ACTE DEUXIÈME
Premier Tableau
(Un boudoir élégant. Porte au fond. Portes latérales. A droite une fenêtre, à gauche une cheminée. Toilette, fauteuils, etc)
Scène Premère
(Philine, Laërte. Philine est assise devant la toilette. On frappe à la porte)
▼LAERTE▲
(du dehors)
Peut-on entrer?
▼PHILINE▲
C'est vous, Laërte?...
▼LAERTE▲
(entrant, il est un peu gris)
Oui, ce n'est que moi! Bonsoir, Philine.
▼PHILINE▲
Bonsoir, Laërte.
▼LAERTE▲
Je ne vous dérange pas?
▼PHILINE▲
Vous!... Jamais!...
▼LAERTE▲
Au fait! je ne suis que votre ami...
et il y a si longtemps!...
(Regardant autour de lui)
C'est ici qu'on vous loge?
▼PHILINE▲
Oui, mon cher! dans le boudoir
de madame la baronne.
▼LAERTE▲
Dont monsieur le baron a gardé la clé!.
▼PHILINE▲
Impertinent!
▼LAERTE▲
Bah!... s'il vous aime!...
▼PHILINE▲
Et si je ne l'aime pas?...
▼LAERTE▲
Vous avez tort!
Un homme chez qui l'on fait si bonne chère,
mérite quelques égards!...
▼PHILINE▲
Vous avez bien soupé, il paraît?
▼LAERTE▲
Comme un roi!... pas de théâtre, s'entend!
(Il s'étend dans un fauteuil)
▼PHILINE▲
Et le vin du baron vous a mis, je crois,
en belle humeur.
▼LAERTE▲
Je le crois aussi!
(Déclamant)
Rien ne vaut pour nous égayer
Le vin qu'on n'a pas à payer!...
▼PHILINE▲
(riant)
Fi! mon cher, vous êtes gris!
▼LAERTE▲
Non! je suis gai, je me sens en humeur de rire
et de déraisonner; je suis capable de jouer
très bien la comédie ce soir!
Ce sera drôle!
▼PHILINE▲
Et nouveau!
▼LAERTE▲
Et nouveau! Je suis même capable de vous faire
des compliments et de composer un madrigal
en votre honneur!
Ce sera bien plus nouveau encore!
▼PHILINE▲
Et bien moins amusant!
▼LAERTE▲
On ne sait pas. Je suis très galant quand je veux!
(Se levant)
Écoutez plutôt...
Madrigal
Belle, ayez pitié de nous!
Daignez baisser vos paupières!
Le cils de vos yeux si doux...
Sont des flèches meurtrières
Du Dieu qui nous blesse tous!
(Il fait une pirouette)
Voilà!
▼PHILINE▲
(riant)
Bravo!
On croirait entendre le jeune Frédéric.
▼LAERTE▲
Merci!
▼PHILINE▲
Ou le baron lui-même.
▼LAERTE▲
Bien obligé!
▼PHILINE▲
Moi, je vous tiens compte de l'intention.
Et je suis d'autant plus touchée de cet accès
de galanterie de votre part, que jusqu'à ce jour
vous ne m'y avez guère accoutumée!...
▼LAERTE▲
(tranquillement)
C'est vrai!
(Lui tendant une bonbonnière)
Une pastille...
▼PHILINE▲
(puisant dans la bonbonnière)
Merci!
(S’appuyant familièrement sur son épaule)
Avouez pourtant une chose,
mon cher Laërte,
c'est que vous êtes bien heureux d'être
mon ami... sans quoi, vous auriez fait la route
à pied... convie les autres.
▼LAERTE▲
C'est probable!
▼PHILINE▲
Et au lieu do trouver ici le souper préparé...
▼LAERTE▲
Je me serais morfondu à la porte, ou dans
quelque salle basse du château...
comme les autres...
▼PHILINE▲
C'est sûr!
▼LAERTE▲
A propos des autres,
savez-vous ce qui leur est arrivé?
▼PHILINE▲
Non! contez-moi cela.
▼LAERTE▲
L'histoire est navrante!
▼PHILINE▲
Bah!
▼LAERTE▲
Vous allez voir...
Pendant que nous galopions
gaiement sur la grande route, dans le carrosse
du baron, nos infortunés camarades,
surpris par l'orage à une lieue ou deux
du château, égarés dans des chemins
de traverse qu'ils ne connaissaient pas,
percés d'outre en outre par une pluie battante,
ont failli, il parait, rester embourbés jusqu'au
cou dans une grenouillère!...
▼PHILINE▲
En vérité!...
▼LAERTE▲
(déclamant)
Oui, Madame, embourbé» dans une grenouillère!
Sctrwartz y perd sa perruque... avec sa tabatière;
Aloysius, au milieu des jurons et des cris,
Manque de s'y noyer... avec ses manuscrits;
Le fidèle carlin de la vieille Gudule
Voit nager sa maîtresse... après son ridicule,
Veut les sauver Ions deux, et périt sous les eaux
Conrad enfin, Conrad, du milieu des roseaux,
Sort comme un Dieu marin, et laisse dans la mare
Le peu de voix qu'il doit à la nature avare!
▼PHILINE▲
O malheureux Conrad!
▼LAERTE▲
O regrets superflus! Il éternue encor; —
mais il ne chante plus!
Bref, sans le secours de quelques paysans
qui ont bien voulu les aider à se tirer de là
et les remettre sur le bon chemin,
c'en était fait de nos amis!... —
Que dites-vous de l'aventure?...
N'êtes-vous pas émue... attendrie?...
▼PHILINE▲
(avec indifférence)
Pas du tout. — Qu'est-ce que cela me fait?
▼LAERTE▲
Et à moi donc?
(Ils se regardent et éclatent de rire)
▼PHILINE▲
(déclamant)
Je ris de leurs malheurs
comme ils riraient des nôtres!
