PROLOGUE
La Naissance de la Comédie
(Le Théâtre représente une vigne de Grèce: on voit plusieurs allées de grands arbres qui soutiennent des treilles: Entre les troncs de ces arbres et au pied des coteaux qui sont sur les côtés et dans le fond, des chariots pleins de raisins, de grandes cuves et des pressoirs d'où coule le vin dans des baignoires antiques. Thespis, inventeur de la Comédie, paraît sur le devant du théâtre, endormi sur un lit de gazon: plusieurs vendangeurs sont occupés dans le fond, à porter la vendange dans les cuves)
Scène Première
(Thespis, endormi, Choeurs et Troupes de Satyres, de Ménades, de Paysans vendangeurs, de leurs Femmes et de leurs Enfants qui entrent en dansant)
UN SATYRE
Le ciel répand ici sa plus douce influence,
Bacchus a comblé nos désirs.
Coulez, jus précieux, coulez en abondance,
Vous êtes l'âme des plaisirs.
CHOEUR
Coulez, jus précieux, coulez en abondance,
Vous êtes l'âme des plaisirs.
(On danse)
LE SATYRE
En vain l'affreux hiver s'avance,
L'Amour, par vos présents,
augmentant sa puissance,
Rend à nos coeurs
la saison des Zéphyrs,
Vous ranimez nos feux
et nos tendres désirs.
CHOEURS
Coulez, etc.
(On danse.)
LE SATYRE,
(apercevant Thespis endormi.)
Que vois-je? Est-ce Thespis?
Oui, c'est lui qui sommeille,
Ce doux jus sur ses yeux
fait l'effet des pavots:
Doit-il en ce grand jour se livrer au repos,
Lui qui chante si bien le grand dieu de la treille?
(Il s'approche de Thespis pour le réveiller.)
Ranimez vos sens assoupis,
Réveillez-vous, Chantez, agréable Thespis.
LE CHOEUR
Ranimez, etc
THESPIS
(en s'éveillant.)
Rendons grâce à Bacchus
du sommeil qu'il nous donne,
Qu'il est tranquille! qu'il est doux!
(Il se rendort.)
LE SATYRE, CHOEUR
(autour de Thespis.)
Thespis, chantez, réveillez-vous.
THESPIS
(fâché.)
Chantons, vous m'y forcez;
mais songez qu'en Automne,
Dans mes chansons, je n'épargne personne.
DEUX VENDANGEUSES
Joyeux Thespis, point de courroux.
THESPIS
Je sens qu'un doux transport
me saisit et m'inspire.
Charmant Bacchus, dieu de la liberté,
Père de la sincérité,
Au dépens des Mortels, tu nous permets de rire.
Mon coeur plein de la vérité,
Va se soulager à la dire:
Dussé-je être mal écouté.
Charmant Bacchus, etc.
(Il s'adresse aux Ménades.)
Ménades et jeunes et belles,
A vos amants êtes-vous bien fidèles?
On ne le crois pas parmi nous.
CHOEUR DE MENADES
Thespis, rendormez-vous.
THESPIS
(Il s'adresse aux Satyres.)
Dignes amants de ces jeunes coquettes,
Invincibles buveurs, tous trompés que voue êtes,
Vous n'aimez pas assez
pour en être jaloux.
CHOEUR DE SATYRES
Thespis, rendormez-vous.
THESPIS
(Il s'adresse à tous.)
Au milieu d'une orgie
où règne la licence,
Ménades, vos secrets sont mal en assurance,
On me les a dit presque tous.
SATYRES, MENADES
Thespis, rendormez-vous.
Scène Seconde
(Thalie, Momus, et les acteurs de la scène précédente)
THALIE
(à Thespis.)
Non, poursuivez, Thespis, livrez-vous à Thalie;
Pour exercer votre aimable folie,
Je remets mon masque entre vos mains.
(Elle donne à Thespis le masque qu'elle tient.)
A vos chants, à vos jeux,
rien ne peut faire obstacle.
Je viens avec Momus en former un spectacle,
Pour corriger les défauts des humains.
MOMUS
Aux seuls humains
bornez-vous la satire?
Vous pouvez jusqu'aux dieux, étendre son empire;
Je vous prêterai mon appui.
La raison dans l'Olympe est souvent hors d'usage.
Hé, qui pourrait résister à l'ennui
D'être immortel et toujours sage?
