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ACTE I

(Chez Madame de la Haltière. Vaste chambre; à droite grande cheminée avec son âtre. Rideau.)

Scène Première

▼SERVANTES, SERVITEURS▲
On appelle!
On sonne!
On carillonne! On y va!
… on y va! on y va!
Voilà! voilà!
Que de scènes! que de cris!
Ah! nous sommes ahuris!
On y va! on y va! on y va! on y va!
O mon cher!
O ma chère!
C'est une mégère,
Que cette femme là!
O mon cher!
O ma chère!
C'est une mégère,
Que cette femme là!

(subitement interdits)

Monsieur!

(Pandolfe vient d'entrer)

▼PANDOLFE▲
(avec résignation)
Continuez.
Ce n'est que moi…
Pourquoi Vous taisez-vous?
Pas besoin de prudence.
Ne soyez pas ainsi troublés
par ma présence,
Et dites, que se passe-t'il?

▼SERVANTES, SERVITEURS▲
(Tous, avec assurance)
Monsieur, chacun proclame
Que Monsieur est gentil, très gentil,
très gentil!

(avec un geste désespéré)

Mais c'est Madame!

(Ils font tous, ensemble, quatre pas majestueux, sur les signes indiqués. Tous, avec un cri rauque, suivi d'un grand mouvement mélodramatique)

Ah! Madame!

▼PANDOLFE▲
(voulant paraître sévère)
Hein! qu'est-ce à dire?

(à part)

Au fond, ils ont raison!

(aux domestiques)

Allez! allez! allez! on vous réclame!

▼SERVANTES, SERVITEURS▲
(avec empressement)
Monsieur est si gentil!
Monsieur est si gentil!

▼PANDOLFE▲
(les congédiant)
C'est bon! c'est bon, c'est bon, oui,

(impatienté)

c'est bon!

(Les domestiques s'éloignent avec force salutations.)

… oui,

(de même)

c'est bon!

▼SERVANTES, SERVITEURS▲
(au moment de franchir la porte, ils se retournent, tous ensemble, brusquement)
Mais Madame! ah! Madame!

Scène Seconde

▼PANDOLFE▲
Du côté de la barbe est la toute puissance…
Oui, je devrais le faire voir,
Et savoir obtenir de ma femme un peu
d'obéissance.
Hélas! vouloir n'est pas pouvoir!
Pourquoi, grands Dieux, veuf et tranquille,
Vivant chez moi, loin de la ville,
Exempt de soucis et d'émoi,
Près de ma fillette adorable,
Ai-je quitté ma ferme

(sans respirer)

et mes grands bois!

(avec amertume et reproche)

Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi?
Pour m'en aller tenter le diable,
En étant le mari
Remari, très marri
D'une comtesse fière et d'humeur
redoutable
Qui m'apportait en dot,

(très expressif)

non! c'est épouvantable… Deux belles filles,

(avec effroi)

deux!
Hélas! mon sort est lamentable,

(avec trouble, comme en secret)

A les chérir je suis condamné par la loi!
condamné par la loi!
Plaignez-moi! ombre de Philémon!

(s'apitoyant beaucoup)

plaignez-moi!
Encore, si j'étais seul à gémir, mais non,
Pour toi c'est l'abandon, ô ma fillette!
Ah! que je souffre, en te voyant, Lucette,
Sans affiquets, ni collerette…
Te cacher pour venir me donner un baiser,
Sans un regard… pour m'accuser.
Quand au logis seulette
Je te laissé pendant le bal!
En te voyant ainsi, ah! que je souffre!
O ma Lucette!

(expressif, des larmes dans la voix)

que je souffre!
Que veux-tu, je sens que c'est mal,
Mais, si ma femme gronde et rage,
Je tremble et je ne peux résister
à l'orage!

(avec agitation et nervosité)

Ce sera peut-être pénible,

(en secret d'abord, puis, en dehors ensuite)

Il faudra bien qu'un jour, enfin, chez moi…
Il faudra bien que je finisse par être maître!
Un jour, enfin, chez moi,
je finirai par être maître!
Un jour, enfin, chez moi,
Enfin, je finirai par être maître!

(avec emportement)

Enfin je serai maître!
Enfin je serai maître!
Maître! Maître! Maître!

▼LES DOMESTIQUES▲
Madame!

▼PANDOLFE▲
(changeant de ton et avec épouvante)
Ma femme! hélas! partons!
Vouloir n'est pas pouvoir!

(Il s'enfuit. Entrée de Mme. de la Haltière et de ses deux filles.)

Scène Troisième

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(à ses filles avec emphase)
Faites-vous très belles, ce soir,
J'ai bon espoir.

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
Pourquoi, Maman?

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Peut-on jamais savoir!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
ous voudrions savoir…
quel est votre espoir.

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(avec ampleur)
Faites-vous très belles, ce soir.

(légèrement et vivement)

J'ai bon spoir.

(à part)

Non, cela n'aurait rien qui me puisse surprendre…

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(à part, écoutant)
Quoi donc?

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(continuant, à elle-même)
Car c'est plus d'une fois
Que l'on a vu des Rois…

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(à leur mère)
Quoi donc, Maman?

▼NOÉMIE▲
Plus d'un fois…

▼DOROTHÉE▲
Plus d'un fois…

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
… qu'est-ce donc qu'ils ont fait… les Rois?

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(gravement)
A tout nous devons nous attendre.

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
Nous attendre à tout?
Mais pourquoi?

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(en accentuant toutes les syllabes)
Parce qu'on va ce soir vous présenter au Roi!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(avec joie)
Ah! quel bonheur!
Nous allons voir le Roi! le Roi! le Roi!

(frappant des mains avec gaîté)

…le Roi! le Roi! le Roi! le Roi!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Il vous remarquera, j'espère.

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(à leur mère)
Alors, qu'est-ce qu'il faudra faire?

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(avec ampleur)
Il faudra faire comme moi!
Le bal est un champ de bataille…

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(stupéfaits)
Comment? Maman!

▼NOÉMIE▲
Le bal est un champ de bataille!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Le bal est un champ de bataille!
de bataille! de bataille!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
Le bal est un champ de bataille!
de bataille! de bataille!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(avec importance)
Tenez-vous bien,
Ne perdez rien de votre taille!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
Bien!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Pas de mouvements trop nerveux…

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
Non, Maman!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
A-t-on bien frisé vos cheveux?

