ACTE TROISIÈME
Entr'acte et Chœur de femmes
(Le théâtre représente la coupe d'un vaisseau dans sa largeur. Elle offre aux yeux des spectateurs le premier pont et l'intérieur du second. Sur le premier pont s'élèvent les mâts et au fond la dunette derrière laquelle on aperçoit la mer. Le second pont, éclairé par une lampe, est partagé en deux compartiments, dont l'un est la chambre d'Inès, l'autre celle de don Pedro)
Scène Première
(Nélusko et Plusieurs matelots couchés sur le tillac qu'éclairent les premiers rayons du soleil levant. Inès, étendue sur un hamac dans la chambre à gauche; elle est entourée de ses femmes, dont Sélika fait partie. Dans la chambre du côté droit, don Pédro assis près d'une table couverte d'instruments de marine et de cartes qu'il consulte)
▼CHOEUR DES FEMMES.▲
Le rapide et léger navire
Glisse sur les flots caressants;
L'air du matin que l'on respire
Porte le calme dans nos sens.
▼DON PÉDRO▲
Jour et nuit, sur ce beau navire
Observons, officiers prudents,
C'est à moi seul de le conduire,
Malgré la tempête et les vents.
▼LES FEMMES▲
Notre vaisseau
Rapidement et doucement
Glisse en avant…
(Coup de canon qui annonce l'heure du réveil à bord. Tous les matelots se lèvent)
Quatuor et Chœur de Matelots
Debout matelots, l'équipage debout!
Quatuor
Voyez-vous l'aurore
Qui déjà colore
La cime des flots.
Debout matelots.
Allons, à l'ouvrage,
Allons, aux travaux!
(Le soleil est levé. On sonne la cloche pour la prière du matin. Tout le monde se met à genoux: les matelots et les officiers, sur le premier pont; Inès et ses femmes dans le second)
Prière des matelots
▼LES MATELOTS▲
Ô grand saint Dominique,
Effroi de l'hérétique,
Sur nous veille en ce jour,
Protège mon retour!
Et je veux, chaque jour,
Dire ton saint cantique,
Ô grand saint Dominique!
Ensemble
▼SÉLIKA, INÈS, FEMMES▲
Ô céleste providence,
Toi notre divin secours,
Grand Dieu, protège ses jours!
▼LES MATELOTS▲
Ô grand saint Dominique,
Effroi de l'hérétique,
Sur nous veille en ce jour,
Protège mon retour.
Et je veux, chaque jour,
Dire ton saint cantique,
Ô grand saint Dominique!
Scène Deuxième
(Les mêmes, Don Alvar, entrant dans la chambre de Don Pédro)
▼DON PÉDRO▲
Ah! c'est vous, don Alvar?
▼DON ALVAR▲
Je vous cherche, Amiral!
▼DON PÉDRO▲
(Souriant)
Quitter pour conquérir une lointaine plage
Son palais de Lisbonne et les rives du Tage,
C'est héroïque! Eh! mais, qu'avez vous?
▼DON ALVAR▲
(D'un air sombre)
Tout va mal!
Le pilote inconnu qui vous guide est un traître.
De trois vaisseaux, par vous commandés, l'un a
Déjà sombré, le second sur des rocs se brisa!…
▼DON PÉDRO▲
Mais, celui-ci du moins, je dois le reconnaître,
A, grâce à lui, franchi victorieux
Le cap de la Tempête et ses flots furieux!
À lui me confiant, ainsi qu'à mon étoile,
Le premier, sur ces mers, je me suis élancé.
▼DON ALVAR▲
Non, un autre, de loin, nous avait devancé
Et l'on peut voir encor d'ici sa blanche voile
S'enfuir en nous traçant la route sur les flots.
▼DON PÉDRO▲
Quel est-il?
▼DON ALVAR▲
De ces mers,
Selon nos matelots,
C'est l'ange protecteur.
▼DON PÉDRO▲
Ou bien le mauvais ange?
▼DON ALVAR▲
Il faut le suivre!
