ACTE DEUXIÈME
(Une rue sur laquelle donne la principale cour du château. Au fond le château, où l'on monte par un large escalier. Une grande grille sépare la cour du château de la rue, et cette grille est ouverte)
Scène Première
(Hommes et femmes du peuple, à gauche, devant une taverne et buvant; Urbain couvert d'un manteau, et se promenant en long et en large sur la place)
▼CHŒUR▲
Assez rire et boire!
Rentrons, mes amis,
Rentrons au logis,
Car la nuit est noire!
Assez rire et boire
De ce vin du Rhin
Dont le jus divin
Ote la mémoire!
▼URBAIN▲
Assez rire et boire!
Bourgeois, mes amis,
Rentrez au logis,
Car la nuit est noire!
Assez rire et boire
De ce vin du Rhin
Dont le jus divin
Ote la mémoire!
Mon maître va bientôt venir,
Car du rendez-vous voici l'heure!
Et pour regagner leur demeure
Ces bourgeois devraient déguerpir:
Comment donc les faire partir?
(S'adressant à un bourgeois)
Avant que minuit ne sonne
Soyons clos en nos logis!
Car voici l’heure où la Nonne
Descendra de ce parvis!
▼LES BOURGEOIS▲
(effrayés)
Vous croyez… vous croyez?…
▼URBAIN▲
(montrant les grilles du fond que des domestiques du palais ouvrent en ce moment)
Voyez, suivant l'usage,
D'avance, sur son passage,
Un soin prévoyant et sage
Ouvre ces grilles d'airain,
Qu'elle briserait soudain!
▼CHŒUR▲
Partons, partons! hâtons nos pas!
Amis, ne nous exposons pas…
Assez rire et boire!
Rentrons, mes amis,
Rentrons au logis,
Car la nuit est noire!
Assez rire et boire,
De ce vin du Rhin
Dont le jus divin
Ote la mémoire!
(A demi-voix)
Je me sens glacé d'épouvante:
L'aspect de la Nonne sanglante
Peut, dit-on, donner le trépas!
Partons, partons! doublons le pas!
(Ils sortent par la gauche, et la taverne se ferme)
Scène Seconde
▼URBAIN▲
(riant)
Nonne!… je te bénis…
tu les auras fait fuir!
Mon maître à présent peut venir!
Premier Couplet
L'espoir et l'amour dans l'âme,
Quand vient la nuit, qu'il est doux
D'attendre une noble dame
En un galant rendez-vous!
Bientôt elle va paraître,
De trouble le cœur saisi…
Ah! qu'il est heureux, mon maître…
Que ne suis-je comme lui!
▼Deuxième Couplet▲
Dans ce char qui vous entraîne,
Muet et doux entretien,
Votre main est dans la sienne,
Votre cœur bat près du sien!
L'aurore qui va renaître
Verra leur destin uni…
Ah! qu'il est heureux! mon maître,
Quand serais-je comme lui?
Scène Troisième
(Rodolphe et Urbain)
▼RODOLPHE▲
Tout est-il prêt?
▼URBAIN▲
Oui, mon maître!
▼RODOLPHE▲
Laisse-moi!…
▼URBAIN▲
(sortant par la droite)
J'attends là le signal du départ!
Scène Quatrième
(Rodolphe, puis La Nonne)
▼RODOLPHE▲
(seul, regardant l'escalier du palais)
Voici l'heure!…
bientôt mon Agnès va paraître,
Blanche nonne!… portant la lampe
et le poignard!
Air
Du Seigneur, pâle fiancée,
Toi, dont j'implore le secours,
Du fond de la tombe glacée,
Nonne, protège nos amours!
Viens! et protège nos amours!
Ainsi que nous, peut-être
Esclave des tyrans,
Ton cœur a pu connaître
L'amour et ses tourments!
Du Seigneur, pâle fiancée,
Toi, dont j'implore le secours,
Du fond de ta tombe glacée
Nonne, protège nos amours!
