ACTE TROISIÈME
(Une chambre rustique, en Bohême. A gauche, une grande porte ouverte donnant sur une forêt qui entoure, la ferme. Au fond, deux croisées; entre les croisées, un lit de repos. A droite, sur le premier plan, une table, quelques chaises)
Scène Première
(Au lever du rideau, des ménétriers placés à gauche exécutent un air de valse. Fritz et Anna de jeunes paysannes et de jeunes paysans bohémiens entrent en valsant)
▼CHŒUR▲
Valsez sous l’ombrage,
Filles du village;
L'archet retentit,
Et le jour finit!
Que la valse est belle!
Rapide comme elle,
Le plaisir va fuir…
Sachons le saisir!
▼ANNA▲
(montrant la forêt qu'on aperçoit au fond)
La lune brille,
L'herbe scintille;
La jeune fille,
A demi-voix,
Gaîment répète
La chansonnette
Que la fauvette
Disait au bois:
Ah! ah! ah! ah! ah!
▼CHŒUR▲
Valsez sous l'ombrage,
Filles du village;
L'archet retentit,
Et le jour finit!
Que la valse est belle!
Rapide comme elle,
Le plaisir va fuir…
Sachons le saisir!
(L'air de danse continue toujours; les jeunes gens et les jeunes filles sortent de la chambre ou y rentrent en valsant. Au fond, sous les arbres de la forêt, on aperçoit plusieurs groupes qui valsent aussi)
▼FRITZ▲
(s’adressant aux paysans)
Demain, j'épouse Ana,
ma fiancée!
▼ANNA▲
Et nous dansons, par avance, aujourd'hui!
▼FRITZ▲
Rêves d'amour
enivrent ma pensée!…
Demain, elle est à moi…
▼ANNA▲
Quel bonheur d'être à lui!
Ensemble
Sur nos tapis de mousse,
Combien la valse est douce!
Combien ses gais accents
Deviennent enivrants,
Quand de son amoureuse,
Émue et gracieuse,
Le jeune et beau valseur
Sent palpiter le cœur!
▼TOUS▲
Valsez sous l'ombrage,
Filles du village;
L'archet retentit
Et voici la nuit!
Que la valse est belle!
Rapide comme elle,
Le plaisir va fuir
Sachons le saisir!
(Au milieu du chœur général des danseurs et des chanteurs, Urbain paraît à la porte du fond)
Scène Seconde
(Les précédents, Urbain; puis Rodolphe)
▼URBAIN▲
On m'a dit qu'en ces lieux
je trouverais mon maître.
▼FRITZ▲
Un étranger…
▼ANNA▲
Un jeune et beau seigneur…
▼FRITZ▲
Que nous avons reçu
sous notre toit champêtre?
▼URBAIN▲
Lui-même.
▼FRITZ▲
Ah! jour et nuit,
profonde est sa douleur!
▼URBAIN▲
Je la connais,
et viens la changer en bonheur!
Premier Couplet
Un page de ma sorte,
Page leste et joyeux,
D'ordinaire n’apporte
Que messages heureux!
A l'usage fidèle,
J'annonce une nouvelle
Qui comblera ses vœux
Cette heureuse nouvelle,
Quelle est-elle?
Quelle est-elle?
(Aux paysans et paysannes qui l'entourent)
Ah! vous en êtes curieux?
(A Anna)
Vraiment, vraiment, ma toute belle?
Eh bien, eh bien, je vous le dis tout bas,
Rassurez-vous… vous ne le saurez pas!
▼Deuxième Couplet▲
De cet heureux message,
A bon droit, je suis fier!
Et Monseigneur, je gage,
Me le paiera bien cher!
(Aux paysannes et paysans)
Vous voulez le connaître
Pour le dire mon maître;
Les amoureux
Sont toujours généreux!
Ma nouvelle est si belle…
Quelle est-elle?
Ah! vous en êtes curieux?
Vraiment, vraiment, je comprends votre zèle:
Eh bien, eh bien, je vous le dis tout bas,
Tra, la, la… vous ne le saurez pas!
