Scène Première
(Le Théâtre représente d’un cote la Maison du Devin, de l’autre des Arbres des Fontaines, dans le fond un Hameau. Colette soupirant, s’essuyant les yeux de son tablier)
COLETTE
J’ai perdu mon serviteur;
Colin me délaisse.
Hélas, il a pu charter!
Je voudrois n’y plus songer:
J’y songe sans cesse.
J’ai perdu mon serviteur;
J’ai perdu toit mon bonheur,
Colin me délaisse.
Il m’aimoit autrefois, ce fut mon malheur.
Mais quelle est donc celle qu’il me préfere!
Elle est donc bien charmante!
imprudente Bergere,
Ne crains-tu point les maux
que j’éprouve en ce jour?
Colin m’a pu changer;
tu peux avoir ton tour.
Que me sert d’y rêver sans cesse?
Rien ne peut guérir mon amour,
Et tout augmente ma tristesse.
J’ai perdu mon serviteur;
J’ai perdu tout mon bonheur,
Colin me délaisse.
Je veux le hair....je le dois....
Peut-être il m’aime encor...
pourquoi me fuir sans cesse?
Il me cherchoit tant autrefois.
Le Devin du canton fait ici sa demeure;
Il fait tout;
il faura le sort de mon amour:
Je le vois, je veux m’éclaircir en ce jour.
Scène Seconde
(Le Devin, Colette. Tandis que le Devin s’avance gravement, Colette compte dans sa main de la monnoie; puis elle la plie dans un papier, la présente au Devin, après avoir un peu hésite à l’aborder)
COLETTE
(d’un air timide)
Perdrai-je Colin sans retour?
Dites-moi s’il faut que je meure.
LE DEVIN
(gravement)
Je lis dans votre cœur, j’ai lu dans le sien.
COLETTE
O Dieux!
LE DEVIN.
Modérez-vous.
COLETTE
Eh bien?
LE DEVIN.
Colin....
Vous est infidèle.
COLETTE
Je me meurs.
LE DEVIN.
Et pourtant, il vous aime toujours.
COLETTE
(vivement)
Que dites-vous?
LE DEVIN.
Plus adroite moins belle,
La Dame de ces lieux....
COLETTE
Il me quitte pour elle!
LE DEVIN.
Je vous l’ai déjà dit, il vous aime toujours.
COLETTE
(tristement)
Et toujours il me fuit.
LE DEVIN.
Comptez sur mon secours.
Je pretends à vos pieds
ramener le volage.
Colin veut être brave, il aime à se parer:
Sa vanité vous a fait un outrage
Que son amour doit réparer.
COLETTE
Si des galans de la ville
J’eusse écoute les discours,
Ah! qu’il m’eut été facile
De former d’autres amours!
Mise en riche Demoiselle
Je brillerois tous les jours;
De rubans de dentelle
Je chargerois mes atours.
Pour l’amour de l’infidelle
J’ai refuse mon bonheur,
J’aimois mieux être moins belle
Et lui conserver mon cœur.
LE DEVIN.
Je vous rendrai le sien, ce sera mon ouvrage.
Vous, à le mieux garder
appliquez tous vos soins;
Pour vous faire aimer davantage,
Feignez d’aimer un peu moins.
L’amour croit s’il s’inquiette;
Il s’endort s’il est content:
La Bergere un peu coquette
Rend le Berger plus constant.
COLETTE
A vos sages leçons
Colette s’abandonne.
LE DEVIN.
Avec Colin prenez un autre ton.
COLETTE
Je feindrai d’imiter l’exemple qu’il me donne.
LE DEVIN.
Ne l’imitez pas tout de bon;
Mais qu’il ne puisse le connoître.
Mon art m’apprend qu’il va paroître,
Je vous appellerai quand il en sera tems.
Scène Troisième
LE DEVIN.