(Écoutant)
Mais l'airain sonne!…
et de la voûte immense
Un pas lointain a troublé le silence.
Cavatine
(agitée)
C’est Agnès!… oui, c’est elle!…
D'où vient donc que soudain
Une terreur mortelle
A fait battre mon sein?
Je tressaille et succombe
A l'horreur que je sens…
Et le froid de la tombe
A glacé tous mes sens!
(La Nonne commence à paraître au haut de l'escalier)
Ainsi que l'indiquait la légende fatale,
Voici bien le poignard…
la lampe sépulcrale,
Et la tache de sang
Qui souille son long voile blanc!
(Faisant quelques pas pour aller au devant de la Nonne qui descend lentement les marches de l'escalier)
Allons!… allons!…
C'est Agnès!… c'est elle!…
(S'arrêtant)
D'où vient donc que soudain
Une terreur mortelle
A fait battre mon sein?
Je tressaille et succombe
A l'horreur que je sens
Et le froid de la tombe
A glacé tous mes sens!
(Pendant cette reprise, la Nonne s'est approchée de lui)
(A la Nonne)
Combien l'heure me semblait lente!
Agnès, Agnès!… enfin je te revoie!
Tu ne me réponds pas!
Immobile et tremblante,
Craindrais-tu de me suivre?
Ah! calme ton effroi!
Agnès, toi qui m’es chère
Je t’engage ma foi!
Par le ciel et la terre,
Je jure d'être à toi!
▼LA NONNE▲
(d'une voix sépulcrale)
A moi!!!
▼RODOLPHE▲
(avec amour)
Toujours à toi!
(Lui prenant la main)
Ah! que ta main est froide!
(Il lui met au doigt son anneau)
▼LA NONNE▲
A moi!…
Toujours à moi!…
(Elle lui prend la main. Le tonnerre gronde, les éclairs brillent et l'on entend les mugissements de l'enfer)
▼RODOLPHE▲
Ah! je frissonne,
Et le ciel tonne!
L'éclair sillonne
Ce noir palais!
Vaine furie!…
(A la Nonne)
A toi, ma vie!
L'hymen nous lie et pour jamais!
Oui, sous mes pas la terre tremble…
N’importe!… viens!…
fuyons ensemble!…
(En ce moment, Agnès, vêtue de blanc, paraît au haut de l’escalier, à gauche)
Ah! je frissonne,
Et le ciel tonne!
L'éclair sillonne
Ce noir palais!
Vaine furie!…
A toi, ma vie!
L’hymen nous lie
Et pour jamais!
(Il disparaît par la droite, entraîné par la Nonne et à la lueur des éclairs; la scène se couvre de nuages; une musique infernale se fait entendre. Le théâtre change et représente les ruines d'un château gothique. Une vaste salle d'armes, dont les croisées et les portiques sont à moitié détruits. Au milieu du théâtre, les débris d'une grande table de pierre, et des sièges en pierre qui sont couverts de lierre et de plantes sauvages. La lune éclaire ce tableau et laisse apercevoir au fond du théâtre et au sommet du rocher un ermitage)
Scène Quinzième
(Rodolphe et Urbain△ ▽entrant vivement par la porte du fond qui est à moitié ruinée)
▼RODOLPHE▲
Récitatif
Effrayés par la foudre et l'ouragan terrible,
Nos chevaux, que lançait une main invisible,
Comme une flèche ont atteint les parois
De la roche escarpée où brillait autrefois
L'antique château de mes pères!
(Regardant autour de lui)
Séjour abandonné… ruines solitaires…
Sous vos sombres débris
cachez bien nos projets!
▼URBAIN▲
Et votre fiancée… Agnès?
▼RODOLPHE▲
Toujours silencieuse!…
et passant tout à l'heure
Auprès de la chapelle…
elle a quitté ma main!
D'effroi, tremblante,
elle est soudain
Tombée à genoux!…
elle pleure! Elle prie!…
un instant respectons son effroi?