▼DON PÉDRO▲
L'éviter!
▼NÉLUSKO▲
(Appelant à haute voix les matelots)
Holà! matelots, le vent change.
Aux voiles!… Hâtez-vous!
Voyez à l'horizon
Les signes précurseurs du terrible typhon!
Tournez au nord! au nord!
Ou, sinon, le trépas!
(Pendant ces derniers mots, don Pédro et don Alvar sont montés sur le premier pont)
▼DON ALVAR▲
(À don Pédro, lui montrant Nélusko)
Dans ce perfide esclave
Avez-vous confiance?
Son premier maître, il l'a trahi
Et vous trahira comme lui.
Guidés par lui déjà
Deux vaisseaux ont péri!
▼NÉLUSKO▲
(À don Pédro)
Le géant des noires tempêtes,
Adamastor, les avait condamnés;
Et bientôt son courroux
Va fondre sur vos têtes,
Si vous ne changez pas de route
Et ne laissez Gouverner vers le nord.
▼DON ALVAR▲
Où veux-tu nous conduire?
▼NÉLUSKO▲
Sans crainte, suivez-moi!
▼DON PÉDRO▲
Eh bien, soit!
(Les matelots et les mousses se mettent à la manœuvre. Le vaisseau tourne vers le nord)
▼NÉLUSKO▲
(D'un air content, à part)
Tra la, la, la, la…
Dans les cieux la tempête avance,
Nous suivons un chemin
Qui mène à la vengeance.
Ces parages pour nous
ne sont pas inconnus;
Les canots de notre île
y sont souvent venus!
▼NÉLUSKO▲
(Chantant)
Tra, la, la, la, la, la, la!
▼UN MATELOT▲
Nélusko, que chantes-tu donc là?
▼NÉLUSKO▲
(D'un ton sombre)
Je chante
La légende du géant des tempêtes,
Du terrible Adamastor,
Qui sur nous
Fait planer la mort!
▼LES MATELOTS▲
(En riant)
Écoutons donc la légende
Du terrible Adamastor!
▼NÉLUSKO▲
(Avec une énergie sauvage)
Ballade
1er Couplet
Adamastor, roi des vagues profondes,
Au bruit des vents s'avance sur les ondes.
Et que son pied heurte les flots,
Malheur à vous, navire et matelots!
À la lueur des feux et des éclairs,
Le voyez-vous?… C'est le géant des mers,
Jusqu'au ciel il soulève les eaux,
Mort à l'impie! et la mort sans tombeaux!
(Poussant un éclat de rire strident)
Ah! ah!…
(Regardant les matelots qui l'entourent)
Ah! vous tremblez…
Ensemble
▼NÉLUSKO▲
Aux voiles! aux cordages!
Devancez les orages!
Sur vos mâts soyez suspendus
Ou précipités dans l'abîme
Qui gronde. Vous êtes perdus.
▼LES MATELOTS▲
Aux voiles, aux cordages!
Devançons les orages!
Sur nos mâts soyons suspendus
Ou précipités dans l'abîme
Qui gronde. Nous sommes perdus!
▼NÉLUSKO▲
2me Couplet
Ah! vous bravez, insensés que vous êtes,
Adamastor, le géant des tempêtes!
La vieille Europe, au nouvel Océan,
Lance un défi, porté par l'ouragan.
À la lueur des feux et des éclairs,
Le voyez-vous? C'est le géant des mers,
Jusqu'au ciel il soulève les eaux,
Mort à l'impie
Et la mort sans tombeaux!
▼LES MATELOTS▲
La mort sans tombeaux!
▼NÉLUSKO▲
(Riant)
Ah! ah!… Ah! vous tremblez!
Ensemble
▼NÉLUSKO▲
Aux voiles! aux cordages!
Devancez les orages,
Sur vos mâts soyez suspendus
Ou précipités dans l'abîme
Qui gronde. Vous êtes perdus!
▼LES MATELOTS▲
Aux voiles! aux cordages!