▼LAERTE▲
Quand tout va bien pour nous
pourquoi songer aux autres!
(Lui tendant de nouveau sa bonbonnière)
Encore une...
▼PHILINE▲
(lui prenant familièrement le bras)
Parlons d'autre chose,
voulez-vous?
Avez-vous des nouvelles de notre ami?
▼LAERTE▲
Qui? Frédéric?
il est ici,
je l'ai vu rôder dans les jardins...
▼PHILINE▲
Il s'agit bien de Frédéric! je vous parle
de ce jeune homme que nous avons rencontré
ce matin... dans Cette auberge...
▼LAERTE▲
M. Wilhelm Meister?...
▼PHILINE▲
Lui-même.
▼LAERTE▲
(d'un air moqueur)
Au fait, je me rappelle,
ne l'avez-vous pas invité à nous rejoindre ici?
Ne lui avez-vous pas offert de le présenter
au baron, en qualité de poète de la troupe?
Ne vous a-t-il pas promis de venir?
▼PHILINE▲
(souriant)
Je crois que oui.
▼LAERTE▲
Eh bien! il ne viendra pas.
▼PHILINE▲
Pourquoi? Qu'en savez vous?
▼LAERTE▲
Je lui ai dit ce qu'il fallait, et j'espère qu'il
se souviendra de mes bons avis.
▼PHILINE▲
(vivement, lui quittant le bras)
Eh! mon cher, je vous trouve plaisant
avec vos bons avis!...
N'est-ce pas vous qui me l'avez présenté?
▼LAERTE▲
Oui, par malice.
▼PHILINE▲
Plaît-il?
▼LAERTE▲
Les victimes de l'amour me font toujours rire,
en souvenir de mes infortunes conjugales,
et je le poussais moi-même dans vos filets...
pour m'amuser!
▼PHILINE▲
Vous êtes poli!
▼LAERTE▲
Mais il me plaît, ce garçon, il m'intéresse!
Je serais désolé qu'il lui arrivât malheur!
▼PHILINE▲
De mieux en mieux! Vous me paierez cela, Laërte!
Quant à M. Meister...
▼LAERTE▲
Nous ne le verrons plus!
▼PHILINE▲
Lui!...
(Riant)
Il est en route depuis longtemps!
il frappe en ce moment à la porte du château...
il demande à me voir... on nous l'amène...
il vient!... et...
▼UN LAQUAIS▲
(annonçant)
M. Wilhelm Meister.
▼PHILINE▲
Et le voilà!...
▼LAERTE▲
(étonné)
Ah! bah!
(a Philine)
Ma foi! tant pis pour lui! je ne m’en mêle plus!
▼PHILINE▲
C'est tout ce que je vous demande!
(Au laquais)
Faites entrer.
Scène Deuxième
(Les Mêmes, Wilhelm Meister, puis Mignon)
▼WILHELM▲
(entrant)
Charmante Philine!...
Mon cher Laërte!...
▼PHILINE▲
Je suis ravie, Monsieur, que vous
vous soyez souvenu de votre promesse!...
▼WILHELM▲
Et moi je vous remercie de m'avoir invité
à vous suivre!... je me réjouis d'assister à cette
fête et d'avoir l'occasion de vous applaudir!...
▼LAERTE▲
Nous applaudir! oh! pourquoi?...
▼PHILINE▲
Je me charge de vous présenter au baron.
▼LAERTE▲
Et moi a la baronne.
Mais permettez-moi d'abord d'aller donner un
coup d'œil aux préparatifs de la représentation...
Le théâtre est installé dans la serre
du château, à deux pas d'ici,
au bout de la galerie.
Nous jouons ce soir :
Le songe d'une nuit d'été, d'un nommé
Shakespeare... un poète anglais
qui ne manque pas de mérite.
C'est l'illustre Aloysius, noire souffleur,
qui a refait la pièce au goût du jour.
Les invités du baron n'y comprendront rien
tout de même!... Mais peu importe!
Philine sera charmante
dans son costume de Titania!
Quant à moi, je vais revêtir les habits
du seigneur Thésée, duc d'Athènes, et je reviens
vous chercher quand il en sera temps!...
(A Wilhelm, déclamant)
A bientôt, cher monsieur!
(A Philine)
Adieu, ma toute belle!
Je vous laisse avec lui!...
(A Wilhelm)
Je vous laisse avec elle!
(Il remonte au fond et s'arrête sur lu seuil)
Mais quelle est cette enfant qui se tient là
en dehors, derrière la porte?
▼WILHELM▲
C'est Mignon.
▼PHILINE▲
Mignon!
▼WILHELM▲
Oui, la pauvre enfant n'a pas voulu se séparer de moi.
Je lui ai fait quitter ses haillons de bohémienne,
et elle m'a suivi. Voulez-vous que je l'appelle!
▼PHILINE▲
Sans doute, je suis curieuse de la voir!
▼WILHELM▲
(appelant)
Mignon!
▼MIGNON▲
(paraissant sur le seuil)
Tu m'as appelée, maître?...
(Mignon entre timidement. Elle est vue en jeune garçon et porte un petit paquet qu'elle laisse tomber sur le seuil. Musique a l'orchestre rappelant le motif e la danse des œufs du premier acte)
▼PHILINE▲
(riant)
Ah! ah! ah! ah!
La plaisante métamorphose!
▼WILHELM▲
(à Mignon)
Approche sans crainte, chère enfant!
Voilà un bon feu qui va te réchauffer.
Demande à Philine, la permission de t'asseoir
là un moment... dans ce beau fauteuil!
▼PHILINE▲
Oui, oui, réchauffe-toi, Mignon;
tu nous danseras après, la danse des œufs.
