ACTE QUATRIÈME


(Les jardins du comte de Luddorf. Tout y est disposé pour les fêtes du mariage)

Scène Première

(Le Comte De Luddorf, Le Baron De Moldaw, chevaliers et seigneurs des deux familles, assis autour d'une table. écuyers et valets, places derrière eux)

▼LUDDORF▲

Premier Couplet
Bons chevaliers,
vaillants hommes d'armes,
Mes compagnons
dans les jours d'alarmes,
Déposons tous le fer et l'airain!
Que le hanap brille en votre main!
A la rescousse! hymen! hyménée!
C'était le cri de nos bons aïeux,
Et nous, amis, leur noble lignée,
Comme eux chantons!
et buvons comme eux!

▼CHŒUR▲
Pour imiter nos braves aïeux,
Comme eux chantons!
et buvons comme eux!

▼LUDDORF▲

Deuxième Couplet
Si, trop longtemps,
guerres inhumaines
Ont dévasté nos tristes domaines,
Que Mars s'éloigne!…
et qu'en ce séjour,
Gaîment l'amour guerroie à son tour!
A la rescousse! hymen! hyménée!
C'était le cri de nos bons aïeux,
Et nous, amis, leur noble lignée,
Comme eux chantons!
et buvons comme eux!

▼CHŒUR▲
Pour imiter nos braves aïeux,
Comme eux chantons!
et buvons comme eux!

Scène Seconde

(Les précédents, Urbain, Fritz, Anna troupe de paysans bohémiens et de jeunes bohémiennes en habits de noce)

▼URBAIN▲
(amenant Anna qui résiste et n'ose entrer)
Venez, notre charmante hôtesse!
Venez, et ne craignez rien!

▼LUDDORF▲
Qu'est-ce?

▼URBAIN▲
De jeunes fiancés,
dont le cœur généreux
Accueillit votre fils
souffrant et malheureux!

▼LUDDORF▲
Je leur dois une récompense!

▼URBAIN▲
(à demi-voix)
Et de plus, Monseigneur,
au loin dans le pays,
d'Anna la gitana
l'on vante la science!

▼LUDDORF▲
(montrant Fritz et Anna)
En même temps que celui de mon fils,
Je veux que l’on célèbre ici leur mariage!

▼FRITZ▲
Dieu! quel honneur!

▼ANNA▲
Je n'ose y croire!

▼LUDDORF▲
(lui tendant la main)
Que ma main
De ma promesse soit le gage!

▼ANNA▲
(baise la main que lui tend le comte, puis le regarde avec attention et pousse un cri)
Ah! grand Dieu! qu'ai-je vu?

(Elle s'éloigne avec crainte)

▼URBAIN▲
(courant à elle à la droite du théâtre, pendant que le comte de Luddorf et les seigneurs se sont remis à table à gauche)
D'où te vient soudain
Le trouble qui t’agite?

▼ANNA▲
O colère céleste,
Qui me glace de crainte!…

(Bas, à Fritz)

En ce jour… et comme eux…
Nous marier… jamais!…

(A demi-voix, à Urbain)

Car cet hymen funeste
N'aura pas lieu!

▼URBAIN▲
(riant)
Folie!

(Lui montrant Rodolphe et Agnès, qui s'avancent par le fond du théâtre, suivis d’une escorte nombreuse)

Ils viennent tous les deux,
Ces heureux fiancés,
pleins de joie et d'ivresse!

▼LUDDORF▲
(aux conviés)
Ils viennent partager
vos danses et vos jeux
Avant qu'à nos autels,
consacrant leur tendresse,
La voix du prêtre saint
ne descende sur eux!

