PROLOGUE
Première Tableau
(A Byzance dans la basilique devant les portes du Saint Iconostase)
▼L'EMPEREUR PHORCAS▲
Dignitaires! Guerriers!
Sous ces augustes voûtes
Devant votre Empereur vous voici rassemblés!
A toi, peuple fidèle et soumis qui m'écoutes,
Les arrêts du Destin vont être révélés.
Entre l'empire et l'art de la magie
J'avais rêvé de partager ma vie…
Mais celui qui sommet les démons à sa voix
Doit lui-même obéir à d'inflexibles lois.
Loin de vous, loin du monde.
Renonçant aux grandeurs,
aux vains titres humains.
J'abandonne mon trône à ma fille Esclarmonde
Et laisse le pouvoir entre ses jeunes mains.
▼LA FOULE▲
O surprise!
▼PHORCAS▲
J'aurais voulu donner, avant de disparaître,
Un époux à ma fille, à cet empire un maître;
Mais Esclarmonde a par mes soins appris
L'art de commander aux Esprits,
Et pour garder le magique héritage,
Elle devra jusqu'à vingt ans
Dérober aux regards
des hommes son visage
Toujours couvert de longs voiles flottants!
Au jour prescrit un tournoi dans Byzance
Rassemblera les chefs,
les preux au coeur vaillant;
Et la main d'Esclarmonde, et la toute-puissance
Appartiendront alors au vainqueur triomphant!
De l'autel vénéré que la lumière inonde
Ouvrez les portes d'or!
(Les ports du Saint iconostase se sont ouvertes. Dans un nuage d'encens Esclarmonde voilée paraît, tiare en tête, constellée de pierreries, on dirait une idole Byzantine. Ses femmes l'entourent, sa soeur Parséïs est à ses côtés. Gardes richementvêtus. Thuriféraires portant des encensoirs)
▼LA FOULE▲
(bien chanté et soutenu)
O divine Esclarmonde!
Ton trône resplendit plus brillant que le jour!
Le destin à tes pieds met Byzance et le monde.
Tout l'univers t'acclame en frémissant d'amour!
(Parséïs, suivie des thuriféraires, des gardes, s'avance vers Phorcas qui lui remet les insignes, la couronne et le sceptre, que Parséïs à son tour dépose sur des coussins portés par des gardes; ceux-ci se dirigentalors vers Esclarmonde, s'agenouillent devant elle et lui présentent lesemblèmes de la toute-puissance)
▼PHORCAS▲
(à Parséïs, à part)
Toi seule, ô Parséïs, connaîtras ma retraite,
Tu seras de ta soeur la gardienne discrète.
Hélas!
(très expressif)
Chère Esclarmonde, il faut nous séparer!
O trésor sans pareil dont j'emporte
À jamais la radieuse image!
Éclatantes beautés!
O célestes regard!
Adorable visage!
Traits divins ignorés des mortels!
Apparaissez encore!
Apparaissez à mes yeux paternels!
(Esclarmonde, quittant l'Iconostase, s'avance lentement au milieu de la foule prosternée; puis, soulevant doucement son voile, elleapparaît aux regards de son père, qui s'incline devant elle, commeextasié. Puis, Esclarmonde laisse peu à peu retomber le voile. Lepeuple prosterné se relève peu à peu pendant qu'Esclarmonde, seule,au milieu des flots d'encens, remonte se placer dans le sanctuaire)
▼LA FOULE▲
Sublime Impératrice!
O divine Esclarmonde,
Ton trône resplendit plus brillant que le jour!
Le destin à tes pieds met Byzance et le monde.
Tout l'univers t'acclame en frémissant d'amour!
O divine Esclarmonde!
L'univers frémit d'amour!
ACTE I
Deuxième Tableau
(A Byzance. Une terrasse du Palais. A droite, un trépied élevé au-dessus de quelques marches)
▼ESCLARMONDE▲
(en songeant)
Roland! Roland!
Comme ce nom me trouble étrangement!
Comme il tient ma pensée
Et règne uniquement en mon âme blessée!
Héros jamais revu mais jamais oublié,
A ton seul souvenir mon coeur reste lié!
Ah! trop malheureuse Esclarmonde!
A toute autre que moi, le ciel aurait permis
De l'aimer… de le dire à la face du monde!