Devançons les orages,
Sur nos mâts soyons suspendus
Ou précipités dans l'abîme
Qui gronde. Nous sommes perdus!
(Les matelots reculent avec effroi et remontent lentement sur le pont. Nélusko les suit en ricanant. Un matelot qui se trouve près du gouvernail fait des signaux)
Scène Troisième
(Les mêmes, Vasco)
▼UN MATELOT▲
(Du gouvernail)
Un navire, portant pavillon portugais,
A détaché vers nous une barque légère;
Elle avance… elle aborde.
▼NÉLUSKO▲
(À part)
Eh! mais, quelque secours,
Quelque avis salutaire,
Vient-il, en les sauvant,
Renverser mes projets?
(Entrée de Vasco)
▼DON ALVAR▲
Ah! que vois-je?
Vasco! vers ces pays lointains,
En même temps que nous
Qui vous a pu conduire?
▼VASCO▲
C'est Dieu qui m'inspira!
J'accomplis ses desseins.
Il a guidé mes pas
Et conduit mon navire!
▼DON PÉDRO▲
(Avec ironie)
Pour nous suivre en ces lieux!
▼VASCO▲
Pour vous y devancer.
▼DON PÉDRO▲
C'est donc alors pour nous braver?
▼VASCO▲
S'il en est temps encor, seigneur,
Pour vous sauver!
(Don Pédro ordonne à tout le monde de se retirer. Don Pédro et Vasco descendent dans la cabine)
Scène Quatrième
(Vasco et don Pédro)
Duo
▼VASCO▲
Quel destin, ou plutôt
Quel aveugle délire,
Vous conduit vers l'écueil fatal
Où don Bernard Diaz,
Mon vaillant amiral,
Est venu briser son navire?
C'est peu des récifs ennemis,
Vous verrez, contre vous,
Surgir de ces rivages
D'innombrables canots
Dont les guerriers sauvages
Viendront de vos vaisseaux
S'arracher les débris.
▼DON PÉDRO▲
(Avec ironie)
Vous croyez?…
▼VASCO▲
Du péril où l'on vous entraîne
On peut encor vous préserver.
▼DON PÉDRO▲
(Avec ironie)
Vraiment?
▼VASCO▲
Je viens à vous malgré ma haine,
Je viens à vous pour vous sauver.
Car les fils de la même patrie
Se doivent secourir!
▼DON PÉDRO▲
(Toujours avec défiance)
Eh quoi, d'une perte certaine,
Vous prétendez me préserver?
Mais est-ce moi que votre haine
Sur ce navire veut sauver?
▼VASCO▲
Hâtez-vous, la mer en furie
Ne vous permettra plus de fuir!
▼DON PÉDRO▲
(À demi-voix avec ironie)
Mais est-ce pour moi tant de zèle?
Ou pour Inès?
▼VASCO▲
(Avec chaleur)
Ah bien! oui, ah! c'est pour elle,
C'est pour la noble Inès,
Car c'est à moi de la sauver
Dussé-je avec elle sauver
Un rival abhorré.
Ensemble
▼DON PÉDRO▲
(Avec orgueil)
Insensé! ta jeunesse oublie
Que, seul, je règne sur mon bord;
Et l'imprudent qui me défie
A déjà mérité la mort.
▼VASCO▲
Quoi, d'un noble Portugais
Voilà donc la réponse?
▼DON PÉDRO▲
Je pourrais te punir
Par le glaive des lois!
▼VASCO▲
Il s'agit de combattre
Et ta voix me dénonce.
▼DON PÉDRO▲
Tu me braves, je pense.
▼VASCO▲
Et tu trembles, je crois?
Ensemble
▼VASCO▲
(Avec énergie)
Je contiens à peine
Ma rage et ma haine.
Viens, mon bras t'attend,
J'ai soif de ton sang.
Ô honte, infamie,
Crains-tu pour ta vie?
Viens donc, viens donc
Venger mon affront.
Ô fureur, ô haine
Que l'enfer déchaîne
J'ai soif de ton sang
Et mon bras t'attend.