MOMUS, THALIE, THESPIS
Cherchons à railler en tous lieux,
Soumettons à nos ris et le ciel et la terre:
Livrons au ridicule une éternelle guerre,
N'épargnons ni mortels ni dieux.
MOMUS
Dans ces lieux, Jupiter lui-même
Descendu de sa gravité,
Par un risible stratagème
Guérit jadis d'une épouse qu'il aime,
La jalousie et la fierté.
Je veux avec Thespis en retracer l'histoire,
La Grèce en garde encore la célèbre mémoire.
Scène Troisième
(L'amour et les acteurs de la Scène précédente)
L'AMOUR
Qu'ose-t-on sans l'Amour
entreprendre ici-bas?
Quittez un projet téméraire.
Quels sont les jeux qui pourraient plaire
Que l'Amour n'animerait pas?
THALIE
Venez, Amour, guidez nos pas,
Soyez toujours notre dieu tutélaire.
L'AMOUR
Confondons nos jeux et nos ris.
Voulez-vous critiquer les feux que je fis naître?
Lorsque vous les aurez bien ou mal travestis,
Je me réserve après, d'en ordonner en maître:
Vous verrez qu'à la fin, chacun aura son prix
Quand l'Amour se fera connaître.
THESPIS
Momus, Amour, Dieu des raisins?
Divinités charmantes,
Par des leçons réjouissantes
Nous corrigerons les humains.
(Il s'adresse à tous les différents Choeurs et Troupes.)
Et vous, heureux témoins d'une union si belle,
Montrez, pour la servir ce que peut votre zèle.
CHOEUR
Formons un spectacle nouveau.
Les filles de mémoire
Publieront à jamais la gloire
Des auteurs d'un projet si beau.
Formons un spectacle nouveau.
Bacchus, c'est ta victoire,
Livrons-nous au plaisir de boire,
L'hypocrêne est sur ce côteau.
Formons un spectacle nouveau.
Les filles de mémoire
Publieront à jamais la gloire
Des auteurs d'un projet si beau.
Formons un spectacle nouveau.
(On danse.)
THESPIS
(alternativement avec le choeur.)
Chantons Bacchus,
Chantons Momus,
Chantons l'Amour et ses flammes,
Que tour à tour
Dans ce séjour,
Ces dieux remplissent nos âmes.
THESPIS
(Seul)
Sans le vin,
Sans son ivresse,
La tendresse n'est que chagrin.
(Alternativement avec le choeur).
Chantons Bacchus, etc.
THESPIS
(Seul)
C'est à Bacchus qu'on a recours,
Momus lui dût toujours
Son plus charmant délire.
(Alternativement avec le Choeur.)
Chantons Bacchus, etc.
(On danse à toutes les Reprises et à la fin de ce Choeur, tous se retirent en dansant.)
ACTE PREMIER
Balletde Platée
(Le théâtre qui reste le même pendant tout le Ballet, représente un lieu champêtre; sur les côtés, sont différents petits Bâtiments rustiques entremêlés d'arbres fort touffus; on voit dans le fond, le Mont Cithéron, sur le sommet duquel est un temple de Bacchus; au bas, est un grand Marais plein de roseaux, entouré de vieux saules. Le ciel paraît chargé de nuages; et de temps en temps l'on entend des coups de vent)
Scène Première
CITHERON
Dieux, qui tenez l'Univers, dans vos mains,
Voyez les éléments nous déclarer la guerre:
S'il est de coupables humains,
Punissez-les par le tonnerre,
Et rendez à la terre
Le calme et la douceur de ses premiers destins.
Mais je vois Mercure descendre!
Mais cris se sont-ils fait entendre?
(Mercure descend du ciel.)
Scène Seconde
(Cithéron, Mercure)
CITHERON
Mercure, expliquez-nous par quels malheurs
nouveaux le ciel nous fait sentir
sa vengeance ou sa haine?
Des Aquilons fougueux la dévorante haleine
Menace à chaque instant nos champs
et nos côteaux.
MERCURE
D'une cruelle jalousie
La Déesse des airs suit l'aveugle transport;
Pour calmer la fureur dont son âme est saisie,
On fait d'inutiles efforts;
Jupiter s'en impatiente,
Et je lui cherche un doux amusement.
CITHERON
Par quelque feinte ardeur,
quelque ruse innocente,
Ne peut-on guérir son Epouse aisément?
Si Junon paraît implacable,
Que d'un nouvel hymen
il feigne les apprêts,
Bientôt il cessera de paraître coupable:
Et bientôt leur amour reprendra ses attraits.
