ACTE DEUXIÈME
(Le sommet d'une colline qui domine la mer. Une colonne de marbre qu'entoure un banc circulaire érige sa blancheur dans le soir qui descend lentement. Des roses en guirlandes couronnent la colonne. On distingue, à gauche, les cabanes des bergers. Un calme clair de lune baigne le paysage entier)
Scène 1
▼EUMÉE▲
Sur l'épaule des monts où le troupeau bêlait
Le crépuscule accroche
un manteau violet…
Le vent qui passe
est plein d'extases pacifiques,
Et fait chanter les pins mélancoliques.
La lune au-dessus des flots émergeant
Luit comme un plat d'argent.
Ses rayons mêlés aux rumeurs marines
Guident vers l'enclos les troupeaux
Que la musique des pipeaux
Et le tintement des clarines
Accompagnent dans l'air léger…
(Des bergers saluent Eumée en passant)
▼UN PÂTRE▲
Bonne veille, Eumée!
▼EUMÉE▲
Pâtre, bonne veille, aussi!
Qu'un songe heureux berce ta nuit!
▼UN PÂTRE▲
Qu'un même songe t'émerveille
Jusqu'à l'heure où l'aube luit!…
(Pénélope est entrée suivie d'Euryclée et de quelques femmes. Ulysse les accompagne. Quelques pâtres, non loin, veillent, assis, autour de jeux allumés)
Scène 2
▼PÉNÉLOPE▲
C'est sur ce banc, devant cette colonne
Qu'au souvenir des temps heureux je m'abandonne…
Souvent ici, le soir venu,
Ulysse a rêvé contre mon sein nu,
En regardant s'évanouir sous les étoiles
La blancheur des dernières voiles
Là-bas, parmi les îlots
Battus des flots…
O douces, ô lointaines choses…
Chaque soir, tout le long des chemins,
Je cueille de mes mains,
D'entre les plus fraîches écloses,
Les plus éblouissantes roses…
Je les suspends ici,
j'en ceins ce marbre blanc,
J'en recouvre le banc:
Car si sa nef, soudain, arrivait sur la côte,
C'est vers cette colonne haute
Qu'Ulysse d'abord lèverait les yeux…
Ces roses lui diraient mon amour anxieux…
Et son coeur connaîtrait sur l'heure à cette vue
Que Pénélope attend, fidèle, sa venue…
▼EUMÉE▲
Les Dieux finiront bien par exaucer tes vœux,
O Reine bien-aimée,
Et ce jour-là, je veux, de ces deux mains-là,
je veux Aider Ulysse à résoudre en fumée
La splendeur des maudits
qui dévorent ses biens.
▼PÉNÉLOPE▲
Puisse demain luire ce jour, Eumée!
▼EUMÉE▲
J'ai gardé les bœufs et les chiens
Et tous les troupeaux de mon maître…
Quand les Dieux le feront paraître,
Il verra que je me souviens
Encor de l'avoir vu naître…
Si je mourais sans le revoir
Le bon roi que ton cœur espère
Bonne reine, fais-lui savoir
Que j'ai gardé son bien prospère…
Si je mourais sans le revoir !
▼PÉNÉLOPE▲
(se tournant vers Ulysse)
Tu le vois, du héros
dont j'attends le retour
Seuls, ces humbles bergers
ont conservé l'amour!…
Et nulle voile à l'horizon ne bouge…
(Eumée s'éloigne et va rejoindre les bergers autour des feux)
▼PÉNÉLOPE▲
O mon hôte!
à présent, puis-je t'interroger?
▼ULYSSE▲
De grâce!
▼PÉNÉLOPE▲
D'où viens-tu?
Fuis-tu quelque danger?
Quelle nef t'a conduit vers Ithaque?
Et quel homme
T'a dit le nom dont mon époux se nomme?
▼ULYSSE▲
Ne m'interroge pas ce soir
Sur ma patrie et sur ma race!
▼PÉNÉLOPE▲
Si nul mauvais dessein ne t'a conduit vers moi,
En disant ton nom calme mon émoi
Car tant de ruse m'environne
Que je ne dois d'abord me fier à personne!…
Malgré mon désir si tu ne parlais,
Je te croirais peut-être un traître en mon palais…
▼ULYSSE▲
Je te répondrai donc, ô femme vénérable!
Tu connaîtras jusqu'où mon sort fut misérable.
