ACTE III


Premier Tableau

(Comme au premier Acte.)

Scène Première

(Rideau. Cendrillon paraît.)

▼CENDRILLON▲
(haletante et inquiète)
Enfin, je suis ici…
La maison est déserte…
A revenir… j'ai réussi…
Sans être découverte;
Mais que de peine,
que de peine et de souci!

(bien chanté)

Fuyant dans la nuit solitaire,

(avec vivacité)

Par les terrasses du palais, en courant
J'ai perdu ma pantoufle de verre!

(avec chaleur)

Marraine! Marraine!
Ah! voudrez-vous me pardonner jamais?

(racontant avec émotion et animation)

A l'heure dite je fuyais… je fuyais…
Je voyais parmi les noires avenues…
Se dresser des statues…
Quel effroi! quel effroi!
Si grandes… si blanches, sous
des rayons de lune!
Leur yeux sans regards se fixaient sur moi…

(vivement, avec effroi)

Elles me montraient du doigt.
Se riant de mon infortune. Ah! ah!

(rire nerveux)

ah! ah! ah! Ah! ah! ah!

(son rire finit en sanglots)

Ah! ah! ah! Ah! ah! ah!
Quel effroi! quelle effroi!

(changeant de ton et avec ardeur et conviction, comme en une prière très émue)

Vous avez dû voir ma détresse,

(suppliante)

Marraine! Marraine!

(avec sentiment et émotion)

Pour tenir ma promesse,
J'ai fait tout ce que je pouvais!

(reprenant son récit)

Je courais…
Dans les profondeurs du jardin…
Je m'égarais…
Tout était sombre…

(comme essoufflée)

Et je courais toujours… toujours,
toujours, toujours!

(presqu'avec un cri)

puis… m'arrêtais… soudain…
J'avais peur… j'avais peur…

(s'empressant de supplier sa Marraine)

Vous avez dû voir ma

(avec ferveur)

détresse!

(suppliante)

Marraine! Marraine!

(avec sentiment et émotion)

Pour tenir ma promesse,
J'ai fait tout ce que je pouvais!

(reprenant son récit)

Ah! j'avais peur! peur de mon ombre…
Et je courais toujours!
Interrogeant les horizons,
Craignant partout des trahisons,
Je glisse, je glisse le long des maisons
N'osant pas traverser la place…

(Carillon)

Un grand bruit éclate et me glace
De sinistres frissons…

(changeant de ton et riant de bon coeur et aux éclats)

Ah! ah! ah! ah!

(très gai, en dehors)

C'était le carillon, le Carillon du Beffroi!

(avec gaîté et entrain)

Ah!

(bien chanté)

Réconfortant mon coeur,
Il me disait en son langage,
Ah!

(bien chanté)

Il me disait: je veille!

(tendrement)

je veille, je veille.

(avec ardeur)

Reprends courage! courage! allons!
courage! Va!

(découragée, subitement)

Mais c'en est fait, hélas!

(regardant tristement autour d'elle)

du bal et des splendeurs!
Et je n'entendrai plus les paroles si tendres
Qui me berçaient d'espoirs menteurs!

(Machinalement elle se rapproche de la cheminee et montrant le foyer éteint)

Mon bonheur s'est éteint… il n'en reste…
que cendres!
Résigne-toi, Petit grillon, résigne-toi.

(comme sortant d'un rêve, subitement, avec frayeur)

Ah! j'entends revenir mes parents!
et mes soeurs!
A tous il faut cacher mes pleurs…

(Elle se sauve dans sa chambre)


Scène Seconde

(L'entrée de Mme de la Haltière et de ses deux filles est tumultueuse. Une grosse discussion est déchaîné. Pandolfe essaie de se disculper, mais il est accablé par les trois femmes.)

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
C'est vrai! C'est vrai! C'est vrai!

▼PANDOLFE▲
Non! Non! Non!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(à Pandolfe, furibonde)
Vous êtes, je vous le déclare,
Un sot, un faquin, un ignare,
Un portefaix,

(avec volubilité)

Un grand dadais,
Un pauvre Sire,
J'ose le dire…
Vous avez le front de nier
Que cette fille,
Cette guenille,
Cette guenon,
Cette chiffon,

(avec volubilité)

Que vous dirai-je encore,
Rien, Rien, en un mot,
et moins que rien…
et moins que rien…

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(toutes deux: avec admiration)
Ah! maman! que vous parlez bien!
Ah! maman! que vous parlez bien!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(reprenant ses injures)
… moins que rien! moins que rien!

▼PANDOLFE▲
(protestant)
Non! Non! Non!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(à Pandolfe, en l'accablant)
C'est vrai! C'est vrai! C'est vrai!

▼PANDOLFE▲
Pourquoi tant vous mettre en colère?

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(à Pandolfe)
Espérez-vous que, pour vous plaire,

(à tue-tête)

Je vais me taire!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
Ah! la maudite aventurière!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Aussi, le Prince a fort bien fait
De la chasser, de la belle manière!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(avec une joie ironique)
Ah! ah!
C'était si mérité!
C'était si mérité!

▼PANDOLFE▲
(timidement, risquant son opinion)
Elle avait l'air très doux…
c'est une qualité…

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(le toisant avec mépris)
Fi donc! monsieur.
Je le conteste.

▼PANDOLFE▲
(voulant protester, parlé)
Ah!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
(les trois femme lui imposant silence)
Oui!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(avec une haute importance, chaque syllabe très prononcée)
Lors, qu'on a plus de vingt quartiers,
Ainsi que notre arbre l'atteste,

(légèrement)

Lorsqu'on a, sans compter le reste,
Quatre Présidents

(avec emphase)

à mortiers,
Un doge! parmi ses ancêtres,
Et la douzaine d'archiprêtres,
Un Amiral, Un Cardinal,
Six Abbesses et treize nonnes,

(changeant de ton - légèrement et en badinant)

Deux ou trois Maîtresses de Rois
Qui, toutes deux ou toutes trois,
Portèrent presque des couronnes;

(vivement)

Sans parler des menus fretins, tels que

(légèrement)

princes et capucins,

(avec emphase)

On doit s'avancer dans la foule
Comme un vaisseau fendant la houle
Avec sa gloire pour soutien,
Dédaigneux des bruits de

(avec éclat)

tempête!
C'est un devoir, entendez bien,
Quand on s'est haussé jusqu'au faîte,
De lever les yeux et la tête,

(avec emportement)

En laissant la douceur à tous vos gens

(vivement)

de rien!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(avec admiration)
Ah! maman! ah maman! que vous
parlez bien!