MERCURE
Ce projet est riant. Mercure vous proteste
D'en amuser la cour céleste;
J'en attends un succès heureux.
CITHERON
Il pourrait devenir funeste.
Il est quelquefois dangereux
De feindre une amoureuse flamme:
C'est un badinage où notre âme
S'expose à ressentir de véritable feux.
C'est du choix de l'objet.
MERCURE
Proposez.
CITHERON
Je le veux.
Dans un Marais profond, monument du déluge,
Qui vit jadis Deucalion,
Une Nymphe a fait son refuge
au pied de ce sombre vallon.
(Il montre le Marais.)
Cette Naïade ridicule,
Et que de tous les temps a proscrite l'Amour,
Sur ses comiques traits aveuglément crédule,
Espère chaque jour
Que mille amants viendront l'adorer tour à tour.
Que Jupiter, feignant de ce rendre
à ses charmes,
Vienne lui proposer
un tendre engagement
Informez-en Junon,
excitez ses alarmes,
Nous l'attendrons à l'éclaircissement.
(Platée paraît dans le fond du théâtre.)
Voulez-vous voir l'objet de cette amour nouvelle.
MERCURE
Je monte aux Cieux où Jupiter m'appelle.
(Il jette un coup d'oeil sur Platée.)
C'est à lui de juger
d'un objet si charmant.
(Il remonte au ciel, Citheron se retire.)
Scène Troisième
(Platée, Clarine, Fontaine sa suivante, Citheron, a l’écart)
PLATEE
Que ce séjour est agréable!
Qu'il est aimable!
Ah, qu'il est favorable,
Pour qui veut perdre sa liberté!
Dis-moi, mon coeur, t'es-tu bien consulté.
Ah, mon coeur, tu t'agites!
Ah, mon coeur, tu me quittes!
Est-ce pour Cithéron?
T'as-t-il bien mérité?
Que ce séjour, etc.
CLARINE
Sur quoi fondez-vous l'espérance
Que Cithéron se soumette à vos lois?
PLATEE
Sur ce que je le vois,
De plus loin quelque fois,
Comme un amant timide, éviter ma présence.
CLARINE
Quoi! Devenir sensible...
PLATEE
Hélas! Oui, je le crois.
CLARINE
Pour un simple mortel!
PLATEE
Il faut bien faire un choix:
Où porter ma tendresse?
Jamais l'amour ne blesse
Nos Dieux dont les coeurs sont si froids.
(Elle aperçoit Citheron.)
L'Amour, l'Amour avec moi s'intéresse.
Mon amant vient, je l'aperçois.
Habitants fortunés,
voisins de ces bocages,
Quittez vos sombres marécages,
Hâtez-vous, venez promptement
Vous rassembler sous l'herbe tendre;
Si l'on ne vous voit pas,
qu'on puisse vous entendre
Célébrer cet heureux moment.
Que vos voix m'applaudissent,
Que les airs retentissent;
Chantez et criez tous,
Que vos accents s'unissent
A ces charmants oiseaux,
dont les chants sont si doux?
(On entend le croassement des grenouilles et le chant des Coucous, qui continuent pendant tout le Choeur suivant.)
CHOEUR
(qu'on ne voit pas.)
Que nos voix applaudissent,
Que les airs retentissent;
Chantons et crions tous,
Que nos accents s'unissent;
A ces charmants oiseaux,
dont les chants sont si doux.
Scène Quatrième
(Platée, Clarine, Citheron qui s'est approché)
PLATEE
(à Cithéron.)
Quelque douce inquiétude
Vous conduit en ces lieux?
CITHERON
Non. Je cherche la solitude.
PLATEE
On y peut trouver mieux.
Il s'y rencontre des Dryades
Qui viennent volontiers dans ces lieux écartés,
Et jusqu'aux humides Naïades,
Tout doit sentir ce que vous méritez.
CITHERON
Oserais-je aspirer à des Divinités?
C'est au respect à m'en défendre.
PLATEE
On aimerait autant un sentiment plus tendre:
Les discours obligeants sont toujours écoutés.
Pour un amant qui sait plaire,
Il n'est point de rang trop haut:
Dût-il avoir le défaut
D'en devenir téméraire.
CITHERON
L'amour audacieux...
PLATEE
Le vôtre est circonspect.
CITHERON
Il est vrai, je le vois, tout le monde vous adore,
Et mon profond respect...
PLATEE
Quoi! Le respect encore :
Qu'il est langoureux ce respect,
Hélas, qu'il est suspect.
