ACTE II
Une salle dans le palais. A droite, au premier plan, porte conduisant aux appartements de la Grande-Duchesse. A droite, au deuxième plan, une porte secrète dissimulée par un tableau qui représente un chevalier armé de pied en cap. Autre tableau à gauche, en face de celuici. porte au premier plan, à gauche. Au fond, grande baie donnant sur une galerie et fermée par des draperies Métier à tapisserie, tabourets, pliants. Iza, Charlotte, Amélie, Olga, autres demoiselles d'honneur, assises et travaillant, puis Népomuc. Un huissier se tient devant les appartements de la Grande-Duchesse, à droite
Scène Première
CHŒUR
Enfin la guerre est terminée,
La campagne vient de finir;
Oui, la campagne vient de finir;
Dans le courant de la journée,
Nos amoureux vont revenir.
Nos amoureux vont revenir.
La guerre est terminée,
La campagne vient de finir;
Dans le courant de la journée,
Nos amoureux vont revenir.
IZA
regardant à gauche et se levant, ainsi que les autres demoiselles d'honneur
Le courrier! le courrier!
Vite, mesdemoiselles!
Nous allons avoir des nouvelles!
NÉPOMUC
entrant par la gauche
Qui veut des lettres? en voici!
TOUTES
Par ici, monsieur, par ici!
NÉPOMUC
En voici!
TOUTES
En voici!
NÉPOMUC
allant à la porte de droite, à l'huissier
Laissez-moi passer, le temps presse
Service personnel de la Grande-duchesse!
Il entre à droite, l'huissier le suit
TOUTES
chacune sa lettre à la main
Quel trouble avant de vous ouvrir,
Lettres de celui qu'on adore!
Quelle douceur et quel plaisir
De vous lire et relire encore!
Ah! Quel plaisir Ah! Quel plaisir
OLGA
ouvrant et lisant sa lettre
"Je t'ai sur mon cœur
Placée en peinture,
Quand je suis parti.
Il m'a préservé de toute blessure,
Ce portrait chéri!
Et si je reviens sans égratignure,
C'est bien grâce à lui!"
Ah! lettre adorée,
Toute la journée, je te relirai
Et te baiserai!
AMELIE
de même
"Il paraît qu'on va
terminer la guerre:
Je reviens demain;
Etant très pressé,
je compte, ma chère,
Dès après demain,
Sans me débotter,
aller à ta mère,
Demander ta main!"
Ah! lettre adorée, etc.
CHARLOTTE
de même
"Comme je tremblais
en allant combattre!
En allant au feu,
je mourais de peur!
Je me suis pourtant
battu comme quatre,
Mon amour pour toi
m'a donné du cœur!"
IZA
de même
"Nous avons, hier,
gagné la bataille
Du moins, je le crois;
Je m'en moque autant
que d'un brin de paille.
Car, vois-tu, pour moi,
Iza, mon amour,
il n'est rien qui vaille
Un baiser de toi!"
Ah! lettre adorée, etc.
TOUTES
Ah! lettre adorée,
Toute la journée, je te relirai
Et te baiserai!
IZA
allant à Olga
Qu'est-ce qu'il y a dans ta lettre?
OLGA
Beaucoup de choses
et dans la tienne?
Iza lui montre sa lettre
AMELIE
à Charlotte
Oh! Si tu savais!
CHARLOTTE
Montre moi.
AMELIE
Très volontiers
mais tu me montreras aussi?
CHARLOTTE
Je veux bien.
Elles se montrent leurs lettres
OLGA
qui a lu la lettre de Charlotte
Oh! Il t'écrit des choses comme ça?
IZA.
Oui et le tien non?
OLGA
montrant sa lettre
Le mien aussi
Tiens! regarde là ce qui est souligné!
Scène Seconde
Les autres demoiselles d'honneur ont fait de même au deuxième plan. Entrent, par la gauche, le prince Paul et le baron Grog
LE PRINCE PAUL
Venez, baron, venez…
Je vous assure que
Vous serez reçu aujourd'hui…
GROG
Je veux le croire, mon prince.
LE PRINCE PAUL
Vous avez votre lettre d'audience?
GROG
la montrant
La voici, mon prince.
LE PRINCE PAUL
Alors, ça va aller tout seul…
Bonjour, mesdemoiselles…
AMELIE
riant
Bonjour, prince Paul!
CHARLOTTE
de même
Pauvre prince!…
IZA
de même
Prince infortuné!…
LE PRINCE PAUL
à Grog
Elles se moquent de moi.
GROG
J'entends bien!