Et je dirai comment et par quelle raison
Ulysse reposa jadis en ma maison…
Tu connais la Crête, cette île
Belle et fertile
Où régnait Deucalion?…
Poussé par la tempête,
Comme il allait vers Ilion,
Ulysse s'arrêta dans un port de la Crète:
Deucalion, mon père, étant mort, j'étais Roi!…
Et pendant douze jours et douze nuits, chez moi,
Jusqu'à ce que la mer redevînt plus paisible
J'abritai ton époux…
▼PÉNÉLOPE▲
O ciel! Est-ce possible?…
Tu ne mens pas, au moins,
Ulysse a bien reçu tes soins?…
A quoi te servirait, par un mensonge infâme,
De troubler une pauvre femme?…
▼ULYSSE▲
A rien…
▼PÉNÉLOPE▲
Te souvient-il encor
Des vêtements qui le couvraient?
▼ULYSSE▲
Sois rassurée!
Un double manteau de laine pourprée
Qu'attachait une agrafe d'or
Enveloppait le héros intrépide!
▼PÉNÉLOPE▲
C'est vrai!…
▼ULYSSE▲
Fine et splendide,
Il avait sur le corps une tunique,
Etincelante comme un soleil!…
▼PÉNÉLOPE▲
Ah! noble étranger! Tu dis vrai…
j'en suis sûre!…
Ulysse mon époux s'est arrêté chez toi…
Depuis que loin de sa demeure
Les Dieux l'ont exilé,
Sans cesse, je le pleure!…
Et sur tous les chemins où son cœur m'a parlé
Je crois toujours le voir paraître, -
Quand, aux sombres bords, chez les morts,
Il m'attend peut-être!…
Mais toi-même tu pleures…
pourquoi? … pourquoi? …
▼ULYSSE▲
Toutes tes questions ont rouvert ma blessure!
Je pleure en évoquant,
devant mon deuil présent,
Mon ancienne splendeur évanouie au vent!…
▼PÉNÉLOPE▲
Que mon palais, vieillard
dont la douleur me navre,
A la tempête de tes jours serve de havre!
Tu peux y demeurer
jusqu'à ton jour dernier…
▼ULYSSE▲
Mais que diront, Reine,
Tous ces jeunes seigneurs
dont l'outrageant mépris…
▼PÉNÉLOPE▲
Comme un vol de corbeaux autour
d'une colombe, Ils sont autour de moi,
m'insultant de leurs cris!
C'est sur moi que leur fureur tombe!…
Ah! Si jamais revient mon époux
au bras prompt,
Ah! Que la mort les frappe au front!…
C'est mon vœu!…
▼ULYSSE▲
Que les Dieux t'exaucent!…
▼PÉNÉLOPE▲
Mais je pleure,
Et peut-être qu'Ulysse oubliant sa demeure
Et son épouse, au sein des triomphes guerriers,
Rit et s'enivre
Aux périls des combats que sa bravoure livre.
▼ULYSSE▲
La victoire est sans goût, les lauriers sont amers
Quand on les cueille loin
des yeux qui vous sont chers…
▼PÉNÉLOPE▲
Ou peut-être aux genoux d'une fille étrangère,
Il trahit les serments qu'il m'adressa naguère…
▼ULYSSE▲
Celui dont les yeux ont connu tes yeux
Loin d'eux pourrait-il se sentir joyeux?…
▼PÉNÉLOPE▲
Il est d'autres yeux sous les cieux immenses…
▼ULYSSE▲
Ton époux absent te garde sa foi!
Il revient, il revient vers toi!
▼PÉNÉLOPE▲
Ou, peut-être, assailli de furtives démences…
▼ULYSSE▲
Celui dont ta voix a grisé le cœur
Peut-il s'enivrer d'une autre liqueur? …
▼PÉNÉLOPE▲
Peut-être presse-t-il une autre lèvre offerte!…
▼ULYSSE▲
Loin de toi sa pauvre raison
Est triste et gémit comme une maison déserte!
Celui dont l'ardeur effeuilla jadis,
En tremblant d'amour, tes pudeurs de lys
Pour toujours t'adore,
Et n'a qu'un désir dans l'exil affreux:
Te sentir pâmée en ses bras heureux,
Encore!…
▼PÉNÉLOPE▲
Comme tu dis cela… Comme tu dis cela…
▼EURYCLÉE▲
La nuit s'avance.
Il faut rentrer, princesse…
▼PÉNÉLOPE▲
Mer cruelle, implacables flots
Vous n'eûtes pas pitié de mes sanglots!