(Apercevant Rodolphe qui entre et courant à lui)
Ah! mon maître, c'est vous!
la fortune jalouse,
Par un brusque retour
comble tous vos souhaits!
Vos parents désarmés
vous accordent Agnès!
▼RODOLPHE▲
(poussant un cri de joie)
Je n'ose y croire… Agnès!…
▼URBAIN▲
Votre Agnès pour épouse!
▼RODOLPHE▲
Et comment?
▼URBAIN▲
Théobald, par un coup imprévu,
Frappé dans les combats…
▼RODOLPHE▲
(avec effroi)
Ah! c'est lui que j'ai vu!
C'est lui qui, délaissant sa couche sépulcrale,
Assistait, sombre et pâle, à l'union fatale
Dont j'étais la victime!… O mon frère!
ô douleur!…
(Aux villageois)
Un instant seul avec mon page
Laissez-moi, mes amis
(La valse reprend. Fritz, Anna et les valseurs sortent tous par la porte du fond, qui se referme)
Scène Troisième
(Urbain et Rodolphe. Rodolphe est retombé assis près de la table, à droite; Urbain contemplant avec surprise son air rêveur, s'approche de lui)
▼RODOLPHE▲
(à part)
Au milieu de l'orage,
Cette lueur d'espoir,
cet éclair de bonheur,
Du sort qui me poursuit
redouble encor l'horreur!
Duo
Malheur au fiancé de la
Nonne sanglante!
▼URBAIN▲
Que dites-vous, maître?
que dites-vous?
▼RODOLPHE▲
As-tu donc oublié
cette nuit d’épouvante,
Où le spectre, de moi,
reçut l’anneau d’époux?
Depuis lors, ô prodige,
où ma raison succombe,
Tous les soirs… oui…
tous les soirs, à minuit,
Le fantôme sort de sa tombe
Et vient, pâle et glacé,
s’asseoir près de mon lit!
▼URBAIN▲
(effrayé)
Tous les soirs!…
▼RODOLPHE▲
Tous les soirs!
▼URBAIN▲
A minuit!
▼RODOLPHE▲
A minuit!
Ensemble
▼URBAIN▲
O terreur qui m'oppresse!
D'une telle maîtresse,
D'un pareil rendez-vous,
Mon cœur n'est pas jaloux!
Dieu veillera sur nous,
Mon maître, calmez-vous!
▼RODOLPHE▲
Tourment terrible qui m'oppresse,
Devant moi son ombre se dresse,
Et vient, pâle, au rendez-vous
Donné par l'enfer en courroux!…
(Avec délire)
Va-t’en!… va-t'en!…
fuis loin de nous!
Chaque nuit la ramène!…
et sa voix vengeresse,
Me rappelant ma fatale promesse:
« A toi… toujours à toi…
même après le tombeau!…
« Tu l’as dit, tu l'as dit… et voici ton anneau!
« Des serments la tombe est jalouse…
« Et nulle autre que moi ne sera ton épouse!…
▼URBAIN▲
(effrayé)
A toi!…
▼RODOLPHE▲
Toujours à toi!
▼URBAIN▲
Même après le tombeau!
▼RODOLPHE▲
Même après le tombeau!
Ensemble
▼URBAIN▲
O terrible promesse!
D'une telle maîtresse,
D'un pareil rendez-vous,
Mon cœur n'est pas jaloux!
Dieu veillera sur nous,
Mon maître, calmez-vous!
▼RODOLPHE▲
Tourment terrible qui m'oppresse,
Devant moi son ombre se dresse!
Et vient, fidèle au rendez-vous
Donné par l'enfer en courroux!
(Avec délire)
Va-t'en!… va-t'en!…
fuis loin de nous!
▼URBAIN▲
Du vain délire où votre âme s'agite
Bientôt vont fuir les sinistres vapeurs;
Bientôt, pour vous, Pierre le saint ermite
Va de l'enfer conjurer les fureurs!
Oui, croyez-moi,
mon maître, mon doux maître,
Devant le jour se dissipe la nuit.
Et le malheur va pour vous disparaître
Devant l'amour
qui brille et vous sourit!