J’ai tout su de Colin,
ces pauvres enfans
Admirent tous les deux la science profonde
Qui me fait deviner
tout ce qu’ils m’ont appris,
Leur amour à propos en ce jour me seconde;
En les rendant heureux, il faut que je confonde
De la Dame du lieu les airs les mépris.
Scène Quatrième
(Le Devin, Colin)
COLIN
L’amour vos leçons
m’ont enfin rendu sage;
Je préfere Colette à des biens superflus:
Je sus lui plaire en habit de village;
Sous un habit dore qu’obtiendrois-je de plus?
LE DEVIN.
Colin, il n’est plus tems,
Colette t’oublie.
COLIN
Elle m’oublie, o Ciel!
Colette a pu changer!
LE DEVIN.
Elle est femme, jeune jolie;
Manqueroit-elle a se venger?
COLIN
Non, Colette n’est point trompeuse;
Elle m’a promis sa foi:
Peut-elle être l’Amoureuse
D’un autre Berger que moi?
LE DEVIN
Ce n’est point un Berger qu’elle préfere à toi,
C’est un beau Monsieur de la Ville.
COLIN
Qui vous l’a dit?
LE DEVIN
(avec emphase)
Mon art.
COLIN
Je n’en saurois douter.
Hélas qu’il m’en va coûter
Pour avoir été trop facile
A m’en laisser conter par les Dames de Cour!
Aurois-je donc perdu Colette sans retour?
LE DEVIN.
On sert mal à la fois fortune l’Amour.
D’être si beau garçon quelquefois il en coûte.
COLIN
De grace, apprenez-moi le moyen d’éviter
Le coup affreux que je redoute.
LE DEVIN.
Laisse-moi seul un moment consulter.
(Le Devin tire de sa poche un Livre de grimoire un petit bâton de Jacob, avec lesquels il fait un charme. De jeunes Paysannes qui venoient le consulter, laissent tomber leurs presens, se sauvent toutes effrayées en voyant ses contorsions)
Le charme est fait.
Colette en ce lieu va se rendre;
Il faut ici l’attendre.
COLIN
A l’appaiser pourrai-je parvenir?
Hélas, voudra-t-elle m’entendre?
LE DEVIN.
Avec un cœur fidele tendre
On a droit de tout obtenir.
(A part)
Sur ce qu’elle doit dire allons la prévenir.
Scène Cinquième
COLIN
Je vais revoir ma charmante Maîtresse.
Adieu châteaux, grandeurs, richesse,
Votre éclat ne me tente plus.
Si mes pleurs, mes soins assidus
Peuvent toucher ce que j’adore,
Je vous verrai renaître encore
Doux momens que j’ai perdus.
Quand on fait aimer dc plaire
A-t’on besoin d’autre bien!
Rends-moi ton cœur ma Bergere,
Colin t’a rendu le sien.
Mon chalumeau, ma houlette,
Soyez mes seules grandeurs;
Ma parure est ma Colette,
Mes trésors sont ses faveurs.
Que de seigneurs d’importance
Voudroient bien avoir sa foi!
Malgré toute leur puissance,
Ils sont moins heureux que moi.
Scène Sixième
(Colin, Colette parée)
COLIN
(à part)
Je l’apperçois...
Je tremble en m’offrant À sa vue....
Sauvons-nous....Je la perds si je fuis....
COLETTE
(À part)
Il me voit....Que je suis émue!
Le cœur me bat....
COLIN
Je ne sais ou j’en suis.
COLETTE
Trop près, sans y songer,
je me suis approchée.
COLIN
Je ne puis m’en dédire, il la faut aborder.
(A Colette, d’un ton radouci, d’un air moitié riant, moitié embarrasse)
Ma Colette....êtes-vous fâchée?
Je suis Colin: daignez me regarder.
COLETTE
(osant À peine jetter les yeux sur lui)
Colin m’aimoit: Colin m’etoit fidelle:
Je vous regarde, ne vois plus Colin.