▼PANDOLFE▲
(d'un ton lamentable et résigné)
J'aimerais mieux l'obscurité
Si j'avais la tranquillité!

▼CENDRILLON▲
(qui vient d'entrer, vivement)
Il est donc arrivé quelque chose, mon père?

▼PANDOLFE▲
(embarrassé)
Non, rien vraiment, que de fort ordinaire…

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(à Pandolfe avec une nouvelle explosion)
Ah! votre calme m'exaspère…
Que faut-il pour vous émouvoir?

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
(à Cendrillon, avec empressement)
Ecoute-nous, tu vas savoir.
Une intrigante, une inconnue,
Au bal de la cour est venue.

▼DOROTHÉE▲
Et cette rien, du tout,

▼NOÉMIE▲
Mise sans aucun goût,

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Et cette rien du tout

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
Dans son effronterie…

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(se retournant brusquement du côté de Pandolfe, avec impatience)
Laissez-nous dire, je vous prie!

(reprenant hâtivement leurs racontars du côté de Cendrillon)

Osa parler au fils du Roi!
Chacun en fut saisi d'effroi…
D'épouvante et d'horreur,
D'épouvante et d'horreur,
D'épouvante et d'horreur, et d'horreur

(vivement et avec surprise)

Ce fut un désarroi!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
Tout d'abord,

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
…un digne silence…

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
…a condamné…

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
…cette impudence;

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
…cette impudence!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Mais au bout d'un instant,

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
On a murmuré tant, Que l'intruse,
bien vite,
A dû prendre la fuite,
Chassée, au beau milieu du bal,

(avec ampleur)

Par notre mépris

(vivement)

général!

▼PANDOLFE▲
(essayant de tout calmer - d'un ton raisonnable)
Ah! vous exagérez… et beaucoup
ce me semble.

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
(toutes les trois, à Pandolfe, avec humeur)
Eh! laissez-nous donc en repos;
On ne peut pas placer deux mots!

▼PANDOLFE▲
(commençant à s'impatienter)
Si vous criez toutes ensemble,
Je m'en vais… Je m'en vais…

▼CENDRILLON▲
(aux trois femmes, timide et anxieuse)
Ah! racontez-moi…
Qu'a dit alors le fils du Roi?

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(ironique)
Que l'on ne pouvait s'y m'éprendre…
Que ses yeux un moment… abusés…
voyaient clair…

(sans respirer)

Et que d'ailleurs, rien qu'à son air…
Cette inconnue était drôlesse
bonne à pendre!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE▲
(joyeusement)
… bonne à pendre!

▼PANDOLFE▲
(s'apercevant que Cendrillon chancelle et est prête à défaillir)
Mais ma fille pâlit…

(à Cendrillon, avec affection et inquiétude)

qu'as-tu, ma pauvre enfant?

(aux trois femmes, avec autorité)

Assez de vos caquets…

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
Qu'un homme est énervant!

▼PANDOLFE▲
(tout à Cendrillon)
Mon Dieu! la force l'abandonne!

(en larmes)

Mon enfant! mon enfant!

(aux trois femmes, avec force)

Sortez!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(suffoquée, se retournant)
Hein! quoi?

▼PANDOLFE▲
Je vous l'ordonne!
Sortez! Sortez!

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(à ses filles, hors d'elle-même)
Ah! mes filles! Venez!
c'en est trop!

(à Pandolfe)

Je ne vous connais plus!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
(à Pandolfe, toutes les trois en fureur)
Vous êtes un rustaud! un rustaud!
un lourdeau! un rustaud! un lourdeau!

▼PANDOLFE▲
Vous, sortez au plus tôt!
allez! allez! allez!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
(les trois femme sont en même temps trois attaques de nerfs, cri aigu et prolongé)
Ah!

▼PANDOLFE▲
Vous pouvez trépigner!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
(de même, 2e crise plus violente)
Ah!

▼PANDOLFE▲
Je vous jette à la porte.

▼MME DE LA HALTIÈRE▲
(violemment, à Pandolfe)
Rétractez, insolent!

▼PANDOLFE▲
Le diable vous emporte!

▼NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE▲
(3me crise; cri aigu et prolongé des trois femmes qui sortent comme des furies)
Ah!

Scène Troisième

▼PANDOLFE▲
(à Cendrillon)
Ma pauvre enfant chérie!
Ah! tu souffres donc bien…

(très expressif et bien chanté)

Va! repose ton coeur douloureux
sur le mien…
Et laisse-toi bercer dans mes bras,
ma petite!

(attendri)

Je t'ai sacrifiée en venant à la Cour.
Mais tu pardonneras,

(plus vivement et avec un sourire mêlé de larmes)

quand nous rirons un jour
De mon ambition maudite.

(avec attendrissement)

Viens, nous quitterons cette ville
Où j'ai vu s'envoler ta gaîté d'autrefois,
Et nous retournerons au fond de nos
grands bois,
Dans notre ferme si tranquille…
Là là! nous serons heureux,
Bien heureux! Tous les deux.
Le matin nous irons comme deux
amoureux
Cueillir le blanc muguet…

▼CENDRILLON▲
(gentiment et naïvement)
… et liserons bleus,
Tous les deux!
Dès que les cloches argentines
S'éveilleront…

▼PANDOLFE▲
(continuant la phrase de Cendrillon, avec le même sentiment, presque enfantin)
… sonnant matines!

▼CENDRILLON▲
Matines!
Le soir nous entendrons du Rossignol
des nuits le chant si doux et frais…
au profond des forêts…

▼PANDOLFE▲
Viens!…

▼CENDRILLON, PANDOLFE▲
Nous quitterons cette ville
Où j'ai vu s'envoler… ta/ma gaîté
d'autrefois…

(avec sentiment)

Là! Nous serons heureux!
Bien heureux!
Tous les deux! là-bas!

▼CENDRILLON▲
(plus alerte)
Maintenant, je suis mieux et je me
sens renaître…
Tu peux me laisser seule.

▼PANDOLFE▲
(affectueusement)
Oui, si tu veux promettre
De ne plus être triste

(comme un tendre reproche)

et de ne plus pleurer;

(avec une résolution attendrissante)

Pour nous sauver d'ici je vais tout
préparer! Oui…

(en s'éloignant doucement)

nous quitterons cette ville…

(Cendrillon se jetant dans les bras de son père)

▼PANDOLFE▲
(revenant avec élan vers Cendrillon)
Là! là! nous serons heureux!
Bien heureux! Tout les deux!