(Prenant Urbain par la main et lui montrant au fond du théâtre l'ermitage, qu'on aperçoit de loin)
Au sommet du rocher et près des cieux,
habite Pierre, le pieux cénobite:
Je puis me fier à sa foi!
Va le chercher?… qu'il vienne,
Que dans le cœur d'Agnès
Sa présence ramène
Le pardon et la paix!
(Urbain s'éloigne et disparaît au milieu des ruines)
Scène Sixième
▼RODOLPHE▲
(seul)
Remparts qu'avait bâtis Rodolphe
notre ancêtre!
Tombeaux de mes aïeux,
que je foule peut-être!…
Quel forfait impuni
vous a donc renversés?
Qui couvrit vos lambris
de ronces et de lierre?
Et ne devez-vous plus,
sortant de la poussière,
Retrouver votre gloire
et vos honneurs passé?…
(La lune disparaît; les portiques et les croisées en ruine reprennent leur forme et leur élégance premières. Les débris de la table de pierre se changent en une vaste table couverte de mets et richement servie. Tout autour, des sièges nombreux. Les flambeaux qui couvrent la table s'allument tout à coup, ainsi que les candélabres qui garnissaient la salle d'armes, et à l'obscurité succède l'éclat des flambeaux, des dorures et des faisceaux d'armes qui brillent de toutes parts; mais tout ce changement s'est fait silencieusement)
(Se retournant et poussant un cri)
Ah!… je revois ces lieux connus
de mon enfance!…
La salle du banquet
aux convives nombreux!
Mais aujourd'hui… déserte… immense…
Je n'entends plus leurs cris joyeux!
(On entend un chant souterrain, sombre et mystérieux. Paraissent à toutes les portes de la salle des seigneurs et des dames richement habillés, mais d'une pâleur effrayante et ne faisant presque pas de mouvements, ils glissent plutôt qu'ils ne marchent, et s'avancent lentement)
▼CHŒUR▲
(à demi-voix)
Les morts reviennent;
Ils se souviennent
De leurs beaux jours,
De leurs amours!
Nouvelle fête
Pour nous s'apprête:
Fuyez nos pas…
N'approchez pas!…
▼RODOLPHE▲
(les regardant)
Prodige qui confond ma raison
et mes yeux,
Ces traits que j'admirais
sur leurs portraits antiques,
Ces traits décolorés
sont ceux de mes aïeux!
(S'avançant vers eux)
Ombres que je révère, ancêtres glorieux,
Parlez!… Qui vous ramène
aux foyers domestiques?
Répondez-moi?…
Sombres, silencieux!…
Ils s'asseyent…
(Les seigneurs et les dames se sont assis en silence. Des pages, des écuyers, des hommes d'armes, à la figure pâle et livide, les servent sans proférer une parole)
(Les contemplant avec effroi)
De vin leur coupe s'est remplie!
Mais, convives glacés,
à peine si ces lieux
Ont retenti du bruit
de leur muette orgie!…
▼CHŒUR▲
(à voix basse)
Les morts reviennent;
Ils se souviennent
De leurs beaux jours,
De leurs amours!
Nouvelle fête
Pour nous s'apprête:
Fuyez nos pas…
N'approchez pas!…
Scène Septième
(Les précédents, La Nonne, toujours voilée et s'avançant lentement)
▼RODOLPHE▲
(allant à elle)
Agnès, où sommes-nous?…
et quelle destinée
Les a tous rassemblés ici?
▼LA NONNE▲
Notre hyménée!
▼RODOLPHE▲
Qui sont-ils?
▼LA NONNE▲
Nos témoins!… regarde!…
▼RODOLPHE▲
(regardant un chevalier qui se lève)
Ah! qu'ai-je vu
Mon frère, auprès de moi!…
Frère, que me veux-tu?
Réponds?
▼LA NONNE▲
Il ne le peut!…
atteint par le trépas,
Il possède une tombe,
et moi je n'en ai pas!
▼RODOLPHE▲
Eh! qui donc êtes-vous?