(Gaiement)
Reprenez courage!
Un ciel sans nuage
Succède à l'orage
Qui fuit pour toujours!
Plaisir et tendresse
Et noble maîtresse
De votre jeunesse,
Vont charmer les jours!
▼RODOLPHE▲
Reprenons courage!
Pour nous plus d'orage!
Croyons-en mon page,
Croyons aux beaux jours!
Plaisir et tendresse
Et douce maîtresse
Vont de ma jeunesse
Embellir le cours!
▼URBAIN▲
Pierre a parlé! pour la croisade sainte
Tous nos chevaliers vont partir!…
Mais avant de quitter l'enceinte
Du manoir paternel, il prétend vous unir
A votre Agnès!…
▼RODOLPHE▲
(poussant un cri de joie)
O ciel!
▼URBAIN▲
(gaiement)
Déjà, de cette fête,
Par ses soins empressés,
la pompe au loin s'apprête!
Aux noirs habits de deuil,
a pourpre a succédé!
Les ménestrels, les chants, la danse,
et mieux encore,
Votre Agnès vous attend!…
aussi, par moi guidé,
Dès demain vous partez,
au lever de l'aurore!…
Et je vais jusque-là valser en attendant…
▼RODOLPHE▲
(hors de lui)
Est-ce un rêve?
▼URBAIN▲
(riant)
Eh! non vraiment!
Reprenez courage!
Un ciel sans nuage
Succède à l'orage
Qui fuit pour toujours!
Plaisir et tendresse
Et noble maîtresse
De votre jeunesse
Vont charmer les jours!
▼RODOLPHE▲
Reprenons courage!
Pour nous plus d’orage!
Croyons-en mon page
Croyons aux beaux jours!
Plaisir et tendresse
Et belle maîtresse
Vont de ma jeunesse
Embellir le cours!
(Urbain s'élance en courant par la porte du fond, qu'il referme sur lui)
Scène Quatrième
▼RODOLPHE▲
(Seul sur une ritournelle douce et suave, il va ouvrir la fenêtre, semble aspirer la fraîcheur de la forêt et respirer plus librement)
Air
Un air plus pur,
Un ciel d'azur
Brille à ma vue!
Rêve d'amour,
Calme en ce jour
Mon âme émue!
A son fils malheureux,
Mon père enfin pardonne!
Et le pardon des cieux
Autour de moi rayonne!
Un jour plus pur,
Un ciel d'azur
Brille à ma vue!
Rêve d'amour,
Calme en ce jour
Mon âme émue!
(Regardant autour de lui)
Mais la nuit s'avance…
(Avec crainte)
La nuit!!
Et bientôt va sonner minuit!
Si, comme à l'ordinaire…
et sanglante et terrible…
La Nonne apparaissait…
(Écoutant)
Si j'entendais ses pas!…
(Se rassurant)
Non, non, c'est impossible!…
Ce soir… elle ne viendra pas!
(S'approchant de la fenêtre, et entendant au dehors l'air de valse qui reprend, il regarde et dit)
La lune brille,
L'herbe scintille;
La jeune fille,
A demi-voix,
Gaîment répète
La chansonnette
Que la fauvette
Disait au bois!…
(Avec joie, et refermant la fenêtre)
Elle ne viendra pas!…
ici tout me rassure!
Et le calme de la nature
A passé dans mes sens!…
Un air plus pur,
Un ciel d'azur
Brille à ma vue!
Rêve d'amour
Charme en ce jour
Mon âme émue!
(Minuit sonne. A la musique gracieuse succède une musique sombre et terrible. Les pas du spectre se font entendre. La muraille à droite s'ouvre d'elle-même, et laisse passer la Nonne qui s'avance lentement. Rodolphe glacé d'effroi, tombe assis sur le lit et reste immobile)
Scène Cinquième
(Rodolphe, La Nonne)
Duo
▼LA NONNE▲
Me voici moi, ton supplice!
J'ai ta foi, j'ai ton anneau!
Le ciel veut qu'on accomplisse
Les serments faits au tombeau!
