

Air

Les dieux prendront pitié du sort qui nous accable;
Ils ont jeté sur nous un regard favorable.
Fille du ciel, idole de mon cœur,
Sois à jamais l'arbitre de ma vie;
Un seul de tes regards est pour moi le bonheur;
Va, c'est aux immortels à nous porter envie:
Que puis-je desirer auprès de Julia?

JULIA
Auprès de celle qui t'adore,
Qui frémit de t'aimer en le jurant encore ....

LICINIUS
Vénus un jour nous unira;
C'est elle que mon cœur atteste.

JULIA
regardant l'autel
Eloigne-toi de cet autel funeste,
Le feu pâlit.

Julia monte sur l'autel, attise le feu. Licinius se retire avec frayeur dans le fond.

LICINIUS
Chaste divinité,
Dissipe un sinistre présage.
Tout mon crime, Vesta, c'est d'aimer ton image,
Et nos feux ont des tiens toute la pureté.

LICINIUS, JULIA
L'amour qui brûle dans notre âme
Ne saurait être criminel;
Nous avons épuré sa flamme
En l'allumant sur ton autel.

JULIA
La fille de Saturne entend notre priere:
De l'autel embrasé l'éclatante lumiere
Signale autour de nous la céleste faveur.

LICINIUS
Ah! je ne doutais pas d'un pouvoir que j'adore.
Quel dieu, quand Julia l'implore,
Pourrait, en l'écoutant, conserver sa rigueur!

JULIA
descend de l'autel, et s'approche de Licinius
Au bonheur je viens de renaître;
Du passé je n'ai plus qu'un faible souvenir,
Un nuage à mes yeux s'étend sur l'avenir,
Et l'instant où je suis réunit tout mon être.
Quel trouble!

Duo

LICINIUS
Quels transports!

JULIA
Je suis auprès de toi.

LICINIUS
De tes regards mon cœur s'enivre;
Sur cet autel sacré viens recevoir ma foi.

JULIA
A l'amour mon ame se livre;
Sur cet autel sacré viens recevoir ma foi

LICINIUS, JULIA
Dans l'ivresse du bien suprême,
J'oublie et la terre et les dieux.
O douce moitié de moi-même!
Le ciel est pour moi dans tes yeux.

LICINIUS
A l'amour mon ame se livre;
L'univers n'est plus rien pour moi.

JULIA
C'est pour toi seul que je veux vivre.

LICINIUS
Pour toi Licinius veut vivre.

JULIA ET LICINIUS
Sur cet autel sacré viens recevoir ma foi.

Au moment où les deux amants vont pour monter à l'autel, le feu, qui s'est affaibli par degré, s'éteint tout-à-coup, et le théâtre n'est plus éclairé que de la faible clarté qu'on peut supposer venir du dehors.

JULIA
Quelle nuit!

LICINIUS
Justes dieux!

JULIA
sur l'autel
Ma perte est assuré:
Plus d'espoir, j'ai vécu; la flamme est expirée.

LICINIUS
Que dis-tu?

JULIA
C'en est fait.

LICINIUS
Tu me glaces d'effroi.

SCÈNE IV
Les Mêmes, Cinna.

CINNA
se précipitant dans le temple.
Licinius!

JULIA
Quelle voix! ....

CINNA
Le temps presse:
Vers la premiere enceinte on entend quelque bruit;
Nous pouvons échapper dans l'ombre de la nuit;
Profitons des moments que le destin nous laisse.

LICINIUS
à Cinna
Regarde cet autel; le feu céleste est mort,
Et tu veux que je l'abandonne!

JULIA
Ta présence en ces murs, loin de changer mon sort,
Des horreurs du trépas sans espoir m'environne.

LICINIUS
à Julia, d'un ton égaré
Eh bien! suis-moi .... sortons.

CINNA
l'arrêtant
Que dis-tu, malheureux?
Tu vas creuser sa tombe.

LICINIUS
O désespoir affreux!
Julia!

CINNA
Quel délire!

Trio

JULIA
Ah! si je te suis chere,
Prends pitié de tes jours:
A ses maux étrangere,
Mon âme est tout entiere
Aux dangers que tu cours.
Au nom du saint nœud qui nous lie,
Quitte ces tristes lieux;
En t'éloignant, sauve ma vie.

LICINIUS
Dans ce temple odieux,
Je laisserais toujours ma vie.

CINNA
De ces funestes lieux
Eloignons-nous, je t'en supplie.
Viens.

Il le saisit.

LICINIUS
Moi, que je la quitte!

JULIA
Il le faut.

LICINIUS
Je ne puis.

CINNA
Un seul moment encore, elle meurt ....