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
Oui, Maman!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(à part, avec volubilité, comme en se parlant à elle-même)
Car je ne veux
Ni ne puis me résoudre
A croire qu'il existe seulement
Dans le roman,
Evidemment, oui seulement,
Autrement que dans le roman,
Le coup de foudre!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(stupéfiées)
Ah! Le coup de foudre!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(à ses filles, à volonté)
Le coup de foudre!

Menuet

Prenez un maintien gracieux
En arrondissant votre bouche…
Bien! n'ayez pas l'air trop farouche…

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
Voilà, maman!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Parfait!

(satisfaite)

on ne peut mieux!
Ne soyez pas banales!
Ni trop originales!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(léger et amusant)
Nous serons très belles, ce soir!
Nous serons très belles, ce soir!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(à part)
Quel succès! Quel succès!

▼NOÉMIE▲
Quel succès nous allons avoir

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
Et nous croyons déjà savoir!
Quel est votre espoir!
Mais nous croyons savoir
votre espoir
pour ce soir! pour ce soir!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Quel espoir!
quel succès nous allons
avoir! oui, c'est là mon espoir!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(en riant)
Ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Faites-vous très belle ce soir!…

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
Nous serons très belles!
Nous serons très belles!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
…Ce soir! Ce soir!

(en riant)

ah! ah! ah!

(Des groupes de servantes et de serviteurs envahissent la chambre - tous très affairés.)

▼LES DOMESTIQUES▲
(en entrant et en criant à tue-tête)
Madame! Madame! Madame!

Scène Quatrième

▼LES DOMESTIQUES▲
(avec empressement)
Ce sont les modistes!

(avec empressement)

Ce sont les tailleurs! Ce sont les coiffeurs!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(avec ostentation)
Qu'on introduise ces artistes!

(Aussitôt entrés, les modistes, tailleurs et coiffeurs s'occupent avec empressement de la toilette et de la coiffure des trois femmes. Désignant Dorothée aux modistes; aux habilleuses, avec prétention)

De sa robe il faut que les plis soient
plus légers, plus assouplis…

(à Noémie)

Qu'en dites-vous?

(l'admirant avec complaisance)

La ligne est pure!

▼LES DOMESTIQUES▲
Dorothée! Ah! ah! quelle tournure!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(se retournant d'un bond vers ses filles)
Hein?

(La toilette s'arrête brusquement dès le mouvement de Mme de la Haltière.)

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(toutes deux, à leur mère, avec stupéfaction)
Quoi?

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(les interrogeant)
Rien?

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(avec un sourire rassurant)
Rien.

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(stupéfaite d'abord, elle se rassure et la toilette interrompue reprend son cours)
Rien…

(aux habilleuses)

Très bien cela.
Cette coiffure est concordante à la figure!

▼NOÉMIE▲
Cette coiffure…

▼DOROTHÉE▲
…Est concordante…

▼NOÉMIE▲
…à la figure!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Très bien cela.

▼DOROTHÉE▲
(s'interrogeant mutuellement)
Sommes-nous bien ainsi?

▼LES DOMESTIQUES▲
(entre eux; secoués par le rire)
Ah! ah!

▼NOÉMIE▲
Oui, véritablement!

▼LES DOMESTIQUES▲
Ah! ah!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Oui, véritablement Sans compliment!

▼LES DOMESTIQUES▲
Charmant! Charmant! Charmant!

▼NOÉMIE▲
Oui, c'est charmant!
Sans compliment!

▼DOROTHÉE▲
Oui, c'est charmant! Sans compliment!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Oui, c'est charmant! Sans compliment!

▼DOROTHÉE▲
Un émerveillement!

▼NOÉMIE▲
Un éblouissement!

▼LES DOMESTIQUES▲
Est-elle fagotée!
Et Noémie! et Dorothée!
On en parlera sûrement!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Un éblouissement!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
Sans compliment! Sans compliment!
On en parlera!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
▼MME DE LA HALTIÈRE▲
On en parlera! sûrement!
On en parlera sûrement! sûrement!

▼LES DOMESTIQUES▲
Sûrement on en parlera!
Voyez donc quelle tournure!

(Les fournisseurs sortent. Pandolfe entre en grande toilette.)

▼PANDOLFE▲
(avec satisfaction et embarras)
Félicitez-moi donc de mon exactitude…

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(sèchement)
Oui… ce n'est pas votre habitude.

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(sèchement)
Vous êtes toujours en retard.

▼PANDOLFE▲
(réplicant)
En retard?

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
(affirmant)
En retard.

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Enfin… cette fois par hasard…

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(à Pandolfe)
Ne sauriez-vous trouver un mot aimable à dire

(se montrant, prétentieusement)

En voyant nos beautés?

▼PANDOLFE▲
(préoccupé)
Excusez-moi… j'admire…

(à part)

Ne disons rien, restons tranquille
en notre coin,
Ne voulant de près ou de loin
Ajouter même une parole…
Un doux espoir me soutenant,
Me caressant, me consolant…

(très jovial, en se frottant les mains, toujours à part)

On va l'enfermer, elle est folle!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(à Pandolfe, brusquement)
En bien! qu'avez-vous donc?
Vous restez comme un pieu
Planté là!

▼NOÉMIE▲
(à Pandolfe, sur le même ton)
Venez donc!

▼DOROTHÉE▲
(de même)
Et partons!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Venez vite!

▼PANDOLFE▲
(avec embarras)
Tout de suite! Tout de suite! de suite!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Venez! venez! venez! venez!
nous serons en retard!

▼PANDOLFE▲
(à part, très ému)
Ma Lucette

(en larmes)

je pars! je pars… sans t'avoir dit adieu!
Je te laisse encor seule,

(très sensible)

Ô ma pauvre petite!
Je pars sans même oser
Te donner un baiser!
Sans bercer…

(espressivo e ben cantabile)

ta tristesse
d'un seul mot de tendresse!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
(les trois femmes revenant et avec décision)
Allons! Partons!

▼PANDOLFE▲
(avec une pénible obéissance)
Partons!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(avec crânerie et entrain)
De la race,
De la prestance,
De l'audace

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(de même)
De la race,
De la prestance,
De l'audace!