▼RODOLPHE▲
Au tourment de te voir
qui donc m'a condamné?
Nonne! que t'ai-je fait?
▼LA NONNE▲
A moi, tu t'es donné!
Agnès! Agnès!
à toi, toute ma vie!…
As-tu dit!
▼RODOLPHE▲
A l'enfer, je n'ai point fait de vœu!
▼LA NONNE▲
Ni moi, ni moi!
je n'appartiens qu'à Dieu!
Coupable comme toi, ma faute…
je l'expie!
▼RODOLPHE▲
Puis-je t'aider à l'expier?
▼LA NONNE▲
Oui!
▼RODOLPHE▲
Comment donc briser
le pacte qui nous lie?
▼LA NONNE▲
(levant son voile et montrant la tache de sang qui est à l’endroit du cœur)
En immolant mon meurtrier!…
Jusque-là…
Je viendrai moi, ton supplice!
J'ai ta foi, j'ai ton anneau!
Le ciel veut qu'on accomplisse
Les serments faits au tombeau!
▼RODOLPHE▲
Pour finir un tel supplice,
Pour reprendre mon anneau,
Que faut-il que j’accomplisse?
Je te suis jusqu'au tombeau!
Oui, j'irai jusqu’au tombeau!
Eh bien!
ce meurtrier?…
▼LA NONNE▲
Tu sauras tout!
(Cherchant à rappeler ses souvenirs)
Attends…
A la guerre… on disait: il a perdu la vie…
Dans le cloître
où sa mort me conduisait… j'apprends
(Avec joie)
Qu'il existe!…
(Avec colère)
Qu'il se marie!…
J'accours… lui rappeler notre amour…
ses serments!
Et lui!… pour s'épargner
une importune plainte…
(Montrant la plaie qu'elle a au cœur)
Il m'a frappée!!! —
Oui, sans remords, sans crainte!
Moi qui l'aimais!…
▼RODOLPHE▲
(vivement)
L'infâme!
▼LA NONNE▲
N'est-ce pas?
▼RODOLPHE▲
Quel est-il?
▼LA NONNE▲
Tu le sauras!
▼RODOLPHE▲
Et je le vengerai!
▼LA NONNE▲
C'est bien!
Tiens ton serment!
et je tiendrai le mien
▼LA NONNE▲
Oui, qu'il succombe!…
Oui, que la tombe
A mon destin
L'unisse enfin!
Et tes serments
Je te les rends!
▼RODOLPHE▲
(avec joie)
Oui! s'il succombe,
Oui! si la tombe
A ton destin
L'unit enfui!
Tous mes serments
Tu me les rends!
(avec exaltation)
Ah! je serai ton chevalier!
Je punirai ton meurtrier…
Son nom?
son nom?
▼LA NONNE▲
Tu le sauras demain!
▼RODOLPHE▲
(avec joie)
Et je serai donc libre enfin!…
▼LA NONNE▲
Adieu, Rodolphe…
à demain!…
A minuit!…
à demain!!
▼LA NONNE▲
Oui, qu'il succombe!…
Oui, que la tombe
A mon destin
L'unisse enfin!
Et tes serments
Je te les rends!
▼RODOLPHE▲
(avec joie)
Oui, s’il succombe…
Oui, si la tombe
A ton destin
L'unit enfui!
Tous mes serments
Tu me les rends!
▼LA NONNE▲
(s'éloignant)
A minuit!…
à demain!…
(Au moment où la Nonne s'éloigne et où Rodolphe hors de lui et anéanti, vient de se laisser tomber sur le lit, on entend en dehors l'air de valse qui reprend)
Ensemble
▼URBAIN▲
(en dehors, frappant à la porte)
Mon maître!… mon doux maître,
L'aurore va paraître!
Partons, partons gaîment
Au manoir paternel,
où l'amour vous attend!
▼CHŒUR▲
(en dehors)
Valsez sous l'ombrage,
Filles du village,
Voici le retour,
Le retour du jour!
Que la valse est belle!
Rapide comme elle,
Le plaisir va fuir…
Sachons le saisir!