COLIN
Mon cœur n’a point change;
mon erreur trop cruelle
Venoit d’un sort jette par quelque esprit malin:
Le Devin l’a détruit; je suis, malgré l’envie,
Toujours Colin, toujours plus amoureux.
COLETTE
Par un sort, À mon tour,
je me sens poursuivie.
Le Devin n’y peut rien.
COLIN
Que je suis malheureux!
COLETTE
D’un amant plus constant....
COLIN
Ah! de ma mort suivie
Votre infidélité....
COLETTE
Vos soins sont superflus;
Non, Colin, je ne t’aime plus.
COLIN
Ta foi ne m’est point ravie;
Non, consulte mieux ton cœur:
Toi-même en m’ôtant la vie
Tu perdrois tout ton bonheur.
COLETTE
(A part)
Hélas!
(À Colin)
Non vous m’avez trahie,
Vos soins sont superflus:
Non, Colin, je ne t’aime plus.
COLIN
C’en est donc fait; vous voulez que je meure;
Et je vais pour jamais rn’éloigner du hameau.
COLETTE
(rappellant Colin qui s’éloigne lentement)
Colin?
COLIN
Quoi?
COLETTE
Tu me suis?
COLIN
Faut-il que je demeure
Pour vous voir un amant nouveau?
COLETTE
Tant qu’a mon Colin j’ai su plaire,
Mon sort combloit mes desirs.
COLIN
Quand je plaisois À ma Bergere,
Je vivois dans les plaisirs.
COLETTE
Depuis que son cœur me méprise
Un autre a gagne le mien.
COLIN
Après le doux nœud quelle brise
Seroit-il un autre bien?
(D’un ton pénétré)
Ma Colette se dégage!
COLETTE
Je crains un amant volage.
COLETTE, COLIN
Je me dégage À mon tour.
Mon cœur, devenu paisible,
Oubliera, s’il est possible,
Que tu lui fus cher/chere un jour.
COLIN
Quelque bonheur qu’on me promette
Dans les nœuds qui me sont offerts,
J’eusse encor préféré Colette
A tous les biens de l’Univers.
COLETTE
Quoi qu’un Seigneur jeune, aimable,
Me parle aujourd’hui d’Amour,
Colin m’eut semble préférable
A tout l’éclat de la Cour.
COLIN
(tendrement)
Ah Colette!
COLETTE
(avec un soupir)
Ah! Berger volage,
Faut-il t’aimer malgré moi?
(Colin se jette aux pieds de Colette; elle lui fait remarquer à son chapeau un Ruban fort riche qu’il a reçu de la Dame. Colin le jette avec dédain. Colette lui en donne un plus simple, dont elle etoit parée, qu’il reçoit avec transport)
COLIN, COLETTE
A jamais Colin je t’engage/t’engage
Mon/ Son cœur ma/sa foi.
Qu’un doux mariage
M’unisse avec toi.
Aimons toujours sans partage,
Que l’Amour soit notre loi.
A jamais...
Scène Septième
(Le Devin, Colin, Colette)
LE DEVIN.
Je vous ai délivrés d’un cruel maléfice;
Vous vous aimez encor malgré les envieux.
COLIN
(Ils offrent chacun un présent au Devin)
Quel don pourroit jamais payer un tel service?
LE DEVIN
(recevant des deux mains)
Je suis assez paye si vous êtes heureux.
Venez jeunes Garçons, venez aimables Filles,
Rassemblez-vous, venez les imiter;
Venez galans Bergers,
venez beautés gentilles
En chantant leur bonheur
apprendre À le goûter.
Scène Dernière
(Le Devin, Colin, Colette. Garçons Filles du Village.)
CHŒUR.
Colin revient À sa Bergere;
Célébrons un retour si beau.
Que leur amitié sincere
Soit un charme toujours nouveau.
Du Devin de notre Village
Chantons le pouvoir éclatant:
Il ramene un Amant volage,
Et le rend heureux constant.