Scène Quatrième

(Cendrillon, seule, regardant encore par où son père est parti semble oppressée, troublée, indécise)

▼CENDRILLON▲
(avec une résolution subite)
Seule, je partirai, mon père;
Le poids de mon chagrin serait trop
lourd pour toi.
Je ne veux pas te voir souffrir de ma
misère!
Mais… je ne peux plus vivre…
Il a douté de moi…
Lui! mon doux Maître et mon seul Roi!
Lui que j'adore! il me renie…
et me repousse!
Pourtant, sa voix était bien douce…
Pourtant, ses yeux étaient bien doux!

(expressif et tendre)

O mes rêves d'amour,
mes rêves d'amour
Hélas!

(sans retarder)

envolez-vous!

(très attendrie et simplement)

Adieu, mes souvenirs de joie… et de souffrance
Qui, malgré tout, me parliez d'espérance!

(expressif)

Témoins et compagnons de mon si
court destin!
Adieu! adieu, mes tourterelles
Pour qui chaque matin,
J'allais, par les venelles,
Cueillir le vert plantin…

(simple et triste)

je ne vous verrai plus!

(allant à la cheminée)

Ni toi, ma place familière…

(détachant la petite branche pendue à la cheminée; simple et religieux)

Que je t'embrasse encor,
tout séché, tout jauni…
Relique d'un beau jour,
humble rameau béni.

(avec un sentiment très profond)

Ah! comme on aime ce que l'on quitte!

(simple et triste)

Et toi, le grand fauteuil
Où, quand j'étais petite,
Je courais me blottir bien vite…
Frileusement…
Sur les genoux de ma maman…

(très attendrie)

De maman… de maman…
si bonne et si jolie!

(très caressant)

Qui fredonnait en me berçant:
«C'est l'Angélus,
Dors, mon petit ange,
Dors comme Jésus
Dormait dans la grange.»

(Le tonnerre gronde, l'éclair brille, avec un subit désespoir; à volonté)

Ah! puisque tout bonheur me fuit,
Montant par les roches sacrées,

(hardiment)

Sans crainte j'irai dans la nuit,
Malgré les revenants et le follet qui luit…

(avec décision)

J'irai mourir, mourir sous le chêne des fées!

(Cendrillon s'enfuit rapidement)

Deuxième Tableau

(Chez la Fée)

Scène Première

(Un grand chêne au milieu d'une lande pleine de genêts en fleurs. Au fond: la mer - nuit claire - lumière très bleutée.)

▼VOIX DES ESPRITS▲
(choeur invisible, bouche fermée, effet lointain, mystérieux, à obtenir de l'ensemble des voix, selon la nuance qui sera choisie par le chef des choeurs.)

▼LA VOIX DE LA FÉE▲
Ah! ah!
Fugitives chimères,
O lueurs éphémères,
Ames ou follets, ames ou follets,
Glissez! sur les bruyères,
Flottez sur les genêts!

▼VOIX DES ESPRITS▲
(sopranos)
Fugitives chimères, O lueurs passagères,

(2e sopranos, contraltos, tenors, basses)

Flottez, Glissez! Glissez!

▼LA VOIX DE LA FÉE▲
Cher follets, brillez,
Cher follets, glissez!

▼VOIX DES ESPRITS▲
(sopranos)
Ames ou follets, ames ou follets!

(2e sopranos)

Ames, Ames!

(contraltos, tenors, basses)

Follets, Follets!

▼LA VOIX DE LA FÉE▲
Ah! Ah!

▼VOIX DES ESPRITS▲
(sopranos)
Glissez sur les bruyères,
Flottez sur les genêts!

(2e sopranos, contraltos, tenors, basses)

Glissez, et flottez!

▼LA VOIX DE LA FÉE▲
Ah! Ah! Ah! Glissez! glissez!
Flottez sur les genêts!

▼VOIX DES ESPRITS▲
(sopranos)
Glissez sur les bruyères, Flottez!

(2e sopranos, contraltos, tenors, basses)

Glissez, et flottez!

Danse Silencieuse des goutes de rosée

▼VOIX DES ESPRITS▲
(tenors, basses)
Ah!

▼LA VOIX DE LA FÉE▲
Flottez!

▼VOIX DES ESPRITS▲
(sopranos, contraltos, en riant)
Ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah!

▼VOIX DES ESPRITS▲
(tenors, basses)
Ah!

▼LA VOIX DE LA FÉE▲
Flottez!

▼VOIX DES ESPRITS▲
(sopranos, contraltos, en riant)
Ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah!

▼VOIX DES ESPRITS▲
(contraltos, tenors, basses)
Ah! Ah! Flottez!
Glissez! Glissez!
Follets, follets glissez,
Et flottez! Glissez!
Flottez! Ah!

(sopranos)

Fugitives chimères,
O lueurs passagères,
Ames ou follets, ames ou follets glissez
sur les bruyères, flottez! Glissez!
Flottez! Ah!

▼LA VOIX DE LA FÉE▲
Ah!
Ah!
Ah! Ah! Ah! Ah!
Flotez sur les genêts!
Ah!

▼TROIS ESPRITS▲
(1er Groupe, qui ont accouru)
Mais là-bas! au fond de la lande obscure,
Par le chemin on voit venir,
Sur le doux tapis de verdure,
Une enfant qui semble gémir…

(2d Groupe, qui accourent)

Regardez! au fond de la lande obscure!

▼LA FÉE▲
(dans les branches du chêne)
Et de l'autre côté…
Voyez-vous pas, mes soeurs,
Ce pauvre garçon tout en pleurs?

▼LES 2 GROUPES REUNIS▲
Regardez! au fond de la lande obscure…

▼LA FÉE▲
Regardez!

▼LES 2 GROUPES REUNIS▲
(les six Esprits: entre eux)
Ce sont de jolis amoureux…
Comme ils sont malheureux!
D'ombre voilées…
Invisibles pour eux,
Mes soeurs, écoutons bien leurs
plaintes désolées.

▼LA FÉE▲
(étendant le bras avec autorité)
Afin qu'ils ne puissent se voir,
O fleurs, obéissez au magique pouvoir!
Entre le prince et son aimée,
Fermez-vous, muraille embaumée! Ah!