(Suivant de près Cithéron.)
Je m'attendris!
Cruel, tu ris!
Je vois à tes mines
Que tu me devines,
Ah! Ah! Charmant vainqueur,
N'aimes-tu point?
Non, non, tu dédaignes mon coeur.
Serais-tu timide?
(Irritée des refus obstinés de Citheron.)
Non. Tu n'es qu'un perfide,
Un perfide envers moi.
(Le poursuivant avec fureur.)
Dis donc, dis donc pourquoi?
Quoi? Quoi?
Dis donc pourquoi?
CHOEUR
(qu'on ne voit pas.)
Quoi? Quoi?
(Elle se met à pleurer. Mercure descend du ciel en traversant le théâtre.)
CITHERON
Naïade, apaisez-vous à l'aspect de Mercure:
Il descend des cieux, je le vois.
PLATEE
Mercure! Ah! Se peut-il.
CITHERON
Sans doute, et j'en augure
Que quelque Dieu rempli d'amour...
PLATEE
Quoi? Quoi?
LE CHOEUR
(caché.)
Quoi? Quoi?
Scène Cinquième
(Platee, Clarine, Citheron, Mercure)
MERCURE
(à Platee, après beaucoup de profondes révérences.)
Déesse qui régnez dans ces Marais superbes,
Sur des Sujets dans nombre
errant parmi les herbes,
Ne trouverez-vous pont indigne de vos fers,
Le Dieu qui lance le tonnerre?
Ce Dieu par vos beautés attiré sur la terre,
Veut soumettre à vos pieds son coeur et l'univers.
PLATEE
Le croirai-je, beau Mercure,
Que d'une âme bien pure
On brûle pour mes appas?
Puis-je en être assez sure
Pour soupirer tout bas?
MERCURE, CITHERON
Platée a mérité cette gloire éclatante.
CITHERON
(à Platée.)
Vous ne blâmerez plus une âme indifférente
Pour un bonheur qui n'eût pu s'achever.
Tout annonçait en vous la fortune brillante
Où l'amour d'un grand Dieu
devait vous élever.
MERCURE, CITHERON
Tout annonçait en vous la fortune brillante
Où l'amour d'un grand Dieu devait vous élever.
Platée a mérité cette gloire éclatante.
PLATEE
(a Mercure.)
Mais ce Dieu plein d'ardeur,
Pour attaquer mon coeur,
Se fait longtemps attendre?
MERCURE
Il va se rendre,
Et bientôt, près de vous.
(Quelques éclairs annoncent l'orage.)
PLATEE
Le ciel qui s'obscurcit m'en donne le présage:
La Déesse des airs y signale sa rage,
Mais rien n'arrête son Epoux.
Je crains peu son courroux,
Dans mon humide Empire on crie après l'orage.
Annonçons ce beau jour,
Aux Nymphes de ma Cour.
Quittez, Nymphes,
quittez vos demeures profondes;
Un torrent de célestes ondes
Est prêt d'inonder ces climats.
Et vous, Junon, pleurez, arrosez mes Etats.
Quittez, Nymphes,
quittez vos demeures profondes;
Un torrent de célestes ondes
Est prêt d'inonder ces climats.
(Toutes les Nymphes de la Cour de Platée sortent du fond du marais, s'élèvent au-dessus des roseaux et s'avancent sur la Scène.)
Scène Sixième
(Platée, Mercure, Citheron, Clarine, choeur et troupe de Nymphes de la suite de Platée)
CHOEUR DE NYMPHES
Epais nuages, rassemblez-vous;
Tombez sur nous;
Enflez nos rivages:
Jusqu'à vos ravages,
Tout nous sera doux.
(Les Nymphes forment différentes danses dans leur caractère.)
CLARINE (UNE NAIADE)
Soleil, tu luis en vain: les humides Naïades
Te refusent des voeux:
Et si nous en faisons,
c'est pour que les Hyades
Eteignent à jamais ta lumière et tes feux.
(On danse encore.)
MERCURE
(rentrant sur la Scène d'où il était sorti pendant le divertissement.)
Nymphes, les Aquilons
viennent troubler la fête.
(L'arc-en-ciel paraît.)
Je vois Iris qui s'avance à leur tête.
Un vent impétueux agite les roseaux,
Retirez-vous au fond des eaux.
(Une troupe d'Aquilons, par une entrée extrêmement vive, force les Nymphes à se retirer dans leur marais.)