Scène Troisième

(Le Baron De Moldaw, et ses chevaliers se placent à gauche et au fond du théâtre; Rodolphe et Agnès s'asseyent à droite; près d'eux et debout, Urbain, Fritz, Anna. On a enlevé la table où buvaient les chevaliers. Les jardins du comte de Luddorf sont de tous côtés ornés de fleurs et illuminés. Les Dames Et Seigneurs des environs, en costume de gala, arrivent successivement pour prendre part à la fête, et sont reçus par le comte de Luddorf, qui plusieurs fois entre, sort et donne des ordres pendant le divertissement suivant. Ballet où l'on exécute tour à tour des danses bohémiennes, moraves, hongroises et styriennes. Vers la dernière partie du ballet, la grande horloge du château sonne lentement minuit. Rodolphe qui était à droite, assis à côté d'Agnès, se lève et fait vivement quelques pas au bord du théâtre)

▼RODOLPHE▲
(avec agitation, et pendant que minuit sonne)
Minuit!

(Se rassurant et s'efforçant de sourire)

Quelle terreur vient encor me saisir!
Au milieu de la fête,
et des danses bruyantes…
Et des lampes étincelantes…
Le spectre n’oserait venir!

(Au moment où le dernier coup de minuit s'est fait entendre, un nuage de gaze descend derrière Rodolphe et le sépare de la foule; cet obstacle transparent qui le retient n’empêche pas d’apercevoir le bal, lequel continue toujours pendant la scène suivante. Les jardins du fond restent illuminés, mais la rampe, qui est sur le devant du théâtre, s’éteint, et Rodolphe voit à côté de lui s’élever l’ombre de la Nonne, visible pour lui seul, invisible pour tous les autres)

Scène Quatrième

(Les précédents, La Nonne, se plaçant silencieusement à côté de Rodolphe pendant que, dans le fond, différents groupes de danses continuent à se former, et que l'on entend toujours dans le lointain et en sourdine l'orchestre du bal)

▼RODOLPHE▲
(épouvanté)
Encor toi!…
ma persécutrice!

▼LA NONNE▲
N'avais-je pas dit: A demain!

▼RODOLPHE▲
Tu devais finir mon supplice!

▼LA NONNE▲
Et toi, punir mon assassin!

▼RODOLPHE▲
(avec impatience)
Montre-moi donc alors ce chevalier terrible!
A quel signe, réponds,
le connaîtrais-je enfin?

▼LA NONNE▲
Invisible pour tous,
et pour toi seul visible,
Apparaîtra sur son sein
La croix de sang
que je porte moi-même.

(La lui montrant)

Tiens, regarde!…

▼RODOLPHE▲
(avec force et étendant la main)
Sur moi que tombe l'anathème
Si mon bras ne l'immole!

▼LA NONNE▲
(étendant aussi la main)
Et moi, je te permets
Dès qu'il ne sera plus,
d'épouser l'autre Agnès!

(La Nonne disparaît. Le nuage de gaze remonte, la lumière revient sur le devant du théâtre. Rodolphe encore sous l'impression du rêve qu’il vient de subir, regarde autour de lui et contemple d'un air étonné les danses qui l'entourent et qui ont repris un caractère plus animé. Succombant à ses émotions, il porte la main à ses yeux et chancelle; Agnès, qui est accourue près de lui, le soutient et ne le quitte plus)

▼AGNÈS▲
Qu'as-tu donc?
et quel trouble
au moment du bonheur!…

▼RODOLPHE▲
(cherchant à se remettre de son émotion)
Il est des biens si doux,
que plus on les désire
Plus on craint de les perdre!

▼AGNÈS▲
(avec tendresse)
A toi seul est mon cœur!
Oui, je t'aime!…
et je puis maintenant te le dire!
De t'aimer sans cesse,
Je vais, quelle ivresse!
Te faire à l'autel
Le vœu solennel!
Loi chère et suprême
Qui, devant Dieu même,
Du plus doux espoir
Me fait un devoir!

▼RODOLPHE▲
O sombre tristesse,
Tourment qui m'oppresse!
A la voix du ciel
Fuyez de l'autel!
Viens, serment suprême,
Qui, devant Dieu même,
Du plus doux espoir
Me fait un devoir!