Vous n'avez pas conduit vers moi
celui que j'aime;
Pour la dernière fois vous
me voyez moi-même!…
▼EURYCLÉE▲
Que dis-tu?…
▼PÉNÉLOPE▲
Crois-tu que demain
Je mettrai ma main dans la main
d'Eurymaque ou celle de Pisandre?
Je préfère aux enfers descendre…
▼ULYSSE▲
Tantôt, aux murs suspendu,
Ne m'as-tu pas, nourrice,
montré l'arc d'Ulysse.
▼PÉNÉLOPE▲
Depuis son départ, nul ne l'a tendu…
▼EURYCLÉE▲
Qui pourrait tendre l'arc terrible !…
▼ULYSSE▲
Ne sois donc qu'à celui d'entre les Prétendants
Qui tendra l'arc.
Pendant qu'ils se disputeront
cette gloire impossible!
Ton époux peut encore revenir.
▼PÉNÉLOPE▲
Je n'espère plus !
Quand même, je suivrai ton conseil!…
▼ULYSSE▲
Il vient d'un coeur qui t'aime…
▼PÉNÉLOPE▲
Ah! ta voix, à l'instant, me rappelle…
▼ULYSSE▲
Qui?…
▼PÉNÉLOPE▲
Non !…
Tu t'enorgueillirais si je disais son nom…
(Elle sort suivie de ses femmes)
Scène 3
▼ULYSSE▲
(vivement, allant vers les bergers, redressé)
Eumée… Eumée…
Et vous tous… Vous tous les pâtres
Par tous les Dieux du ciel,
par le feu de vos âtres,
Par l'amour des parents qui sont chers
à vos cœurs…
Reconnaissez le plus à plaindre
Des vainqueurs de Troie
Soyez en joie
(Les bergers se sont approchés, pleins d'émoi)
Je suis Ulysse, votre Roi!
▼EUMÉE▲
Est-ce possible! Ulysse!
▼TOUS LES BERGERS▲
Ulysse!
▼ULYSSE▲
Vous m'avez reconnu…
▼EUMÉE▲
Ah! je pleure et je ris de te voir revenu!
Ulysse! c'est bien toi!
▼LES BERGERS▲
C'est lui! C'est notre Roi!
▼ULYSSE▲
Dès que l'aube luira sur la paille de l'aire,
Levez-vous, venez au palais,
Je compte sur vos bras pour aider ma colère!
La vengeance que je voulais s'apprête!
Et des Prétendants odieux,
-Pourvu que vous gardiez ma présence secrète-
Je châtirai le crime,
avec l'aide des Dieux!…
ACTE DEUXIÈME
(Le sommet d'une colline qui domine la mer. Une colonne de marbre qu'entoure un banc circulaire érige sa blancheur dans le soir qui descend lentement. Des roses en guirlandes couronnent la colonne. On distingue, à gauche, les cabanes des bergers. Un calme clair de lune baigne le paysage entier)
Scène 1
EUMÉE
Sur l'épaule des monts où le troupeau bêlait
Le crépuscule accroche
un manteau violet…
Le vent qui passe
est plein d'extases pacifiques,
Et fait chanter les pins mélancoliques.
La lune au-dessus des flots émergeant
Luit comme un plat d'argent.
Ses rayons mêlés aux rumeurs marines
Guident vers l'enclos les troupeaux
Que la musique des pipeaux
Et le tintement des clarines
Accompagnent dans l'air léger…
(Des bergers saluent Eumée en passant)
UN PÂTRE
Bonne veille, Eumée!
EUMÉE
Pâtre, bonne veille, aussi!
Qu'un songe heureux berce ta nuit!
UN PÂTRE
Qu'un même songe t'émerveille
Jusqu'à l'heure où l'aube luit!…
(Pénélope est entrée suivie d'Euryclée et de quelques femmes. Ulysse les accompagne. Quelques pâtres, non loin, veillent, assis, autour de jeux allumés)
Scène 2
PÉNÉLOPE
C'est sur ce banc, devant cette colonne
Qu'au souvenir des temps heureux je m'abandonne…
Souvent ici, le soir venu,
Ulysse a rêvé contre mon sein nu,
En regardant s'évanouir sous les étoiles
La blancheur des dernières voiles
Là-bas, parmi les îlots
Battus des flots…
O douces, ô lointaines choses…
Chaque soir, tout le long des chemins,
Je cueille de mes mains,
D'entre les plus fraîches écloses,
Les plus éblouissantes roses…
Je les suspends ici,
j'en ceins ce marbre blanc,
J'en recouvre le banc:
Car si sa nef, soudain, arrivait sur la côte,
C'est vers cette colonne haute
Qu'Ulysse d'abord lèverait les yeux…
Ces roses lui diraient mon amour anxieux…
Et son coeur connaîtrait sur l'heure à cette vue
Que Pénélope attend, fidèle, sa venue…
EUMÉE
Les Dieux finiront bien par exaucer tes vœux,
O Reine bien-aimée,
Et ce jour-là, je veux, de ces deux mains-là,
je veux Aider Ulysse à résoudre en fumée
La splendeur des maudits
qui dévorent ses biens.