PROLOGUE
La Naissance de la Comédie
(Le Théâtre représente une vigne de Grèce: on voit plusieurs allées de grands arbres qui soutiennent des treilles: Entre les troncs de ces arbres et au pied des coteaux qui sont sur les côtés et dans le fond, des chariots pleins de raisins, de grandes cuves et des pressoirs d'où coule le vin dans des baignoires antiques. Thespis, inventeur de la Comédie, paraît sur le devant du théâtre, endormi sur un lit de gazon: plusieurs vendangeurs sont occupés dans le fond, à porter la vendange dans les cuves)
Scène Première
(Thespis, endormi, Choeurs et Troupes de Satyres, de Ménades, de Paysans vendangeurs, de leurs Femmes et de leurs Enfants qui entrent en dansant)
UN SATYRE
Le ciel répand ici sa plus douce influence,
Bacchus a comblé nos désirs.
Coulez, jus précieux, coulez en abondance,
Vous êtes l'âme des plaisirs.
CHOEUR
Coulez, jus précieux, coulez en abondance,
Vous êtes l'âme des plaisirs.
(On danse)
LE SATYRE
En vain l'affreux hiver s'avance,
L'Amour, par vos présents,
augmentant sa puissance,
Rend à nos coeurs
la saison des Zéphyrs,
Vous ranimez nos feux
et nos tendres désirs.
CHOEURS
Coulez, etc.
(On danse.)
LE SATYRE,
(apercevant Thespis endormi.)
Que vois-je? Est-ce Thespis?
Oui, c'est lui qui sommeille,
Ce doux jus sur ses yeux
fait l'effet des pavots:
Doit-il en ce grand jour se livrer au repos,
Lui qui chante si bien le grand dieu de la treille?
(Il s'approche de Thespis pour le réveiller.)
Ranimez vos sens assoupis,
Réveillez-vous, Chantez, agréable Thespis.
LE CHOEUR
Ranimez, etc
THESPIS
(en s'éveillant.)
Rendons grâce à Bacchus
du sommeil qu'il nous donne,
Qu'il est tranquille! qu'il est doux!
(Il se rendort.)
LE SATYRE, CHOEUR
(autour de Thespis.)
Thespis, chantez, réveillez-vous.
THESPIS
(fâché.)
Chantons, vous m'y forcez;
mais songez qu'en Automne,
Dans mes chansons, je n'épargne personne.
DEUX VENDANGEUSES
Joyeux Thespis, point de courroux.
THESPIS
Je sens qu'un doux transport
me saisit et m'inspire.
Charmant Bacchus, dieu de la liberté,
Père de la sincérité,
Au dépens des Mortels, tu nous permets de rire.
Mon coeur plein de la vérité,
Va se soulager à la dire:
Dussé-je être mal écouté.
Charmant Bacchus, etc.
(Il s'adresse aux Ménades.)
Ménades et jeunes et belles,
A vos amants êtes-vous bien fidèles?
On ne le crois pas parmi nous.
CHOEUR DE MENADES
Thespis, rendormez-vous.
THESPIS
(Il s'adresse aux Satyres.)
Dignes amants de ces jeunes coquettes,
Invincibles buveurs, tous trompés que voue êtes,
Vous n'aimez pas assez
pour en être jaloux.
CHOEUR DE SATYRES
Thespis, rendormez-vous.
THESPIS
(Il s'adresse à tous.)
Au milieu d'une orgie
où règne la licence,
Ménades, vos secrets sont mal en assurance,
On me les a dit presque tous.
SATYRES, MENADES
Thespis, rendormez-vous.
Scène Seconde
(Thalie, Momus, et les acteurs de la scène précédente)
THALIE
(à Thespis.)
Non, poursuivez, Thespis, livrez-vous à Thalie;
Pour exercer votre aimable folie,
Je remets mon masque entre vos mains.
(Elle donne à Thespis le masque qu'elle tient.)
A vos chants, à vos jeux,
rien ne peut faire obstacle.
Je viens avec Momus en former un spectacle,
Pour corriger les défauts des humains.
MOMUS
Aux seuls humains
bornez-vous la satire?
Vous pouvez jusqu'aux dieux, étendre son empire;
Je vous prêterai mon appui.
La raison dans l'Olympe est souvent hors d'usage.
Hé, qui pourrait résister à l'ennui
D'être immortel et toujours sage?