LE PRINCE PAUL
Je ne leur en veux pas…
Mesdemoiselles, j'ai l'honneur
De vous présenter le baron Grog,
L'envoyé de papa…
LES DEMOISELLES
Monsieur le baron!…
GROG
Mesdemoiselles!…
LE PRINCE PAUL
Il a une lettre d'audience
Pour aujourd'hui.
IZA
Pour aujourd'hui?…
LE PRINCE PAUL
Mais sans doute! Pour aujourd'hui…
Voulez-vous me faire le plaisir
D'aller annoncer à Son Altesse
Que le baron Grog est arrivé?
OLGA
Mais, cher prince,
Cela ne nous regarde pas.
CHARLOTTE
Il faut vous adresser à un aide de camp.
Entre, par la droite, Népomuc
AMELIE
En voici un.
NÉPOMUC
Grande nouvelle!…
Le général Fritz sera
Reçu ici dans une heure,
En grande cérémonie…
Il est vainqueur; il revient…
Son altesse est dans une joie!…
Dans une joie!…
Dans une joie!…
Il sort
IZA
toute joyeuse
Ils reviennent!
Nous allons les revoir!
Entrent Boum et Puck
PUCK
Allons, vite,
Mesdemoiselles
Les demoiselles d'honneur,
Dépêchez-vous!…
La Grande Duchesse vous attend!
BOUM
Hâtez-vous, mesdemoiselles!
CHŒUR
Ah! Lettre adorée, etc.
LE PRINCE PAUL
Eh bien?… et mon Grog?
PUCK
Rassurez-vous…
GROG
Quoi?
BOUM
On va recevoir monsieur le baron…
Huissier, introduisez monsieur le baron,
Et faites ce qui vous a été dit…
a Grog
Monsieur le baron…
GROG
Tout de suite, général…
Il se dirige vers la porte
LE PRINCE PAUL
Allez, Grog, et soyez chaud!
Grog, précédé de l'huissier, sort par la droite
Scène Troisième
LE PRINCE PAUL
Enfin!… ah! messieurs!…
PUCK
Voyons, mon seigneur…
LE PRINCE PAUL
Vous ne pouvez pas vous figurer
Comme je suis ému!…
Elle consent à recevoir le baron Grog!
Je le vois… Il traverse le couloir
Et entre dans le petit salon de réception…
BOUM
Oui…
LE PRINCE PAUL
Il traverse le petit salon de réception…
PUCK
Oui…
PRINCE PAUL
Il tourne à gauche…
dénégation de Boum et de Puck
On soulève la portière, on l'annonce…
Il se trouve en face…
BOUM
Oh! Mais… Vous allez, vous allez!…
Ça n'est pas ça du tout…
Le baron n'a pas tourné à gauche;
Il a tourné à droite…
Toujours précédé de l'huissier…
Et il s'est trouvé en face d'un escalier…
Au moment où nous parlons,
Il doit être en train de monter…
Quand il aura fini,
Il traversera une demi-douzaine de salles
Et se trouvera en face
D'un autre escalier… Qu'il descendra…
Il retraversera,
Remontera,
Redescendra,
Retraversera…
PUCK
Reremontera…
LE PRINCE PAUL
Reredescendra…
PUCK
Et cætera, et cætera…
Jusqu'à ce qu'il soit arrivé
Devant une petite porte…
Toute grande ouverte…
Votre Grog trouvera là sa voiture…
L'huissier l'invitera
Poliment à y monter
Et lui dira que son audience
Est remise à un autre jour…
LE PRINCE PAUL
Voilà l'ordre
et la marche?…
BOUM
Comme vous dites!…
LE PRINCE PAUL
Et la Grande Duchesse a osé?…
PUCK
Elle a osé…
Mais aussi, prince,
Il faut que vous soyez fou…
Avec tout le respect que je vous dois,
Il faut que vous soyez fou
Pour avoir supposé
Que le jour où le général Fritz
Revient, et revient vainqueur,
La Grande Duchesse s'occuperait
D'autre chose
Que de se préparer à le recevoir…
LE PRINCE PAUL
Fritz!… encore!…
Ah! cet homme! cet homme!…
BOUM
Il sera ici tout à l'heure et il triomphera.
LE PRINCE PAUL
Eh bien! qu'il triomphe!
Mais après…
BOUM, PUCK
Après?
LE PRINCE PAUL
Rien, rien je n'ai rien dit,
Messieurs je n'ai rien voulu dire.
PUCK
lançant un coup d'œil à Boum, de loin et bas
Ça ne prend pas
BOUM
bas
Disons tout, alors
Coups de canon au dehors
L'ennemi! c'est l'ennemi!