PÉNÉLOPE
Puisse demain luire ce jour, Eumée!
EUMÉE
J'ai gardé les bœufs et les chiens
Et tous les troupeaux de mon maître…
Quand les Dieux le feront paraître,
Il verra que je me souviens
Encor de l'avoir vu naître…
Si je mourais sans le revoir
Le bon roi que ton cœur espère
Bonne reine, fais-lui savoir
Que j'ai gardé son bien prospère…
Si je mourais sans le revoir !
PÉNÉLOPE
(se tournant vers Ulysse)
Tu le vois, du héros
dont j'attends le retour
Seuls, ces humbles bergers
ont conservé l'amour!…
Et nulle voile à l'horizon ne bouge…
(Eumée s'éloigne et va rejoindre les bergers autour des feux)
PÉNÉLOPE
O mon hôte!
à présent, puis-je t'interroger?
ULYSSE
De grâce!
PÉNÉLOPE
D'où viens-tu?
Fuis-tu quelque danger?
Quelle nef t'a conduit vers Ithaque?
Et quel homme
T'a dit le nom dont mon époux se nomme?
ULYSSE
Ne m'interroge pas ce soir
Sur ma patrie et sur ma race!
PÉNÉLOPE
Si nul mauvais dessein ne t'a conduit vers moi,
En disant ton nom calme mon émoi
Car tant de ruse m'environne
Que je ne dois d'abord me fier à personne!…
Malgré mon désir si tu ne parlais,
Je te croirais peut-être un traître en mon palais…
ULYSSE
Je te répondrai donc, ô femme vénérable!
Tu connaîtras jusqu'où mon sort fut misérable.
Et je dirai comment et par quelle raison
Ulysse reposa jadis en ma maison…
Tu connais la Crête, cette île
Belle et fertile
Où régnait Deucalion?…
Poussé par la tempête,
Comme il allait vers Ilion,
Ulysse s'arrêta dans un port de la Crète:
Deucalion, mon père, étant mort, j'étais Roi!…
Et pendant douze jours et douze nuits, chez moi,
Jusqu'à ce que la mer redevînt plus paisible
J'abritai ton époux…
PÉNÉLOPE
O ciel! Est-ce possible?…
Tu ne mens pas, au moins,
Ulysse a bien reçu tes soins?…
A quoi te servirait, par un mensonge infâme,
De troubler une pauvre femme?…
ULYSSE
A rien…
PÉNÉLOPE
Te souvient-il encor
Des vêtements qui le couvraient?
ULYSSE
Sois rassurée!
Un double manteau de laine pourprée
Qu'attachait une agrafe d'or
Enveloppait le héros intrépide!
PÉNÉLOPE
C'est vrai!…
ULYSSE
Fine et splendide,
Il avait sur le corps une tunique,
Etincelante comme un soleil!…
PÉNÉLOPE
Ah! noble étranger! Tu dis vrai…
j'en suis sûre!…
Ulysse mon époux s'est arrêté chez toi…
Depuis que loin de sa demeure
Les Dieux l'ont exilé,
Sans cesse, je le pleure!…
Et sur tous les chemins où son cœur m'a parlé
Je crois toujours le voir paraître, -
Quand, aux sombres bords, chez les morts,
Il m'attend peut-être!…
Mais toi-même tu pleures…
pourquoi? … pourquoi? …
ULYSSE
Toutes tes questions ont rouvert ma blessure!
Je pleure en évoquant,
devant mon deuil présent,
Mon ancienne splendeur évanouie au vent!…
PÉNÉLOPE
Que mon palais, vieillard
dont la douleur me navre,
A la tempête de tes jours serve de havre!
Tu peux y demeurer
jusqu'à ton jour dernier…
ULYSSE
Mais que diront, Reine,
Tous ces jeunes seigneurs
dont l'outrageant mépris…
PÉNÉLOPE
Comme un vol de corbeaux autour
d'une colombe, Ils sont autour de moi,
m'insultant de leurs cris!