MOMUS, THALIE, THESPIS
Cherchons à railler en tous lieux,
Soumettons à nos ris et le ciel et la terre:
Livrons au ridicule une éternelle guerre,
N'épargnons ni mortels ni dieux.
MOMUS
Dans ces lieux, Jupiter lui-même
Descendu de sa gravité,
Par un risible stratagème
Guérit jadis d'une épouse qu'il aime,
La jalousie et la fierté.
Je veux avec Thespis en retracer l'histoire,
La Grèce en garde encore la célèbre mémoire.
Scène Troisième
(L'amour et les acteurs de la Scène précédente)
L'AMOUR
Qu'ose-t-on sans l'Amour
entreprendre ici-bas?
Quittez un projet téméraire.
Quels sont les jeux qui pourraient plaire
Que l'Amour n'animerait pas?
THALIE
Venez, Amour, guidez nos pas,
Soyez toujours notre dieu tutélaire.
L'AMOUR
Confondons nos jeux et nos ris.
Voulez-vous critiquer les feux que je fis naître?
Lorsque vous les aurez bien ou mal travestis,
Je me réserve après, d'en ordonner en maître:
Vous verrez qu'à la fin, chacun aura son prix
Quand l'Amour se fera connaître.
THESPIS
Momus, Amour, Dieu des raisins?
Divinités charmantes,
Par des leçons réjouissantes
Nous corrigerons les humains.
(Il s'adresse à tous les différents Choeurs et Troupes.)
Et vous, heureux témoins d'une union si belle,
Montrez, pour la servir ce que peut votre zèle.
CHOEUR
Formons un spectacle nouveau.
Les filles de mémoire
Publieront à jamais la gloire
Des auteurs d'un projet si beau.
Formons un spectacle nouveau.
Bacchus, c'est ta victoire,
Livrons-nous au plaisir de boire,
L'hypocrêne est sur ce côteau.
Formons un spectacle nouveau.
Les filles de mémoire
Publieront à jamais la gloire
Des auteurs d'un projet si beau.
Formons un spectacle nouveau.
(On danse.)
THESPIS
(alternativement avec le choeur.)
Chantons Bacchus,
Chantons Momus,
Chantons l'Amour et ses flammes,
Que tour à tour
Dans ce séjour,
Ces dieux remplissent nos âmes.
THESPIS
(Seul)
Sans le vin,
Sans son ivresse,
La tendresse n'est que chagrin.
(Alternativement avec le choeur).
Chantons Bacchus, etc.
THESPIS
(Seul)
C'est à Bacchus qu'on a recours,
Momus lui dût toujours
Son plus charmant délire.
(Alternativement avec le Choeur.)
Chantons Bacchus, etc.
(On danse à toutes les Reprises et à la fin de ce Choeur, tous se retirent en dansant.)
Balletde Platée
(Le théâtre qui reste le même pendant tout le Ballet, représente un lieu champêtre; sur les côtés, sont différents petits Bâtiments rustiques entremêlés d'arbres fort touffus; on voit dans le fond, le Mont Cithéron, sur le sommet duquel est un temple de Bacchus; au bas, est un grand Marais plein de roseaux, entouré de vieux saules. Le ciel paraît chargé de nuages; et de temps en temps l'on entend des coups de vent)
Scène Première
CITHERON
Dieux, qui tenez l'Univers, dans vos mains,
Voyez les éléments nous déclarer la guerre:
S'il est de coupables humains,
Punissez-les par le tonnerre,
Et rendez à la terre
Le calme et la douceur de ses premiers destins.
Mais je vois Mercure descendre!
Mais cris se sont-ils fait entendre?
(Mercure descend du ciel.)
Scène Seconde
(Cithéron, Mercure)
CITHERON
Mercure, expliquez-nous par quels malheurs
nouveaux le ciel nous fait sentir
sa vengeance ou sa haine?
Des Aquilons fougueux la dévorante haleine
Menace à chaque instant nos champs
et nos côteaux.
MERCURE
D'une cruelle jalousie
La Déesse des airs suit l'aveugle transport;
Pour calmer la fureur dont son âme est saisie,
On fait d'inutiles efforts;
Jupiter s'en impatiente,
Et je lui cherche un doux amusement.
CITHERON
Par quelque feinte ardeur,
quelque ruse innocente,
Ne peut-on guérir son Epouse aisément?
Si Junon paraît implacable,
Que d'un nouvel hymen
il feigne les apprêts,
Bientôt il cessera de paraître coupable:
Et bientôt leur amour reprendra ses attraits.