▼LA NONNE▲
Moi!… la Nonne sanglante!
▼RODOLPHE▲
O ciel!…
▼LA NONNE▲
Ta fiancée!…
oui, voilà, ton anneau
Qui tous deux nous unit
par delà le tombeau!
▼RODOLPHE▲
O terreur!
▼LA NONNE▲
Tu l'as dit:
« Agnès, toi qui m'es chère,
« Je t'engage ma foi…
« Par le ciel et la terre
« Je jure d'être à toi!…»
▼RODOLPHE▲
Sous moi tremble la terre,
Et je me meurs d'effroi!
▼CHŒUR▲
Par le ciel et la terre
Il engagea sa foi!
▼LA NONNE▲
«Agnès, toi qui m'es chère,
«A toi! toujours toi!»
▼LA NONNE▲
(l’entraînant)
Unis par le trépas,
Viens… viens… tu me suivras!
▼RODOLPHE▲
Ah! qui me sauvera?
Scène Huitième
(Les précédents, Pierre L'ermite, amené par Urbain et paraissant à la porte du fond, tenant une croix à la main)
▼PIERRE▲
Mon bras qui te protège,
Et Dieu qui nous défend!
(Étendant la croix vers les fantômes)
Du tombeau, funèbre cortège;
Rentrez dans le néant!
(Les flambeaux s'éteignent. Les riches lambris disparaissent et font place aux ruines. La lune voilée par des nuages éclaire seule le théâtre)
▼LA NONNE▲
(montrant Rodolphe)
Lui seul, impie et sacrilège,
M’appartient… et sa foi
Je la réclamerai!
▼RODOLPHE▲
Mon Dieu! protégez-moi!
▼LA NONNE▲
Toujours à moi!
▼CHŒUR▲
(des fantômes, qui disparaissent peu à peu)
Les morts reviennent;
Ils se souviennent
De leurs beaux jours,
De leurs amours!
▼LA NONNE▲
A moi… toujours!
▼RODOLPHE▲
(avec désespoir)
Toujours!!!
(La Nonne et les fantômes s'abîment sous terre ou derrière les ruines, et Rodolphe évanoui, est tombé dans les bras d'Urbain. La toile tombe)
ACTE DEUXIÈME
(Une rue sur laquelle donne la principale cour du château. Au fond le château, où l'on monte par un large escalier. Une grande grille sépare la cour du château de la rue, et cette grille est ouverte)
Scène Première
(Hommes et femmes du peuple, à gauche, devant une taverne et buvant; Urbain couvert d'un manteau, et se promenant en long et en large sur la place)
CHŒUR
Assez rire et boire!
Rentrons, mes amis,
Rentrons au logis,
Car la nuit est noire!
Assez rire et boire
De ce vin du Rhin
Dont le jus divin
Ote la mémoire!
URBAIN
Assez rire et boire!
Bourgeois, mes amis,
Rentrez au logis,
Car la nuit est noire!
Assez rire et boire
De ce vin du Rhin
Dont le jus divin
Ote la mémoire!
Mon maître va bientôt venir,
Car du rendez-vous voici l'heure!
Et pour regagner leur demeure
Ces bourgeois devraient déguerpir:
Comment donc les faire partir?
(S'adressant à un bourgeois)
Avant que minuit ne sonne
Soyons clos en nos logis!
Car voici l’heure où la Nonne
Descendra de ce parvis!
LES BOURGEOIS
(effrayés)
Vous croyez… vous croyez?…
URBAIN
(montrant les grilles du fond que des domestiques du palais ouvrent en ce moment)
Voyez, suivant l'usage,
D'avance, sur son passage,
Un soin prévoyant et sage
Ouvre ces grilles d'airain,
Qu'elle briserait soudain!
CHŒUR
Partons, partons! hâtons nos pas!
Amis, ne nous exposons pas…
Assez rire et boire!
Rentrons, mes amis,
Rentrons au logis,
Car la nuit est noire!