(On danse)
COLIN
Dans ma cabane obscure
Toujours soucis nouveaux;
Vent, Soleil, ou froidure,
Toujours peine travaux.
Colette ma Bergere
Si tu viens l’habiter,
Colin dans sa chaumière
N’a rien À regretter.
Des champs, de la prairie
Retournant chaque soir,
Chaque soir plus chérie
Je viendrai te revoir:
Du Soleil dans nos plaines
Devançant le retour,
Je charmerai mes peines
En chantant notre Amour.
(On danse une pantomime)
LE DEVIN.
Il faut tous À l’envi
Nous signaler ici;
Si je ne puis fauter ainsi,
Je dirai pour ma part
une Chanson nouvelle.
(Il tire une Chanson de sa poche)
I
L’art À l’Amour est favorable,
Et sans art l’Amour fait charmer;
A la Ville on est plus aimable,
Au Village on fait mieux aimer
Ah! pour l’ordinaire,
L’Amour ne fait guère
Ce qu’il permet., ce qu’il défend;
C’est un Enfant, c’est un Enfant.
COLIN
(avec le Chœur répete le refrain)
Ah! pour l’ordinaire,
L’Amour ne fait guère
Ce qu’il permet, ce qu’il défend;
C’est un Enfant, c’est un Enfant.
(Regardant la Chanson)
Elle a d’autres Couplets!
je la trouve assez belle.
COLETTE
(avec empressement)
Voyons, voyons;
nous chanterons aussi.
(Elle prend la Chanson)
II
Ici de la simple Nature,
L’Amour suit la naïveté;
En d’autres lieux de la parure
Il cherche l’éclat emprunte.
Ah! pour l’ordinaire,
L’Amour ne fait guère
Ce qu’il permet, ce qu’il défend;
C’est un Enfant, c’est un Enfant.
CHŒUR
C’est un Enfant, c’est un Enfant.
COLIN
III
Souvent une flâme chérie
Est celle d’un cœur ingénu:
Souvent par la coquetterie
Un cœur volage est retenu.
Ah! pour l’ordinaire...
(À la fin de chaque Couplet, le Chœur répete toujours ce vers)
C’est un Enfant, c’est un Enfant.
LE DEVIN
IV
L’Amour selon sa fantaisie,
Ordonne dispose de nous:
Ce Dieu permet la jalousie,
Et ce Dieu punit les jaloux.
Ah! pour l’ordinaire...
COLIN
V
A voltiger de belle en belle,
On perd souvent l’heureux instant;
Souvent un Berger trop fidelle
Est moins aime qu’un inconstant.
Ah! pour l’ordinaire...
COLETTE
VI
A son caprice on est en butte,
Il veut les ris, il veut les pleurs;
Par les.... par les....
COLIN
(lui aidant À lire)
Par les rigueurs on le rebutte.
COLETTE
On l’affoiblit par les faveurs.
COLIN, COLETTE
Ah! pour l’ordinaire,
L’Amour ne fait guère
Ce qu’il permet, ce qu’il défend;
C’est un Enfant, c’est un Enfant.
CHŒUR.
C’est un Enfant; c’est un Enfant.
(On danse)
COLETTE
Avec l’objet de mes amours,
Rien ne m’afflige, tout m’enchante;
Sans cesse il rit, toujours je chante:
C’est une chaîne d’heureux jours.
Quand on fait bien aimer,
que la vie est charmante !
Tel, au milieu des fleurs
qui brillent sur son cours,
Un doux ruisseau coule serpente.
Quand on fait bien aimer,
que la vie est charmante!
(On danse)
Allons danser sous les ormeaux,
Animez-vous jeunes fillettes:
Allons danser sous les ormeaux,
Galans prenez vos chalumeaux.
LES VILLAGEOISES
(repentent ces quatre vers)
COLETTE
Répétons mille chansonnettes,
Et pour avoir le cœur joyeux,
Dansons avec nos amoureux,
Mais n’y restons jamais seulettes.