LICINIUS
avec fureur, à Cinna
Je te suis.
Je n'en crois plus que mon audace.
à Julia
Mon amour t'a perdue, il doit te protéger:
Quel que soit aujourd'hui le sort qui te menace,
Je saurai t'y soustraire ou bien le partager.

CINNA
écoutant.
Les cris du peuple se font entendre en dehors.
Des sons lointains se font entendre,
Hâtons-nous de sortir.

LICINIUS
Dieux immortels, quel parti prendre?

CINNA
Fuyons.

JULIA
Fuyez.

LICINIUS
Que vas-tu devenir?

JULIA
Au nom de l'amour le plus tendre!

JULIA, LICINIUS, CINNA
Des sons lointains se font entendre,
Sortons / Sortez pour la / me défendre.

LICINIUS
Je vais te sauver, ou mourir.

Ils sortent.

SCÈNE V

JULIA
seule
Il vivra .... D'un œil ferme
Je puis de mon destin envisager l'horreur;
Mes jours étaient comptés par la douleur,
Un instant de bonheur en a marqué le terme,
Ne les regrettons pas .... On vient. Quelles clameurs!
Licinius! Grands dieux! s'il étoit .... Je me meurs.

Elle tombe évanouie sur les marches de l'autel.

SCÈNE VI
Julia, Le Souverain Pontife, Prêtres, Vestales.

Les prêtres entrent par la porte à droite, les vestales par celle de gauche. Licinius est sorti par le fond.
Le théâtre s'éclaire.

CHOEUR DE PEUPLE
en dehors
Les dieux demandent vengeance:
Deux sacrileges mortels
Ont souillé les saints autels
De leur indigne présence.

LE PONTIFE
O crime! ô désespoir! ô comble des revers!
Le feu céleste éteint! .... la prêtresse expirante!
Les dieux, pour signaler leur colere éclatante,
Vont-ils dans le chaos replonger l'univers?

Des vestales s'empressent autour de Julia.

JULIA
Eh! quoi je vis encore?

UNE VESTALE
O fille infortunée!

LE PONTIFE
Du temple de Vesta l'enceinte est profanée
Les dieux et le peuple d'accord
Poursuivent le forfait, réclament la victime.
Est-ce à vous d'expier le crime?
Répondez, Julia.

JULIA
Qu'on me mene à la mort:
Je l'attends, je la veux; elle est mon espérance,
De mes longues douleurs l'affreuse récompense:
Le trépas m'affranchit de votre autorité,
Et mon supplice au moins sera ma liberté.
Prêtre de Jupiter, je confesse que j'aime.

LE PONTIFE
Sous ces portiques saints, quel horrible blasphème!
Ainsi, du temple auguste outrageant tous les droits,
A vos vœux infidele, à vos serments parjure,
Votre cœur a trahi la plus sainte des lois.

JULIA
Est-ce assez d'une loi pour vaincre la nature?

Final

CHOEUR DE PRÊTRES
Sa bouche a prononcé l'arrêt;
La mort est due à son forfait.

Air

JULIA
O des infortunés déesse tutélaire!
Latone, écoute ma priere;
Mon dernier vœu doit te fléchir:
Daigne, avant que j'y tombe,
Ecarter de ma tombe
Le mortel adoré pour qui je vais mourir.

LE PONTIFE
Nommez ce mortel téméraire
Qui, de Vesta sur vous attirant la colere,
Dans l'enceinte sacrée osa porter ses pas.
Quel est son nom?

JULIA
Vous ne le saurez pas.

LE PONTIFE
Interprète suprême
Du céleste courroux,
Ma voix lance sur vous
Le terrible anathême.

JULIA
Le temps finit pour moi, mes jours sont effacés;
De la mort sur mon front je sens les doigts glacés.

LE PONTIFE
De ces lieux prêtresse adultere,
Préparez-vous à sortir pour jamais:
Allez dans le sein de la terre,
Allez au jour dérober vos forfaits.
Aux vestales
De son front, que la honte accable,
Détachez ces bandeaux, ces voiles imposteurs,
Et livrez sa tête coupable
Aux mains sanglantes des licteurs.

On dépouille Julia de ses ornements de vestale, qu'on lui donne à baiser.

CHOEUR GÉNÉRAL
De son front que la honte accable
Détachons / Détachez ces bandeaux, ces voiles imposteurs,
Et livrons / livrez sa tête coupable
Aux mains sanglantes des licteurs.

Le grand Pontife jette un voile noir sur la tête de Julia, qui sort escortée des licteurs, par la porte du fond;
les vestales et les prêtres sortent par les portes latérales.


最終更新:2013年11月30日 17:21