(La Fée se retire doucement dans les branches et revient invisible)


Scène Seconde

(Cendrillon et le Prince Charmant arrivent chacun de leur côté. Ils s'agenouillent sans se voir. Ils sont séparés par une haie de fleurs. Et ils adressent leur prière à La Fée.)

▼CENDRILLON▲
(simple et fervent)
A deux genoux,
Bonne Marraine, à deux genoux,
J'implore mon pardon de vous,
Si je vous ai fait moindre peine.
A deux genoux, je vous implore à
deux genoux,
Si je vous ai fait moindre peine.
Bonne Marraine!
Je viens à vous!

▼LE PRINCE CHARMANT▲
Je viens à vous,
Puissante Reine, je viens à vous,
Et vous demande à deux genoux
De vouloir terminer ma peine.
Je viens à vous, je vous implore à
deux genoux,
Voulez-vous terminer ma peine.
Puissante Reine!
Je viens à vous!

(à La Fée, avec âme)

Vous qui pouvez tout voir
Et tout savoir,
Vous n'ignorez pas ma souffrance…
Vous n'ignorez pas comment,
Pendant un trop court moment,
Du plus divin bonheur j'ai conçu
l'espérance!

(avec chaleur et conviction; bien chanté, expressif)

Ce bonheur, je l'ai vu de mes yeux!
Ce fut un éclair radieux
Dont mon âme fut traversée…
Dont mon regard fut ébloui.
Hélas!
En un instant, tout s'est évanoui…
Tout! hélas! Tout!

▼CENDRILLON▲
(qui a écouté palpitante)
Une pauvre âme en grand émoi
Est là qui prie et désespère…

(très attendri et avec fièvre)

Puisqu'il n'est plus pour moi
Que tristesse et misère,

(encore plus expressif)

Que je souffre en rachat de ce coeur
tant meurtri,

(à La Fée, avec dévouement)

Marraine, frappez-moi, mais que lui
soit guéri!

▼LE PRINCE CHARMANT▲
(ayant entendu et tout palpitant)
Pauvre femme inconnue,
Doux ange de bonté
Dont un enchantement me dérobe la vue,
Je te bénis! Je te bénis!

▼CENDRILLON▲
(à La Fée, à part)
Pitié! pitié pour lui!

▼CENDRILLON, PRINCE CHARMANT▲
(avec ardeur, à la Fée)
Ayez pitié!
Bonne marraine / Puissante
Reineayez pitié!
Je vous implore à deux genoux!
à deux genoux!

▼LE PRINCE CHARMANT▲
(à Cendrillon, toujours invisible pour lui, avec effusion)
Suis-je assez malheureux!

(bien chanté, avec ardeur)

Mais celle que j'aime est si belle
Que tu dirais, voyant ses yeux:
Pas une étoile n'étincelle
Plus pure

(avec élan)

au firmament des cieux!

(avec bravoure)

Asservissant la terre et l'onde,
Pour la revoir et la chérir,
Pour la reconquérir,
Je soumettrai le

(fièrement)

monde! le monde!

▼CENDRILLON▲
(palpitante et avec élan)
Vous êtes le Prince Charmant!

▼LE PRINCE CHARMANT▲
(plus palpitant encore)
Et toi? toi qui as eu pitié de ma
détresse extrême,
Qui donc es-tu, m'interrogeant?

▼CENDRILLON▲
(toute émue)
Je suis Lucette qui vous aime.

▼LE PRINCE CHARMANT▲
(avec ivresse)
Ineffable ravissement!

▼CENDRILLON▲
Vous êtes mon Prince Charmant!

▼LE PRINCE CHARMANT▲
(en adoration)
Tu me l'as dit, ce nom, ce nom que
je voulais connaître,
O Lucette, de ton doux secret

(avec chaleur)

Enfin me voilà maître,
De tes lèvres mon âme a recueilli l'aveu…

▼PRINCE CHARMANT, CENDRILLON▲
(très expressif)
Et ta/sa voix me pénètre,
d'une extase suprême… oui,
et ta/sa voix me pénètre
d'une extase suprême!

▼LE PRINCE CHARMANT▲
Ta voix me pénètre d'une extase suprême!
Bonne fée… laissez-moi la revoir!

▼CENDRILLON▲
suprème! suprème!
Ah! Bonne fée, laissez-moi le revoir!

▼CENDRILLON▲
Sa voix me pénètre!
mais l'entendre hélas, c'est trop peu!

▼CENDRILLON, PRINCE CHARMANT▲
Laissez-moi le/la revoir!
ah! par pitié!
Bonne fée, laissez-moi le/la revoir!
Laissez-moi le/la revoir!

▼LE PRINCE CHARMANT▲
(faisant un serment à haute voix)
A la branche du chêne enchanté
Bonne fée,
Je suspendrai mon coeur…
pur et sanglant trophée!

▼LA FÉE▲
(reparaissant dans les branches du chêne)
J'accepte ton serment.
J'exauce ton espoir.

▼CHOEUR INVISIBLE▲
(bouche fermée, le chant en dehors)

▼LE PRINCE CHARMANT▲
(revoyant Cendrillon, avec un cri de joie)
Ma Lucette! je 't'ai retrouvée!

▼CENDRILLON▲
(dans les bras du Prince Charmant)
O mon Prince Charmant!

▼LE PRINCE CHARMANT▲
Ma Lucette!

▼CENDRILLON▲
(très émue)
C'est bien vous, mon Prince Charmant!

(Les Esprits et les gouttes de Rosée reparaissent de tous côtés et s'avancent silencieusement.)

▼LE PRINCE CHARMANT▲
(tendrement)
Viens! je t'aime!
Toute ma vie je t'aimerai
fidèlement… fidèlement…
toujours… ah! toujours!

▼LA FÉE▲
(dans les branches)
Ah! Ah! aimez! Ah, aimez!
aimez-vous; l'heure est brève
et croyez en un rêve!

▼CENDRILLON▲
(tendrement)
Je consacre ma vie à vous aimer
fidèlement… fidèlement…
toujours… ah! toujours!

(Un sommeil magique s'empare de Cendrillon et du Prince Charmant et ils s'endorment bercés par la voix des Esprits.)

▼LA FÉE, LES SIX ESPRITS▲
Dormez! Rêvez! Ah!

▼LES VOIX▲
(choeur invisible)
Ah!
ACTE III


Premier Tableau

(Comme au premier Acte.)