▼PANDOLFE▲
(avec ironie, désignant les 3 femmes)
De la race,
De la prestance,
De l'audace!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(renchérissant)
De la race,
De l'élégance,
De l'audace!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, PANDOLFE▲
De la race,
De la l'élégance,
De l'audace!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE, PANDOLFE▲
De la finesse
Ensorcelante,
Une souplesse
Un peu troublante,
Lèvre mutine
Et délicate,
Le mot qui flatte,
Le mot qui flatte.
Des yeux de chatte,
Des yeux de chatte!
Nous avons tout!
Le prince est pris s'il a du goût!

(avec explosion)

Ah! Le prince est pris s'il a du goût!
Ah! Nous/Elles avons/ont tout,
oui, vraiment tout! Ah!

▼PANDOLFE▲
(avec joie, bien à part)
On va l'enfermer, elle est folle!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
▼DOROTHÉE, NOÉMIE▲
Le prince est pris s'il a du goût!

▼PANDOLFE▲
Mais!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(à Pandolfe)
Chut!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(à Pandolfe, avec impatience, parlé)
Chut! s'il a

(rapide)

du goût!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE, PANDOLFE▲
Il est à nous!
Le prince est pris!
Pour vous le trône et ses grandeurs!
A nous! le trône et ses grandeurs!
Partons!

▼LES DOMESTIQUES▲
(entré eux, en riant)
Voyez! ah! ah! ah!
comme elle est fagotée!
Voyez! quelles figures! ah! ah! ah!
charmant!

(Sortie générale)


Scène Cinquième

(Cendrillon parait)

▼CENDRILLON▲
(pensive)
Ah! que mes soeurs sont heureuses!
Pour elles c'est chaque jour nouveau plaisir…
Elles n'ont pas le temps de former un désir…
Et le bonheur aussi je crois les rend plus belles!

(alerte)

Elles vont à la cour… à la cour!

(en riant)

Ah! ce bal!

(légèrement)

On y viendra de toutes les provinces…
Entourant le trône royal,
Tous les Seigneurs seront au moins
marquis ou princes…
Et mes soeurs seront là… tandis
que moi! je rêve…
Et j'ai tort, oui, j'ai tort… ces
rêves-là font mal!
Ma besogne est là qu'il faut
que j'achève…

(simple, dans caractère de chant populaire)

Reste au foyer, petit grillon,
Résigne-toi, Cendrille…
Car ce n'est pas pour toi que brille
Le superbe et joyeux rayon…

(légère)

Ne vas-tu pas porter envie au papillon

(très expressif, avec un triste sourire)

A quoi penses-tu, pauvre fille?
résigne-toi!

Travaille, Cendrillon! travaille,
Cendrillon! Cendrillon!
C'est une joie aussi de faire
son devoir…
Débarrassons la table et rangeons
ce dressoir…
Je suis décidément paresseuse
ce soir…
J'ai beau vouloir j'entends toujours
des bruits de fête…
Dont les échos troublants bourdonnent
dans ma tête…

(dans le même caractère mélancolique que précédemment)

Reste au foyer, petit grillon,
Résigne-toi, Cendrille!

(léger)

Ne vas-tu pas porter en vie au papillon

(très expressif, avec un sourire triste)

A quoi penses-tu, pauvre fille?
résigne-toi!

(sans retenir)

Travaille, Cendrillon! travaille,
Cendrillon! Cendrillon!

(résolument)

Voyons, j'ai bien fait tout ce que j'avais
à faire,
Je puis me reposer,
Comme la nuit est claire!
Les étoiles ont l'air de me sourire…
aux cieux!

(Elle revient près de la cheminée.)

C'est étrange… on dirait que le
sommeil… m'accable…
Je ne suis plus à l'âge… où le
marchand de sable

(avec lassitude)

Venait si tôt, jadis, fermer mes yeux…
Dormons… souvent, on est heureux
Quand on dort

(en s'endormant)

et qu'on fait des songes… merveilleux!

(en dormant)

Résigne-toi… Cendrille…

Scène Sixième

Le sommeil de Cendrillon

▼LA FÉE▲
Ah! douce enfant, ta plainte légère
comme l'haleine d'une fleur,
Vient de monter jusqu'à mon coeur…
Ta marraine te voit et te protège.
Ah! espère!

▼LES SIX ESPRITS, LE CHOEUR▲
(au loin - invisible)
Espère!

▼LA FÉE▲
Sylphes, Lutins, Follets, accourez
à ma voix.
De tous les horisons, à travers
les espaces…

(aux Esprits et aux Follets, avec autorité)

Suivez exactement mes lois,
Apportez-moi tous vos talents, toutes
vos grâces!

▼LES SIX ESPRITS▲
(bien chanté)
Que nous ordonnes-tu?
Que nous ordonnes-tu?
Que nous ordonnes-tu?
Nous écoutons tes lois.

▼LA FÉE▲
(bien chanté, caressant, avec charme)
Je veux que cette enfant charmante
que voici
Soit aujourd'hui hors de souci.
Je le veux!
Je le veux!
Et que par vous, splendidement parée,
Elle connaisse enfin le bonheur à
son tour.
Je veux qu'aux fêtes de la Cour
Elle soit la plus belle et la plus
admirée.
La plus belle, la plus belle!
Je le veux!
Je le veux!

(caressant)

O, ma petite Cendrillon, fleur
d'innocence et d'amour,
Sur toi je veille, ô Cendrillon!

▼VOIX LOINTAINES▲
Vision ravissante!

▼LES SIX ESPRITS▲
Cendrillon, tu seras la beauté sans
pareille!

▼LA FÉE▲
Ah!

▼VOIX LOINTAINES▲
Étonnante merveille!

▼LES SIX ESPRITS▲
Cendrillon, tu seras la beauté sans
pareille!

▼VOIX LOINTAINES▲
Merveille!

▼LA FÉE▲
Ah!

▼VOIX LOINTAINES▲
Cendrillon! Cendrillon!

(Les Follets se groupent, attentifs, auprès de la Fée.)