▼RODOLPHE▲
Suis-je éveillé?… Suis-je vivant?
Veille sur moi, Dieu tout-puissant!
Ah! c'est Urbain.
(Revenant à lui)
Eh oui… vraiment,
C'est Agnès…
c'est l'amour qui m'attend!
(Rodolphe se lève en chancelant, et au moment où il va ouvrir la porte à Urbain la toile tombe)
ACTE TROISIÈME
(Une chambre rustique, en Bohême. A gauche, une grande porte ouverte donnant sur une forêt qui entoure, la ferme. Au fond, deux croisées; entre les croisées, un lit de repos. A droite, sur le premier plan, une table, quelques chaises)
Scène Première
(Au lever du rideau, des ménétriers placés à gauche exécutent un air de valse. Fritz et Anna de jeunes paysannes et de jeunes paysans bohémiens entrent en valsant)
CHŒUR
Valsez sous l’ombrage,
Filles du village;
L'archet retentit,
Et le jour finit!
Que la valse est belle!
Rapide comme elle,
Le plaisir va fuir…
Sachons le saisir!
ANNA
(montrant la forêt qu'on aperçoit au fond)
La lune brille,
L'herbe scintille;
La jeune fille,
A demi-voix,
Gaîment répète
La chansonnette
Que la fauvette
Disait au bois:
Ah! ah! ah! ah! ah!
CHŒUR
Valsez sous l'ombrage,
Filles du village;
L'archet retentit,
Et le jour finit!
Que la valse est belle!
Rapide comme elle,
Le plaisir va fuir…
Sachons le saisir!
(L'air de danse continue toujours; les jeunes gens et les jeunes filles sortent de la chambre ou y rentrent en valsant. Au fond, sous les arbres de la forêt, on aperçoit plusieurs groupes qui valsent aussi)
FRITZ
(s’adressant aux paysans)
Demain, j'épouse Ana,
ma fiancée!
ANNA
Et nous dansons, par avance, aujourd'hui!
FRITZ
Rêves d'amour
enivrent ma pensée!…
Demain, elle est à moi…
ANNA
Quel bonheur d'être à lui!
Ensemble
Sur nos tapis de mousse,
Combien la valse est douce!
Combien ses gais accents
Deviennent enivrants,
Quand de son amoureuse,
Émue et gracieuse,
Le jeune et beau valseur
Sent palpiter le cœur!
TOUS
Valsez sous l'ombrage,
Filles du village;
L'archet retentit
Et voici la nuit!
Que la valse est belle!
Rapide comme elle,
Le plaisir va fuir
Sachons le saisir!
(Au milieu du chœur général des danseurs et des chanteurs, Urbain paraît à la porte du fond)
Scène Seconde
(Les précédents, Urbain; puis Rodolphe)
URBAIN
On m'a dit qu'en ces lieux
je trouverais mon maître.
FRITZ
Un étranger…
ANNA
Un jeune et beau seigneur…
FRITZ
Que nous avons reçu
sous notre toit champêtre?
URBAIN
Lui-même.
FRITZ
Ah! jour et nuit,
profonde est sa douleur!
URBAIN
Je la connais,
et viens la changer en bonheur!
Premier Couplet
Un page de ma sorte,
Page leste et joyeux,
D'ordinaire n’apporte
Que messages heureux!
A l'usage fidèle,
J'annonce une nouvelle
Qui comblera ses vœux
Cette heureuse nouvelle,
Quelle est-elle?
Quelle est-elle?
(Aux paysans et paysannes qui l'entourent)
Ah! vous en êtes curieux?
(A Anna)
Vraiment, vraiment, ma toute belle?
Eh bien, eh bien, je vous le dis tout bas,
Rassurez-vous… vous ne le saurez pas!
Deuxième Couplet
De cet heureux message,
A bon droit, je suis fier!
Et Monseigneur, je gage,
Me le paiera bien cher!
(Aux paysannes et paysans)
Vous voulez le connaître
Pour le dire mon maître;
Les amoureux
Sont toujours généreux!
Ma nouvelle est si belle…
Quelle est-elle?