Assez rire et boire,
De ce vin du Rhin
Dont le jus divin
Ote la mémoire!
(A demi-voix)
Je me sens glacé d'épouvante:
L'aspect de la Nonne sanglante
Peut, dit-on, donner le trépas!
Partons, partons! doublons le pas!
(Ils sortent par la gauche, et la taverne se ferme)
Scène Seconde
URBAIN
(riant)
Nonne!… je te bénis…
tu les auras fait fuir!
Mon maître à présent peut venir!
Premier Couplet
L'espoir et l'amour dans l'âme,
Quand vient la nuit, qu'il est doux
D'attendre une noble dame
En un galant rendez-vous!
Bientôt elle va paraître,
De trouble le cœur saisi…
Ah! qu'il est heureux, mon maître…
Que ne suis-je comme lui!
Deuxième Couplet
Dans ce char qui vous entraîne,
Muet et doux entretien,
Votre main est dans la sienne,
Votre cœur bat près du sien!
L'aurore qui va renaître
Verra leur destin uni…
Ah! qu'il est heureux! mon maître,
Quand serais-je comme lui?
Scène Troisième
(Rodolphe et Urbain)
RODOLPHE
Tout est-il prêt?
URBAIN
Oui, mon maître!
RODOLPHE
Laisse-moi!…
URBAIN
(sortant par la droite)
J'attends là le signal du départ!
Scène Quatrième
(Rodolphe, puis La Nonne)
RODOLPHE
(seul, regardant l'escalier du palais)
Voici l'heure!…
bientôt mon Agnès va paraître,
Blanche nonne!… portant la lampe
et le poignard!
Air
Du Seigneur, pâle fiancée,
Toi, dont j'implore le secours,
Du fond de la tombe glacée,
Nonne, protège nos amours!
Viens! et protège nos amours!
Ainsi que nous, peut-être
Esclave des tyrans,
Ton cœur a pu connaître
L'amour et ses tourments!
Du Seigneur, pâle fiancée,
Toi, dont j'implore le secours,
Du fond de ta tombe glacée
Nonne, protège nos amours!
(Écoutant)
Mais l'airain sonne!…
et de la voûte immense
Un pas lointain a troublé le silence.
Cavatine
(agitée)
C’est Agnès!… oui, c’est elle!…
D'où vient donc que soudain
Une terreur mortelle
A fait battre mon sein?
Je tressaille et succombe
A l'horreur que je sens…
Et le froid de la tombe
A glacé tous mes sens!
(La Nonne commence à paraître au haut de l'escalier)
Ainsi que l'indiquait la légende fatale,
Voici bien le poignard…
la lampe sépulcrale,
Et la tache de sang
Qui souille son long voile blanc!
(Faisant quelques pas pour aller au devant de la Nonne qui descend lentement les marches de l'escalier)
Allons!… allons!…
C'est Agnès!… c'est elle!…
(S'arrêtant)
D'où vient donc que soudain
Une terreur mortelle
A fait battre mon sein?
Je tressaille et succombe
A l'horreur que je sens
Et le froid de la tombe
A glacé tous mes sens!
(Pendant cette reprise, la Nonne s'est approchée de lui)
(A la Nonne)
Combien l'heure me semblait lente!
Agnès, Agnès!… enfin je te revoie!
Tu ne me réponds pas!
Immobile et tremblante,
Craindrais-tu de me suivre?
Ah! calme ton effroi!
Agnès, toi qui m’es chère
Je t’engage ma foi!
Par le ciel et la terre,
Je jure d'être à toi!
LA NONNE
(d'une voix sépulcrale)
A moi!!!
RODOLPHE
(avec amour)
Toujours à toi!
(Lui prenant la main)
Ah! que ta main est froide!
(Il lui met au doigt son anneau)
LA NONNE
A moi!…
Toujours à moi!…
(Elle lui prend la main. Le tonnerre gronde, les éclairs brillent et l'on entend les mugissements de l'enfer)
RODOLPHE
Ah! je frissonne,
Et le ciel tonne!