▼LA FÉE▲
(aux Follets)
Pour en faire un tissu magiquement
soyeux

(sans respirer)

dont vous composerez sa robe
Que votre main adroitement dérobe
aux astres radieux Enfin, je connaîtrai
La subtile splendeur de leurs
rayons joyeux!
Au clair de lune empruntez ses pâleurs.
Empruntez à l'arc-en-ciel ses harmonies,
Et que pour son bouquet par vous
soient réunies,
En un philtre d'amour, les senteurs
les plus douces!

(à un groupe de Follets)

Et vous, préparez l'attelage!

(à un Follet)

Toi, tu seras cocher.

▼UN ESPRIT▲
(vivement)
Et moi?

▼LA FÉE▲
(à l'Esprit)
Tu seras page!

(à l'autres Follets)

Et vous serez les postillons!

▼LES SIX ESPRITS▲
(bien chanté)
Tous les petits oiseaux nous prêteront
leurs ailes,
Les coursiers seront les insectes frêles,
Les phalènes, les papillons,
Et les légères demoiselles.

Habiles artisans,
Fournissez-nous des pierreries,
Allez en butinant dans les prairies,
Coccinelles et vers luisants.

▼LA FÉE▲
Ah!

▼LES SIX ESPRITS▲
Que les moucherons, et les scarabées
Egalent des rubis les purs scintillements.
Aux larmes de la nuit donnez l'éclat
de diamants.
Et pour éclairer son chemin,
Vous cacherez des lucioles …

▼LA FÉE▲
Les moucherons, les scarabées,
Egalent les scintillements!
Eclairez son chemin avec des lucioles.

▼LES SIX ESPRITS▲
…Au fond des tulipiers et du jasmin.

▼LA FÉE▲
Tous est donc prêt.

(à Cendrillon, toujours endormie)

Eveille-toi, petite!

▼LES SIX ESPRITS▲
(à Cendrillon)
C'est ta marraine qui t'invite.

▼LA FÉE, LES SIX ESPRITS▲
O Cendrillon! ô fleur d'amour!
On t'attend au bal de la Cour!
Tes voeux sont exaucés.
Tes voeux sont exaucés.
Éveille-toi!
Éveille-toi! petite!
Éveille-toi!

▼CENDRILLON▲
(en rêvant)
Enfin…
Je connaîtrai le bonheur à mon tour…
On ne va pas au bal… à la Cour,
en guenille…

(s'éveillant)

Que vois-je? ah! je! suis-je folle?

(avec stupeur et joie en se voyant superbement parée)

Est-ce de l'or qui brille?
A la place de mon haillon…
Cette robe splendide!

(riant aux éclats)

Ah! ah! ah! ah!

(vivement, gentiment)

Je ne suis plus Cendrillon
Ni Lucette
Je suis princesse,

(léger et vif, avec volubilité)

je suis reine! je suis reine! reine!
reine! Ah!

(sans respirer)

merci! merci!
Bonne marraine!

▼LA FÉE▲
(à Cendrillon)
Écoute bien.
Quand sonnera minuit,
Ici, je veux que tu sois revenue.
Donc, par quelque plaisir que tu sois
retenue,
Du bal tu partiras sans bruit.

▼LA FÉE, LES SIX ESPRITS▲
Quand sonnera minuit.

▼CENDRILLON▲
(franchement)
Je serai revenue…

▼LA FÉE, LES SIX ESPRITS▲
Souviens-toi bien.

▼CENDRILLON▲
…A l'heure convenue

▼LA FÉE, LES SIX ESPRITS▲
Partez, partez, madame la princesse
Partez, le cour content le front joyeux!

▼CENDRILLON▲
(sur le point de partir, s'arrête et avec un découragement soudain)
Mais, hélas! c'en est fait déjà de
mes bonheurs…

▼LA FÉE▲
Que dis-tu?

▼CENDRILLON▲
Ma mère et mes soeurs
Sont à ce bal…
Je serai reconnue. Et…

▼LA FÉE▲
Et calme tes vaines frayeurs.
Cette pantoufle, mignonne,
Que je te donne
Est un talisman précieux
Qui rendra ma Lucette inconnue
à leur yeux.

(gaiement)

En route maintenant.
Le temps presse!

▼LA FÉE, LES SIX ESPRITS▲
Partez, partez, partez madame
la princesse!

▼LA FÉE▲
Voici ton carrosse, princesse!

▼CENDRILLON▲
(avec une joie naïve)
Qu'il est joli! qu'il est petit!

▼LA FÉE▲
Tous les Esprit, Lutins, Follets, seront
à tes ordres!

▼CENDRILLON▲
Je ris! je ris!

(avec une joie débordante)

Ne fût-ce qu'une fois, qu'une heure
dans ma vie!

▼CENDRILLON, FÉE, SIX ESPRITS▲
Moi/Toi qui ne connaissais encore
que les mépris
Des plus belles j'aurai pu/tu pourras
mériter l'envie!

▼LA FÉE, LES SIX ESPRITS▲
Va!

▼CENDRILLON▲
(avec ivresse)
Je ris! je ris! je ris! je ris! je pleure
et je ris! Je ris!

▼LA FÉE, LES SIX ESPRITS▲
Partez, partez, partez, madame
la princesse!

(à Cendrillon, à part, à voix basse, en chuchotant)

Mais à minuit, sois de retour, de retour
en ces lieux.
Mais à minuit, sois de retour en ces lieux.

▼CENDRILLON▲
Mais à minuit, je serai là en ces lieux.

(riant aux éclats, ou bien avec La Fée)

Ah!

(toutes comme un cri)

ah!
ACTE I

(Chez Madame de la Haltière. Vaste chambre; à droite grande cheminée avec son âtre. Rideau.)

Scène Première

SERVANTES, SERVITEURS
On appelle!
On sonne!
On carillonne! On y va!
… on y va! on y va!
Voilà! voilà!
Que de scènes! que de cris!
Ah! nous sommes ahuris!
On y va! on y va! on y va! on y va!
O mon cher!
O ma chère!
C'est une mégère,
Que cette femme là!
O mon cher!
O ma chère!
C'est une mégère,
Que cette femme là!

(subitement interdits)

Monsieur!

(Pandolfe vient d'entrer)

PANDOLFE
(avec résignation)
Continuez.
Ce n'est que moi…
Pourquoi Vous taisez-vous?
Pas besoin de prudence.
Ne soyez pas ainsi troublés
par ma présence,
Et dites, que se passe-t'il?