(Mignon fait on mouvement, ses yeux rencontrent ceux de Wilhelm)
▼MIGNON▲
Si tu l'ordonnes... j'obéirai.
▼PHILINE▲
(à part)
Quelle étrange idée de nous amener
cette bohémienne!
▼LAERTE▲
(bas à Mignon)
Si tu aimes ton maître, ne le quitte pas,
et méfie-toi de Philine!
▼PHILINE▲
Vous dites?...
▼LAERTE▲
Moi! rien!... à bientôt.
(Bas à Mignon)
Méfie-toi!
(Il sort)
Scène Troisième
Trio
▼WILHELM▲
Plus de soucis, Mignon!
plus de tristes pensées!
Viens réchauffer tes mains glacées,
A ce foyer, hospitalier!...
(Il fait asseoir Mignon dans un fauteuil devant la cheminée)
▼MIGNON▲
(a demi voix)
Je ne me souviens plus
de mes douleurs passée!
le n'ai plus froid! Je suis heureuse à ton côté!
▼PHILINE▲
(riant)
Quels soins touchants! Que de bontés!
Permettez-moi de rire
De ce beau dévouement!
▼MIGNON▲
(á part)
Hélas! qu'a-t-elle à rire?
Cruel amusement!
▼WILHELM▲
(á Philine)
Vous faites bien de rire
Votre rire est charmant!
▼PHILINE▲
Mon cher, je vous admire,
C'est tout à fait charmant!
(Elle rit)
Au lieu d'être servi par votre jeune page,
C'est vous qui le servez!
▼WILHELM▲
(se rapprochant de Philine)
Près de vous, à vos pieds,
J'accepterais, si vous vouliez,
Un plus doux servage.
▼PHILINE▲
Vraiment!
(Lui désignant un flambeau sur la cheminée)
Apportez donc ce flambeau par ici.
(Ille s'asseoit devant sa toilette. Wilhelm va prendre le flambeau et retient avec empressement près de Philine. Mignon suit tous ses mouvement du regard sans quitter le fauteuil où elle est blottie)
▼WILHELM▲
Je me fais votre esclave! ordonnez, me voici!
▼PHILINE▲
Bien! posez-là d'abord votre flambeau...
(Wilhelm pose le flambeau sur la. toilette)
Merci!
(Se regardant dans le miroir)
Mon coiffeur m'a, ce soir, indignement coiffée!...
Mais vous allez me voir dans ma robe de fée!...
Je veux éblouir tous les yeux!
Je crois déjà, je crois entendre,
Et les soupirs et la voix tendre,
De vingt galants jeunes et vieux!
Ensemble
▼WILHELM▲
J'admire l'éclat de vos yeux!
Je suis ravi, charmé d'entendre
Cette voix amoureuse et tendre,
Ce rire moqueur et joyeux!
▼MIGNON▲
(a part)
N'écoutons pas! Fermons les yeux!
De cet entretien doux et tendre,
Non, non, je neveux rien entendre,
Pour dormir, je fais de mon mieux.
(Mignon fait semblant de dormir. Philine chante follement en achevant de se farder devant son miroir)
▼WILHELM▲
(se penchant amoureusement vers Philine)
Belle Philine, aimable enchanteresse,
Vos doux regards, et vos attraits vainqueurs,
A votre char enchaînent tous les cœurs!
Autour de vous, tout sourit et s'empresse!...
▼PHILINE▲
Ce bracelet du prince est charmant, n'est-ce pas?
▼WILHELM▲
On vous fête, on vous aime, on vous adore...
hélas! Pourquoi n'aimez-vous pas?
▼PHILINE▲
Au baron, cher monsieur,
il faut qu'on vous présente.
▼WILHELM▲
Philine, un mot encore!... un mot!...
▼PHILINE▲
(montrant Mignon)
Parlez plus bas!...
Notre hôte nous attend...
Offrez-moi votre bras.
(Elle fait quelques pas; Wilhelm la retient)
▼WILHELM▲
Quoi! sans répondre...
▼PHILINE▲
(lui tendant la main)
Allons! J'ai l'âme complaisante!...
(Wilhelm porte la main de Philine à ses lèvres. Au bruit du baiser, Mignon fait un mouvement, sans ouvrir les yeux)
▼PHILINE▲
(à part)
Je savais bien qu'elle ne dormait pas.
▼WILHELM▲
(à demi voix, avec passion)
O Philine! ô coquette!
ô fille séduisante!
J'admire l'éclat de vos yeux!
Je suis ravi, charmé d'entendre,
Cette voix amoureuse et tendre,
Ce rire moqueur et joyeux!...
▼PHILINE▲
(riant)
Out, je veux plaire à tous les yeux!
Je crois déjà, je crois entendre
Et les soupirs et la voix tendre
De vingt galants jeunes et vieux!
▼MIGNON▲
(à part)
N'écoutons pas ; fermons les yeux
De cet entretien doux et tendre,
Non, non, je ne veux rien entendre,
pour dormir, je fais de mon mieux.
(Wilhelm offre son bras à Philine et sort avec elle par la porte du fond)
Scène Quatrième
▼MIGNON▲
(seule)
Me voilà seule!
(Elle se lève)
Ah! pauvre Mignon!
Il s'éloigne sans même retourner la tète
de ton côté!
Il ne pense plus à toi...
Il t'oubli déjà pour cette Philine!
(Après un silence)
Eh bien! que t'importe!
n'es-tu pas sûre de son amitié?
n'a-t-il pas comble tous tes vœux en te
permettant de le suivre et de le servir?...
De quoi te plains-tu, ingrate?
Pourquoi pleures-tu?
(Essuyant vivement ses yeux)
Non! non!
ce n'est rien! c'est passé! je ne pleure plus!
je suis heureuse.