▼DON PÉDRO▲
(Avec vigueur)
Je contiens à peine
Ma rage et ma haine.
Ah! va-t'en, va-t'en,
J'ai soif de ton sang.
Tremble que ta vie
En ce jour n'expie
La honte et l'affront
Dont rougit mon front!
Ô fureur, ô haine
Que l'enfer déchaîne,
J'ai soif de ton sang
Et mon bras t'attend.
Scène Cinquième
(Les mêmes, don Alvar, Nélusko, matelots et soldats. Puis Inès, Sélika et les femmes. Les Matelots et les soldats se précipitent sur Vasco de Gama, qu'ils désarment)
▼DON PÉDRO▲
(Aux soldats qui retiennent Vasco)
Au mât du vaisseau qu'on l'attache;
Que les balles de vos mousquets
Nous en fassent justice!
▼VASCO▲
Lâche!
▼SÈLIKA▲
Quelle voix!
▼INÈS▲
Vasco!
(À part)
C'est lui, c'est lui!
▼DON PÉDRO▲
(Aux soldats)
À la mort, à la mort!
▼INÈS, SÈLIKA▲
Ah! que ma voix fléchisse
Ces arrêts rigoureux.
Seigneur, pitié, pitié!
▼DON PÉDRO▲
Non, non, soldats, qu'on obéisse!
Scène Sixième
(Le temps s'est troublé, l'orage a grondé d'abord dans le lointain, puis s'est approché davantage)
▼UN MATELOT▲
(En haut du mât)
Aux voiles! Au cordage!
Voici l'orage!
(À ce moment, un bruit effroyable se fait entendre. Le vaisseau vient de donner sur des récifs. Une foule d'Indiens montent à l'abordage. En un instant don Pédro, don Alvar, les matelots, qui dans le désordre du naufrage n'ont pu se mettre en défense, sont désarmées et renversés)
▼NÉLUSKO▲
(Aux Indiens)
À moi, fils de Shiva, voici vos ennemis!
Sur ces récifs je vous les ai conduits.
▼LES INDIENS▲
Brahma! Brahma!
Force et courage
Aux enfants de Brahma.
Brahma! Brahma!
Gloire et pillage
Le Ciel leur donnera.
Ni paix, ni trêve
Aux païens que voilà;
À notre glaive
Aucun n'échappera.
Sous notre glaive
Tout tombera!
(Des Indiens ont levé le fer sur don Pédro et les Portugais enchaînés. Ils vont les frapper. Un geste de Sélika les arrête)
ACTE TROISIÈME
Entr'acte et Chœur de femmes
Le théâtre représente la coupe d'un vaisseau dans sa largeur. Elle offre aux yeux des spectateurs le premier pont et l'intérieur du second. Sur le premier pont s'élèvent les mâts et au fond la dunette derrière laquelle on aperçoit la mer. Le second pont, éclairé par une lampe, est partagé en deux compartiments, dont l'un est la chambre d'Inès, l'autre celle de don Pedro
Scène Première
Nélusko et Plusieurs matelots couchés sur le tillac qu'éclairent les premiers rayons du soleil levant. Inès, étendue sur un hamac dans la chambre à gauche; elle est entourée de ses femmes, dont Sélika fait partie. Dans la chambre du côté droit, don Pédro assis près d'une table couverte d'instruments de marine et de cartes qu'il consulte
CHOEUR DES FEMMES.
Le rapide et léger navire
Glisse sur les flots caressants;
L'air du matin que l'on respire
Porte le calme dans nos sens.
DON PÉDRO
Jour et nuit, sur ce beau navire
Observons, officiers prudents,
C'est à moi seul de le conduire,
Malgré la tempête et les vents.
LES FEMMES
Notre vaisseau
Rapidement et doucement
Glisse en avant…
Coup de canon qui annonce l'heure du réveil à bord. Tous les matelots se lèvent
Quatuor et Chœur de Matelots
Debout matelots, l'équipage debout!
Quatuor
Voyez-vous l'aurore
Qui déjà colore
La cime des flots.