SERVANTES, SERVITEURS
(Tous, avec assurance)
Monsieur, chacun proclame
Que Monsieur est gentil, très gentil,
très gentil!

(avec un geste désespéré)

Mais c'est Madame!

(Ils font tous, ensemble, quatre pas majestueux, sur les signes indiqués. Tous, avec un cri rauque, suivi d'un grand mouvement mélodramatique)

Ah! Madame!

PANDOLFE
(voulant paraître sévère)
Hein! qu'est-ce à dire?

(à part)

Au fond, ils ont raison!

(aux domestiques)

Allez! allez! allez! on vous réclame!

SERVANTES, SERVITEURS
(avec empressement)
Monsieur est si gentil!
Monsieur est si gentil!

PANDOLFE
(les congédiant)
C'est bon! c'est bon, c'est bon, oui,

(impatienté)

c'est bon!

(Les domestiques s'éloignent avec force salutations.)

… oui,

(de même)

c'est bon!

SERVANTES, SERVITEURS
(au moment de franchir la porte, ils se retournent, tous ensemble, brusquement)
Mais Madame! ah! Madame!

Scène Seconde

PANDOLFE
Du côté de la barbe est la toute puissance…
Oui, je devrais le faire voir,
Et savoir obtenir de ma femme un peu
d'obéissance.
Hélas! vouloir n'est pas pouvoir!
Pourquoi, grands Dieux, veuf et tranquille,
Vivant chez moi, loin de la ville,
Exempt de soucis et d'émoi,
Près de ma fillette adorable,
Ai-je quitté ma ferme

(sans respirer)

et mes grands bois!

(avec amertume et reproche)

Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi?
Pour m'en aller tenter le diable,
En étant le mari
Remari, très marri
D'une comtesse fière et d'humeur
redoutable
Qui m'apportait en dot,

(très expressif)

non! c'est épouvantable… Deux belles filles,

(avec effroi)

deux!
Hélas! mon sort est lamentable,

(avec trouble, comme en secret)

A les chérir je suis condamné par la loi!
condamné par la loi!
Plaignez-moi! ombre de Philémon!

(s'apitoyant beaucoup)

plaignez-moi!
Encore, si j'étais seul à gémir, mais non,
Pour toi c'est l'abandon, ô ma fillette!
Ah! que je souffre, en te voyant, Lucette,
Sans affiquets, ni collerette…
Te cacher pour venir me donner un baiser,
Sans un regard… pour m'accuser.
Quand au logis seulette
Je te laissé pendant le bal!
En te voyant ainsi, ah! que je souffre!
O ma Lucette!

(expressif, des larmes dans la voix)

que je souffre!
Que veux-tu, je sens que c'est mal,
Mais, si ma femme gronde et rage,
Je tremble et je ne peux résister
à l'orage!

(avec agitation et nervosité)

Ce sera peut-être pénible,

(en secret d'abord, puis, en dehors ensuite)

Il faudra bien qu'un jour, enfin, chez moi…
Il faudra bien que je finisse par être maître!
Un jour, enfin, chez moi,
je finirai par être maître!
Un jour, enfin, chez moi,
Enfin, je finirai par être maître!

(avec emportement)

Enfin je serai maître!
Enfin je serai maître!
Maître! Maître! Maître!

LES DOMESTIQUES
Madame!

PANDOLFE
(changeant de ton et avec épouvante)
Ma femme! hélas! partons!
Vouloir n'est pas pouvoir!

(Il s'enfuit. Entrée de Mme. de la Haltière et de ses deux filles.)

Scène Troisième

MME DE LA HALTIÈRE
(à ses filles avec emphase)
Faites-vous très belles, ce soir,
J'ai bon espoir.

NOÉMIE, DOROTHÉE
Pourquoi, Maman?

MME DE LA HALTIÈRE
Peut-on jamais savoir!

NOÉMIE, DOROTHÉE
ous voudrions savoir…
quel est votre espoir.

MME DE LA HALTIÈRE
(avec ampleur)
Faites-vous très belles, ce soir.

(légèrement et vivement)

J'ai bon spoir.

(à part)

Non, cela n'aurait rien qui me puisse surprendre…

NOÉMIE, DOROTHÉE
(à part, écoutant)
Quoi donc?

MME DE LA HALTIÈRE
(continuant, à elle-même)
Car c'est plus d'une fois
Que l'on a vu des Rois…

NOÉMIE, DOROTHÉE
(à leur mère)
Quoi donc, Maman?

NOÉMIE
Plus d'un fois…

DOROTHÉE
Plus d'un fois…

NOÉMIE, DOROTHÉE
… qu'est-ce donc qu'ils ont fait… les Rois?

MME DE LA HALTIÈRE
(gravement)
A tout nous devons nous attendre.

NOÉMIE, DOROTHÉE
Nous attendre à tout?
Mais pourquoi?

MME DE LA HALTIÈRE
(en accentuant toutes les syllabes)
Parce qu'on va ce soir vous présenter au Roi!

NOÉMIE, DOROTHÉE
(avec joie)
Ah! quel bonheur!
Nous allons voir le Roi! le Roi! le Roi!

(frappant des mains avec gaîté)

…le Roi! le Roi! le Roi! le Roi!

MME DE LA HALTIÈRE
Il vous remarquera, j'espère.

NOÉMIE, DOROTHÉE
(à leur mère)
Alors, qu'est-ce qu'il faudra faire?

MME DE LA HALTIÈRE
(avec ampleur)
Il faudra faire comme moi!
Le bal est un champ de bataille…

NOÉMIE, DOROTHÉE
(stupéfaits)
Comment? Maman!

NOÉMIE
Le bal est un champ de bataille!

MME DE LA HALTIÈRE
Le bal est un champ de bataille!
de bataille! de bataille!

NOÉMIE, DOROTHÉE
Le bal est un champ de bataille!
de bataille! de bataille!

MME DE LA HALTIÈRE
(avec importance)
Tenez-vous bien,
Ne perdez rien de votre taille!

NOÉMIE, DOROTHÉE
Bien!

MME DE LA HALTIÈRE
Pas de mouvements trop nerveux…

NOÉMIE, DOROTHÉE
Non, Maman!