Il tire son sabre et veut se précipiter
PUCK
Mais non, ce n'est pas l'ennemi!
avec intention
C'est notre ennemi!
LE PRINCE PAUL
C'est le général Fritz!
BOUM
Pardon!
C'est qu'il y a quinze jours
Que je ne fais rien
J'ai la nostalgie de la guerre!
Scène Quatrième
Entre toute la cour, précédée de deux huissiers
CHŒUR
Après la victoire,
Voici revenir nos soldats;
Célébrons leur gloire,
Rendons grâce
Au Dieu des combats!
Après la victoire,
Voici revenir nos soldats;
Célébrons leur gloire,
Rendons grâce
Au Dieu des combats!
La Grande-duchesse entre par la droite. A sa vue, le prince Paul, Boum et Puck se précipitent vers elle et la saluent humblement
LA GRANDE-DUCHESSE
à part
Ah! Je vais le revoir!
Voici l'instant suprême!
Pourrai-je, en le voyant,
Lui cacher que je l'aime?
CHŒUR
Après la victoire, etc.
Fritz entre
FRITZ
à la Grande-duchesse
Madame, en quatre jours
J'ai terminé la guerre!
Vos soldats sont vainqueurs,
Les ennemis ont fui!
Et je vous rapporte aujourd'hui
Le sabre vénéré
De monsieur votre père!
Il le prend des mains d'un de ses officiers
LA GRANDE-DUCHESSE
Voici le sabre de mon père!
TOUS
Voici le sabre de son père!
LA GRANDE-DUCHESSE
à Népomuc
Qu'on le remette en mon musée d'artillerie!
Népomuc sort en emportant le sabre. S'adressant à Fritz
Et vous, soldat victorieux,
Devant ma cour électrisée,
Parlez, et racontez vos exploits glorieux!
TOUSParlez et racontez vos exploits glorieux!
FRITZDonc je m'en vais vous dire, altesse,
Le résultat de ce combat,
Et comment, grâce à mon adresse,
Les ennemis furent surpris.
En très bon ordre nous partîmes;
Notre drapeau flottait au vent,
Et, quatre jours après, nous vîmes
Cent vingt mille
Hommes manœuvrant.
J'ordonne alors que l'on s'arrête
J'avais mon plan, et, jugez en!
Ce plan là n'était pas trop bête
On a du flair, sans avoir l'air!
J'avais trois cent mille bouteilles,
Moitié vin et moitié liqueurs:
Je me fais, ouvrez vos oreilles!
Tout rafler par leurs maraudeurs.
Voilà tout
Leur camp dans la joie!
"Du vin! Buvons,
Et nous grisons!"
Dans le vin leur raison se noie
Moi, j'attendais, et j'espérais.
Le lendemain, bonheur insigne!
Ils acceptèrent le combat!
Je les vis se ranger en ligne,
Mais, seigneur dieu! Dans quel état!
Ils se répandent dans la plaine,
Butant, roulant, déboulinant;
C'était comme un grand champ d'avoine,
Au gré du vent, se balançant!
Devant son armée en goguette,
Leur général, l'œil allumé,
Gambadait, gris comme une trompette,
Et me criait: "Ohé! ohé!"
Je lui réponds: "viens y, ma vieille!"
Tout aussitôt, le pauvre sot
Se fâche, brandit sa bouteille,
Et, trébuchant, marche en avant!
Non! c'était à mourir de rire!
Sous ce général folichon,
Cent vingt mille hommes en délire,
Chantait la mère Godichon.
Lalalalala
Ah! La bataille fut bouffonne!
On en poussait un, tout tombait.
Du reste, on n'a tué personne:
C'eût été mal!
Mais c'est égal,
Vos soldats ont fait des merveilles,
Et le soir, c'est flatteur pour eux,
Le soir, sur le champ de bouteilles
Ils ont couché victorieux!
TOUSVive le général Fritz!
LA GRANDE-DUCHESSEMes compliments, général!
Vous parlez comme vous combattez.
à sa cour
Mesdames et messieurs,
Cette imposante cérémonie
Est terminée
L'intérêt de notre
Grand-duché de Gérolstein
Exigeant que nous disions
Au général Fritz
Des choses qui ne peuvent être
Entendues que de lui,
Nous vous permettons de vous retirer
Allez vous en!
LE PRINCE PAUL
bas, à Puck
Seule avec lui!
BOUM
bas
Comme elle va! comme elle va!
PUCK
bas
Et vous souffririez cela, prince?
LE PRINCE PAUL
de même
Ah! s'il y avait un moyen!