Debout matelots.
Allons, à l'ouvrage,
Allons, aux travaux!
Le soleil est levé. On sonne la cloche pour la prière du matin. Tout le monde se met à genoux: les matelots et les officiers, sur le premier pont; Inès et ses femmes dans le second
Prière des matelots
LES MATELOTS
Ô grand saint Dominique,
Effroi de l'hérétique,
Sur nous veille en ce jour,
Protège mon retour!
Et je veux, chaque jour,
Dire ton saint cantique,
Ô grand saint Dominique!
Ensemble
SÉLIKA, INÈS, FEMMES
Ô céleste providence,
Toi notre divin secours,
Grand Dieu, protège ses jours!
LES MATELOTS
Ô grand saint Dominique,
Effroi de l'hérétique,
Sur nous veille en ce jour,
Protège mon retour.
Et je veux, chaque jour,
Dire ton saint cantique,
Ô grand saint Dominique!
Scène Deuxième
Les mêmes, Don Alvar, entrant dans la chambre de Don Pédro
DON PÉDRO
Ah! c'est vous, don Alvar?
DON ALVAR
Je vous cherche, Amiral!
DON PÉDRO
Souriant
Quitter pour conquérir une lointaine plage
Son palais de Lisbonne et les rives du Tage,
C'est héroïque! Eh! mais, qu'avez vous?
DON ALVAR
D'un air sombre
Tout va mal!
Le pilote inconnu qui vous guide est un traître.
De trois vaisseaux, par vous commandés, l'un a
Déjà sombré, le second sur des rocs se brisa!…
DON PÉDRO
Mais, celui-ci du moins, je dois le reconnaître,
A, grâce à lui, franchi victorieux
Le cap de la Tempête et ses flots furieux!
À lui me confiant, ainsi qu'à mon étoile,
Le premier, sur ces mers, je me suis élancé.
DON ALVAR
Non, un autre, de loin, nous avait devancé
Et l'on peut voir encor d'ici sa blanche voile
S'enfuir en nous traçant la route sur les flots.
DON PÉDRO
Quel est-il?
DON ALVAR
De ces mers,
Selon nos matelots,
C'est l'ange protecteur.
DON PÉDRO
Ou bien le mauvais ange?
DON ALVAR
Il faut le suivre!
DON PÉDRO
L'éviter!
NÉLUSKO
Appelant à haute voix les matelots
Holà! matelots, le vent change.
Aux voiles!… Hâtez-vous!
Voyez à l'horizon
Les signes précurseurs du terrible typhon!
Tournez au nord! au nord!
Ou, sinon, le trépas!
Pendant ces derniers mots, don Pédro et don Alvar sont montés sur le premier pont
DON ALVAR
À don Pédro, lui montrant Nélusko
Dans ce perfide esclave
Avez-vous confiance?
Son premier maître, il l'a trahi
Et vous trahira comme lui.
Guidés par lui déjà
Deux vaisseaux ont péri!
NÉLUSKO
À don Pédro
Le géant des noires tempêtes,
Adamastor, les avait condamnés;
Et bientôt son courroux
Va fondre sur vos têtes,
Si vous ne changez pas de route
Et ne laissez Gouverner vers le nord.
DON ALVAR
Où veux-tu nous conduire?
NÉLUSKO
Sans crainte, suivez-moi!
DON PÉDRO
Eh bien, soit!
Les matelots et les mousses se mettent à la manœuvre. Le vaisseau tourne vers le nord
NÉLUSKO
D'un air content, à part
Tra la, la, la, la…
Dans les cieux la tempête avance,
Nous suivons un chemin
Qui mène à la vengeance.
Ces parages pour nous
ne sont pas inconnus;
Les canots de notre île
y sont souvent venus!
NÉLUSKO
Chantant
Tra, la, la, la, la, la, la!
UN MATELOT
Nélusko, que chantes-tu donc là?
NÉLUSKO
D'un ton sombre
Je chante
La légende du géant des tempêtes,
Du terrible Adamastor,
Qui sur nous
Fait planer la mort!