L'éclair sillonne
Ce noir palais!
Vaine furie!…
(A la Nonne)
A toi, ma vie!
L'hymen nous lie et pour jamais!
Oui, sous mes pas la terre tremble…
N’importe!… viens!…
fuyons ensemble!…
(En ce moment, Agnès, vêtue de blanc, paraît au haut de l’escalier, à gauche)
Ah! je frissonne,
Et le ciel tonne!
L'éclair sillonne
Ce noir palais!
Vaine furie!…
A toi, ma vie!
L’hymen nous lie
Et pour jamais!
(Il disparaît par la droite, entraîné par la Nonne et à la lueur des éclairs; la scène se couvre de nuages; une musique infernale se fait entendre. Le théâtre change et représente les ruines d'un château gothique. Une vaste salle d'armes, dont les croisées et les portiques sont à moitié détruits. Au milieu du théâtre, les débris d'une grande table de pierre, et des sièges en pierre qui sont couverts de lierre et de plantes sauvages. La lune éclaire ce tableau et laisse apercevoir au fond du théâtre et au sommet du rocher un ermitage)
Scène Quinzième
(Rodolphe et Urbain entrant vivement par la porte du fond qui est à moitié ruinée)
RODOLPHE
Récitatif
Effrayés par la foudre et l'ouragan terrible,
Nos chevaux, que lançait une main invisible,
Comme une flèche ont atteint les parois
De la roche escarpée où brillait autrefois
L'antique château de mes pères!
(Regardant autour de lui)
Séjour abandonné… ruines solitaires…
Sous vos sombres débris
cachez bien nos projets!
URBAIN
Et votre fiancée… Agnès?
RODOLPHE
Toujours silencieuse!…
et passant tout à l'heure
Auprès de la chapelle…
elle a quitté ma main!
D'effroi, tremblante,
elle est soudain
Tombée à genoux!…
elle pleure! Elle prie!…
un instant respectons son effroi?
(Prenant Urbain par la main et lui montrant au fond du théâtre l'ermitage, qu'on aperçoit de loin)
Au sommet du rocher et près des cieux,
habite Pierre, le pieux cénobite:
Je puis me fier à sa foi!
Va le chercher?… qu'il vienne,
Que dans le cœur d'Agnès
Sa présence ramène
Le pardon et la paix!
(Urbain s'éloigne et disparaît au milieu des ruines)
Scène Sixième
RODOLPHE
(seul)
Remparts qu'avait bâtis Rodolphe
notre ancêtre!
Tombeaux de mes aïeux,
que je foule peut-être!…
Quel forfait impuni
vous a donc renversés?
Qui couvrit vos lambris
de ronces et de lierre?
Et ne devez-vous plus,
sortant de la poussière,
Retrouver votre gloire
et vos honneurs passé?…
(La lune disparaît; les portiques et les croisées en ruine reprennent leur forme et leur élégance premières. Les débris de la table de pierre se changent en une vaste table couverte de mets et richement servie. Tout autour, des sièges nombreux. Les flambeaux qui couvrent la table s'allument tout à coup, ainsi que les candélabres qui garnissaient la salle d'armes, et à l'obscurité succède l'éclat des flambeaux, des dorures et des faisceaux d'armes qui brillent de toutes parts; mais tout ce changement s'est fait silencieusement)
(Se retournant et poussant un cri)
Ah!… je revois ces lieux connus
de mon enfance!…
La salle du banquet
aux convives nombreux!
Mais aujourd'hui… déserte… immense…
Je n'entends plus leurs cris joyeux!
(On entend un chant souterrain, sombre et mystérieux. Paraissent à toutes les portes de la salle des seigneurs et des dames richement habillés, mais d'une pâleur effrayante et ne faisant presque pas de mouvements, ils glissent plutôt qu'ils ne marchent, et s'avancent lentement)
CHŒUR
(à demi-voix)
Les morts reviennent;
Ils se souviennent
De leurs beaux jours,
De leurs amours!