Scène Cinquième

(Les précédents, Le Comte De Luddorf, Pierre L'ermite suivis d'un cortège religieux)

Finale

▼PIERRE▲
Oublions tous les discordes passées!
Que les haines soient effacées!
Au pied des saints autels,
un Dieu juste et clément
Veut, par cet hymen éclatant,
Ne faire de vous tous
qu'une seule famille!

▼MOLDAW▲
(tendant la main à Rodolphe)
Mon noble gendre, on nous attend!

▼LUDDORF▲
A moi d'offrir la main
à ma nouvelle fille!

(Il ouvre le manteau d'hermine qui le couvre pour offrir la main à Agnès, et Rodolphe qui dans ce moment est placé en face de lui, aperçoit sur le sein de son père la croix de sang désignée par la Nonne)

Ensemble

▼RODOLPHE▲
O terreur!…

▼TOUS▲
Qu'a-t-il donc?…

▼RODOLPHE▲
Je frémis!

▼TOUS▲
Réponds-nous?

▼RODOLPHE▲
Qu'ai-je vu?

▼TOUS▲
Quel effroi…

▼RODOLPHE▲
Dieu vengeur!

▼TOUS▲
Quel courroux!

(Dialogué)

▼LE CHŒUR▲
Qu'a-t-il donc?
Quel effroi!…
Réponds-nous!
Réponds-nous!

▼RODOLPHE▲
Du forfait…
Preuve horrible!…
A mes yeux
Cachez-vous!…

Ensemble

(Avec explosion générale)

▼RODOLPHE▲
C'est mon père! c'est lui!
Et d'horreur j'ai frémi!
Oui, l'enfer à ma main
Vient livrer l’assassin!
J'avais fait le serment
De répandre son sang…
De ce crime dépend
Le bonheur qui m'attend!

(Avec fureur)

Non! plutôt le parjure,
Et fuyons loin d'eux tous!
Effroi de la nature
Et du ciel en courroux!

▼LE CHŒUR▲
C'est Rodolphe! c'est lui
Dont la main a frémi!
Il hésite soudain…
Il s'arrête incertain…
Quel dessein menaçant,
Quel soupçon offensant
Le saisit à l'instant
Où l'hymen les attend?

(Avec explosion)

Si c'était un parjure,
Par notre honneur à tous,
Il doit pour cette injure
Expirer sous nos coups!

▼AGNÈS ANNA, URBAIN, FRITZ▲
C'est Rodolphe! c'est lui
Dont le cœur a frémi!
Il se trouble soudain…
Il s'arrête incertain…
O misère! ô tourment!
Lui qui m’aime, comment
Lui qui l’aime, comment
Hésiter à l’instant
Où l'hymen nous attend!
Où l'hymen les attend!

(Avec douleur)

Supplices que j’endure,
Supplices qu’elle endure,
Mon cœur vous brave tous,
Son cœur vous brave tous,
Excepté le parjure
D'un amant, d’un époux!

▼PIERRE▲
(à Rodolphe qu’il prend par la main)
Quand l'autel est prêt…
qui t'arrête?

▼RODOLPHE▲
(hors de lui)
Qui m’arrête?… ne vois-tu pas
La foudre au-dessus de ma tête,
Et l’abîme ouvert sous mes pas?
Serment fatal…
dont je suis la victime!…
S’il me faut obtenir mon bonheur
par un crime,

(En sanglotant)

Je ne le puis… plutôt mourir, hélas!
Mais cet hymen…

▼TOUS▲
Eh bien?…

▼RODOLPHE▲
Ne s'accomplira pas!

Reprise du motif

▼AGNÈS▲
(s'élançant près de lui)
Qu'as-tu dit?

▼RODOLPHE▲
O tourments!

▼AGNÈS▲
C'est par toi…

▼RODOLPHE▲
Dieu vengeur!

▼AGNÈS▲
Que nos nœuds…

▼RODOLPHE▲
Je frémis!

▼AGNÈS▲
Sont rompus!

▼RODOLPHE▲
O terreur!