Scène Première

(Rideau. Cendrillon paraît.)

CENDRILLON
(haletante et inquiète)
Enfin, je suis ici…
La maison est déserte…
A revenir… j'ai réussi…
Sans être découverte;
Mais que de peine,
que de peine et de souci!

(bien chanté)

Fuyant dans la nuit solitaire,

(avec vivacité)

Par les terrasses du palais, en courant
J'ai perdu ma pantoufle de verre!

(avec chaleur)

Marraine! Marraine!
Ah! voudrez-vous me pardonner jamais?

(racontant avec émotion et animation)

A l'heure dite je fuyais… je fuyais…
Je voyais parmi les noires avenues…
Se dresser des statues…
Quel effroi! quel effroi!
Si grandes… si blanches, sous
des rayons de lune!
Leur yeux sans regards se fixaient sur moi…

(vivement, avec effroi)

Elles me montraient du doigt.
Se riant de mon infortune. Ah! ah!

(rire nerveux)

ah! ah! ah! Ah! ah! ah!

(son rire finit en sanglots)

Ah! ah! ah! Ah! ah! ah!
Quel effroi! quelle effroi!

(changeant de ton et avec ardeur et conviction, comme en une prière très émue)

Vous avez dû voir ma détresse,

(suppliante)

Marraine! Marraine!

(avec sentiment et émotion)

Pour tenir ma promesse,
J'ai fait tout ce que je pouvais!

(reprenant son récit)

Je courais…
Dans les profondeurs du jardin…
Je m'égarais…
Tout était sombre…

(comme essoufflée)

Et je courais toujours… toujours,
toujours, toujours!

(presqu'avec un cri)

puis… m'arrêtais… soudain…
J'avais peur… j'avais peur…

(s'empressant de supplier sa Marraine)

Vous avez dû voir ma

(avec ferveur)

détresse!

(suppliante)

Marraine! Marraine!

(avec sentiment et émotion)

Pour tenir ma promesse,
J'ai fait tout ce que je pouvais!

(reprenant son récit)

Ah! j'avais peur! peur de mon ombre…
Et je courais toujours!
Interrogeant les horizons,
Craignant partout des trahisons,
Je glisse, je glisse le long des maisons
N'osant pas traverser la place…

(Carillon)

Un grand bruit éclate et me glace
De sinistres frissons…

(changeant de ton et riant de bon coeur et aux éclats)

Ah! ah! ah! ah!

(très gai, en dehors)

C'était le carillon, le Carillon du Beffroi!

(avec gaîté et entrain)

Ah!

(bien chanté)

Réconfortant mon coeur,
Il me disait en son langage,
Ah!

(bien chanté)

Il me disait: je veille!

(tendrement)

je veille, je veille.

(avec ardeur)

Reprends courage! courage! allons!
courage! Va!

(découragée, subitement)

Mais c'en est fait, hélas!

(regardant tristement autour d'elle)

du bal et des splendeurs!
Et je n'entendrai plus les paroles si tendres
Qui me berçaient d'espoirs menteurs!

(Machinalement elle se rapproche de la cheminee et montrant le foyer éteint)

Mon bonheur s'est éteint… il n'en reste…
que cendres!
Résigne-toi, Petit grillon, résigne-toi.

(comme sortant d'un rêve, subitement, avec frayeur)

Ah! j'entends revenir mes parents!
et mes soeurs!
A tous il faut cacher mes pleurs…

(Elle se sauve dans sa chambre)


Scène Seconde

(L'entrée de Mme de la Haltière et de ses deux filles est tumultueuse. Une grosse discussion est déchaîné. Pandolfe essaie de se disculper, mais il est accablé par les trois femmes.)

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
C'est vrai! C'est vrai! C'est vrai!

PANDOLFE
Non! Non! Non!

MME DE LA HALTIÈRE
(à Pandolfe, furibonde)
Vous êtes, je vous le déclare,
Un sot, un faquin, un ignare,
Un portefaix,

(avec volubilité)

Un grand dadais,
Un pauvre Sire,
J'ose le dire…
Vous avez le front de nier
Que cette fille,
Cette guenille,
Cette guenon,
Cette chiffon,

(avec volubilité)

Que vous dirai-je encore,
Rien, Rien, en un mot,
et moins que rien…
et moins que rien…

NOÉMIE, DOROTHÉE
(toutes deux: avec admiration)
Ah! maman! que vous parlez bien!
Ah! maman! que vous parlez bien!

MME DE LA HALTIÈRE
(reprenant ses injures)
… moins que rien! moins que rien!

PANDOLFE
(protestant)
Non! Non! Non!

NOÉMIE, DOROTHÉE
(à Pandolfe, en l'accablant)
C'est vrai! C'est vrai! C'est vrai!

PANDOLFE
Pourquoi tant vous mettre en colère?

MME DE LA HALTIÈRE
(à Pandolfe)
Espérez-vous que, pour vous plaire,

(à tue-tête)

Je vais me taire!

NOÉMIE, DOROTHÉE
Ah! la maudite aventurière!

MME DE LA HALTIÈRE
Aussi, le Prince a fort bien fait
De la chasser, de la belle manière!

NOÉMIE, DOROTHÉE
(avec une joie ironique)
Ah! ah!
C'était si mérité!
C'était si mérité!

PANDOLFE
(timidement, risquant son opinion)
Elle avait l'air très doux…
c'est une qualité…

MME DE LA HALTIÈRE
(le toisant avec mépris)
Fi donc! monsieur.
Je le conteste.

PANDOLFE
(voulant protester, parlé)
Ah!

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
(les trois femme lui imposant silence)
Oui!

MME DE LA HALTIÈRE
(avec une haute importance, chaque syllabe très prononcée)
Lors, qu'on a plus de vingt quartiers,
Ainsi que notre arbre l'atteste,

(légèrement)

Lorsqu'on a, sans compter le reste,
Quatre Présidents

(avec emphase)

à mortiers,
Un doge! parmi ses ancêtres,
Et la douzaine d'archiprêtres,
Un Amiral, Un Cardinal,
Six Abbesses et treize nonnes,

(changeant de ton - légèrement et en badinant)

Deux ou trois Maîtresses de Rois
Qui, toutes deux ou toutes trois,
Portèrent presque des couronnes;

(vivement)

Sans parler des menus fretins, tels que

(légèrement)

princes et capucins,

(avec emphase)

On doit s'avancer dans la foule
Comme un vaisseau fendant la houle
Avec sa gloire pour soutien,
Dédaigneux des bruits de

(avec éclat)

tempête!
C'est un devoir, entendez bien,
Quand on s'est haussé jusqu'au faîte,
De lever les yeux et la tête,

(avec emportement)

En laissant la douceur à tous vos gens

(vivement)

de rien!