Ah! vous en êtes curieux?
Vraiment, vraiment, je comprends votre zèle:
Eh bien, eh bien, je vous le dis tout bas,
Tra, la, la… vous ne le saurez pas!
(Apercevant Rodolphe qui entre et courant à lui)
Ah! mon maître, c'est vous!
la fortune jalouse,
Par un brusque retour
comble tous vos souhaits!
Vos parents désarmés
vous accordent Agnès!
RODOLPHE
(poussant un cri de joie)
Je n'ose y croire… Agnès!…
URBAIN
Votre Agnès pour épouse!
RODOLPHE
Et comment?
URBAIN
Théobald, par un coup imprévu,
Frappé dans les combats…
RODOLPHE
(avec effroi)
Ah! c'est lui que j'ai vu!
C'est lui qui, délaissant sa couche sépulcrale,
Assistait, sombre et pâle, à l'union fatale
Dont j'étais la victime!… O mon frère!
ô douleur!…
(Aux villageois)
Un instant seul avec mon page
Laissez-moi, mes amis
(La valse reprend. Fritz, Anna et les valseurs sortent tous par la porte du fond, qui se referme)
Scène Troisième
(Urbain et Rodolphe. Rodolphe est retombé assis près de la table, à droite; Urbain contemplant avec surprise son air rêveur, s'approche de lui)
RODOLPHE
(à part)
Au milieu de l'orage,
Cette lueur d'espoir,
cet éclair de bonheur,
Du sort qui me poursuit
redouble encor l'horreur!
Duo
Malheur au fiancé de la
Nonne sanglante!
URBAIN
Que dites-vous, maître?
que dites-vous?
RODOLPHE
As-tu donc oublié
cette nuit d’épouvante,
Où le spectre, de moi,
reçut l’anneau d’époux?
Depuis lors, ô prodige,
où ma raison succombe,
Tous les soirs… oui…
tous les soirs, à minuit,
Le fantôme sort de sa tombe
Et vient, pâle et glacé,
s’asseoir près de mon lit!
URBAIN
(effrayé)
Tous les soirs!…
RODOLPHE
Tous les soirs!
URBAIN
A minuit!
RODOLPHE
A minuit!
Ensemble
URBAIN
O terreur qui m'oppresse!
D'une telle maîtresse,
D'un pareil rendez-vous,
Mon cœur n'est pas jaloux!
Dieu veillera sur nous,
Mon maître, calmez-vous!
RODOLPHE
Tourment terrible qui m'oppresse,
Devant moi son ombre se dresse,
Et vient, pâle, au rendez-vous
Donné par l'enfer en courroux!…
(Avec délire)
Va-t’en!… va-t'en!…
fuis loin de nous!
Chaque nuit la ramène!…
et sa voix vengeresse,
Me rappelant ma fatale promesse:
« A toi… toujours à toi…
même après le tombeau!…
« Tu l’as dit, tu l'as dit… et voici ton anneau!
« Des serments la tombe est jalouse…
« Et nulle autre que moi ne sera ton épouse!…
URBAIN
(effrayé)
A toi!…
RODOLPHE
Toujours à toi!
URBAIN
Même après le tombeau!
RODOLPHE
Même après le tombeau!
Ensemble
URBAIN
O terrible promesse!
D'une telle maîtresse,
D'un pareil rendez-vous,
Mon cœur n'est pas jaloux!
Dieu veillera sur nous,
Mon maître, calmez-vous!
RODOLPHE
Tourment terrible qui m'oppresse,
Devant moi son ombre se dresse!
Et vient, fidèle au rendez-vous
Donné par l'enfer en courroux!
(Avec délire)
Va-t'en!… va-t'en!…
fuis loin de nous!
URBAIN
Du vain délire où votre âme s'agite
Bientôt vont fuir les sinistres vapeurs;
Bientôt, pour vous, Pierre le saint ermite
Va de l'enfer conjurer les fureurs!
Oui, croyez-moi,
mon maître, mon doux maître,
Devant le jour se dissipe la nuit.
Et le malheur va pour vous disparaître
Devant l'amour
qui brille et vous sourit!