(Elle va et vient dans le boudoir, examinant curieusement les meubles et les tentures)
Comme c'est beau ici!...
je n'ai jamais rien vu de pareil!... non! jamais!...
Si ce n'est en rêve peut-être...
Ces meubles dorés, ces tentures de soie...
ces miroirs étincelants!...
(s'approchant de la toilette)
C'est là qu'elle était assise tout à l'heure
pendant que Meister se penchait à son oreille,
pour lui dire... ce que tant d'autres lui disent
chaque jour... ce que son miroir lui dit
plus souvent encore!
Et moi, du fond de mon fauteuil, j'écoulais!
je fermais les yeux et j'écoutai.
I coûtait! Je voulais dormir... et je ne pouvais pas!...
C'est mal, je le sais, mais je ne pouvais pas!...
Pardonne-oi, cher maître!...
(S'asseyant devant la toilette)
Voici les bouquets et les billets galants
de tous ses amoureux...
Voici le fard dont elle couvre ses joues...
la poudre dont elle parfume ses cheveux...
(Essayant de se farder)
Si j'essayais de me farder aussi!...
Ah! ma pâleur disparaît déjà!
mes yeux sont plus brillants!...
(Elle rit et chante)
I
Il était un pauvre enfant,
Un pauvre enfant de Bohême,
Au regard triste, au front blême...
(Se regardant dans le miroir)
Ah! ah! la folle histoire!
en vain je m'en défend!
Je me trouve bien mieux!
je ne suis plus la même,
Ta la, ralla!
Ta la, ralla!
Est-ce bien Mignon que voilà?
II
Un beau jour, tout triomphant,
Tout lier de son stratagème,
Pour plaire au maître qu'il aime...
(Se regardant de nouveau en riant)
Ah! ah! la folle histoire! En vain je m'en défends!
Je me trouve bien mieux, je ne suis plus la même.
Ta la ralla!
Ta la ralla!
Est-ce bien Mignon que voilà?
Non, je ne me reconnais plus!...
Ah! l'heureuse Philine!...
Je comprends qu'on la trouve belle!...
c'est avec tout cela qu'elle plaît.
(Allant ouvrir la porte du cabinet)
N'est-ce point là qu'on a rangé ses robes?
(Elle regarder curieusement dans le cabinet)
Oui!... C’est bien! je suis seule!
Personne ne peut me voir...
Quelle folle idée me traverse l'esprit?...
Quel démon me tente?...
(Elle entre dans le cabinet. La fenêtre s'ouvre brusquement. Frédéric parait sur le balcon)
Scène Cinquième
▼FRÉDÉRIC▲
(seul)
C'est moi!
(il saute dans la chambre)
Le treillage s'est brisé sous mes pieds,
le vent a emporté mon chapeau
et j'ai failli m'accrocher en route!...
Mais n'importe!... me voilà dans la place!...
(Regardant autour de lui)
C'est bien ici que mon oncle a logé Philine!
dans le boudoir de ma tante!
Quel oubli de toutes les convenances!...
Ah! fi! monsieur le baron, fi!
Vous mériteriez que madame la baronne de son
côté... Au fait! je crois quo depuis longtemps...
mais ce n'est point de cela qu'il s'agit!
Je suis furieux! je suis exaspéré!...
je suis décidé à disputer Philine à mon oncle,
au prince de Tiefenbach,
au monde entier!...
(Portant la main à la garde de son épée)
Et l'épée au poing, s'il le faut!
malheur au premier galant qui se présente!...
Scène Sixième
▼WILHELM▲
(entrouvrant la porte du fond)
Mignon!...
▼FRÉDÉRIC▲
Hein? Qui est cette voix?
▼WILHELM▲
(entrant)
Où donc est elle?...
Philine m'a fait promettre de gêner, et je...
(Apercevant Frederick)
Ah!
▼FRÉDÉRIC▲
(à part)
N'est-ce point là ce nouveau galant
qu'elle m'a présenté ce matin?
▼WILHELM▲
(à part)
N'est-ce point là ce jeune sot... de l'auberge?...
▼FRÉDÉRIC▲
Monsieur!...
▼WILHELM▲
Monsieur!...
▼FRÉDÉRIC▲
Vous ici... dans ce château!...
▼WILHELM▲
Comme vous voyez!...
▼FRÉDÉRIC▲
Vous faites donc partie de la troupe?
▼WILHELM▲
Il faut le croire.
▼FRÉDÉRIC▲
En quelle qualité?
▼WILHELM▲
En qualité... de poète, si vous le permettez...
▼FRÉDÉRIC▲
Mais de quel droit, Monsieur,
osez-vous pénétrer ainsi
chez mademoiselle Philine?
▼WILHELM▲
Et de quel droit, Monsieur,
vous trouvez-vous chez elle?
▼FRÉDÉRIC▲
J'y suis entré par la fenêtre, au risque
de me rompre le cou!
▼WILHELM▲
Et moi, par la porte, sans courir aucun risque.
▼FRÉDÉRIC▲
Moi, Monsieur, je suis de ses amis!...
▼WILHELM▲
Moi de même, Monsieur.
▼FRÉDÉRIC▲
Voilà plus d'un an que mes soins
sont accueillis!
▼WILHELM▲
Les miens datent de ce matin...
et ne sont point repoussés.
▼FRÉDÉRIC▲
Enfin, Monsieur, je l'adore!
▼WILHELM▲
Moi, Monsieur, j'en suis fou.
▼FRÉDÉRIC▲
Alors, Monsieur, nous sommes rivaux!
▼WILHELM▲
Il paraît.
▼FRÉDÉRIC▲
Et mademoiselle Philine
vous donne rendez-vous chez elle?... Et vous
vous proposez de me disputer son amour?
▼WILHELM▲
Oui... pardieu!...
▼FRÉDÉRIC▲
Il suffit, Monsieur!
(Tirant son épée)
En garde!