MERCURE
Ce projet est riant. Mercure vous proteste
D'en amuser la cour céleste;
J'en attends un succès heureux.
CITHERON
Il pourrait devenir funeste.
Il est quelquefois dangereux
De feindre une amoureuse flamme:
C'est un badinage où notre âme
S'expose à ressentir de véritable feux.
C'est du choix de l'objet.
MERCURE
Proposez.
CITHERON
Je le veux.
Dans un Marais profond, monument du déluge,
Qui vit jadis Deucalion,
Une Nymphe a fait son refuge
au pied de ce sombre vallon.
(Il montre le Marais.)
Cette Naïade ridicule,
Et que de tous les temps a proscrite l'Amour,
Sur ses comiques traits aveuglément crédule,
Espère chaque jour
Que mille amants viendront l'adorer tour à tour.
Que Jupiter, feignant de ce rendre
à ses charmes,
Vienne lui proposer
un tendre engagement
Informez-en Junon,
excitez ses alarmes,
Nous l'attendrons à l'éclaircissement.
(Platée paraît dans le fond du théâtre.)
Voulez-vous voir l'objet de cette amour nouvelle.
MERCURE
Je monte aux Cieux où Jupiter m'appelle.
(Il jette un coup d'oeil sur Platée.)
C'est à lui de juger
d'un objet si charmant.
(Il remonte au ciel, Citheron se retire.)
Scène Troisième
(Platée, Clarine, Fontaine sa suivante, Citheron, a l’écart)
PLATEE
Que ce séjour est agréable!
Qu'il est aimable!
Ah, qu'il est favorable,
Pour qui veut perdre sa liberté!
Dis-moi, mon coeur, t'es-tu bien consulté.
Ah, mon coeur, tu t'agites!
Ah, mon coeur, tu me quittes!
Est-ce pour Cithéron?
T'as-t-il bien mérité?
Que ce séjour, etc.
CLARINE
Sur quoi fondez-vous l'espérance
Que Cithéron se soumette à vos lois?
PLATEE
Sur ce que je le vois,
De plus loin quelque fois,
Comme un amant timide, éviter ma présence.
CLARINE
Quoi! Devenir sensible...
PLATEE
Hélas! Oui, je le crois.
CLARINE
Pour un simple mortel!
PLATEE
Il faut bien faire un choix:
Où porter ma tendresse?
Jamais l'amour ne blesse
Nos Dieux dont les coeurs sont si froids.
(Elle aperçoit Citheron.)
L'Amour, l'Amour avec moi s'intéresse.
Mon amant vient, je l'aperçois.
Habitants fortunés,
voisins de ces bocages,
Quittez vos sombres marécages,
Hâtez-vous, venez promptement
Vous rassembler sous l'herbe tendre;
Si l'on ne vous voit pas,
qu'on puisse vous entendre
Célébrer cet heureux moment.
Que vos voix m'applaudissent,
Que les airs retentissent;
Chantez et criez tous,
Que vos accents s'unissent
A ces charmants oiseaux,
dont les chants sont si doux?
(On entend le croassement des grenouilles et le chant des Coucous, qui continuent pendant tout le Choeur suivant.)
CHOEUR
(qu'on ne voit pas.)
Que nos voix applaudissent,
Que les airs retentissent;
Chantons et crions tous,
Que nos accents s'unissent;
A ces charmants oiseaux,
dont les chants sont si doux.
Scène Quatrième
(Platée, Clarine, Citheron qui s'est approché)
PLATEE
(à Cithéron.)
Quelque douce inquiétude
Vous conduit en ces lieux?
CITHERON
Non. Je cherche la solitude.
PLATEE
On y peut trouver mieux.
Il s'y rencontre des Dryades
Qui viennent volontiers dans ces lieux écartés,
Et jusqu'aux humides Naïades,
Tout doit sentir ce que vous méritez.
CITHERON
Oserais-je aspirer à des Divinités?
C'est au respect à m'en défendre.
PLATEE
On aimerait autant un sentiment plus tendre:
Les discours obligeants sont toujours écoutés.
Pour un amant qui sait plaire,
Il n'est point de rang trop haut:
Dût-il avoir le défaut
D'en devenir téméraire.
CITHERON
L'amour audacieux...
PLATEE
Le vôtre est circonspect.
CITHERON
Il est vrai, je le vois, tout le monde vous adore,
Et mon profond respect...
PLATEE
Quoi! Le respect encore :
Qu'il est langoureux ce respect,
Hélas, qu'il est suspect.