NOÉMIE, DOROTHÉE
(avec admiration)
Ah! maman! ah maman! que vous
parlez bien!

PANDOLFE
(d'un ton lamentable et résigné)
J'aimerais mieux l'obscurité
Si j'avais la tranquillité!

CENDRILLON
(qui vient d'entrer, vivement)
Il est donc arrivé quelque chose, mon père?

PANDOLFE
(embarrassé)
Non, rien vraiment, que de fort ordinaire…

MME DE LA HALTIÈRE
(à Pandolfe avec une nouvelle explosion)
Ah! votre calme m'exaspère…
Que faut-il pour vous émouvoir?

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
(à Cendrillon, avec empressement)
Ecoute-nous, tu vas savoir.
Une intrigante, une inconnue,
Au bal de la cour est venue.

DOROTHÉE
Et cette rien, du tout,

NOÉMIE
Mise sans aucun goût,

MME DE LA HALTIÈRE
Et cette rien du tout

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
Dans son effronterie…

MME DE LA HALTIÈRE
(se retournant brusquement du côté de Pandolfe, avec impatience)
Laissez-nous dire, je vous prie!

(reprenant hâtivement leurs racontars du côté de Cendrillon)

Osa parler au fils du Roi!
Chacun en fut saisi d'effroi…
D'épouvante et d'horreur,
D'épouvante et d'horreur,
D'épouvante et d'horreur, et d'horreur

(vivement et avec surprise)

Ce fut un désarroi!

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
Tout d'abord,

MME DE LA HALTIÈRE
…un digne silence…

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
…a condamné…

MME DE LA HALTIÈRE
…cette impudence;

NOÉMIE, DOROTHÉE
…cette impudence!

MME DE LA HALTIÈRE
Mais au bout d'un instant,

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
On a murmuré tant, Que l'intruse,
bien vite,
A dû prendre la fuite,
Chassée, au beau milieu du bal,

(avec ampleur)

Par notre mépris

(vivement)

général!

PANDOLFE
(essayant de tout calmer - d'un ton raisonnable)
Ah! vous exagérez… et beaucoup
ce me semble.

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
(toutes les trois, à Pandolfe, avec humeur)
Eh! laissez-nous donc en repos;
On ne peut pas placer deux mots!

PANDOLFE
(commençant à s'impatienter)
Si vous criez toutes ensemble,
Je m'en vais… Je m'en vais…

CENDRILLON
(aux trois femmes, timide et anxieuse)
Ah! racontez-moi…
Qu'a dit alors le fils du Roi?

MME DE LA HALTIÈRE
(ironique)
Que l'on ne pouvait s'y m'éprendre…
Que ses yeux un moment… abusés…
voyaient clair…

(sans respirer)

Et que d'ailleurs, rien qu'à son air…
Cette inconnue était drôlesse
bonne à pendre!

NOÉMIE, DOROTHÉE
(joyeusement)
… bonne à pendre!

PANDOLFE
(s'apercevant que Cendrillon chancelle et est prête à défaillir)
Mais ma fille pâlit…

(à Cendrillon, avec affection et inquiétude)

qu'as-tu, ma pauvre enfant?

(aux trois femmes, avec autorité)

Assez de vos caquets…

MME DE LA HALTIÈRE
Qu'un homme est énervant!

PANDOLFE
(tout à Cendrillon)
Mon Dieu! la force l'abandonne!

(en larmes)

Mon enfant! mon enfant!

(aux trois femmes, avec force)

Sortez!

MME DE LA HALTIÈRE
(suffoquée, se retournant)
Hein! quoi?

PANDOLFE
Je vous l'ordonne!
Sortez! Sortez!

MME DE LA HALTIÈRE
(à ses filles, hors d'elle-même)
Ah! mes filles! Venez!
c'en est trop!

(à Pandolfe)

Je ne vous connais plus!

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
(à Pandolfe, toutes les trois en fureur)
Vous êtes un rustaud! un rustaud!
un lourdeau! un rustaud! un lourdeau!

PANDOLFE
Vous, sortez au plus tôt!
allez! allez! allez!

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
(les trois femme sont en même temps trois attaques de nerfs, cri aigu et prolongé)
Ah!

PANDOLFE
Vous pouvez trépigner!

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
(de même, 2e crise plus violente)
Ah!

PANDOLFE
Je vous jette à la porte.

MME DE LA HALTIÈRE
(violemment, à Pandolfe)
Rétractez, insolent!

PANDOLFE
Le diable vous emporte!

NOÉMIE, DOROTHÉE, MME DE LA HALTIÈRE
(3me crise; cri aigu et prolongé des trois femmes qui sortent comme des furies)
Ah!

Scène Troisième

PANDOLFE
(à Cendrillon)
Ma pauvre enfant chérie!
Ah! tu souffres donc bien…

(très expressif et bien chanté)

Va! repose ton coeur douloureux
sur le mien…
Et laisse-toi bercer dans mes bras,
ma petite!

(attendri)

Je t'ai sacrifiée en venant à la Cour.
Mais tu pardonneras,

(plus vivement et avec un sourire mêlé de larmes)

quand nous rirons un jour
De mon ambition maudite.

(avec attendrissement)

Viens, nous quitterons cette ville
Où j'ai vu s'envoler ta gaîté d'autrefois,
Et nous retournerons au fond de nos
grands bois,
Dans notre ferme si tranquille…
Là là! nous serons heureux,
Bien heureux! Tous les deux.
Le matin nous irons comme deux
amoureux
Cueillir le blanc muguet…

CENDRILLON
(gentiment et naïvement)
… et liserons bleus,
Tous les deux!
Dès que les cloches argentines
S'éveilleront…

PANDOLFE
(continuant la phrase de Cendrillon, avec le même sentiment, presque enfantin)
… sonnant matines!

CENDRILLON
Matines!
Le soir nous entendrons du Rossignol
des nuits le chant si doux et frais…
au profond des forêts…

PANDOLFE
Viens!…

CENDRILLON, PANDOLFE
Nous quitterons cette ville
Où j'ai vu s'envoler… ta/ma gaîté
d'autrefois…

(avec sentiment)

Là! Nous serons heureux!
Bien heureux!
Tous les deux! là-bas!