Vous ne le voulez pas…
O destins ennemis!
Jamais coeur ne brûla de plus vives amours! ah!
Celui pour qui je meurs
doit l'ignorer toujours!
Comme il tient ma pensée
Et règne uniquement en mon âme blessée!
(Parséïs entre)
Parséïs!
▼PARSÉIS▲
(avec un empressement affectueux)
O ma soeur, ma tendre souveraine,
En vos yeux adorés je vois briller des pleurs!
Quel chagrin assombrit votre beauté sereine?
Ah! parlez! dites-moi vos secrètes douleurs!
▼ESCLARMONDE▲
(vivement et très expressif)
Ne les comprends-tu pas?
Une implacable loi
Du reste des humains m'isole…
Et m'enferme ainsi qu'une idole
Sort plus cruel encor le hasard d'un tournoi
Disposera de mon trône et de moi!
▼PARSÉIS▲
Mais s'il vous fit Impératrice
Notre père vous fit Magicienne aussi!
Quittez donc tout souci
Vous avez le pouvoir suivez votre caprice…
Parmi les rois régnant sur les peuples divers,
Parmi les chevaliers vantés dans l'univers…
Choisissez votre époux vous-même!
O ma soeur, vous aimerez peut-être!
O ma soeur, vous aimerez peut-être!
▼ESCLARMONDE▲
Hélas! Parséïs! J'aime!
▼PARSÉIS▲
Vous aimez?
▼ESCLARMONDE▲
Un vainqueur glorieux!
Le chevalier Roland Comte de Blois!
Jadis il traversa Byzance,
Mais il ne put me voir…
Les décrets du sort inexorable
Sous les longs plis d'un voile
cachaient déjà mes traits…
Mais son front noble et fier
ses regards pleins de flamme
Sont demeurés gravés à jamais dans mon âme!
C'est que je voudrais voir vainqueur du tournoi!
Rêve inutile, hélas! il est là-bas en France!
Il ne peut songer à moi!
▼PARSÉIS▲
Mais vous songez à lui!
Vers Byzance
vous-même ne pouvez-vous donc pas…
Par quelque enchantement,
bientôt guider ses pas?
▼ESCLARMONDE▲
(avec passion)
C'est trop peu que d'aimer…
il faut que l'on vous aime!
Ah! trop malheureuse Esclarmonde!
Ah! celui par qui tu meurs doit l'ignorer,
Doit ignorer toujours!
▼PARSÉIS▲
Ah! trop malheureuse Esclarmonde!
Et ne pouvoir le dire à la face du monde!
▼ESCLARMONDE, PARSÉIS▲
Jamais coeur ne brûla de si vives amours!
Jamais coeur ne brûla de si vives amours!
Et ne pouvoir le dire à la face du monde!
Ah! Celui pour qui tu meurs
doit l'ignorer toujours!
(Appels de trompettes à l'extérieur)
▼PARSÉIS▲
(écoutant)
On vient, ma soeur!
(avec joie)
C'est Énéas! c'est lui!
C'est mon fidèle ami qui revient aujourd'hui!
(Esclarmonde s'est subitement recouverte de son voile.Entrée d'Énéas)
▼ÉNÉAS▲
Salut, Impératrice auguste et vénérée!
Salut ô Parséïs, ô maîtresse adorée!
▼PARSÉIS▲
Entrez, beau chevalier!
La divine Esclarmonde est lasse des hommages!
Parlez-nous simplement
de vos lointains voyages…
Parti depuis un an sous le casque et l'armure,
Avez-vous combattu contre les mécréants?
Vaincu des chevaliers?
Pourfendu des géants?
Parlez! parlez!
Répondez-nous, beau chercheur d'aventure!
▼ÉNÉAS▲
En l'honneur de vos divins yeux.
Oui, partout l'on m'a vu guerroyer de mon mieux!
Sans cesse affrontant les destins contraires.
Et ne redoutant que votre rigueur!
Oui! parmi plus de mille adversaires
Je n'ai rencontré qu'un vainqueur!
▼PARSÉIS▲
(gaîment)
Un vainqueur!
▼ÉNÉAS▲
Je n'ai rencontré qu'un vainqueur!
▼PARSÉIS▲
Quelqu'un vous a pu vaincre?