(Gaiement)
Reprenez courage!
Un ciel sans nuage
Succède à l'orage
Qui fuit pour toujours!
Plaisir et tendresse
Et noble maîtresse
De votre jeunesse,
Vont charmer les jours!
RODOLPHE
Reprenons courage!
Pour nous plus d'orage!
Croyons-en mon page,
Croyons aux beaux jours!
Plaisir et tendresse
Et douce maîtresse
Vont de ma jeunesse
Embellir le cours!
URBAIN
Pierre a parlé! pour la croisade sainte
Tous nos chevaliers vont partir!…
Mais avant de quitter l'enceinte
Du manoir paternel, il prétend vous unir
A votre Agnès!…
RODOLPHE
(poussant un cri de joie)
O ciel!
URBAIN
(gaiement)
Déjà, de cette fête,
Par ses soins empressés,
la pompe au loin s'apprête!
Aux noirs habits de deuil,
a pourpre a succédé!
Les ménestrels, les chants, la danse,
et mieux encore,
Votre Agnès vous attend!…
aussi, par moi guidé,
Dès demain vous partez,
au lever de l'aurore!…
Et je vais jusque-là valser en attendant…
RODOLPHE
(hors de lui)
Est-ce un rêve?
URBAIN
(riant)
Eh! non vraiment!
Reprenez courage!
Un ciel sans nuage
Succède à l'orage
Qui fuit pour toujours!
Plaisir et tendresse
Et noble maîtresse
De votre jeunesse
Vont charmer les jours!
RODOLPHE
Reprenons courage!
Pour nous plus d’orage!
Croyons-en mon page
Croyons aux beaux jours!
Plaisir et tendresse
Et belle maîtresse
Vont de ma jeunesse
Embellir le cours!
(Urbain s'élance en courant par la porte du fond, qu'il referme sur lui)
Scène Quatrième
RODOLPHE
(Seul sur une ritournelle douce et suave, il va ouvrir la fenêtre, semble aspirer la fraîcheur de la forêt et respirer plus librement)
Air
Un air plus pur,
Un ciel d'azur
Brille à ma vue!
Rêve d'amour,
Calme en ce jour
Mon âme émue!
A son fils malheureux,
Mon père enfin pardonne!
Et le pardon des cieux
Autour de moi rayonne!
Un jour plus pur,
Un ciel d'azur
Brille à ma vue!
Rêve d'amour,
Calme en ce jour
Mon âme émue!
(Regardant autour de lui)
Mais la nuit s'avance…
(Avec crainte)
La nuit!!
Et bientôt va sonner minuit!
Si, comme à l'ordinaire…
et sanglante et terrible…
La Nonne apparaissait…
(Écoutant)
Si j'entendais ses pas!…
(Se rassurant)
Non, non, c'est impossible!…
Ce soir… elle ne viendra pas!
(S'approchant de la fenêtre, et entendant au dehors l'air de valse qui reprend, il regarde et dit)
La lune brille,
L'herbe scintille;
La jeune fille,
A demi-voix,
Gaîment répète
La chansonnette
Que la fauvette
Disait au bois!…
(Avec joie, et refermant la fenêtre)
Elle ne viendra pas!…
ici tout me rassure!
Et le calme de la nature
A passé dans mes sens!…
Un air plus pur,
Un ciel d'azur
Brille à ma vue!
Rêve d'amour
Charme en ce jour
Mon âme émue!
(Minuit sonne. A la musique gracieuse succède une musique sombre et terrible. Les pas du spectre se font entendre. La muraille à droite s'ouvre d'elle-même, et laisse passer la Nonne qui s'avance lentement. Rodolphe glacé d'effroi, tombe assis sur le lit et reste immobile)
Scène Cinquième
(Rodolphe, La Nonne)
Duo
LA NONNE
Me voici moi, ton supplice!
J'ai ta foi, j'ai ton anneau!
Le ciel veut qu'on accomplisse
Les serments faits au tombeau!
RODOLPHE
Au tourment de te voir
qui donc m'a condamné?
Nonne! que t'ai-je fait?