CENDRILLON
(plus alerte)
Maintenant, je suis mieux et je me
sens renaître…
Tu peux me laisser seule.

PANDOLFE
(affectueusement)
Oui, si tu veux promettre
De ne plus être triste

(comme un tendre reproche)

et de ne plus pleurer;

(avec une résolution attendrissante)

Pour nous sauver d'ici je vais tout
préparer! Oui…

(en s'éloignant doucement)

nous quitterons cette ville…

(Cendrillon se jetant dans les bras de son père)

PANDOLFE
(revenant avec élan vers Cendrillon)
Là! là! nous serons heureux!
Bien heureux! Tout les deux!

Scène Quatrième

(Cendrillon, seule, regardant encore par où son père est parti semble oppressée, troublée, indécise)

CENDRILLON
(avec une résolution subite)
Seule, je partirai, mon père;
Le poids de mon chagrin serait trop
lourd pour toi.
Je ne veux pas te voir souffrir de ma
misère!
Mais… je ne peux plus vivre…
Il a douté de moi…
Lui! mon doux Maître et mon seul Roi!
Lui que j'adore! il me renie…
et me repousse!
Pourtant, sa voix était bien douce…
Pourtant, ses yeux étaient bien doux!

(expressif et tendre)

O mes rêves d'amour,
mes rêves d'amour
Hélas!

(sans retarder)

envolez-vous!

(très attendrie et simplement)

Adieu, mes souvenirs de joie… et de souffrance
Qui, malgré tout, me parliez d'espérance!

(expressif)

Témoins et compagnons de mon si
court destin!
Adieu! adieu, mes tourterelles
Pour qui chaque matin,
J'allais, par les venelles,
Cueillir le vert plantin…

(simple et triste)

je ne vous verrai plus!

(allant à la cheminée)

Ni toi, ma place familière…

(détachant la petite branche pendue à la cheminée; simple et religieux)

Que je t'embrasse encor,
tout séché, tout jauni…
Relique d'un beau jour,
humble rameau béni.

(avec un sentiment très profond)

Ah! comme on aime ce que l'on quitte!

(simple et triste)

Et toi, le grand fauteuil
Où, quand j'étais petite,
Je courais me blottir bien vite…
Frileusement…
Sur les genoux de ma maman…

(très attendrie)

De maman… de maman…
si bonne et si jolie!

(très caressant)

Qui fredonnait en me berçant:
«C'est l'Angélus,
Dors, mon petit ange,
Dors comme Jésus
Dormait dans la grange.»

(Le tonnerre gronde, l'éclair brille, avec un subit désespoir; à volonté)

Ah! puisque tout bonheur me fuit,
Montant par les roches sacrées,

(hardiment)

Sans crainte j'irai dans la nuit,
Malgré les revenants et le follet qui luit…

(avec décision)

J'irai mourir, mourir sous le chêne des fées!

(Cendrillon s'enfuit rapidement)

Deuxième Tableau

(Chez la Fée)

Scène Première

(Un grand chêne au milieu d'une lande pleine de genêts en fleurs. Au fond: la mer - nuit claire - lumière très bleutée.)

VOIX DES ESPRITS
(choeur invisible, bouche fermée, effet lointain, mystérieux, à obtenir de l'ensemble des voix, selon la nuance qui sera choisie par le chef des choeurs.)

LA VOIX DE LA FÉE
Ah! ah!
Fugitives chimères,
O lueurs éphémères,
Ames ou follets, ames ou follets,
Glissez! sur les bruyères,
Flottez sur les genêts!

VOIX DES ESPRITS
(sopranos)
Fugitives chimères, O lueurs passagères,

(2e sopranos, contraltos, tenors, basses)

Flottez, Glissez! Glissez!

LA VOIX DE LA FÉE
Cher follets, brillez,
Cher follets, glissez!

VOIX DES ESPRITS
(sopranos)
Ames ou follets, ames ou follets!

(2e sopranos)

Ames, Ames!

(contraltos, tenors, basses)

Follets, Follets!

LA VOIX DE LA FÉE
Ah! Ah!

VOIX DES ESPRITS
(sopranos)
Glissez sur les bruyères,
Flottez sur les genêts!

(2e sopranos, contraltos, tenors, basses)

Glissez, et flottez!

LA VOIX DE LA FÉE
Ah! Ah! Ah! Glissez! glissez!
Flottez sur les genêts!

VOIX DES ESPRITS
(sopranos)
Glissez sur les bruyères, Flottez!

(2e sopranos, contraltos, tenors, basses)

Glissez, et flottez!

Danse Silencieuse des goutes de rosée

VOIX DES ESPRITS
(tenors, basses)
Ah!

LA VOIX DE LA FÉE
Flottez!

VOIX DES ESPRITS
(sopranos, contraltos, en riant)
Ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah!

VOIX DES ESPRITS
(tenors, basses)
Ah!

LA VOIX DE LA FÉE
Flottez!

VOIX DES ESPRITS
(sopranos, contraltos, en riant)
Ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah!

VOIX DES ESPRITS
(contraltos, tenors, basses)
Ah! Ah! Flottez!
Glissez! Glissez!
Follets, follets glissez,
Et flottez! Glissez!
Flottez! Ah!

(sopranos)

Fugitives chimères,
O lueurs passagères,
Ames ou follets, ames ou follets glissez
sur les bruyères, flottez! Glissez!
Flottez! Ah!

LA VOIX DE LA FÉE
Ah!
Ah!
Ah! Ah! Ah! Ah!
Flotez sur les genêts!
Ah!

TROIS ESPRITS
(1er Groupe, qui ont accouru)
Mais là-bas! au fond de la lande obscure,
Par le chemin on voit venir,
Sur le doux tapis de verdure,
Une enfant qui semble gémir…

(2d Groupe, qui accourent)

Regardez! au fond de la lande obscure!

LA FÉE
(dans les branches du chêne)
Et de l'autre côté…
Voyez-vous pas, mes soeurs,
Ce pauvre garçon tout en pleurs?

LES 2 GROUPES REUNIS
Regardez! au fond de la lande obscure…

LA FÉE
Regardez!

LES 2 GROUPES REUNIS
(les six Esprits: entre eux)
Ce sont de jolis amoureux…
Comme ils sont malheureux!
D'ombre voilées…
Invisibles pour eux,
Mes soeurs, écoutons bien leurs
plaintes désolées.