Et qui donc, je vous prie?
▼ÉNÉAS▲
Un héros sans égal… l'honneur de la chevalerie!
▼PARSÉIS▲
Il se nomme?
▼ÉNÉAS▲
Roland!
▼ESCLARMONDE, PARSÉIS▲
(avec surprise)
Lui! Roland!
▼ESCLARMONDE▲
(à part, émue)
O destin!
▼ÉNÉAS▲
(poursuivant son récit)
Vainqueur,
Roland pouvait m'égorger sans pitié;
Il m'a tendu la main,
il m'a nommé son frère!
Nous avons fait serment d'éternelle amitié!
Je l'ai quitté pourtant…
(à Parséïs)
O Parséïs! j'ai voulu vous revoir…
j'ai hâté mon retour.
Tandis que Cléomer, par un doux esclavage.
Afin de retenir ce héros à sa cour
Va, dit-on, lui donner sa fille en mariage!
▼ESCLARMONDE▲
(se levant)
O ciel!
(à part, avec émotion)
Qu'ai-je entendu?
(en sanglotant)
Roland pour moi serait perdu?
Parséïs!
▼PARSÉIS▲
(à Énéas, elle a compris le désir d'Esclarmonde)
Énéas, laissez-nous toutes deux…
▼ÉNÉAS▲
(s'inclinant)
J'obéis.
(s'éloignant à regret)
Quand pourrai-je à vos yeux reparaître?
▼PARSÉIS▲
Vous le saurez… plus tard… ce soir… peut-être.
▼ÉNÉAS▲
Me direz-vous le mot qui doit me rendre heureux?
▼PARSÉIS▲
(s'est rapprochée d'Énéas)
Oui, je permets l'espoir à ce coeur amoureux!
Oui, je permets l'espoir à ce coeur amoureux!
▼ÉNÉAS▲
Oui, j'entendrai le mot qui doit me rendre heureux!
▼PARSÉIS▲
Oui, je permets l'espoir à ce coeur amoureux!
▼ÉNÉAS▲
Je serai trop heureux! je suis trop heureux!
trop heureux!
▼ESCLARMONDE▲
(tristement, à part)
Ils sont heureux! Ils sont heureux!
(Dès qu'Énéas est sorti, Esclarmonde se relève violemment et rejette son voile; Parséïs revient près d'elle)
C'en est fait!
Je ne résiste plus!
Énéas à fixé mes voeux irrésolus!
(avec intention)
Cette nuit… cette nuit même…
Roland m'appartiendra!
Je le ferai venir! dans une île magique…
À lui j'irais m'unir!
(avec autorité)
Je veux qu'il soit à moi! qu'il m'aime!
▼PARSÉIS▲
Mais… que devient votre pouvoir…
▼ESCLARMONDE▲
Je resterai voilée… il ne pourra me voir!
(avec volupté et énergie)
Mais par de brûlantes caresses…
Par des baisers tout puissants…
Je charmerai son coeur, je troublerai ses sens…
Il connaîtra par moi de si douces ivresses…
Qu'il ne souhaitera jamais d'autres tendresses…
Et je règnerai seule en son coeur enchanté!
(Esclarmonde monte sur le trépied. Évoquant)
O lune! triple Hécate! ô Tanit! Astarté!
Prête-moi ton miroir et ta douce clarté!
▼CHOEUR INVISIBLE▲
O lune!…
…triple Hécate!…
…ô Tanit!…
…Astarté!
▼ESCLARMONDE▲
(éclatant et très énergique)
Esprits de l'air!
Esprits de l'onde!
Esprits du feu!
(en riant)
Ah!
Hâtez-vous d'accomplir le voeu d'Esclarmonde!
Entendez ma voix!
(avec tendresse)
A mes yeux faites paraître
Celui que je veux connaître…
Celui pour qui brûle mon être!
Roland Comte de Blois!
Esprits de l'air!
Esprits de l'onde!
Esprits du feu!
Obéissez-moi!
(Esclarmonde et Parséïs suivent des yeux tonte la fantasmagorie)
▼CHOEUR INVISIBLE▲
Roland!
Roland!
Roland!
▼ESCLARMONDE▲
(avec un cri de triomphe)
C'est lui!
le voilà!