▼WILHELM▲
Plaît-il?...
▼FRÉDÉRIC▲
(d'un air terrible)
En garde!
▼WILHELM▲
(riant)
Vous voulez vous, battre... dans ce salon?...
▼FRÉDÉRIC▲
Oui!...
chez Philine!... dans son boudoir!
c'est original!
▼WILHELM▲
(tirant son épée)
Soit, Monsieur, battons-nous!
▼FRÉDÉRIC▲
Battons-nous!
(Ils croisent le fer. Mignon, revêtue d'une des robes de Philine, sort du cabinet)
Scène Setième
(Les Mêmes, Mignon)
▼MIGNON▲
(s'élançant entre eux)
Ah!... Meister!... Dieu!...
▼WILHELM▲
Mignon!...
▼FRÉDÉRIC▲
Mignon!... quelle Mignon?... que signifie?...
mais je ne me trompe pas!
c'est une des robes de Philine.
(Riant)
Ah! Ah! Ah!...
▼WILHELM▲
Monsieur!...
▼FRÉDÉRIC▲
Calmez-vous! nous nous reverrons!
Dieu me garde de tuer cette belle enfant
pour arriver jusqu'à vous!
à bientôt!
▼WILHELM▲
A bientôt!
▼FRÉDÉRIC▲
(lorgnant Mignon)
Parbleu!
je cours dire a Philine...
(Riant)
Ah! Ah! ah!...
(Il sort en riant. On l'entend rire encore dans la coulisse)
Scène Huitième
(Wilhelm, Mignon)
▼WILHELM▲
Toi!... Mignon!... sous ces habits!...
▼MIGNON▲
(confuse)
Pardonnez-moi!... Ne me grondez pas!
▼WILHELM▲
Pourquoi ce déguisement? M'expliqueras-tu?...
▼MIGNON▲
Oh! je suis en faute, je le sais... Je n'avais pas
le droit d'essayer ces belles parures qui ne
m'appartiennent pas... mais je me croyais seule...
et je n'ai pu résister...
▼WILHELM▲
Deviens-tu folle!... Veux-tu que je sois la risée
de tous ces gens qui sont ici?..
Pourquoi as-tu quitté ta livrée?...
Pourquoi n'attends-tu pas mes ordres?...
Est-ce ainsi que tu sers ton maître?
Alors, séparons-nous, cela vaut mieux!
▼MIGNON▲
(tristement)
Tu me chasses... déjà?
▼WILHELM▲
Eh! non, je ne te chasse pas!... je ne te reproche
rien!... je te sais gré du tendre mouvement
qui vient de te jeter dans mes bras... pour me
protéger contre l'épée de ce jeune furibond!
Mais je comprends maintenant que j'ai eu tort
de céder à ta prière!
(Gaiement)
Je ne puis vraiment pas traîner plus longtemps
à ma suite... un page de ta sorte.
▼MIGNON▲
(naïvement)
Pourquoi?
▼WILHELM▲
(avec embarras)
Pourquoi? Parce qu'une fille comme toi
n'est pas faite pour servir un garçon
de mon âge!... parce que... parce que tu
es femme enfin!... je l'avais oublié...
et c'est toi-même qui me le rappelles
en te montrant à moi sous ce costume!
▼MIGNON▲
Je croyais... je m'étais imaginée...
▼WILHELM▲
Quoi donc?
▼MIGNON▲
Rien! rien!... J'étais folle, en effet!...
Je vais bien vite quitter ces beaux habits
qui me font plus laide
et plus gauche encore à vos yeux!...
▼WILHELM▲
(l'examinant en souriant)
Mais nun!... au contraire!...
(Mignon le regarde)
Va vite, va!...
(il la pousse vers le cabinet)
Si Philine revenait...
▼MIGNON▲
Ah!... vous craignez les moqueries
de mademoiselle Philine!...
c'est elle, sans doute... c'est elle qui vous
a donné le conseil de vous séparer de moi!...
Eh bien! Il faut lui obéir!
▼WILHELM▲
(avec douceur)
Voyons, chère petite, réfléchis un peu...
Je ne puis te garder!
que dirait-on? Que penserait-on?
(Riant)
On finirait par me croire amoureux de toi.
▼MIGNON▲
(vivement)
Oui, tu as raison, il faut nous quitter!
▼WILHELM▲
Je ne t'abandonne pas d'ailleurs;
je t'envoie chez une vieille parente à moi
qui te recevra bien et te traitera comme sa fille.
(Mignon se laissant tomber dans un fauteuil)
▼WILHELM▲
I
Adieu, Mignon, courage!
Ne pleure pas!
Les chagrins sont bien vite oubliés à ton âge!
Dieu te consolera!
mes vœux suivront tes pas!...
Ne pleure pas!
Puisses-tu retrouver et famille et patrie!
Puisses-tu rencontrer, en chemin, le bonheur!
Je te quitte à regret, et mon âme attendrie,
Partage ta douleur!
Adieu, Mignon, courage!
Ne pleure pas!
Les chagrins sont bien vite oubliés à ton âge!
Dieu te consolera!
mes vœux suivront tes pas!...
Ne pleure pas!
II
N'accuse pas mon cœur de froide indifférence!
Ne me reproche pas de suivre un fol amour!
En te disant adieu, je garde l'espérance
De te revoir un jour!
Adieu, Mignon, courage!
Les chagrins sont bien vite oubliés à ton âge.
Dieu te consolera!
mes vœux suivront tes pas!
Ne pleure pas!
▼MIGNON▲
(avec résolution)
Je te remercie de tes bontés,
mais je ne puis accepter l'asile que tu m'offres.
Pour toi je renonçais à ma liberté;
sans toi je veux être libre!
▼WILHELM▲
Chère enfant! écoute la raison!