C'est sur moi que leur fureur tombe!…
Ah! Si jamais revient mon époux
au bras prompt,
Ah! Que la mort les frappe au front!…
C'est mon vœu!…
ULYSSE
Que les Dieux t'exaucent!…
PÉNÉLOPE
Mais je pleure,
Et peut-être qu'Ulysse oubliant sa demeure
Et son épouse, au sein des triomphes guerriers,
Rit et s'enivre
Aux périls des combats que sa bravoure livre.
ULYSSE
La victoire est sans goût, les lauriers sont amers
Quand on les cueille loin
des yeux qui vous sont chers…
PÉNÉLOPE
Ou peut-être aux genoux d'une fille étrangère,
Il trahit les serments qu'il m'adressa naguère…
ULYSSE
Celui dont les yeux ont connu tes yeux
Loin d'eux pourrait-il se sentir joyeux?…
PÉNÉLOPE
Il est d'autres yeux sous les cieux immenses…
ULYSSE
Ton époux absent te garde sa foi!
Il revient, il revient vers toi!
PÉNÉLOPE
Ou, peut-être, assailli de furtives démences…
ULYSSE
Celui dont ta voix a grisé le cœur
Peut-il s'enivrer d'une autre liqueur? …
PÉNÉLOPE
Peut-être presse-t-il une autre lèvre offerte!…
ULYSSE
Loin de toi sa pauvre raison
Est triste et gémit comme une maison déserte!
Celui dont l'ardeur effeuilla jadis,
En tremblant d'amour, tes pudeurs de lys
Pour toujours t'adore,
Et n'a qu'un désir dans l'exil affreux:
Te sentir pâmée en ses bras heureux,
Encore!…
PÉNÉLOPE
Comme tu dis cela… Comme tu dis cela…
EURYCLÉE
La nuit s'avance.
Il faut rentrer, princesse…
PÉNÉLOPE
Mer cruelle, implacables flots
Vous n'eûtes pas pitié de mes sanglots!
Vous n'avez pas conduit vers moi
celui que j'aime;
Pour la dernière fois vous
me voyez moi-même!…
EURYCLÉE
Que dis-tu?…
PÉNÉLOPE
Crois-tu que demain
Je mettrai ma main dans la main
d'Eurymaque ou celle de Pisandre?
Je préfère aux enfers descendre…
ULYSSE
Tantôt, aux murs suspendu,
Ne m'as-tu pas, nourrice,
montré l'arc d'Ulysse.
PÉNÉLOPE
Depuis son départ, nul ne l'a tendu…
EURYCLÉE
Qui pourrait tendre l'arc terrible !…
ULYSSE
Ne sois donc qu'à celui d'entre les Prétendants
Qui tendra l'arc.
Pendant qu'ils se disputeront
cette gloire impossible!
Ton époux peut encore revenir.
PÉNÉLOPE
Je n'espère plus !
Quand même, je suivrai ton conseil!…
ULYSSE
Il vient d'un coeur qui t'aime…
PÉNÉLOPE
Ah! ta voix, à l'instant, me rappelle…
ULYSSE
Qui?…
PÉNÉLOPE
Non !…
Tu t'enorgueillirais si je disais son nom…
(Elle sort suivie de ses femmes)
Scène 3
ULYSSE
(vivement, allant vers les bergers, redressé)
Eumée… Eumée…
Et vous tous… Vous tous les pâtres
Par tous les Dieux du ciel,
par le feu de vos âtres,
Par l'amour des parents qui sont chers
à vos cœurs…
Reconnaissez le plus à plaindre
Des vainqueurs de Troie
Soyez en joie
(Les bergers se sont approchés, pleins d'émoi)
Je suis Ulysse, votre Roi!
EUMÉE
Est-ce possible! Ulysse!
TOUS LES BERGERS
Ulysse!
ULYSSE
Vous m'avez reconnu…
EUMÉE
Ah! je pleure et je ris de te voir revenu!
Ulysse! c'est bien toi!
LES BERGERS
C'est lui! C'est notre Roi!
ULYSSE
Dès que l'aube luira sur la paille de l'aire,
Levez-vous, venez au palais,
Je compte sur vos bras pour aider ma colère!
La vengeance que je voulais s'apprête!
Et des Prétendants odieux,
-Pourvu que vous gardiez ma présence secrète-
Je châtirai le crime,
avec l'aide des Dieux!…