▼PARSÉIS▲
O prodige! il m'apparaît aussi!
▼ESCLARMONDE▲
Dans la forêt des Ardennes
Chasse le Roi Cléomer!
▼ESCLARMONDE, PARSÉIS▲
On court! On court!
Des clameurs lointaines montent dans l'air!
Sonne! Sonne, ô cor, ton chant superbe!
Sonne! Sonne, ô cor!
Roland, le fier chevalier,
A déjà couché sur l'herbe
Le sanglier!
Sonne ta fanfare, ô cor!
▼PARSÉIS▲
Car voici qu'un cerf blanc passe!
▼ESCLARMONDE▲
Un cerf couronné d'or!
▼PARSÉIS▲
Mais Roland se précipite…
▼ESCLARMONDE▲
Le cerf franchit le hallier,
Entraînant bien loin, bien vite le chevalier!
▼PARSÉIS▲
Bien loin!
▼ESCLARMONDE▲
Bien loin!
(très vibrant et détaché)
Ah!
▼PARSÉIS▲
Sonne ta fanfare, ô cor!
▼ESCLARMONDE, PARSÉIS▲
Sonne ta fanfare, ô cor!
Sonne! Sonne! Sonne!
Ah!
Sonne! Sonne! Sonne ta fanfare, ô cor!
▼PARSÉIS▲
Ah! tout change soudain!
Quel est ce lieu sauvage?
La mer!
▼ESCLARMONDE▲
La mer!
▼PARSÉIS▲
Le héros étonné
S'est arrêté sur le rivage…
Un navire paraît!
▼ESCLARMONDE▲
Un navire paraît!
▼PARSÉIS▲
Et Roland entraîné
Monte sur le vaisseau docile!
▼ESCLARMONDE▲
(avec un cri de joie)
Il vient!
Esprit de l'onde!
Vers cette île où l'attend un époux…
Portez aussi la trop heureuse Esclarmonde!
(Tout disparaît… la nuit est venu… des lueurs fantastiques éclairentvaguement la scène… un char attelé de deux griffons a remplacé le trépied magique. Se disposant à monter sur le char, à Parséïs, avecexpression)
Adieu Parséïs! ô soeur qui m'es chère!
Je te quitte pour un époux!
Mais, quand reviendra la lumière,
Je reparaîtrai parmi vous!
(Esclarmonde monte sur le char qui s'envole, en disparaissant)
Esprits de l'air!
Esprits de l'onde! obéissez-moi!
PROLOGUE
Première Tableau
(A Byzance dans la basilique devant les portes du Saint Iconostase)
L'EMPEREUR PHORCAS
Dignitaires! Guerriers!
Sous ces augustes voûtes
Devant votre Empereur vous voici rassemblés!
A toi, peuple fidèle et soumis qui m'écoutes,
Les arrêts du Destin vont être révélés.
Entre l'empire et l'art de la magie
J'avais rêvé de partager ma vie…
Mais celui qui sommet les démons à sa voix
Doit lui-même obéir à d'inflexibles lois.
Loin de vous, loin du monde.
Renonçant aux grandeurs,
aux vains titres humains.
J'abandonne mon trône à ma fille Esclarmonde
Et laisse le pouvoir entre ses jeunes mains.
LA FOULE
O surprise!
PHORCAS
J'aurais voulu donner, avant de disparaître,
Un époux à ma fille, à cet empire un maître;
Mais Esclarmonde a par mes soins appris
L'art de commander aux Esprits,
Et pour garder le magique héritage,
Elle devra jusqu'à vingt ans
Dérober aux regards
des hommes son visage
Toujours couvert de longs voiles flottants!
Au jour prescrit un tournoi dans Byzance
Rassemblera les chefs,
les preux au coeur vaillant;
Et la main d'Esclarmonde, et la toute-puissance
Appartiendront alors au vainqueur triomphant!
De l'autel vénéré que la lumière inonde
Ouvrez les portes d'or!
(Les ports du Saint iconostase se sont ouvertes. Dans un nuage d'encens Esclarmonde voilée paraît, tiare en tête, constellée de pierreries, on dirait une idole Byzantine. Ses femmes l'entourent, sa soeur Parséïs est à ses côtés. Gardes richementvêtus. Thuriféraires portant des encensoirs)
LA FOULE
(bien chanté et soutenu)
O divine Esclarmonde!