▼AGNÈS▲
Et pourquoi?
Par pitié…
Réponds-nous!…
Réponds-nous!…

▼RODOLPHE▲
Sous mes pas…
Par pitié…
Sombre abîme…
Ouvrez-vous!

C'est mon père! c'est lui!
De terreur j'ai frémi!
Oui, l'enfer à ma main
Vient livrer l'assassin!
J'avais fait le serment
De répandre son sang!
De ce crime dépend
Le bonheur qui m'attend!

(Avec fureur)

Non, plutôt le parjure,
Et fuyons loin d’eux tous!
Effroi de la nature,
Et du ciel en courroux!

▼LE CHŒUR▲
Nœuds sacrés! quoi! c'est lui
Qui vous brise aujourd'hui!
Quoi! d'un cœur inhumain,
Il refuse sa main!
Il trahit son serment,
Et l'hymen qui l'attend…
Un affront si sanglant
Veut du sang… oui, du sang!…

(Avec explosion)

Et félon et parjure,
Par notre honneur à tous,
Il doit pour cette injure
Expirer sous nos coups!

▼AGNÈS▲
Nœuds sacrés! quoi! c'est lui
Qui vous brise aujourd'hui!
Il refuse, inhumain,
Mon amour et ma main!
Il trahit son serment,
Et mon cœur, cependant,
Tremble encore et défend
Celui que j'aimais tant!
O tourments que j'endure,
Mon cœur vous bravait tous,
Excepté le parjure
D'un amant, d'un époux!

▼LES CHEVALIERS▲
(des deux partis, tirant l'épée du fourreau, et se rangeant, les uns autour de Moldaw, les autres de Luddorf)
Plus de paix! plus de trêve!
En nos mains que le glaive
Venge enfin les affronts
Dont rougissent nos fronts!
Au combat! au combat!…
le ciel sera pour nous!

▼PIERRE▲
(s'élançant au milieu d'eux)
Insensés!… furieux!…
le ciel vous maudit tous!

▼CHŒUR▲
Plus de paix! plus de trêve!
E nos mains que le glaive
Venge enfin les affronts
Dont rougissent nos fronts!
Au combat! au combat!…
le ciel sera pour nous!

(Les chevaliers ennemis vont s'élancer l'un sur l'autre; Agnès et les dames se jettent au devant de leurs pères ou de leurs maris, et Pierre au milieu d'eux tous. La toile tombe)
ACTE QUATRIÈME


(Les jardins du comte de Luddorf. Tout y est disposé pour les fêtes du mariage)

Scène Première

(Le Comte De Luddorf, Le Baron De Moldaw, chevaliers et seigneurs des deux familles, assis autour d'une table. écuyers et valets, places derrière eux)

LUDDORF

Premier Couplet
Bons chevaliers,
vaillants hommes d'armes,
Mes compagnons
dans les jours d'alarmes,
Déposons tous le fer et l'airain!
Que le hanap brille en votre main!
A la rescousse! hymen! hyménée!
C'était le cri de nos bons aïeux,
Et nous, amis, leur noble lignée,
Comme eux chantons!
et buvons comme eux!

CHŒUR
Pour imiter nos braves aïeux,
Comme eux chantons!
et buvons comme eux!

LUDDORF

Deuxième Couplet
Si, trop longtemps,
guerres inhumaines
Ont dévasté nos tristes domaines,
Que Mars s'éloigne!…
et qu'en ce séjour,
Gaîment l'amour guerroie à son tour!
A la rescousse! hymen! hyménée!
C'était le cri de nos bons aïeux,
Et nous, amis, leur noble lignée,
Comme eux chantons!
et buvons comme eux!

CHŒUR
Pour imiter nos braves aïeux,
Comme eux chantons!
et buvons comme eux!

Scène Seconde

(Les précédents, Urbain, Fritz, Anna troupe de paysans bohémiens et de jeunes bohémiennes en habits de noce)

URBAIN
(amenant Anna qui résiste et n'ose entrer)
Venez, notre charmante hôtesse!
Venez, et ne craignez rien!

LUDDORF
Qu'est-ce?