LA NONNE
A moi, tu t'es donné!
Agnès! Agnès!
à toi, toute ma vie!…
As-tu dit!
RODOLPHE
A l'enfer, je n'ai point fait de vœu!
LA NONNE
Ni moi, ni moi!
je n'appartiens qu'à Dieu!
Coupable comme toi, ma faute…
je l'expie!
RODOLPHE
Puis-je t'aider à l'expier?
LA NONNE
Oui!
RODOLPHE
Comment donc briser
le pacte qui nous lie?
LA NONNE
(levant son voile et montrant la tache de sang qui est à l’endroit du cœur)
En immolant mon meurtrier!…
Jusque-là…
Je viendrai moi, ton supplice!
J'ai ta foi, j'ai ton anneau!
Le ciel veut qu'on accomplisse
Les serments faits au tombeau!
RODOLPHE
Pour finir un tel supplice,
Pour reprendre mon anneau,
Que faut-il que j’accomplisse?
Je te suis jusqu'au tombeau!
Oui, j'irai jusqu’au tombeau!
Eh bien!
ce meurtrier?…
LA NONNE
Tu sauras tout!
(Cherchant à rappeler ses souvenirs)
Attends…
A la guerre… on disait: il a perdu la vie…
Dans le cloître
où sa mort me conduisait… j'apprends
(Avec joie)
Qu'il existe!…
(Avec colère)
Qu'il se marie!…
J'accours… lui rappeler notre amour…
ses serments!
Et lui!… pour s'épargner
une importune plainte…
(Montrant la plaie qu'elle a au cœur)
Il m'a frappée!!! —
Oui, sans remords, sans crainte!
Moi qui l'aimais!…
RODOLPHE
(vivement)
L'infâme!
LA NONNE
N'est-ce pas?
RODOLPHE
Quel est-il?
LA NONNE
Tu le sauras!
RODOLPHE
Et je le vengerai!
LA NONNE
C'est bien!
Tiens ton serment!
et je tiendrai le mien
LA NONNE
Oui, qu'il succombe!…
Oui, que la tombe
A mon destin
L'unisse enfin!
Et tes serments
Je te les rends!
RODOLPHE
(avec joie)
Oui! s'il succombe,
Oui! si la tombe
A ton destin
L'unit enfui!
Tous mes serments
Tu me les rends!
(avec exaltation)
Ah! je serai ton chevalier!
Je punirai ton meurtrier…
Son nom?
son nom?
LA NONNE
Tu le sauras demain!
RODOLPHE
(avec joie)
Et je serai donc libre enfin!…
LA NONNE
Adieu, Rodolphe…
à demain!…
A minuit!…
à demain!!
LA NONNE
Oui, qu'il succombe!…
Oui, que la tombe
A mon destin
L'unisse enfin!
Et tes serments
Je te les rends!
RODOLPHE
(avec joie)
Oui, s’il succombe…
Oui, si la tombe
A ton destin
L'unit enfui!
Tous mes serments
Tu me les rends!
LA NONNE
(s'éloignant)
A minuit!…
à demain!…
(Au moment où la Nonne s'éloigne et où Rodolphe hors de lui et anéanti, vient de se laisser tomber sur le lit, on entend en dehors l'air de valse qui reprend)
Ensemble
URBAIN
(en dehors, frappant à la porte)
Mon maître!… mon doux maître,
L'aurore va paraître!
Partons, partons gaîment
Au manoir paternel,
où l'amour vous attend!
CHŒUR
(en dehors)
Valsez sous l'ombrage,
Filles du village,
Voici le retour,
Le retour du jour!
Que la valse est belle!
Rapide comme elle,
Le plaisir va fuir…
Sachons le saisir!
RODOLPHE
Suis-je éveillé?… Suis-je vivant?
Veille sur moi, Dieu tout-puissant!
Ah! c'est Urbain.
(Revenant à lui)
Eh oui… vraiment,
C'est Agnès…
c'est l'amour qui m'attend!
(Rodolphe se lève en chancelant, et au moment où il va ouvrir la porte à Urbain la toile tombe)