Ton trône resplendit plus brillant que le jour!
Le destin à tes pieds met Byzance et le monde.
Tout l'univers t'acclame en frémissant d'amour!
(Parséïs, suivie des thuriféraires, des gardes, s'avance vers Phorcas qui lui remet les insignes, la couronne et le sceptre, que Parséïs à son tour dépose sur des coussins portés par des gardes; ceux-ci se dirigentalors vers Esclarmonde, s'agenouillent devant elle et lui présentent lesemblèmes de la toute-puissance)
PHORCAS
(à Parséïs, à part)
Toi seule, ô Parséïs, connaîtras ma retraite,
Tu seras de ta soeur la gardienne discrète.
Hélas!
(très expressif)
Chère Esclarmonde, il faut nous séparer!
O trésor sans pareil dont j'emporte
À jamais la radieuse image!
Éclatantes beautés!
O célestes regard!
Adorable visage!
Traits divins ignorés des mortels!
Apparaissez encore!
Apparaissez à mes yeux paternels!
(Esclarmonde, quittant l'Iconostase, s'avance lentement au milieu de la foule prosternée; puis, soulevant doucement son voile, elleapparaît aux regards de son père, qui s'incline devant elle, commeextasié. Puis, Esclarmonde laisse peu à peu retomber le voile. Lepeuple prosterné se relève peu à peu pendant qu'Esclarmonde, seule,au milieu des flots d'encens, remonte se placer dans le sanctuaire)
LA FOULE
Sublime Impératrice!
O divine Esclarmonde,
Ton trône resplendit plus brillant que le jour!
Le destin à tes pieds met Byzance et le monde.
Tout l'univers t'acclame en frémissant d'amour!
O divine Esclarmonde!
L'univers frémit d'amour!
ACTE I
Deuxième Tableau
(A Byzance. Une terrasse du Palais. A droite, un trépied élevé au-dessus de quelques marches)
ESCLARMONDE
(en songeant)
Roland! Roland!
Comme ce nom me trouble étrangement!
Comme il tient ma pensée
Et règne uniquement en mon âme blessée!
Héros jamais revu mais jamais oublié,
A ton seul souvenir mon coeur reste lié!
Ah! trop malheureuse Esclarmonde!
A toute autre que moi, le ciel aurait permis
De l'aimer… de le dire à la face du monde!
Vous ne le voulez pas…
O destins ennemis!
Jamais coeur ne brûla de plus vives amours! ah!
Celui pour qui je meurs
doit l'ignorer toujours!
Comme il tient ma pensée
Et règne uniquement en mon âme blessée!
(Parséïs entre)
Parséïs!
PARSÉIS
(avec un empressement affectueux)
O ma soeur, ma tendre souveraine,
En vos yeux adorés je vois briller des pleurs!
Quel chagrin assombrit votre beauté sereine?
Ah! parlez! dites-moi vos secrètes douleurs!
ESCLARMONDE
(vivement et très expressif)
Ne les comprends-tu pas?
Une implacable loi
Du reste des humains m'isole…
Et m'enferme ainsi qu'une idole
Sort plus cruel encor le hasard d'un tournoi
Disposera de mon trône et de moi!
PARSÉIS
Mais s'il vous fit Impératrice
Notre père vous fit Magicienne aussi!
Quittez donc tout souci
Vous avez le pouvoir suivez votre caprice…
Parmi les rois régnant sur les peuples divers,
Parmi les chevaliers vantés dans l'univers…
Choisissez votre époux vous-même!
O ma soeur, vous aimerez peut-être!
O ma soeur, vous aimerez peut-être!
ESCLARMONDE
Hélas! Parséïs! J'aime!
PARSÉIS
Vous aimez?
ESCLARMONDE
Un vainqueur glorieux!
Le chevalier Roland Comte de Blois!
Jadis il traversa Byzance,
Mais il ne put me voir…
Les décrets du sort inexorable
Sous les longs plis d'un voile
cachaient déjà mes traits…
Mais son front noble et fier
ses regards pleins de flamme
Sont demeurés gravés à jamais dans mon âme!
C'est que je voudrais voir vainqueur du tournoi!
Rêve inutile, hélas! il est là-bas en France!