BOUM
de même
Il y en a un, peut-être
LA GRANDE-DUCHESSE
à la cour
Allez vous en,
gens de la gens de la cour, allez vous en!
REPRISE DU CHŒUR
Après la victoire,
Voici revenir nos soldats! etc.
Toute la cour s'éloigne par le fond. La Grande-duchesse et Fritz restent seuls
Scène Cinquième
LA GRANDE-DUCHESSE
Plus personne!
FRITZ
Eh non! plus personne!
LA GRANDE-DUCHESSE
Général!
FRITZ
Altesse?
LA GRANDE-DUCHESSE
Je suis contente de vous voir.
FRITZ
Et moi de même.
LA GRANDE-DUCHESSE
Merci.
FRITZ
Il n'y a pas de quoi, vraiment,
Il n'y a pas de quoi.
LA GRANDE-DUCHESSE
Je me félicite de ce que j'ai fait,
Quand j'ai laissé tomber
Mon regard sur vous,
Vous n'étiez qu'un soldat.
FRITZ
Un pauvre jeune soldat.
LA GRANDE-DUCHESSE
Je vous ai fait général en chef:
Vous avez battu l'ennemi.
FRITZ
Eh! bédame!
LA GRANDE-DUCHESSE
Voulez-vous que nous parlions
Des récompenses qui vous sont dues?
FRITZ
Je le veux bien, Altesse, mais à quoi bon?
LA GRANDE-DUCHESSE
Comment!
FRITZ
Puisque je suis général en chef voyons,
Raisonnez un peu
Puisque je suis général en chef,
Je ne peux pas monter en grade.
LA GRANDE-DUCHESSE
Vous croyez ça, vous?
FRITZ
Dame! il me semble
Puisque j'ai le panache
Je ne peux rien avoir de plus.
LA GRANDE-DUCHESSE
Dans le militaire, c'est possible; mais…
FRITZ
Mais?
LA GRANDE-DUCHESSE
Mais dans le civil…
FRITZ
Ah! ah!
à part
Je ne comprends pas du tout,
Mais ça ne fait rien
Puisqu'on veut me donner
Quelque chose, n'est ce pas?
LA GRANDE-DUCHESSE
D'abord, vous serez logé dans le palais:
Cela a été décidé, ce matin,
Sur la proposition du général Boum.
FRITZ
Sur la proposition du général Boum?
LA GRANDE-DUCHESSE
Oui, c'est une idée qui lui est venue,
Par mon ordre.
FRITZ
riant
A-t-il dû rager!
LA GRANDE-DUCHESSE
Voulez-vous que je l'exile?
FRITZ
Oh non!
Ce n'est pas
un méchant homme, au fond!
Tout ça, c'est des histoires de femmes,
Voilà tout des histoires de femmes.
LA GRANDE-DUCHESSE
De femmes?
FRITZ
Pas autre chose!
LA GRANDE-DUCHESSE
Comme elles sont heureuses,
Les femmes de la campagne!
Quand une femme de la campagne
Aime un homme de la campagne
Elle va à lui, tout bonnement, et lui dit.
FRITZ
Mon garçon, je t'aime
LA GRANDE-DUCHESSE
Avec une bonne bourrade!
Mais dans nos sphères,
C'est autre chose.
Et nous, quand nous aimons,
Nous sommes obligées
De prendre des détours,
De nous faire entendre à demi-mot
Ainsi, tenez, ici même, dans ma cour,
Il y a une femme qui est folle de vous.
FRITZ
Dans votre cour? allons donc!
LA GRANDE-DUCHESSE
Eh bien au lieu d'aller
Tout bonnement à vous et de vous dire
FRITZ
Avec une bonne bourrade!
LA GRANDE-DUCHESSE
Elle me l'a dit, à moi.
FRITZ
A vous?
LA GRANDE-DUCHESSE
A moi.
FRITZ
Oh! mais, alors, dites donc,
C'est une intrigue!
LA GRANDE-DUCHESSE
C'est une intrigue.
FRITZ
Il faut en rire,
Voilà tout il faut en rire.
LA GRANDE-DUCHESSE
Comment, il faut?
FRITZ
à part
Ah diable!
Non il paraît qu'il ne faut pas
Soyons sérieux.
haut
Eh bien! mais, dites-moi,
D'abord cette dame est-elle
Bien de sa personne?
LA GRANDE-DUCHESSE
Mes courtisans affirment
Qu'il n'y en a pas de plus belle.
Quant à sa position,
Nous n'en parlerons pas.
FRITZ
Pourquoi ça?
LA GRANDE-DUCHESSE
N'en disons qu'un mot:
Ces grades, ces honneurs,
Dont il m'a plu de vous combler,
Vous désirez les garder, sans doute?