LES MATELOTS
En riant
Écoutons donc la légende
Du terrible Adamastor!
NÉLUSKO
Avec une énergie sauvage
Ballade
1er Couplet
Adamastor, roi des vagues profondes,
Au bruit des vents s'avance sur les ondes.
Et que son pied heurte les flots,
Malheur à vous, navire et matelots!
À la lueur des feux et des éclairs,
Le voyez-vous?… C'est le géant des mers,
Jusqu'au ciel il soulève les eaux,
Mort à l'impie! et la mort sans tombeaux!
Poussant un éclat de rire strident
Ah! ah!…
Regardant les matelots qui l'entourent
Ah! vous tremblez…
Ensemble
NÉLUSKO
Aux voiles! aux cordages!
Devancez les orages!
Sur vos mâts soyez suspendus
Ou précipités dans l'abîme
Qui gronde. Vous êtes perdus.
LES MATELOTS
Aux voiles, aux cordages!
Devançons les orages!
Sur nos mâts soyons suspendus
Ou précipités dans l'abîme
Qui gronde. Nous sommes perdus!
NÉLUSKO
2me Couplet
Ah! vous bravez, insensés que vous êtes,
Adamastor, le géant des tempêtes!
La vieille Europe, au nouvel Océan,
Lance un défi, porté par l'ouragan.
À la lueur des feux et des éclairs,
Le voyez-vous? C'est le géant des mers,
Jusqu'au ciel il soulève les eaux,
Mort à l'impie
Et la mort sans tombeaux!
LES MATELOTS
La mort sans tombeaux!
NÉLUSKO
Riant
Ah! ah!… Ah! vous tremblez!
Ensemble
NÉLUSKO
Aux voiles! aux cordages!
Devancez les orages,
Sur vos mâts soyez suspendus
Ou précipités dans l'abîme
Qui gronde. Vous êtes perdus!
LES MATELOTS
Aux voiles! aux cordages!
Devançons les orages,
Sur nos mâts soyons suspendus
Ou précipités dans l'abîme
Qui gronde. Nous sommes perdus!
Les matelots reculent avec effroi et remontent lentement sur le pont. Nélusko les suit en ricanant. Un matelot qui se trouve près du gouvernail fait des signaux
Scène Troisième
Les mêmes, Vasco
UN MATELOT
Du gouvernail
Un navire, portant pavillon portugais,
A détaché vers nous une barque légère;
Elle avance… elle aborde.
NÉLUSKO
À part
Eh! mais, quelque secours,
Quelque avis salutaire,
Vient-il, en les sauvant,
Renverser mes projets?
Entrée de Vasco
DON ALVAR
Ah! que vois-je?
Vasco! vers ces pays lointains,
En même temps que nous
Qui vous a pu conduire?
VASCO
C'est Dieu qui m'inspira!
J'accomplis ses desseins.
Il a guidé mes pas
Et conduit mon navire!
DON PÉDRO
Avec ironie
Pour nous suivre en ces lieux!
VASCO
Pour vous y devancer.
DON PÉDRO
C'est donc alors pour nous braver?
VASCO
S'il en est temps encor, seigneur,
Pour vous sauver!
Don Pédro ordonne à tout le monde de se retirer. Don Pédro et Vasco descendent dans la cabine
Scène Quatrième
Vasco et don Pédro
Duo
VASCO
Quel destin, ou plutôt
Quel aveugle délire,
Vous conduit vers l'écueil fatal
Où don Bernard Diaz,
Mon vaillant amiral,
Est venu briser son navire?
C'est peu des récifs ennemis,
Vous verrez, contre vous,
Surgir de ces rivages
D'innombrables canots
Dont les guerriers sauvages
Viendront de vos vaisseaux
S'arracher les débris.
DON PÉDRO
Avec ironie
Vous croyez?…
VASCO
Du péril où l'on vous entraîne
On peut encor vous préserver.
DON PÉDRO
Avec ironie
Vraiment?