Il ne peut songer à moi!
PARSÉIS
Mais vous songez à lui!
Vers Byzance
vous-même ne pouvez-vous donc pas…
Par quelque enchantement,
bientôt guider ses pas?
ESCLARMONDE
(avec passion)
C'est trop peu que d'aimer…
il faut que l'on vous aime!
Ah! trop malheureuse Esclarmonde!
Ah! celui par qui tu meurs doit l'ignorer,
Doit ignorer toujours!
PARSÉIS
Ah! trop malheureuse Esclarmonde!
Et ne pouvoir le dire à la face du monde!
ESCLARMONDE, PARSÉIS
Jamais coeur ne brûla de si vives amours!
Jamais coeur ne brûla de si vives amours!
Et ne pouvoir le dire à la face du monde!
Ah! Celui pour qui tu meurs
doit l'ignorer toujours!
(Appels de trompettes à l'extérieur)
PARSÉIS
(écoutant)
On vient, ma soeur!
(avec joie)
C'est Énéas! c'est lui!
C'est mon fidèle ami qui revient aujourd'hui!
(Esclarmonde s'est subitement recouverte de son voile.Entrée d'Énéas)
ÉNÉAS
Salut, Impératrice auguste et vénérée!
Salut ô Parséïs, ô maîtresse adorée!
PARSÉIS
Entrez, beau chevalier!
La divine Esclarmonde est lasse des hommages!
Parlez-nous simplement
de vos lointains voyages…
Parti depuis un an sous le casque et l'armure,
Avez-vous combattu contre les mécréants?
Vaincu des chevaliers?
Pourfendu des géants?
Parlez! parlez!
Répondez-nous, beau chercheur d'aventure!
ÉNÉAS
En l'honneur de vos divins yeux.
Oui, partout l'on m'a vu guerroyer de mon mieux!
Sans cesse affrontant les destins contraires.
Et ne redoutant que votre rigueur!
Oui! parmi plus de mille adversaires
Je n'ai rencontré qu'un vainqueur!
PARSÉIS
(gaîment)
Un vainqueur!
ÉNÉAS
Je n'ai rencontré qu'un vainqueur!
PARSÉIS
Quelqu'un vous a pu vaincre?
Et qui donc, je vous prie?
ÉNÉAS
Un héros sans égal… l'honneur de la chevalerie!
PARSÉIS
Il se nomme?
ÉNÉAS
Roland!
ESCLARMONDE, PARSÉIS
(avec surprise)
Lui! Roland!
ESCLARMONDE
(à part, émue)
O destin!
ÉNÉAS
(poursuivant son récit)
Vainqueur,
Roland pouvait m'égorger sans pitié;
Il m'a tendu la main,
il m'a nommé son frère!
Nous avons fait serment d'éternelle amitié!
Je l'ai quitté pourtant…
(à Parséïs)
O Parséïs! j'ai voulu vous revoir…
j'ai hâté mon retour.
Tandis que Cléomer, par un doux esclavage.
Afin de retenir ce héros à sa cour
Va, dit-on, lui donner sa fille en mariage!
ESCLARMONDE
(se levant)
O ciel!
(à part, avec émotion)
Qu'ai-je entendu?
(en sanglotant)
Roland pour moi serait perdu?
Parséïs!
PARSÉIS
(à Énéas, elle a compris le désir d'Esclarmonde)
Énéas, laissez-nous toutes deux…
ÉNÉAS
(s'inclinant)
J'obéis.
(s'éloignant à regret)
Quand pourrai-je à vos yeux reparaître?
PARSÉIS
Vous le saurez… plus tard… ce soir… peut-être.
ÉNÉAS
Me direz-vous le mot qui doit me rendre heureux?
PARSÉIS
(s'est rapprochée d'Énéas)
Oui, je permets l'espoir à ce coeur amoureux!
Oui, je permets l'espoir à ce coeur amoureux!
ÉNÉAS
Oui, j'entendrai le mot qui doit me rendre heureux!
PARSÉIS
Oui, je permets l'espoir à ce coeur amoureux!
ÉNÉAS
Je serai trop heureux! je suis trop heureux!
trop heureux!
ESCLARMONDE
(tristement, à part)
Ils sont heureux! Ils sont heureux!