▼MIGNON▲
La raison est cruelle, maître!
le cœur vaut mieux.
▼WILHELM▲
Mais que vas-tu devenir?
▼MIGNON▲
Ce que j'étais : — Mignon!
(Lui montrant le petit paquet de hardes qu'elle a laissé tomber sur le seuil du fond)
J'ai eu raison, tu le vois, de garder
mes pauvres habits de bohémienne.
Je vais les reprendre et je pars!
▼WILHELM▲
(à part)
Ah! pourquoi Philine exige-t-elle
que je me sépare de Cette enfant!
(La rappelant)
Mignon!...
(Mignon accourt joyeuse il lui tend une bourse)
Prends cette bourse au moins!
▼MIGNON▲
(avec chagrin)
Non! je ne veux pas de ton argent ; ta main suffit!
Donne moi ta main encore une fois!
je pars heureuse!
(Lui saisissant la main et la portant a ses lèvres)
Adieu et merci!
▼WILHELM▲
Non! je ne peux te laisser partir!...
▼MIGNON▲
Il le faut!...
Demain je serai loin; tu ne me verras plus!
▼WILHELM▲
Où iras-tu?
▼MIGNON▲
Là-bas, comme autrefois, par les sentiers perdus!
▼WILHELM▲
Qui te protégera?
▼MIGNON▲
Dieu, les anges et la Madone!
A leur pitié, je m'abandonne...
▼WILHELM▲
Qui te nourrira?
▼MIGNON▲
Aux passants je tendrai la main!
Et sans attendre qu'on ordonne,
Je danserai gaîment pour un morceau de pain!...
(Avec un éclat de rire qui se termina en sanglots)
Ah! ah! ah!
▼WILHELM▲
(la pressant dans ses bras)
Mignon!
(Philine parait au fond avec Frédéric)
Scène Neuvième
▼PHILINE▲
Vous avez dit vrai. Frédéric!
▼MIGNON▲
Philine!...
▼WILHELM▲
Philine!...
▼PHILINE▲
(s'avançant)
Mignon affublée d'une de mes robes...
Mignon dans les bras de monsieur Meister!...
▼WILHELM▲
(avec embarras)
Mignon a cédé à un caprice d'enfant,
en se parant un instant de vos atours,
ma chère Philine.
Elle me priait de -vous demander sa grâce...
et me faisait ses adieux.
▼PHILINE▲
Elle part!
▼WILHELM▲
(bas)
N'est-ce pas vous qui l'avez voulu?
▼PHILINE▲
Moi? nullement!... pourquoi donc?
Je veux être son amie, au contraire!...
Et si ma robe lui plaît...
je la lui donne de bon cœur.
(Examinant Mignon d'un air moqueur)
Elle est vraiment très bien ainsi!... très bien!...
son ancien maître... Jarno...
l'homme au bâton, no la reconnaîtrait plus!...
(Mignon arrache avec colère les rubans dont elle est parée)
Oh! oh! quelle rage contre
mes pauvres dentelles!...
(Mignon se redresse, la regarde fixement, et après avoir ramassé le paquet de hardes qu'elle a laissé sur le seuil, elle court se cacher dans le cabinet de droite)
Et quel regard!...
(Bas a Wilhelm, en souriant)
On dirait, Dieu me pardonne,
que cette petite sauvage est jalouse de moi!
▼WILHELM▲
Jalouse!...
(Musique dans la coulisse. Quelques comédiens, revêtus de costumes do théâtre, traversent la galerie du fond, précédés par des laquais portant des flambeaux)
▼LAERTE▲
(paraissant sur le seuil, au fond, son rôle à la main, et vêtu en prince Thésée)
Holà!... Puch, Ariel, Obéron... passez devant;
je vous suis.
(il entre en déclamant)
L'heure de notre hymen s'avance à tire d'aile,
Belle Hippolyte!
Encor trois jours d'ennui!
trois jours!
Et puis naîtra pour nous une lune nouvelle,
Lune au pâle croissant,
emblème des amours!...
(Se tournant vers Philine)
Eh bienl que faites-vous donc, vous autres?...
Me voilà déguisé en prince Thésée,
tous nos camarades sont sous les armes, —
ces messieurs de l'archet sont à leur poste...
et Titania n'est pas encore prête!
▼PHILINE▲
J'ai le temps de me transformer en fée
dans la coulisse...
(A Fredérick)
Prenez mon costume, là, dans ce cabinet.
(Elle indique le cabinet de gauche)
▼FRÉDÉRIC▲
(avec empressement)
Je me charge de vous l'apporter sur le théâtre!
▼PHILINE▲
Bien! rendez-vous utile.
(Frédéric sort)
▼LAERTE▲
(a Philine)
Philine, je ne sais plus un mot de mon rôle!...
Et toi?
▼PHILINE▲
Moi, j'ai bien autre chose en tête!
▼LAERTE▲
(riant)
Bon! la représentation promet d'être amusante!
(Se tournant vers Wilhelm)
Venez-vous?...
▼WILHELM▲
(distrait)
Je vous suis.
▼LAERTE▲
(bas à Philine)
Qu'a-t-il donc?
▼PHILINE▲
Je vous conterai cela.
▼WILHELM▲
(à part)
Jalouse!...
▼PHILINE▲
(à Laërte)
Je l'ai surpris ici même, avec la jeune Mignon...
▼LAERTE▲
Ah!...
▼PHILINE▲
Qui s'était parée d'une de mes robes
pour lui plaire!
▼LAERTE▲
Bah!
▼PHILINE▲
La pauvre fille, je crois,
est amoureuse de son maître.
▼LAERTE▲
Diable!
▼PHILINE▲
Vous ne riez pas?
▼LAERTE▲
Non.
▼PHILINE▲
Pourquoi?
▼LAERTE▲
(sérient)
Parce que vous riez.