VASCO
Je viens à vous malgré ma haine,
Je viens à vous pour vous sauver.
Car les fils de la même patrie
Se doivent secourir!
DON PÉDRO
Toujours avec défiance
Eh quoi, d'une perte certaine,
Vous prétendez me préserver?
Mais est-ce moi que votre haine
Sur ce navire veut sauver?
VASCO
Hâtez-vous, la mer en furie
Ne vous permettra plus de fuir!
DON PÉDRO
À demi-voix avec ironie
Mais est-ce pour moi tant de zèle?
Ou pour Inès?
VASCO
Avec chaleur
Ah bien! oui, ah! c'est pour elle,
C'est pour la noble Inès,
Car c'est à moi de la sauver
Dussé-je avec elle sauver
Un rival abhorré.
Ensemble
DON PÉDRO
Avec orgueil
Insensé! ta jeunesse oublie
Que, seul, je règne sur mon bord;
Et l'imprudent qui me défie
A déjà mérité la mort.
VASCO
Quoi, d'un noble Portugais
Voilà donc la réponse?
DON PÉDRO
Je pourrais te punir
Par le glaive des lois!
VASCO
Il s'agit de combattre
Et ta voix me dénonce.
DON PÉDRO
Tu me braves, je pense.
VASCO
Et tu trembles, je crois?
Ensemble
VASCO
Avec énergie
Je contiens à peine
Ma rage et ma haine.
Viens, mon bras t'attend,
J'ai soif de ton sang.
Ô honte, infamie,
Crains-tu pour ta vie?
Viens donc, viens donc
Venger mon affront.
Ô fureur, ô haine
Que l'enfer déchaîne
J'ai soif de ton sang
Et mon bras t'attend.
DON PÉDRO
Avec vigueur
Je contiens à peine
Ma rage et ma haine.
Ah! va-t'en, va-t'en,
J'ai soif de ton sang.
Tremble que ta vie
En ce jour n'expie
La honte et l'affront
Dont rougit mon front!
Ô fureur, ô haine
Que l'enfer déchaîne,
J'ai soif de ton sang
Et mon bras t'attend.
Scène Cinquième
Les mêmes, don Alvar, Nélusko, matelots et soldats. Puis Inès, Sélika et les femmes. Les Matelots et les soldats se précipitent sur Vasco de Gama, qu'ils désarment
DON PÉDRO
Aux soldats qui retiennent Vasco
Au mât du vaisseau qu'on l'attache;
Que les balles de vos mousquets
Nous en fassent justice!
VASCO
Lâche!
SÈLIKA
Quelle voix!
INÈS
Vasco!
À part
C'est lui, c'est lui!
DON PÉDRO
Aux soldats
À la mort, à la mort!
INÈS, SÈLIKA
Ah! que ma voix fléchisse
Ces arrêts rigoureux.
Seigneur, pitié, pitié!
DON PÉDRO
Non, non, soldats, qu'on obéisse!
Scène Sixième
Le temps s'est troublé, l'orage a grondé d'abord dans le lointain, puis s'est approché davantage
UN MATELOT
En haut du mât
Aux voiles! Au cordage!
Voici l'orage!
À ce moment, un bruit effroyable se fait entendre. Le vaisseau vient de donner sur des récifs. Une foule d'Indiens montent à l'abordage. En un instant don Pédro, don Alvar, les matelots, qui dans le désordre du naufrage n'ont pu se mettre en défense, sont désarmées et renversés
NÉLUSKO
Aux Indiens
À moi, fils de Shiva, voici vos ennemis!
Sur ces récifs je vous les ai conduits.
LES INDIENS
Brahma! Brahma!
Force et courage
Aux enfants de Brahma.
Brahma! Brahma!
Gloire et pillage
Le Ciel leur donnera.
Ni paix, ni trêve
Aux païens que voilà;
À notre glaive
Aucun n'échappera.
Sous notre glaive
Tout tombera!
Des Indiens ont levé le fer sur don Pédro et les Portugais enchaînés. Ils vont les frapper. Un geste de Sélika les arrête