Nouvelle fête
Pour nous s'apprête:
Fuyez nos pas…
N'approchez pas!…
RODOLPHE
(les regardant)
Prodige qui confond ma raison
et mes yeux,
Ces traits que j'admirais
sur leurs portraits antiques,
Ces traits décolorés
sont ceux de mes aïeux!
(S'avançant vers eux)
Ombres que je révère, ancêtres glorieux,
Parlez!… Qui vous ramène
aux foyers domestiques?
Répondez-moi?…
Sombres, silencieux!…
Ils s'asseyent…
(Les seigneurs et les dames se sont assis en silence. Des pages, des écuyers, des hommes d'armes, à la figure pâle et livide, les servent sans proférer une parole)
(Les contemplant avec effroi)
De vin leur coupe s'est remplie!
Mais, convives glacés,
à peine si ces lieux
Ont retenti du bruit
de leur muette orgie!…
CHŒUR
(à voix basse)
Les morts reviennent;
Ils se souviennent
De leurs beaux jours,
De leurs amours!
Nouvelle fête
Pour nous s'apprête:
Fuyez nos pas…
N'approchez pas!…
Scène Septième
(Les précédents, La Nonne, toujours voilée et s'avançant lentement)
RODOLPHE
(allant à elle)
Agnès, où sommes-nous?…
et quelle destinée
Les a tous rassemblés ici?
LA NONNE
Notre hyménée!
RODOLPHE
Qui sont-ils?
LA NONNE
Nos témoins!… regarde!…
RODOLPHE
(regardant un chevalier qui se lève)
Ah! qu'ai-je vu
Mon frère, auprès de moi!…
Frère, que me veux-tu?
Réponds?
LA NONNE
Il ne le peut!…
atteint par le trépas,
Il possède une tombe,
et moi je n'en ai pas!
RODOLPHE
Eh! qui donc êtes-vous?
LA NONNE
Moi!… la Nonne sanglante!
RODOLPHE
O ciel!…
LA NONNE
Ta fiancée!…
oui, voilà, ton anneau
Qui tous deux nous unit
par delà le tombeau!
RODOLPHE
O terreur!
LA NONNE
Tu l'as dit:
« Agnès, toi qui m'es chère,
« Je t'engage ma foi…
« Par le ciel et la terre
« Je jure d'être à toi!…»
RODOLPHE
Sous moi tremble la terre,
Et je me meurs d'effroi!
CHŒUR
Par le ciel et la terre
Il engagea sa foi!
LA NONNE
«Agnès, toi qui m'es chère,
«A toi! toujours toi!»
LA NONNE
(l’entraînant)
Unis par le trépas,
Viens… viens… tu me suivras!
RODOLPHE
Ah! qui me sauvera?
Scène Huitième
(Les précédents, Pierre L'ermite, amené par Urbain et paraissant à la porte du fond, tenant une croix à la main)
PIERRE
Mon bras qui te protège,
Et Dieu qui nous défend!
(Étendant la croix vers les fantômes)
Du tombeau, funèbre cortège;
Rentrez dans le néant!
(Les flambeaux s'éteignent. Les riches lambris disparaissent et font place aux ruines. La lune voilée par des nuages éclaire seule le théâtre)
LA NONNE
(montrant Rodolphe)
Lui seul, impie et sacrilège,
M’appartient… et sa foi
Je la réclamerai!
RODOLPHE
Mon Dieu! protégez-moi!
LA NONNE
Toujours à moi!
CHŒUR
(des fantômes, qui disparaissent peu à peu)
Les morts reviennent;
Ils se souviennent
De leurs beaux jours,
De leurs amours!
LA NONNE
A moi… toujours!
RODOLPHE
(avec désespoir)
Toujours!!!
(La Nonne et les fantômes s'abîment sous terre ou derrière les ruines, et Rodolphe évanoui, est tombé dans les bras d'Urbain. La toile tombe)