FRITZ
Mettez-vous à ma place!
LA GRANDE-DUCHESSE
Eh! Mon gaillard,
Pendant que vous y êtes,
Vous ne seriez pas fâché d'attraper
Quelque chose d'inamovible?
FRITZ
D'inamovible?
à part
C'est un nouveau grade.
LA GRANDE-DUCHESSE
Eh bien!
Sachez que la personne
De qui je vous parle
Est assez puissante pour vous faire
Obtenir tout ce que vous voudrez.
FRITZ
Ah diable! ah fichtre!
LA GRANDE-DUCHESSE
Votre avenir est dans ses mains
Maintenant, j'en suis sûre,
Vous savez de qui je veux parler?
FRITZ
Un mot encore un seul, et je le saurai.
LA GRANDE-DUCHESSE
Quel mot?
FRITZ
Le nom de cette femme.
LA GRANDE-DUCHESSE
Le nom?
FRITZ
Oui.
LA GRANDE-DUCHESSE
Il n'est pas défendu de le deviner,
Ce nom mais on ne peut pas le dire.
Oui, général, quelqu'un vous aime:
C'est une dame de ma cour,
n'osant vous parler elle-même,
Elle me pria moi de dire son amour.
FRITZComment vous? La Grande Duchesse!
Cette dame est Assurément
tout intime avec Votre Altesse,
la Chose ne se peut expliquer autrement.
LA GRANDE-DUCHESSEJe m'interésse a son honneur.
FRITZEt c'est beaucoup d'honneur
pour votre serviteur.
LA GRANDE-DUCHESSEC'est ma meilleure amie.
FRITZEh bien donc, votre amie
que vous a-t-elle dit de moi?
Je suis impatient, ma foi.
LA GRANDE-DUCHESSEVoici ce qu'a dit mon amie:
Quand vous le verrez, je vous prie,
Dites-lui ce que vous savez.
Dites-lui qu'on l'a remarqué, distingué;
Dites-lui qu'on le trouve aimable,
Dites-lui que, s'il le voulait, on ne sait
De quoi l'on ne serait capable!
Ah! s'il lui plaisait d'ajouter
Des fleurs aux palmes de la gloire,
Qu'il pourrait vite remporter,
Ce vainqueur, une autre victoire!
Dites-lui qu'à peine entrevu, il m'a plu!
Dites-lui que j'en perds la tête!
Dites-lui qu'il
M'occupe tant, le brigand!
Tant et tant que j'en deviens bête!
Hélas! ce fut instantané:
Dès qu'il a paru,
Tout mon être,
A lui tout mon cœur s'est donné;
J'ai senti que j'avais un maître!
Dites-lui que, s'il ne veut pas mon trépas,
Dites-lui (je parle pour elle),
Dites-lui qu'il répondra: Oui!
Dites-lui que je l'aime et que je suis belle!
Eh bien, réponds-moi maintenant.
FRITZà partMa fortune en dépend:
Soyons intelligent.
LA GRANDE-DUCHESSERéponds, deux mots doivent suffire,
A la dame que dois-je dire?
FRITZDites-lui que je suis sensible.
LA GRANDE-DUCHESSEJe le lui dirai.
FRITZSon discours n'a rien de pénible.
LA GRANDE-DUCHESSEJe le lui dirai.
FRITZEt de tout mon cœur je m'empresse.
LA GRANDE-DUCHESSEJe le lui dirai.
FRITZDe lui rendre sa politesse.
LA GRANDE-DUCHESSEJe le lui dirai.
FRITZà partJe dis tout ça
Mais, là, sur ma parole,
Je n'y comprends rien,
Mais, là, rien de rien!
Et que le diable ici me patafiole,
Si je connais cette personne!
LA GRANDE-DUCHESSEEh bien? Ah!
FRITZEh bien.
Dites-lui que je suis sensible.
LA GRANDE-DUCHESSEJe le lui dirai.
FRITZSon discours n'a rien de pénible.
LA GRANDE-DUCHESSEJe le lui dirai.
FRITZEt de tout mon cœur je m'empresse.
LA GRANDE-DUCHESSEJe le lui dirai.
FRITZDe lui rendre sa politesse.
LA GRANDE-DUCHESSEJe le lui dirai.
à part
Il a compris en un moment,
Car le cœur est intelligent.
FRITZ
à part
Je n'y comprends rien absolument!
Pourtant je suis intelligent.
à part
Eh bien, voilà!