(Suivant de près Cithéron.)
Je m'attendris!
Cruel, tu ris!
Je vois à tes mines
Que tu me devines,
Ah! Ah! Charmant vainqueur,
N'aimes-tu point?
Non, non, tu dédaignes mon coeur.
Serais-tu timide?
(Irritée des refus obstinés de Citheron.)
Non. Tu n'es qu'un perfide,
Un perfide envers moi.
(Le poursuivant avec fureur.)
Dis donc, dis donc pourquoi?
Quoi? Quoi?
Dis donc pourquoi?
CHOEUR
(qu'on ne voit pas.)
Quoi? Quoi?
(Elle se met à pleurer. Mercure descend du ciel en traversant le théâtre.)
CITHERON
Naïade, apaisez-vous à l'aspect de Mercure:
Il descend des cieux, je le vois.
PLATEE
Mercure! Ah! Se peut-il.
CITHERON
Sans doute, et j'en augure
Que quelque Dieu rempli d'amour...
PLATEE
Quoi? Quoi?
LE CHOEUR
(caché.)
Quoi? Quoi?
Scène Cinquième
(Platee, Clarine, Citheron, Mercure)
MERCURE
(à Platee, après beaucoup de profondes révérences.)
Déesse qui régnez dans ces Marais superbes,
Sur des Sujets dans nombre
errant parmi les herbes,
Ne trouverez-vous pont indigne de vos fers,
Le Dieu qui lance le tonnerre?
Ce Dieu par vos beautés attiré sur la terre,
Veut soumettre à vos pieds son coeur et l'univers.
PLATEE
Le croirai-je, beau Mercure,
Que d'une âme bien pure
On brûle pour mes appas?
Puis-je en être assez sure
Pour soupirer tout bas?
MERCURE, CITHERON
Platée a mérité cette gloire éclatante.
CITHERON
(à Platée.)
Vous ne blâmerez plus une âme indifférente
Pour un bonheur qui n'eût pu s'achever.
Tout annonçait en vous la fortune brillante
Où l'amour d'un grand Dieu
devait vous élever.
MERCURE, CITHERON
Tout annonçait en vous la fortune brillante
Où l'amour d'un grand Dieu devait vous élever.
Platée a mérité cette gloire éclatante.
PLATEE
(a Mercure.)
Mais ce Dieu plein d'ardeur,
Pour attaquer mon coeur,
Se fait longtemps attendre?
MERCURE
Il va se rendre,
Et bientôt, près de vous.
(Quelques éclairs annoncent l'orage.)
PLATEE
Le ciel qui s'obscurcit m'en donne le présage:
La Déesse des airs y signale sa rage,
Mais rien n'arrête son Epoux.
Je crains peu son courroux,
Dans mon humide Empire on crie après l'orage.
Annonçons ce beau jour,
Aux Nymphes de ma Cour.
Quittez, Nymphes,
quittez vos demeures profondes;
Un torrent de célestes ondes
Est prêt d'inonder ces climats.
Et vous, Junon, pleurez, arrosez mes Etats.
Quittez, Nymphes,
quittez vos demeures profondes;
Un torrent de célestes ondes
Est prêt d'inonder ces climats.
(Toutes les Nymphes de la Cour de Platée sortent du fond du marais, s'élèvent au-dessus des roseaux et s'avancent sur la Scène.)
Scène Sixième
(Platée, Mercure, Citheron, Clarine, choeur et troupe de Nymphes de la suite de Platée)
CHOEUR DE NYMPHES
Epais nuages, rassemblez-vous;
Tombez sur nous;
Enflez nos rivages:
Jusqu'à vos ravages,
Tout nous sera doux.
(Les Nymphes forment différentes danses dans leur caractère.)
CLARINE (UNE NAIADE)
Soleil, tu luis en vain: les humides Naïades
Te refusent des voeux:
Et si nous en faisons,
c'est pour que les Hyades
Eteignent à jamais ta lumière et tes feux.
(On danse encore.)
MERCURE
(rentrant sur la Scène d'où il était sorti pendant le divertissement.)
Nymphes, les Aquilons
viennent troubler la fête.
(L'arc-en-ciel paraît.)
Je vois Iris qui s'avance à leur tête.
Un vent impétueux agite les roseaux,
Retirez-vous au fond des eaux.
(Une troupe d'Aquilons, par une entrée extrêmement vive, force les Nymphes à se retirer dans leur marais.)
最終更新:2014年06月01日 20:02