MME DE LA HALTIÈRE
A-t-on bien frisé vos cheveux?

NOÉMIE, DOROTHÉE
Oui, Maman!

MME DE LA HALTIÈRE
(à part, avec volubilité, comme en se parlant à elle-même)
Car je ne veux
Ni ne puis me résoudre
A croire qu'il existe seulement
Dans le roman,
Evidemment, oui seulement,
Autrement que dans le roman,
Le coup de foudre!

NOÉMIE, DOROTHÉE
(stupéfiées)
Ah! Le coup de foudre!

MME DE LA HALTIÈRE
(à ses filles, à volonté)
Le coup de foudre!

Menuet

Prenez un maintien gracieux
En arrondissant votre bouche…
Bien! n'ayez pas l'air trop farouche…

NOÉMIE, DOROTHÉE
Voilà, maman!

MME DE LA HALTIÈRE
Parfait!

(satisfaite)

on ne peut mieux!
Ne soyez pas banales!
Ni trop originales!

NOÉMIE, DOROTHÉE
(léger et amusant)
Nous serons très belles, ce soir!
Nous serons très belles, ce soir!

MME DE LA HALTIÈRE
(à part)
Quel succès! Quel succès!

NOÉMIE
Quel succès nous allons avoir

NOÉMIE, DOROTHÉE
Et nous croyons déjà savoir!
Quel est votre espoir!
Mais nous croyons savoir
votre espoir
pour ce soir! pour ce soir!

MME DE LA HALTIÈRE
Quel espoir!
quel succès nous allons
avoir! oui, c'est là mon espoir!

NOÉMIE, DOROTHÉE
(en riant)
Ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah!

MME DE LA HALTIÈRE
Faites-vous très belle ce soir!…

NOÉMIE, DOROTHÉE
Nous serons très belles!
Nous serons très belles!

MME DE LA HALTIÈRE
…Ce soir! Ce soir!

(en riant)

ah! ah! ah!

(Des groupes de servantes et de serviteurs envahissent la chambre - tous très affairés.)

LES DOMESTIQUES
(en entrant et en criant à tue-tête)
Madame! Madame! Madame!

Scène Quatrième

LES DOMESTIQUES
(avec empressement)
Ce sont les modistes!

(avec empressement)

Ce sont les tailleurs! Ce sont les coiffeurs!

MME DE LA HALTIÈRE
(avec ostentation)
Qu'on introduise ces artistes!

(Aussitôt entrés, les modistes, tailleurs et coiffeurs s'occupent avec empressement de la toilette et de la coiffure des trois femmes. Désignant Dorothée aux modistes; aux habilleuses, avec prétention)

De sa robe il faut que les plis soient
plus légers, plus assouplis…

(à Noémie)

Qu'en dites-vous?

(l'admirant avec complaisance)

La ligne est pure!

LES DOMESTIQUES
Dorothée! Ah! ah! quelle tournure!

MME DE LA HALTIÈRE
(se retournant d'un bond vers ses filles)
Hein?

(La toilette s'arrête brusquement dès le mouvement de Mme de la Haltière.)

NOÉMIE, DOROTHÉE
(toutes deux, à leur mère, avec stupéfaction)
Quoi?

MME DE LA HALTIÈRE
(les interrogeant)
Rien?

NOÉMIE, DOROTHÉE
(avec un sourire rassurant)
Rien.

MME DE LA HALTIÈRE
(stupéfaite d'abord, elle se rassure et la toilette interrompue reprend son cours)
Rien…

(aux habilleuses)

Très bien cela.
Cette coiffure est concordante à la figure!

NOÉMIE
Cette coiffure…

DOROTHÉE
…Est concordante…

NOÉMIE
…à la figure!

MME DE LA HALTIÈRE
Très bien cela.

DOROTHÉE
(s'interrogeant mutuellement)
Sommes-nous bien ainsi?

LES DOMESTIQUES
(entre eux; secoués par le rire)
Ah! ah!

NOÉMIE
Oui, véritablement!

LES DOMESTIQUES
Ah! ah!

MME DE LA HALTIÈRE
Oui, véritablement Sans compliment!

LES DOMESTIQUES
Charmant! Charmant! Charmant!

NOÉMIE
Oui, c'est charmant!
Sans compliment!

DOROTHÉE
Oui, c'est charmant! Sans compliment!

MME DE LA HALTIÈRE
Oui, c'est charmant! Sans compliment!

DOROTHÉE
Un émerveillement!

NOÉMIE
Un éblouissement!

LES DOMESTIQUES
Est-elle fagotée!
Et Noémie! et Dorothée!
On en parlera sûrement!

MME DE LA HALTIÈRE
Un éblouissement!

NOÉMIE, DOROTHÉE
Sans compliment! Sans compliment!
On en parlera!

NOÉMIE, DOROTHÉE
MME DE LA HALTIÈRE
On en parlera! sûrement!
On en parlera sûrement! sûrement!

LES DOMESTIQUES
Sûrement on en parlera!
Voyez donc quelle tournure!

(Les fournisseurs sortent. Pandolfe entre en grande toilette.)

PANDOLFE
(avec satisfaction et embarras)
Félicitez-moi donc de mon exactitude…

NOÉMIE, DOROTHÉE
(sèchement)
Oui… ce n'est pas votre habitude.

MME DE LA HALTIÈRE
(sèchement)
Vous êtes toujours en retard.

PANDOLFE
(réplicant)
En retard?

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
(affirmant)
En retard.

MME DE LA HALTIÈRE
Enfin… cette fois par hasard…

NOÉMIE, DOROTHÉE
(à Pandolfe)
Ne sauriez-vous trouver un mot aimable à dire

(se montrant, prétentieusement)

En voyant nos beautés?

PANDOLFE
(préoccupé)
Excusez-moi… j'admire…

(à part)

Ne disons rien, restons tranquille
en notre coin,
Ne voulant de près ou de loin
Ajouter même une parole…
Un doux espoir me soutenant,
Me caressant, me consolant…

(très jovial, en se frottant les mains, toujours à part)

On va l'enfermer, elle est folle!

MME DE LA HALTIÈRE
(à Pandolfe, brusquement)
En bien! qu'avez-vous donc?
Vous restez comme un pieu
Planté là!