Ces grades, ces honneurs,
Le panache…il est bien évident
Que je tiens à garder tout ça
Et alors, cette grande dame
Qui m'aime ce serait
Le meilleur moyen, n'est-ce pas?
LA GRANDE-DUCHESSE
Général?
FRITZ
toujours à part
Mais Wanda, il y a Wanda aussi,
C'est très embarrassant.
LA GRANDE-DUCHESSE
plus haut
Général?
FRITZ
se retournant
Altesse?
LA GRANDE-DUCHESSE
Venez ici, près de moi.
FRITZ
à part
C'est très embarrassant.
LA GRANDE-DUCHESSE
Non, non asseyez-vous là
Désignant les décorations qu'il a sur la poitrine
Comme ces insignes vous vont bien!
Si vous n'en avez pas assez,
Demandez-moi autre chose.
Mais je m'égare où en étions nous?
Cette femme,
De qui je viens de vous parler
Vous n'avez pas répondu,
En somme vous êtes resté
Dans les généralités.
FRITZ
Eh! bédame! puisque je suis général…
LA GRANDE-DUCHESSE
Ah! Charmant! charmant!
Mais laissons les jeux de mots
Il faut répondre.
FRITZ
Ah bien!
Cette dame ne vous a pas seulement
Priée de faire la commission,
Il paraît elle vous a priée aussi
De rapporter la réponse?
LA GRANDE-DUCHESSE
Justement! Eh bien?
Elle joue avec le collier de l'ordre que Fritz porte au cou
FRITZ
Ah!
LA GRANDE-DUCHESSE
Qu'est-ce que c'est?
FRITZ
Rien, en jouant avec ce collier,
Vous m'avez un peu…
LA GRANDE-DUCHESSE
Pardonnez-moi.
FRITZ
Eh bien, je vous pardonne!
LA GRANDE-DUCHESSE
Mais voyons parlez cette réponse.
Si vous étiez près de cette femme,
Comme vous êtes là, près de moi,
Vous lui diriez.
FRITZ
Eh! bédame!
LA GRANDE-DUCHESSE
Pas mal, cela!
C'est un mot que vous dites
Un peu souvent peut-être
Mais vous le dites si bien!
Et après lui avoir dit:
Eh! Bédame?
FRITZ
Après?
Voulez vous que je vous le déclare?
Je serais fort embarrassé!
Népomuc entre par le fond
Scène Sixième
NÉPOMUC
Altesse
LA GRANDE-DUCHESSE
Qui vient? ai-je appelé?
NÉPOMUC
Le chef de votre police particulière
Il attend Votre Altesse.
LA GRANDE-DUCHESSE
avec impatience
Ah! j'ai bien le temps de songer!
NÉPOMUC
Je demande pardon à Votre Altesse
Il paraît que c'est très important.
LA GRANDE-DUCHESSE
Donnez.
Elle prend le message
FRITZ
à part
Ah! s'il n'y avait pas Wanda!
Mais il y a Wanda!
c'est très embarrassant!
LA GRANDE-DUCHESSE
"Scandale public…
mauvaise tenue du général Fritz…
jeune fille nommée Wanda
amenée par lui à la ville…"
s'interrompant et à elle même
Oh! oh! il faut savoir
haut, à Népomuc
Vous dites qu'il est là,
le chef de ma police particulière?
NÉPOMUC
Oui, Altesse.
LA GRANDE-DUCHESSE
à part
Wanda! c'est impossible!
haut, à Fritz
Dans un instant, général,
Je suis à vous
Vous permettez?
FRITZ
Eh bien, je permets.
LA GRANDE-DUCHESSE
Eh bien, attendez-moi.
à Népomuc
Suivez-nous, capitaine.
Elle sort par le fond, suivie de Népomuc
Scène Septième
FRITZ
Eh bien, voilà!
C'est très embarrassant, n'est ce pas?
Car, si je dis à cette dame:
"Je ne peux pas vous aimer
J'en aime une autre,"
Cette dame se fâchera.
Et elle aura tort, après tout car.
Tous les jours, on reçoit
Une invitation à dîner on répond:
"Je ne peux pas à cause
D'une invitation antérieure"
Est ce que ça veut dire qu'on a peur
Que le dîner ne soit pas bon?
Non ça veut dire tout bonnement
Qu'on a reçu une invitation antérieure.
Donc, si cette dame se fâche,
Elle aura tort
Je vais, sans plus de manières,
Faire savoir à la Grande-duchesse
Que je suis invité
Elle en fera part à son amie et voilà!
Entrent mystérieusement, par le fond, le prince Paul, Boum et Puck
Scène Huitième
FRITZ
à part, en les voyant
Ah! voilà ces trois messieurs!