(Dès qu'Énéas est sorti, Esclarmonde se relève violemment et rejette son voile; Parséïs revient près d'elle)
C'en est fait!
Je ne résiste plus!
Énéas à fixé mes voeux irrésolus!
(avec intention)
Cette nuit… cette nuit même…
Roland m'appartiendra!
Je le ferai venir! dans une île magique…
À lui j'irais m'unir!
(avec autorité)
Je veux qu'il soit à moi! qu'il m'aime!
PARSÉIS
Mais… que devient votre pouvoir…
ESCLARMONDE
Je resterai voilée… il ne pourra me voir!
(avec volupté et énergie)
Mais par de brûlantes caresses…
Par des baisers tout puissants…
Je charmerai son coeur, je troublerai ses sens…
Il connaîtra par moi de si douces ivresses…
Qu'il ne souhaitera jamais d'autres tendresses…
Et je règnerai seule en son coeur enchanté!
(Esclarmonde monte sur le trépied. Évoquant)
O lune! triple Hécate! ô Tanit! Astarté!
Prête-moi ton miroir et ta douce clarté!
CHOEUR INVISIBLE
O lune!…
…triple Hécate!…
…ô Tanit!…
…Astarté!
ESCLARMONDE
(éclatant et très énergique)
Esprits de l'air!
Esprits de l'onde!
Esprits du feu!
(en riant)
Ah!
Hâtez-vous d'accomplir le voeu d'Esclarmonde!
Entendez ma voix!
(avec tendresse)
A mes yeux faites paraître
Celui que je veux connaître…
Celui pour qui brûle mon être!
Roland Comte de Blois!
Esprits de l'air!
Esprits de l'onde!
Esprits du feu!
Obéissez-moi!
(Esclarmonde et Parséïs suivent des yeux tonte la fantasmagorie)
CHOEUR INVISIBLE
Roland!
Roland!
Roland!
ESCLARMONDE
(avec un cri de triomphe)
C'est lui!
le voilà!
PARSÉIS
O prodige! il m'apparaît aussi!
ESCLARMONDE
Dans la forêt des Ardennes
Chasse le Roi Cléomer!
ESCLARMONDE, PARSÉIS
On court! On court!
Des clameurs lointaines montent dans l'air!
Sonne! Sonne, ô cor, ton chant superbe!
Sonne! Sonne, ô cor!
Roland, le fier chevalier,
A déjà couché sur l'herbe
Le sanglier!
Sonne ta fanfare, ô cor!
PARSÉIS
Car voici qu'un cerf blanc passe!
ESCLARMONDE
Un cerf couronné d'or!
PARSÉIS
Mais Roland se précipite…
ESCLARMONDE
Le cerf franchit le hallier,
Entraînant bien loin, bien vite le chevalier!
PARSÉIS
Bien loin!
ESCLARMONDE
Bien loin!
(très vibrant et détaché)
Ah!
PARSÉIS
Sonne ta fanfare, ô cor!
ESCLARMONDE, PARSÉIS
Sonne ta fanfare, ô cor!
Sonne! Sonne! Sonne!
Ah!
Sonne! Sonne! Sonne ta fanfare, ô cor!
PARSÉIS
Ah! tout change soudain!
Quel est ce lieu sauvage?
La mer!
ESCLARMONDE
La mer!
PARSÉIS
Le héros étonné
S'est arrêté sur le rivage…
Un navire paraît!
ESCLARMONDE
Un navire paraît!
PARSÉIS
Et Roland entraîné
Monte sur le vaisseau docile!
ESCLARMONDE
(avec un cri de joie)
Il vient!
Esprit de l'onde!
Vers cette île où l'attend un époux…
Portez aussi la trop heureuse Esclarmonde!
(Tout disparaît… la nuit est venu… des lueurs fantastiques éclairentvaguement la scène… un char attelé de deux griffons a remplacé le trépied magique. Se disposant à monter sur le char, à Parséïs, avecexpression)
Adieu Parséïs! ô soeur qui m'es chère!
Je te quitte pour un époux!
Mais, quand reviendra la lumière,
Je reparaîtrai parmi vous!
(Esclarmonde monte sur le char qui s'envole, en disparaissant)
Esprits de l'air!
Esprits de l'onde! obéissez-moi!