NOÉMIE
(à Pandolfe, sur le même ton)
Venez donc!

DOROTHÉE
(de même)
Et partons!

MME DE LA HALTIÈRE
Venez vite!

PANDOLFE
(avec embarras)
Tout de suite! Tout de suite! de suite!

NOÉMIE, DOROTHÉE
MME DE LA HALTIÈRE
Venez! venez! venez! venez!
nous serons en retard!

PANDOLFE
(à part, très ému)
Ma Lucette

(en larmes)

je pars! je pars… sans t'avoir dit adieu!
Je te laisse encor seule,

(très sensible)

Ô ma pauvre petite!
Je pars sans même oser
Te donner un baiser!
Sans bercer…

(espressivo e ben cantabile)

ta tristesse
d'un seul mot de tendresse!

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
(les trois femmes revenant et avec décision)
Allons! Partons!

PANDOLFE
(avec une pénible obéissance)
Partons!

MME DE LA HALTIÈRE
(avec crânerie et entrain)
De la race,
De la prestance,
De l'audace

NOÉMIE, DOROTHÉE
(de même)
De la race,
De la prestance,
De l'audace!

PANDOLFE
(avec ironie, désignant les 3 femmes)
De la race,
De la prestance,
De l'audace!

MME DE LA HALTIÈRE
(renchérissant)
De la race,
De l'élégance,
De l'audace!

NOÉMIE, DOROTHÉE, PANDOLFE
De la race,
De la l'élégance,
De l'audace!

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE, PANDOLFE
De la finesse
Ensorcelante,
Une souplesse
Un peu troublante,
Lèvre mutine
Et délicate,
Le mot qui flatte,
Le mot qui flatte.
Des yeux de chatte,
Des yeux de chatte!
Nous avons tout!
Le prince est pris s'il a du goût!

(avec explosion)

Ah! Le prince est pris s'il a du goût!
Ah! Nous/Elles avons/ont tout,
oui, vraiment tout! Ah!

PANDOLFE
(avec joie, bien à part)
On va l'enfermer, elle est folle!

MME DE LA HALTIÈRE
DOROTHÉE, NOÉMIE
Le prince est pris s'il a du goût!

PANDOLFE
Mais!

NOÉMIE, DOROTHÉE
(à Pandolfe)
Chut!

MME DE LA HALTIÈRE
(à Pandolfe, avec impatience, parlé)
Chut! s'il a

(rapide)

du goût!

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE, PANDOLFE
Il est à nous!
Le prince est pris!
Pour vous le trône et ses grandeurs!
A nous! le trône et ses grandeurs!
Partons!

LES DOMESTIQUES
(entré eux, en riant)
Voyez! ah! ah! ah!
comme elle est fagotée!
Voyez! quelles figures! ah! ah! ah!
charmant!

(Sortie générale)


Scène Cinquième

(Cendrillon parait)

CENDRILLON
(pensive)
Ah! que mes soeurs sont heureuses!
Pour elles c'est chaque jour nouveau plaisir…
Elles n'ont pas le temps de former un désir…
Et le bonheur aussi je crois les rend plus belles!

(alerte)

Elles vont à la cour… à la cour!

(en riant)

Ah! ce bal!

(légèrement)

On y viendra de toutes les provinces…
Entourant le trône royal,
Tous les Seigneurs seront au moins
marquis ou princes…
Et mes soeurs seront là… tandis
que moi! je rêve…
Et j'ai tort, oui, j'ai tort… ces
rêves-là font mal!
Ma besogne est là qu'il faut
que j'achève…

(simple, dans caractère de chant populaire)

Reste au foyer, petit grillon,
Résigne-toi, Cendrille…
Car ce n'est pas pour toi que brille
Le superbe et joyeux rayon…

(légère)

Ne vas-tu pas porter envie au papillon

(très expressif, avec un triste sourire)

A quoi penses-tu, pauvre fille?
résigne-toi!

Travaille, Cendrillon! travaille,
Cendrillon! Cendrillon!
C'est une joie aussi de faire
son devoir…
Débarrassons la table et rangeons
ce dressoir…
Je suis décidément paresseuse
ce soir…
J'ai beau vouloir j'entends toujours
des bruits de fête…
Dont les échos troublants bourdonnent
dans ma tête…

(dans le même caractère mélancolique que précédemment)

Reste au foyer, petit grillon,
Résigne-toi, Cendrille!

(léger)

Ne vas-tu pas porter en vie au papillon

(très expressif, avec un sourire triste)

A quoi penses-tu, pauvre fille?
résigne-toi!

(sans retenir)

Travaille, Cendrillon! travaille,
Cendrillon! Cendrillon!

(résolument)

Voyons, j'ai bien fait tout ce que j'avais
à faire,
Je puis me reposer,
Comme la nuit est claire!
Les étoiles ont l'air de me sourire…
aux cieux!

(Elle revient près de la cheminée.)

C'est étrange… on dirait que le
sommeil… m'accable…
Je ne suis plus à l'âge… où le
marchand de sable

(avec lassitude)

Venait si tôt, jadis, fermer mes yeux…
Dormons… souvent, on est heureux
Quand on dort

(en s'endormant)

et qu'on fait des songes… merveilleux!

(en dormant)

Résigne-toi… Cendrille…

Scène Sixième

Le sommeil de Cendrillon

LA FÉE
Ah! douce enfant, ta plainte légère
comme l'haleine d'une fleur,
Vient de monter jusqu'à mon coeur…
Ta marraine te voit et te protège.
Ah! espère!

LES SIX ESPRITS, LE CHOEUR
(au loin - invisible)
Espère!

LA FÉE
Sylphes, Lutins, Follets, accourez
à ma voix.
De tous les horisons, à travers
les espaces…

(aux Esprits et aux Follets, avec autorité)

Suivez exactement mes lois,
Apportez-moi tous vos talents, toutes
vos grâces!

LES SIX ESPRITS
(bien chanté)
Que nous ordonnes-tu?
Que nous ordonnes-tu?
Que nous ordonnes-tu?
Nous écoutons tes lois.