PUCK
bas
Le voici!
BOUM
bas, au prince Paul
Il va nous gêner
Pour ce que nous avons à vous dire.
NÉPOMUC
entrant par le fond, à Fritz
Général?
FRITZ
Eh bien, capitaine?
NÉPOMUC
Les affaires de l'état
Retiennent Son Altesse.
Elle m'a ordonné de vous conduire
À votre appartement,
Dans le pavillon de l'aile droite.
PUCK
bas, au prince Paul
Dans le pavillon de l'aile droite!
Le prince Paul ne comprend pas
FRITZ
à Népomuc
Eh bien, allons
à part
Je vais lui faire dire que,
Toutes réflexions faites,
Je veux épouser Wanda,
Et l'épouser le plus vite possible.
haut
Et maintenant,
Dans le pavillon de l'aile droite!
Messieurs!
LE PRINCE PAUL, BOUM, PUCK
Monsieur!
FRITZ
à Boum, en le narguant
Eh bien, il a fait son chemin,
Le pauvre jeune soldat!
BOUM
Qu'est-ce que c'est?
FRITZ
Hou! le mauvais général!
Fritz sort par le fond, suivi de Népomuc
Scène Neuvième
PUCK
au prince Paul, avec intention
Elle a ordonné qu'on préparât pour lui
Le pavillon de l'aile droite!
Vous avez entendu? de l'aile droite!
BOUM
Ça ne m'étonne pas de sa part.
PUCK
Moi non plus!
au prince Paul
Je suis sûr que vous
Ne nous comprenez pas.
LE PRINCE PAUL
Pas du tout.
PUCK
Vous allez comprendre
indiquant le portrait qui est à gauche
Vous voyez ce portrait qui est là?
LE PRINCE PAUL
Oui je vois.
PUCK
Allez et appuyez vigoureusement
Sur la botte gauche
De ce noble seigneur.
LE PRINCE PAUL
Qu'est-ce que vous dites?
BOUM
On vous dit d'appuyer.
LE PRINCE PAUL
allant au portrait, puis s'arrêtant avec inquiétude
Vous allez me faire une farce!
PUCK
Mais non je vous assure.
LE PRINCE PAUL
Je vois ce que c'est il y a un ressort
Et il va m'arriver
Quelque chose dans le nez.
BOUM
Mais non allez donc!
Le prince Paul pousse le bouton, le portrait remonte et le panneau s'ouvre lentement: une bouffée d'air glacé repousse le prince Paul. Des bruits étranges s'échappent du couloir. Une clarinette imite dans la coulisse le cri de la chouette
LE PRINCE PAUL
Tiens! un aveugle!
BOUM
Non! ce n'est pas un aveugle!
LE PRINCE PAUL
Qu'est-ce que c'est?
PUCK
C'est le cri de la chouette
Il y a longtemps que
l'on n'avait ouvert cette porte.
Il y a plus de deux cents ans.
LE PRINCE PAUL
Vous semblez avoir
Une histoire à me raconter.
BOUM
Une lugubre histoire!
LE PRINCE PAUL
Racontez-moi.
PUCK
Très volontiers.
Il a deux issues, ce couloir…
LE PRINCE PAUL
Comme la plupart des couloirs.
PUCK
… L'une qui donne dans cette chambre,
L'autre qui donne dans
Le pavillon de l'aile droite,
Ce pavillon où sera logé le général.
LE PRINCE PAUL
Aïe!
PUCK
Ici, il y a un portrait d'homme;
A l'autre bout, il y a un portrait de femme.
Ici, pour ouvrir, on n'a qu'à toucher
La botte de l'homme;
Là-bas, on n'a qu'à toucher
Le genou de la femme.
LE PRINCE PAUL
Le genou?
BOUM
C'est un caprice du peintre.
De son vivant, l'homme
Qui est peint ici s'appelait Max,
Il était comte de Sedlitz-Calembourg.
La femme qui est peinte là-bas
S'appelait la Grande-duchesse Victorine,
L'aïeule de notre Grande-duchesse.
LE PRINCE PAUL
Achevez.
BOUM
Ne devinez-vous pas?
C'est une sombre histoire!
PUCK
Les murs de ce palais
En gardent la mémoire!
BOUM
Max était soldat de fortune;
Mais il avait l'œil vif
Et la moustache brune
On l'adorait!
La duchesse, en personne adroite,
A ce galant donna son cœur
Et l'aile droite, pour logement.
Et, dans son amoureuse ivresse,
Max, chaque soir,
Ecoutait venir sa maîtresse
Par ce couloir!