LA FÉE
(étendant le bras avec autorité)
Afin qu'ils ne puissent se voir,
O fleurs, obéissez au magique pouvoir!
Entre le prince et son aimée,
Fermez-vous, muraille embaumée! Ah!

(La Fée se retire doucement dans les branches et revient invisible)


Scène Seconde

(Cendrillon et le Prince Charmant arrivent chacun de leur côté. Ils s'agenouillent sans se voir. Ils sont séparés par une haie de fleurs. Et ils adressent leur prière à La Fée.)

CENDRILLON
(simple et fervent)
A deux genoux,
Bonne Marraine, à deux genoux,
J'implore mon pardon de vous,
Si je vous ai fait moindre peine.
A deux genoux, je vous implore à
deux genoux,
Si je vous ai fait moindre peine.
Bonne Marraine!
Je viens à vous!

LE PRINCE CHARMANT
Je viens à vous,
Puissante Reine, je viens à vous,
Et vous demande à deux genoux
De vouloir terminer ma peine.
Je viens à vous, je vous implore à
deux genoux,
Voulez-vous terminer ma peine.
Puissante Reine!
Je viens à vous!

(à La Fée, avec âme)

Vous qui pouvez tout voir
Et tout savoir,
Vous n'ignorez pas ma souffrance…
Vous n'ignorez pas comment,
Pendant un trop court moment,
Du plus divin bonheur j'ai conçu
l'espérance!

(avec chaleur et conviction; bien chanté, expressif)

Ce bonheur, je l'ai vu de mes yeux!
Ce fut un éclair radieux
Dont mon âme fut traversée…
Dont mon regard fut ébloui.
Hélas!
En un instant, tout s'est évanoui…
Tout! hélas! Tout!

CENDRILLON
(qui a écouté palpitante)
Une pauvre âme en grand émoi
Est là qui prie et désespère…

(très attendri et avec fièvre)

Puisqu'il n'est plus pour moi
Que tristesse et misère,

(encore plus expressif)

Que je souffre en rachat de ce coeur
tant meurtri,

(à La Fée, avec dévouement)

Marraine, frappez-moi, mais que lui
soit guéri!

LE PRINCE CHARMANT
(ayant entendu et tout palpitant)
Pauvre femme inconnue,
Doux ange de bonté
Dont un enchantement me dérobe la vue,
Je te bénis! Je te bénis!

CENDRILLON
(à La Fée, à part)
Pitié! pitié pour lui!

CENDRILLON, PRINCE CHARMANT
(avec ardeur, à la Fée)
Ayez pitié!
Bonne marraine / Puissante
Reineayez pitié!
Je vous implore à deux genoux!
à deux genoux!

LE PRINCE CHARMANT
(à Cendrillon, toujours invisible pour lui, avec effusion)
Suis-je assez malheureux!

(bien chanté, avec ardeur)

Mais celle que j'aime est si belle
Que tu dirais, voyant ses yeux:
Pas une étoile n'étincelle
Plus pure

(avec élan)

au firmament des cieux!

(avec bravoure)

Asservissant la terre et l'onde,
Pour la revoir et la chérir,
Pour la reconquérir,
Je soumettrai le

(fièrement)

monde! le monde!

CENDRILLON
(palpitante et avec élan)
Vous êtes le Prince Charmant!

LE PRINCE CHARMANT
(plus palpitant encore)
Et toi? toi qui as eu pitié de ma
détresse extrême,
Qui donc es-tu, m'interrogeant?

CENDRILLON
(toute émue)
Je suis Lucette qui vous aime.

LE PRINCE CHARMANT
(avec ivresse)
Ineffable ravissement!

CENDRILLON
Vous êtes mon Prince Charmant!

LE PRINCE CHARMANT
(en adoration)
Tu me l'as dit, ce nom, ce nom que
je voulais connaître,
O Lucette, de ton doux secret

(avec chaleur)

Enfin me voilà maître,
De tes lèvres mon âme a recueilli l'aveu…

PRINCE CHARMANT, CENDRILLON
(très expressif)
Et ta/sa voix me pénètre,
d'une extase suprême… oui,
et ta/sa voix me pénètre
d'une extase suprême!

LE PRINCE CHARMANT
Ta voix me pénètre d'une extase suprême!
Bonne fée… laissez-moi la revoir!

CENDRILLON
suprème! suprème!
Ah! Bonne fée, laissez-moi le revoir!

CENDRILLON
Sa voix me pénètre!
mais l'entendre hélas, c'est trop peu!

CENDRILLON, PRINCE CHARMANT
Laissez-moi le/la revoir!
ah! par pitié!
Bonne fée, laissez-moi le/la revoir!
Laissez-moi le/la revoir!

LE PRINCE CHARMANT
(faisant un serment à haute voix)
A la branche du chêne enchanté
Bonne fée,
Je suspendrai mon coeur…
pur et sanglant trophée!

LA FÉE
(reparaissant dans les branches du chêne)
J'accepte ton serment.
J'exauce ton espoir.

CHOEUR INVISIBLE
(bouche fermée, le chant en dehors)

LE PRINCE CHARMANT
(revoyant Cendrillon, avec un cri de joie)
Ma Lucette! je 't'ai retrouvée!

CENDRILLON
(dans les bras du Prince Charmant)
O mon Prince Charmant!

LE PRINCE CHARMANT
Ma Lucette!

CENDRILLON
(très émue)
C'est bien vous, mon Prince Charmant!

(Les Esprits et les gouttes de Rosée reparaissent de tous côtés et s'avancent silencieusement.)

LE PRINCE CHARMANT
(tendrement)
Viens! je t'aime!
Toute ma vie je t'aimerai
fidèlement… fidèlement…
toujours… ah! toujours!

LA FÉE
(dans les branches)
Ah! Ah! aimez! Ah, aimez!
aimez-vous; l'heure est brève
et croyez en un rêve!

CENDRILLON
(tendrement)
Je consacre ma vie à vous aimer
fidèlement… fidèlement…
toujours… ah! toujours!

(Un sommeil magique s'empare de Cendrillon et du Prince Charmant et ils s'endorment bercés par la voix des Esprits.)

LA FÉE, LES SIX ESPRITS
Dormez! Rêvez! Ah!

LES VOIX
(choeur invisible)
Ah!
最終更新:2020年08月23日 14:57