Allons danser sous les ormeaux...
LES VILLAGEOISES.
Allons danser sous les ormeaux...
COLETTE
A la Ville on fait bien plus de fracas;
Mais sont-ils aussi gais dans leurs ébats?
Toujours contens,
Toujours chantans;
Beauté sans fard,
Plaisir sans art;
Tous leurs Concerts
valent-ils nos musettes?
Allons danser sous les ormeaux...
LES VILLAGEOISES.
Allons danser sous les ormeaux...
Scène Première
(Le Théâtre représente d’un cote la Maison du Devin, de l’autre des Arbres des Fontaines, dans le fond un Hameau. Colette soupirant, s’essuyant les yeux de son tablier)
COLETTE
J’ai perdu mon serviteur;
Colin me délaisse.
Hélas, il a pu charter!
Je voudrois n’y plus songer:
J’y songe sans cesse.
J’ai perdu mon serviteur;
J’ai perdu toit mon bonheur,
Colin me délaisse.
Il m’aimoit autrefois, ce fut mon malheur.
Mais quelle est donc celle qu’il me préfere!
Elle est donc bien charmante!
imprudente Bergere,
Ne crains-tu point les maux
que j’éprouve en ce jour?
Colin m’a pu changer;
tu peux avoir ton tour.
Que me sert d’y rêver sans cesse?
Rien ne peut guérir mon amour,
Et tout augmente ma tristesse.
J’ai perdu mon serviteur;
J’ai perdu tout mon bonheur,
Colin me délaisse.
Je veux le hair....je le dois....
Peut-être il m’aime encor...
pourquoi me fuir sans cesse?
Il me cherchoit tant autrefois.
Le Devin du canton fait ici sa demeure;
Il fait tout;
il faura le sort de mon amour:
Je le vois, je veux m’éclaircir en ce jour.
Scène Seconde
(Le Devin, Colette. Tandis que le Devin s’avance gravement, Colette compte dans sa main de la monnoie; puis elle la plie dans un papier, la présente au Devin, après avoir un peu hésite à l’aborder)
COLETTE
(d’un air timide)
Perdrai-je Colin sans retour?
Dites-moi s’il faut que je meure.
LE DEVIN
(gravement)
Je lis dans votre cœur, j’ai lu dans le sien.
COLETTE
O Dieux!
LE DEVIN.
Modérez-vous.
COLETTE
Eh bien?
LE DEVIN.
Colin....
Vous est infidèle.
COLETTE
Je me meurs.
LE DEVIN.
Et pourtant, il vous aime toujours.
COLETTE
(vivement)
Que dites-vous?
LE DEVIN.
Plus adroite moins belle,
La Dame de ces lieux....
COLETTE
Il me quitte pour elle!
LE DEVIN.
Je vous l’ai déjà dit, il vous aime toujours.
COLETTE
(tristement)
Et toujours il me fuit.
LE DEVIN.
Comptez sur mon secours.
Je pretends à vos pieds
ramener le volage.
Colin veut être brave, il aime à se parer:
Sa vanité vous a fait un outrage
Que son amour doit réparer.
COLETTE
Si des galans de la ville
J’eusse écoute les discours,
Ah! qu’il m’eut été facile
De former d’autres amours!
Mise en riche Demoiselle
Je brillerois tous les jours;
De rubans de dentelle
Je chargerois mes atours.
Pour l’amour de l’infidelle
J’ai refuse mon bonheur,
J’aimois mieux être moins belle
Et lui conserver mon cœur.
LE DEVIN.
Je vous rendrai le sien, ce sera mon ouvrage.
Vous, à le mieux garder
appliquez tous vos soins;
Pour vous faire aimer davantage,
Feignez d’aimer un peu moins.
L’amour croit s’il s’inquiette;
Il s’endort s’il est content:
La Bergere un peu coquette
Rend le Berger plus constant.