▼LE SOUFFLEUR▲
(paraissant au fond)
Laërte... Philine... on commence!...
▼LAERTE▲
(courant à lui)
Ah! mon cher Aloysius!... soufflez bien!...
où je suis perdu!...
(Déclamant)
L'heure de notre hymen... belle Hippolyte!...
(Jetant son rôle en l'air)
Ma foi!... tant pis! à la campagne!...
(Il entraîne Aloysius)
▼PHILINE▲
(à Wilhelm)
M. Meister!...
▼WILHELM▲
(sortant de sa rêverie)
Pardon!
(Il offre son bras à Philine, Mignon entrouvre la porte du cabinet de droite)
▼PHILINE▲
(à Wilhelm)
A quoi rêvez-vous donc?
Est-ce que vous no m'aimez plus?
▼WILHELM▲
Moi, Philine Je t'adore!...
(Ils disparaissent dans la galerie du fond)
▼FRÉDÉRIC▲
(sortant du cabinet de gauche, les bras chargés des robes de Philine)
Philine! chère Philine... me voici!...
Eh bien! elle ne m'attend pas!
elle s'éloigne au bras de M. Meister!
Décidément je le tuerai!
(Il s'élance sur les traces de Philine)
▼MIGNON▲
(reparaissant, vêtue de sou costume du premier acte)
Cette Philine!... je la hais!...
(Elle sort en courant)
Deuxième Tableau
(Un coin du parc. Au fond, à droite, une serre attenante au château, et éclairée à l'intérieur. A gauche, une large pièce d'eau bordée de roseaux. Musique et bruit d'applaudissements dans la coulisse. Mignon se glisse sous les arbres et se penche dans l'ombre pour écouter)
Scène Première
▼MIGNON▲
(seule)
Elle est là près de lui!
Son triomphe commence!
Et moi j'erre au hasard dans ce jardin immense...
(Avec agitation)
Elle est aimée! il l'aime! eh bien! je le savais!
Ces tourments, je les éprouvais!
Non! je ne l'avais pas entendu de sa bouche,
Ce mot qui déchire mon cœur!
Espères-tu que ton chagrin le louche,
Pauvre Mignon! il l'aime! et son rire moqueur,
Rend plus cruelle encor cette parole!
Il l'aime] ô Dieu! je deviens folle,
De rage et de douleur!
(Courant vers la pièce d'eau)
Ah!.... ce flot clair et tranquille
M'attire à lui! — j'entends parmi les verts roseaux,
Votre voix, ô filles des eaux!...
Vous m'appelez à vous
sous cette onde immobile!...
(Elle va pour s'élancer, les accords d'une harpe se fond entendre sous les arbres)
Ciel! qu'entends-je? écoutons!...
(Redescendant en scène)
Le mauvais ange a fui!
Je veux vivre!
(Lothario parait)
Est-ce toi, Lothario?...
(Avec joie)
C'est lui!
Scène Seconde
▼LOTHARIO▲
(ne reconnaissant pas d'abord Mignon)
Qui donc est là?...
Quelle est cette voix qui m'appelle?
(La regardant avec tendresse)
Est-ce toi, Sperata?... Réponds! est-ce toi?
▼MIGNON▲
Non!
▼LOTHARIO▲
(la repoussant doucement)
Mon coeur se trompe encore, hélas!
ce n'est pas elle!
C'est l'enfant qui voulait me suivre; c'est Mignon!
▼MIGNON▲
(avec tristesse)
Oh! oui! tu te souviens!
oui, c'est bien là mon nom
▼LOTHARIO▲
Pauvre enfant! pauvre créature!
J'ai voulu te revoir et j'ai suivi tes pas!
Viens sur mon cœur!
Reste en mes bras!
Et dis-moi quel chagrin te brise et te torture!...
(Il presse Mignon entre ses bras)
▼MIGNON▲
(avec une ardeur fiévreuse, le front appuyé sur la poitrine de Lothario)
As-tu souffert? As-tu pleuré?
As-tu langui sans espérance,
L'âme en deuil, le cœur déchiré?
Alors tu connais ma souffrance!
▼LOTHARIO▲
Comme toi, triste et solitaire,
Courbé sous d'inflexibles lois,
De mes pleurs, j'ai mouillé la terre!
Le ciel reste sourd à ma voix!
Duett
▼MIGNON▲
As-tu souffert? As-tu pleuré?
As-tu langui sans espérance,
L’âme en deuil, le cœur déchiré?
Alors, tu connais ma souffrance!
▼LOTHARIO▲
Oui, j’ai souffert! j’ai pleuré
Et j’ai langui sans espérance!
Comme toi, le cœur déchiré
Enfant, je connais la souffrance!
(Applaudissements et acclamations bruyantes dans le château)
▼MIGNON▲
(se dégageant brusquement des bras de Lothario)
Écoute! c'est son nom que la foule répète!
C'est elle qu'on acclame
et c'est elle qu'on fête!...
(Se tournant vers le château avec un geste de menace)
Ah! que la main de Dieu,
Ne peut-elle sur eux faire éclater la foudre,
Et frapper ce palais, et le réduire en poudre,
Et l'engloutir sous des torrents de feu!...
(Elle s'enfuit sous les arbres)
Scène Troisième
▼LOTHARIO▲
(Après un long silence ; avec égarement)
Le feu!... le feu!... le feu!...
(Il traverse lentement le théâtre et disparaît dans l'ombre. Les portes de la serre s'ouvrent pour laisser passer la foule des invités et des comédiens)
Scène Quatrième
(Seigneurs Et Dames, Philine Et Les Comédiens Frédéric, Le Baron, La Baronne, Le Prince, valets, portant des flambeaux. La représentation vient de finir. Philine et les comédiens ont conservé leurs costumes de théâtre)
▼LE CHŒUR▲
Brava! brava! brava!