LE PRINCE PAUL, BOUM, PUCK
Écoutez, race future,
Écoutez, écoutez la sinistre aventure
Et l'histoire d'amour
Du comte Max de Sedlitz-Calembourg!
PUCK
Un soir, Max, avec épouvante,
N'étant point sourd,
Trouva le pas de son amante
Quelque peu lourd:
Ça lui mit la puce à l'oreille
Trop tard, hélas!
Que ne se sauvait-il la veille?
Ce pas… Ce pas… C'était le pas
D'une douzaine d'assassins,
Qui trouèrent gaîment
La bedaine du favori!
LE PRINCE PAUL
Douze assassins!
BOUM
Au masque noir!
TOUS LES TROIS
Par ce couloir!
Écoutez, race future, etc.
BOUM
Maintenant, me comprenez-vous?
LE PRINCE PAUL
Je vous comprends mais c'est horrible!
PUCK
Il faut qu'il tombe
Sous nos coups!
LE PRINCE PAUL
Le croyez-vous? c'est bien possible
PUCK, BOUM
Il faut qu'il tombe
Sous nos coups!
BOUM
Logeons-le donc, et dès ce soir,
Dans la chambre au bout du couloir!
Logeons-le donc, ce mirliflor,
Là-bas, au fond du corridor!
ENSEMBLE
Logeons-le donc, et dès ce soir, etc.
LE PRINCE PAUL
Ce soir, quand il se fera tard,
Écoute, dans ta folle ivresse,
Si tu n'entends pas, par hasard,
Le pas léger de ta maîtresse!
BOUM
Ce pas, ce pas, ce joli pas,
Ce pas, ce pas, ce petit pas!
TOUS LES TROIS
Tu n'l'entendras pas, Nicolas!
Non, non, tu ne l'entendras pas!
Ce pas, ce pas, ce joli pas,
Ce pas, ce pas, ce petit pas!
Logeons-le donc, et dès ce soir, etc.
BOUM
Quand, faisant des rêves de gloire,
Tu te dis: "Je serai Grand Duc!"
Voici venir, dans la nuit noire,
Voici venir Paul, Boum et Puck!
LE PRINCE PAUL
Voici venir Paul!
BOUM
Voici venir Boum!
PUCK
Voici venir Puck!
TOUS LES TROIS
Oui, Paul, Boum, Puck!
ENSEMBLE
Logeons-le donc, et dès ce soir,
Dans la chambre au bout du couloir;
Logeons-le donc, ce mirliflor,
Là-bas, au fond du corridor!
La Grande-duchesse entre par le fond et, voyant le prince Paul, Boum et Puck, reste à l'écart et écoute
Scène Dixième
LE PRINCE PAUL
C'est entendu alors, nous conspirons?
BOUM ET PUCK
Nous conspirons!
LE PRINCE PAUL
Dans une heure,
Chez moi ça vous va-t-il?
Nous poserons les bases.
PUCK
Il y aura des rafraîchissements?
LE PRINCE PAUL
Il y en aura.
BOUM
Pas de femmes?
LE PRINCE PAUL
Oh! Boum!
Une conspiration!
LA GRANDE-DUCHESSE
descendant entre le Prince Paul et Boum
Si fait, général, il y aura une femme!
TOUS LES TROIS
Son Altesse!
LA GRANDE-DUCHESSE
Oui, moi!
PUCK
Nous sommes perdus!
LE PRINCE PAUL
Sauve qui peut!
LA GRANDE-DUCHESSE
Ne craignez rien vous êtes
En train de conspirer
contre le général Fritz
Eh bien, je suis des vôtres!
BOUM
Ah bah!
PUCK
à part
C'est comme ça?
LE PRINCE PAUL
à part
J'aime mieux ça.
LA GRANDE-DUCHESSE
Savez-vous ce qu'il vient de faire
Le général Fritz?
Il vient de m'envoyer
Demander la permission
d'épouser Wanda!
Cette permission, je l'ai accordée
Maintenant, le général est à la chapelle
Et de là, il ira…
LE PRINCE PAUL, BOUM, PUCK
Il ira…?
LA GRANDE-DUCHESSE
Là où vous serez pour l'attendre!
Dans le pavillon de l'aile droite!
LE PRINCE PAUL, BOUM, PUCK
avec joie
Dans le pavillon de l'aile droite!
LA GRANDE-DUCHESSE
Logeons-le donc, et dès ce soir,
Dans la chambre au bout du couloir;
Logeons-le donc, ce mirliflor,
Là-bas, au fond du corridor!
ENSEMBLE
en dansant follement
Logeons-le donc, et dès ce soir, etc.