COLETTE
A vos sages leçons
Colette s’abandonne.
LE DEVIN.
Avec Colin prenez un autre ton.
COLETTE
Je feindrai d’imiter l’exemple qu’il me donne.
LE DEVIN.
Ne l’imitez pas tout de bon;
Mais qu’il ne puisse le connoître.
Mon art m’apprend qu’il va paroître,
Je vous appellerai quand il en sera tems.
Scène Troisième
LE DEVIN.
J’ai tout su de Colin,
ces pauvres enfans
Admirent tous les deux la science profonde
Qui me fait deviner
tout ce qu’ils m’ont appris,
Leur amour à propos en ce jour me seconde;
En les rendant heureux, il faut que je confonde
De la Dame du lieu les airs les mépris.
Scène Quatrième
(Le Devin, Colin)
COLIN
L’amour vos leçons
m’ont enfin rendu sage;
Je préfere Colette à des biens superflus:
Je sus lui plaire en habit de village;
Sous un habit dore qu’obtiendrois-je de plus?
LE DEVIN.
Colin, il n’est plus tems,
Colette t’oublie.
COLIN
Elle m’oublie, o Ciel!
Colette a pu changer!
LE DEVIN.
Elle est femme, jeune jolie;
Manqueroit-elle a se venger?
COLIN
Non, Colette n’est point trompeuse;
Elle m’a promis sa foi:
Peut-elle être l’Amoureuse
D’un autre Berger que moi?
LE DEVIN
Ce n’est point un Berger qu’elle préfere à toi,
C’est un beau Monsieur de la Ville.
COLIN
Qui vous l’a dit?
LE DEVIN
(avec emphase)
Mon art.
COLIN
Je n’en saurois douter.
Hélas qu’il m’en va coûter
Pour avoir été trop facile
A m’en laisser conter par les Dames de Cour!
Aurois-je donc perdu Colette sans retour?
LE DEVIN.
On sert mal à la fois fortune l’Amour.
D’être si beau garçon quelquefois il en coûte.
COLIN
De grace, apprenez-moi le moyen d’éviter
Le coup affreux que je redoute.
LE DEVIN.
Laisse-moi seul un moment consulter.
(Le Devin tire de sa poche un Livre de grimoire un petit bâton de Jacob, avec lesquels il fait un charme. De jeunes Paysannes qui venoient le consulter, laissent tomber leurs presens, se sauvent toutes effrayées en voyant ses contorsions)
Le charme est fait.
Colette en ce lieu va se rendre;
Il faut ici l’attendre.
COLIN
A l’appaiser pourrai-je parvenir?
Hélas, voudra-t-elle m’entendre?
LE DEVIN.
Avec un cœur fidele tendre
On a droit de tout obtenir.
(A part)
Sur ce qu’elle doit dire allons la prévenir.
Scène Cinquième
COLIN
Je vais revoir ma charmante Maîtresse.
Adieu châteaux, grandeurs, richesse,
Votre éclat ne me tente plus.
Si mes pleurs, mes soins assidus
Peuvent toucher ce que j’adore,
Je vous verrai renaître encore
Doux momens que j’ai perdus.
Quand on fait aimer dc plaire
A-t’on besoin d’autre bien!
Rends-moi ton cœur ma Bergere,
Colin t’a rendu le sien.
Mon chalumeau, ma houlette,
Soyez mes seules grandeurs;
Ma parure est ma Colette,
Mes trésors sont ses faveurs.
Que de seigneurs d’importance
Voudroient bien avoir sa foi!
Malgré toute leur puissance,
Ils sont moins heureux que moi.
Scène Sixième
(Colin, Colette parée)
COLIN
(à part)
Je l’apperçois...
Je tremble en m’offrant À sa vue....
Sauvons-nous....Je la perds si je fuis....
COLETTE
(À part)
Il me voit....Que je suis émue!
Le cœur me bat....