LA FÉE
(bien chanté, caressant, avec charme)
Je veux que cette enfant charmante
que voici
Soit aujourd'hui hors de souci.
Je le veux!
Je le veux!
Et que par vous, splendidement parée,
Elle connaisse enfin le bonheur à
son tour.
Je veux qu'aux fêtes de la Cour
Elle soit la plus belle et la plus
admirée.
La plus belle, la plus belle!
Je le veux!
Je le veux!

(caressant)

O, ma petite Cendrillon, fleur
d'innocence et d'amour,
Sur toi je veille, ô Cendrillon!

VOIX LOINTAINES
Vision ravissante!

LES SIX ESPRITS
Cendrillon, tu seras la beauté sans
pareille!

LA FÉE
Ah!

VOIX LOINTAINES
Étonnante merveille!

LES SIX ESPRITS
Cendrillon, tu seras la beauté sans
pareille!

VOIX LOINTAINES
Merveille!

LA FÉE
Ah!

VOIX LOINTAINES
Cendrillon! Cendrillon!

(Les Follets se groupent, attentifs, auprès de la Fée.)

LA FÉE
(aux Follets)
Pour en faire un tissu magiquement
soyeux

(sans respirer)

dont vous composerez sa robe
Que votre main adroitement dérobe
aux astres radieux Enfin, je connaîtrai
La subtile splendeur de leurs
rayons joyeux!
Au clair de lune empruntez ses pâleurs.
Empruntez à l'arc-en-ciel ses harmonies,
Et que pour son bouquet par vous
soient réunies,
En un philtre d'amour, les senteurs
les plus douces!

(à un groupe de Follets)

Et vous, préparez l'attelage!

(à un Follet)

Toi, tu seras cocher.

UN ESPRIT
(vivement)
Et moi?

LA FÉE
(à l'Esprit)
Tu seras page!

(à l'autres Follets)

Et vous serez les postillons!

LES SIX ESPRITS
(bien chanté)
Tous les petits oiseaux nous prêteront
leurs ailes,
Les coursiers seront les insectes frêles,
Les phalènes, les papillons,
Et les légères demoiselles.

Habiles artisans,
Fournissez-nous des pierreries,
Allez en butinant dans les prairies,
Coccinelles et vers luisants.

LA FÉE
Ah!

LES SIX ESPRITS
Que les moucherons, et les scarabées
Egalent des rubis les purs scintillements.
Aux larmes de la nuit donnez l'éclat
de diamants.
Et pour éclairer son chemin,
Vous cacherez des lucioles …

LA FÉE
Les moucherons, les scarabées,
Egalent les scintillements!
Eclairez son chemin avec des lucioles.

LES SIX ESPRITS
…Au fond des tulipiers et du jasmin.

LA FÉE
Tous est donc prêt.

(à Cendrillon, toujours endormie)

Eveille-toi, petite!

LES SIX ESPRITS
(à Cendrillon)
C'est ta marraine qui t'invite.

LA FÉE, LES SIX ESPRITS
O Cendrillon! ô fleur d'amour!
On t'attend au bal de la Cour!
Tes voeux sont exaucés.
Tes voeux sont exaucés.
Éveille-toi!
Éveille-toi! petite!
Éveille-toi!

CENDRILLON
(en rêvant)
Enfin…
Je connaîtrai le bonheur à mon tour…
On ne va pas au bal… à la Cour,
en guenille…

(s'éveillant)

Que vois-je? ah! je! suis-je folle?

(avec stupeur et joie en se voyant superbement parée)

Est-ce de l'or qui brille?
A la place de mon haillon…
Cette robe splendide!

(riant aux éclats)

Ah! ah! ah! ah!

(vivement, gentiment)

Je ne suis plus Cendrillon
Ni Lucette
Je suis princesse,

(léger et vif, avec volubilité)

je suis reine! je suis reine! reine!
reine! Ah!

(sans respirer)

merci! merci!
Bonne marraine!

LA FÉE
(à Cendrillon)
Écoute bien.
Quand sonnera minuit,
Ici, je veux que tu sois revenue.
Donc, par quelque plaisir que tu sois
retenue,
Du bal tu partiras sans bruit.

LA FÉE, LES SIX ESPRITS
Quand sonnera minuit.

CENDRILLON
(franchement)
Je serai revenue…

LA FÉE, LES SIX ESPRITS
Souviens-toi bien.

CENDRILLON
…A l'heure convenue

LA FÉE, LES SIX ESPRITS
Partez, partez, madame la princesse
Partez, le cour content le front joyeux!

CENDRILLON
(sur le point de partir, s'arrête et avec un découragement soudain)
Mais, hélas! c'en est fait déjà de
mes bonheurs…

LA FÉE
Que dis-tu?

CENDRILLON
Ma mère et mes soeurs
Sont à ce bal…
Je serai reconnue. Et…

LA FÉE
Et calme tes vaines frayeurs.
Cette pantoufle, mignonne,
Que je te donne
Est un talisman précieux
Qui rendra ma Lucette inconnue
à leur yeux.

(gaiement)

En route maintenant.
Le temps presse!

LA FÉE, LES SIX ESPRITS
Partez, partez, partez madame
la princesse!

LA FÉE
Voici ton carrosse, princesse!

CENDRILLON
(avec une joie naïve)
Qu'il est joli! qu'il est petit!

LA FÉE
Tous les Esprit, Lutins, Follets, seront
à tes ordres!

CENDRILLON
Je ris! je ris!

(avec une joie débordante)

Ne fût-ce qu'une fois, qu'une heure
dans ma vie!

CENDRILLON, FÉE, SIX ESPRITS
Moi/Toi qui ne connaissais encore
que les mépris
Des plus belles j'aurai pu/tu pourras
mériter l'envie!

LA FÉE, LES SIX ESPRITS
Va!

CENDRILLON
(avec ivresse)
Je ris! je ris! je ris! je ris! je pleure
et je ris! Je ris!

LA FÉE, LES SIX ESPRITS
Partez, partez, partez, madame
la princesse!

(à Cendrillon, à part, à voix basse, en chuchotant)

Mais à minuit, sois de retour, de retour
en ces lieux.
Mais à minuit, sois de retour en ces lieux.

CENDRILLON
Mais à minuit, je serai là en ces lieux.

(riant aux éclats, ou bien avec La Fée)

Ah!

(toutes comme un cri)

ah!
最終更新:2020年08月23日 14:59