URBAIN
De jeunes fiancés,
dont le cœur généreux
Accueillit votre fils
souffrant et malheureux!

LUDDORF
Je leur dois une récompense!

URBAIN
(à demi-voix)
Et de plus, Monseigneur,
au loin dans le pays,
d'Anna la gitana
l'on vante la science!

LUDDORF
(montrant Fritz et Anna)
En même temps que celui de mon fils,
Je veux que l’on célèbre ici leur mariage!

FRITZ
Dieu! quel honneur!

ANNA
Je n'ose y croire!

LUDDORF
(lui tendant la main)
Que ma main
De ma promesse soit le gage!

ANNA
(baise la main que lui tend le comte, puis le regarde avec attention et pousse un cri)
Ah! grand Dieu! qu'ai-je vu?

(Elle s'éloigne avec crainte)

URBAIN
(courant à elle à la droite du théâtre, pendant que le comte de Luddorf et les seigneurs se sont remis à table à gauche)
D'où te vient soudain
Le trouble qui t’agite?

ANNA
O colère céleste,
Qui me glace de crainte!…

(Bas, à Fritz)

En ce jour… et comme eux…
Nous marier… jamais!…

(A demi-voix, à Urbain)

Car cet hymen funeste
N'aura pas lieu!

URBAIN
(riant)
Folie!

(Lui montrant Rodolphe et Agnès, qui s'avancent par le fond du théâtre, suivis d’une escorte nombreuse)

Ils viennent tous les deux,
Ces heureux fiancés,
pleins de joie et d'ivresse!

LUDDORF
(aux conviés)
Ils viennent partager
vos danses et vos jeux
Avant qu'à nos autels,
consacrant leur tendresse,
La voix du prêtre saint
ne descende sur eux!

Scène Troisième

(Le Baron De Moldaw, et ses chevaliers se placent à gauche et au fond du théâtre; Rodolphe et Agnès s'asseyent à droite; près d'eux et debout, Urbain, Fritz, Anna. On a enlevé la table où buvaient les chevaliers. Les jardins du comte de Luddorf sont de tous côtés ornés de fleurs et illuminés. Les Dames Et Seigneurs des environs, en costume de gala, arrivent successivement pour prendre part à la fête, et sont reçus par le comte de Luddorf, qui plusieurs fois entre, sort et donne des ordres pendant le divertissement suivant. Ballet où l'on exécute tour à tour des danses bohémiennes, moraves, hongroises et styriennes. Vers la dernière partie du ballet, la grande horloge du château sonne lentement minuit. Rodolphe qui était à droite, assis à côté d'Agnès, se lève et fait vivement quelques pas au bord du théâtre)

RODOLPHE
(avec agitation, et pendant que minuit sonne)
Minuit!

(Se rassurant et s'efforçant de sourire)

Quelle terreur vient encor me saisir!
Au milieu de la fête,
et des danses bruyantes…
Et des lampes étincelantes…
Le spectre n’oserait venir!

(Au moment où le dernier coup de minuit s'est fait entendre, un nuage de gaze descend derrière Rodolphe et le sépare de la foule; cet obstacle transparent qui le retient n’empêche pas d’apercevoir le bal, lequel continue toujours pendant la scène suivante. Les jardins du fond restent illuminés, mais la rampe, qui est sur le devant du théâtre, s’éteint, et Rodolphe voit à côté de lui s’élever l’ombre de la Nonne, visible pour lui seul, invisible pour tous les autres)

Scène Quatrième

(Les précédents, La Nonne, se plaçant silencieusement à côté de Rodolphe pendant que, dans le fond, différents groupes de danses continuent à se former, et que l'on entend toujours dans le lointain et en sourdine l'orchestre du bal)

RODOLPHE
(épouvanté)
Encor toi!…
ma persécutrice!

LA NONNE
N'avais-je pas dit: A demain!

RODOLPHE
Tu devais finir mon supplice!

LA NONNE
Et toi, punir mon assassin!