Gloire à Titania!...
▼PHILINE▲
Oui, pour ce soir, je suis reine des fées!
(Montrant sa baguette magique)
Voici mon sceptre d'or!...
(Montrant les couronnes que lui présente Frédéric)
E. voici mes trophées!
▼LES COMÉDIENS▲
(entre eux avec dépit)
Déjà vingt amants
Entourent la belle,
Et tout est pour elle,
Fleurs et compliments!
▼FRÉDÉRIC, SEIGNEURS▲
Déjà vingt amants
Entourent la belle,
Et cette cruelle
Rit de nos tourments!
▼PHILINE▲
Je suis Titania la blonde,
Titania, fille de l'air!...
En riant, je parcours le monde
Plus vive que l'oiseau,
plus prompte que l'éclair!
La troupe folle
Des lutins suit
Mon char qui vole
Et dans la nuit fuit!
Autour de moi, toute ma cour
Court, chantant le plaisir et l’amour!
La troupe folle
Des lutins suit
Mon char qui vole
Et dans la nuit fuit!
Aux rayons de Phoebé qui luit!...
Parmi les fleurs que l’aurore,
Fait éclore,
Par les bois et par les prés diaprés
Sur les flots couverts d'écume
Dans la brume
On me voit d’une pie légère voltiger!
Je suis Titania, la blonde,
Titania, fille de l'air!
En riant, je parcours le monde,
Plus vive que l'oiseau,
plus prompte que l'éclair!
▼LE CHŒUR▲
(entourant Philine pour la complimenter)
Gloire à Titania, la blonde
Brava! brava! brava!
Gloire à Titania!
(Les invités remontent au fond, se promènent sous les arbres et forment différents groupes)
Scène Cinquième
▼PHILINE▲
(apercevant Wilhelm)
Ah! vous voici!... Déjà vous vous faites attendre.
(D'un air de reproche)
Vous n'étiez pas là pour m'entendre!...
▼FRÉDÉRIC▲
(à part)
Encor lui!... quel sourire aimable!
quel air tendre!
▼WILHELM▲
(regardant autour de lui avec inquiétude)
Pardonnez-moi!... Je cherche en vain, Mignon!...
▼PHILINE▲
(minaudant)
Eh! quoi!
Celle que vous cherchez, monsieur,
ce n'est pas moi!
(Ils remontent en causant ; Mignon et Lothario se rencontrent sur le devant du théâtre)
▼LOTHARIO▲
(à demi voix)
Sois contente, Mignon!
Réjouis-toi, pauvre âme!...
J'ai voulu t'obéir!...
Et ces murs sont en flamme.
▼MIGNON▲
Ciel! que dis-tu?
▼LOTHARIO▲
(calme et souriant)
J'ai fait ce que tu voulais.
▼MIGNON▲
Dieu!
▼LOTHARIO▲
Ces murs vont s'écrouler
sous des torrents de feu!
(Mignon inquiète cherche Wilhelm des yeux. Wilhelm l'aperçoit et accourt vers elle)
▼WILHELM▲
C'est toi!... je te cherchais, Mignon!...
▼PHILINE▲
(s'approchant)
Holà! ma belle!
▼MIGNON▲
Que voulez-vous?
▼PHILINE▲
Pour nous prouver ton zèle,
Va vite, va chercher
Là-bas.
(Elle indique la serre)
Certain bouquet... dont quelqu'un qui m'est cher
Tantôt m'a fait hommage,
El que j'ai laissé choir, je crois, de mon corsage.
▼WILHELM▲
A quoi bon?...
▼MIGNON▲
(à Wilhelm)
J'obéis, j'obéis, maître!
(Elle s'élance dans la serre)
▼LAERTE▲
(accourant)
Dieu!
Philine, mes amis,
le théâtre est en feu!
Regardez!...
▼TOUS▲
(avec effroi)
Que dit-il?
▼PHILINE ET LES FEMMES▲
Je meurs!... mon sang se glace!...
(Les laquais sortent emportant les flambeaux. Le théâtre se plonge dans l’obscurité; des lueurs d'incendie commencent à éclairer le vitrage de la serre)
▼WILHELM▲
(écartant la foule)
Ah! malheureuse enfant!...
Arrière!... faites place!
▼LAERTE▲
(le retenant)
Arrêtez!
▼PHILINE▲
(le retenant)
Cher Wilhelm!
▼WILHELM▲
Ne me retenez pas!...
(Il s'élance au secours de Mignon)
▼LE CHŒUR▲
Pour apaiser la flamme,
Tout secours serait vain!
L'effroi glace notre âme!
Que sert-il de tenter
un effort surhumain
▼LOTHARIO▲
(debout, an milieu de la scène et dominant le tumulte général)
Fugitif et tremblant,
je vais de porte en porte,
Où le ciel me conduit,
où l'orage m'emporte,
Des misérables Dieu prend soin...
(Le vitrage éclate et s'écroule. La foule des invités se presse sur le devant de la scène en poussant un cri de terreur)
▼PHILINE▲
J'ignorais le danger...
le ciel m'en est témoin!
▼LOTHARIO▲
(indifférent à toute cette scène, dans une sorte d'extase)
Elle vit! elle vit!... et je cherche sa trace
Je me repose un jour, un seul jour, et je passe,
Je vais plus loin!...
toujours plus loin!...
(Wilhelm parait enfin portant Mignon dans ses bras)
▼LE CHŒUR▲
Ciel!
▼LAERTE ET PHILINE▲
Wilhelm!...
▼WILHELM▲
De la mort, Dieu l'a préservée!
La flamme l'entourait déjà!
je l'ai sauvée!
(Il dépose sur un banc de gazon Mignon évanouie. Mignon serre entre ses mains crispées un bouquet de fleurs flétries et à demi consumées)