RODOLPHE
(avec impatience)
Montre-moi donc alors ce chevalier terrible!
A quel signe, réponds,
le connaîtrais-je enfin?

LA NONNE
Invisible pour tous,
et pour toi seul visible,
Apparaîtra sur son sein
La croix de sang
que je porte moi-même.

(La lui montrant)

Tiens, regarde!…

RODOLPHE
(avec force et étendant la main)
Sur moi que tombe l'anathème
Si mon bras ne l'immole!

LA NONNE
(étendant aussi la main)
Et moi, je te permets
Dès qu'il ne sera plus,
d'épouser l'autre Agnès!

(La Nonne disparaît. Le nuage de gaze remonte, la lumière revient sur le devant du théâtre. Rodolphe encore sous l'impression du rêve qu’il vient de subir, regarde autour de lui et contemple d'un air étonné les danses qui l'entourent et qui ont repris un caractère plus animé. Succombant à ses émotions, il porte la main à ses yeux et chancelle; Agnès, qui est accourue près de lui, le soutient et ne le quitte plus)

AGNÈS
Qu'as-tu donc?
et quel trouble
au moment du bonheur!…

RODOLPHE
(cherchant à se remettre de son émotion)
Il est des biens si doux,
que plus on les désire
Plus on craint de les perdre!

AGNÈS
(avec tendresse)
A toi seul est mon cœur!
Oui, je t'aime!…
et je puis maintenant te le dire!
De t'aimer sans cesse,
Je vais, quelle ivresse!
Te faire à l'autel
Le vœu solennel!
Loi chère et suprême
Qui, devant Dieu même,
Du plus doux espoir
Me fait un devoir!

RODOLPHE
O sombre tristesse,
Tourment qui m'oppresse!
A la voix du ciel
Fuyez de l'autel!
Viens, serment suprême,
Qui, devant Dieu même,
Du plus doux espoir
Me fait un devoir!

Scène Cinquième

(Les précédents, Le Comte De Luddorf, Pierre L'ermite suivis d'un cortège religieux)

Finale

PIERRE
Oublions tous les discordes passées!
Que les haines soient effacées!
Au pied des saints autels,
un Dieu juste et clément
Veut, par cet hymen éclatant,
Ne faire de vous tous
qu'une seule famille!

MOLDAW
(tendant la main à Rodolphe)
Mon noble gendre, on nous attend!

LUDDORF
A moi d'offrir la main
à ma nouvelle fille!

(Il ouvre le manteau d'hermine qui le couvre pour offrir la main à Agnès, et Rodolphe qui dans ce moment est placé en face de lui, aperçoit sur le sein de son père la croix de sang désignée par la Nonne)

Ensemble

RODOLPHE
O terreur!…

TOUS
Qu'a-t-il donc?…

RODOLPHE
Je frémis!

TOUS
Réponds-nous?

RODOLPHE
Qu'ai-je vu?

TOUS
Quel effroi…

RODOLPHE
Dieu vengeur!

TOUS
Quel courroux!

(Dialogué)

LE CHŒUR
Qu'a-t-il donc?
Quel effroi!…
Réponds-nous!
Réponds-nous!

RODOLPHE
Du forfait…
Preuve horrible!…
A mes yeux
Cachez-vous!…

Ensemble

(Avec explosion générale)

RODOLPHE
C'est mon père! c'est lui!
Et d'horreur j'ai frémi!
Oui, l'enfer à ma main
Vient livrer l’assassin!
J'avais fait le serment
De répandre son sang…
De ce crime dépend
Le bonheur qui m'attend!

(Avec fureur)

Non! plutôt le parjure,
Et fuyons loin d'eux tous!
Effroi de la nature
Et du ciel en courroux!

LE CHŒUR
C'est Rodolphe! c'est lui
Dont la main a frémi!
Il hésite soudain…
Il s'arrête incertain…
Quel dessein menaçant,
Quel soupçon offensant
Le saisit à l'instant
Où l'hymen les attend?

(Avec explosion)

Si c'était un parjure,
Par notre honneur à tous,
Il doit pour cette injure
Expirer sous nos coups!

AGNÈS ANNA, URBAIN, FRITZ
C'est Rodolphe! c'est lui
Dont le cœur a frémi!
Il se trouble soudain…
Il s'arrête incertain…
O misère! ô tourment!
Lui qui m’aime, comment
Lui qui l’aime, comment
Hésiter à l’instant
Où l'hymen nous attend!
Où l'hymen les attend!

(Avec douleur)

Supplices que j’endure,
Supplices qu’elle endure,
Mon cœur vous brave tous,
Son cœur vous brave tous,
Excepté le parjure
D'un amant, d’un époux!

PIERRE
(à Rodolphe qu’il prend par la main)
Quand l'autel est prêt…
qui t'arrête?

RODOLPHE
(hors de lui)
Qui m’arrête?… ne vois-tu pas
La foudre au-dessus de ma tête,
Et l’abîme ouvert sous mes pas?
Serment fatal…
dont je suis la victime!…
S’il me faut obtenir mon bonheur
par un crime,

(En sanglotant)

Je ne le puis… plutôt mourir, hélas!
Mais cet hymen…

TOUS
Eh bien?…

RODOLPHE
Ne s'accomplira pas!

Reprise du motif

AGNÈS
(s'élançant près de lui)
Qu'as-tu dit?

RODOLPHE
O tourments!

AGNÈS
C'est par toi…

RODOLPHE
Dieu vengeur!

AGNÈS
Que nos nœuds…

RODOLPHE
Je frémis!

AGNÈS
Sont rompus!

RODOLPHE
O terreur!

AGNÈS
Et pourquoi?
Par pitié…
Réponds-nous!…
Réponds-nous!…

RODOLPHE
Sous mes pas…
Par pitié…
Sombre abîme…
Ouvrez-vous!

C'est mon père! c'est lui!
De terreur j'ai frémi!
Oui, l'enfer à ma main
Vient livrer l'assassin!
J'avais fait le serment
De répandre son sang!
De ce crime dépend
Le bonheur qui m'attend!

(Avec fureur)

Non, plutôt le parjure,
Et fuyons loin d’eux tous!
Effroi de la nature,
Et du ciel en courroux!

LE CHŒUR
Nœuds sacrés! quoi! c'est lui
Qui vous brise aujourd'hui!
Quoi! d'un cœur inhumain,
Il refuse sa main!
Il trahit son serment,
Et l'hymen qui l'attend…
Un affront si sanglant
Veut du sang… oui, du sang!…

(Avec explosion)

Et félon et parjure,
Par notre honneur à tous,
Il doit pour cette injure
Expirer sous nos coups!

AGNÈS
Nœuds sacrés! quoi! c'est lui
Qui vous brise aujourd'hui!
Il refuse, inhumain,
Mon amour et ma main!
Il trahit son serment,
Et mon cœur, cependant,
Tremble encore et défend
Celui que j'aimais tant!
O tourments que j'endure,
Mon cœur vous bravait tous,
Excepté le parjure
D'un amant, d'un époux!

LES CHEVALIERS
(des deux partis, tirant l'épée du fourreau, et se rangeant, les uns autour de Moldaw, les autres de Luddorf)
Plus de paix! plus de trêve!
En nos mains que le glaive
Venge enfin les affronts
Dont rougissent nos fronts!
Au combat! au combat!…
le ciel sera pour nous!

PIERRE
(s'élançant au milieu d'eux)
Insensés!… furieux!…
le ciel vous maudit tous!

CHŒUR
Plus de paix! plus de trêve!
E nos mains que le glaive
Venge enfin les affronts
Dont rougissent nos fronts!
Au combat! au combat!…
le ciel sera pour nous!

(Les chevaliers ennemis vont s'élancer l'un sur l'autre; Agnès et les dames se jettent au devant de leurs pères ou de leurs maris, et Pierre au milieu d'eux tous. La toile tombe)
最終更新:2023年09月21日 15:34