COLIN
Je ne sais ou j’en suis.
COLETTE
Trop près, sans y songer,
je me suis approchée.
COLIN
Je ne puis m’en dédire, il la faut aborder.
(A Colette, d’un ton radouci, d’un air moitié riant, moitié embarrasse)
Ma Colette....êtes-vous fâchée?
Je suis Colin: daignez me regarder.
COLETTE
(osant À peine jetter les yeux sur lui)
Colin m’aimoit: Colin m’etoit fidelle:
Je vous regarde, ne vois plus Colin.
COLIN
Mon cœur n’a point change;
mon erreur trop cruelle
Venoit d’un sort jette par quelque esprit malin:
Le Devin l’a détruit; je suis, malgré l’envie,
Toujours Colin, toujours plus amoureux.
COLETTE
Par un sort, À mon tour,
je me sens poursuivie.
Le Devin n’y peut rien.
COLIN
Que je suis malheureux!
COLETTE
D’un amant plus constant....
COLIN
Ah! de ma mort suivie
Votre infidélité....
COLETTE
Vos soins sont superflus;
Non, Colin, je ne t’aime plus.
COLIN
Ta foi ne m’est point ravie;
Non, consulte mieux ton cœur:
Toi-même en m’ôtant la vie
Tu perdrois tout ton bonheur.
COLETTE
(A part)
Hélas!
(À Colin)
Non vous m’avez trahie,
Vos soins sont superflus:
Non, Colin, je ne t’aime plus.
COLIN
C’en est donc fait; vous voulez que je meure;
Et je vais pour jamais rn’éloigner du hameau.
COLETTE
(rappellant Colin qui s’éloigne lentement)
Colin?
COLIN
Quoi?
COLETTE
Tu me suis?
COLIN
Faut-il que je demeure
Pour vous voir un amant nouveau?
COLETTE
Tant qu’a mon Colin j’ai su plaire,
Mon sort combloit mes desirs.
COLIN
Quand je plaisois À ma Bergere,
Je vivois dans les plaisirs.
COLETTE
Depuis que son cœur me méprise
Un autre a gagne le mien.
COLIN
Après le doux nœud quelle brise
Seroit-il un autre bien?
(D’un ton pénétré)
Ma Colette se dégage!
COLETTE
Je crains un amant volage.
COLETTE, COLIN
Je me dégage À mon tour.
Mon cœur, devenu paisible,
Oubliera, s’il est possible,
Que tu lui fus cher/chere un jour.
COLIN
Quelque bonheur qu’on me promette
Dans les nœuds qui me sont offerts,
J’eusse encor préféré Colette
A tous les biens de l’Univers.
COLETTE
Quoi qu’un Seigneur jeune, aimable,
Me parle aujourd’hui d’Amour,
Colin m’eut semble préférable
A tout l’éclat de la Cour.
COLIN
(tendrement)
Ah Colette!
COLETTE
(avec un soupir)
Ah! Berger volage,
Faut-il t’aimer malgré moi?
(Colin se jette aux pieds de Colette; elle lui fait remarquer à son chapeau un Ruban fort riche qu’il a reçu de la Dame. Colin le jette avec dédain. Colette lui en donne un plus simple, dont elle etoit parée, qu’il reçoit avec transport)
COLIN, COLETTE
A jamais Colin je t’engage/t’engage
Mon/ Son cœur ma/sa foi.
Qu’un doux mariage
M’unisse avec toi.
Aimons toujours sans partage,
Que l’Amour soit notre loi.
A jamais...
Scène Septième
(Le Devin, Colin, Colette)
LE DEVIN.
Je vous ai délivrés d’un cruel maléfice;
Vous vous aimez encor malgré les envieux.
COLIN
(Ils offrent chacun un présent au Devin)
Quel don pourroit jamais payer un tel service?
LE DEVIN
(recevant des deux mains)
Je suis assez paye si vous êtes heureux.
Venez jeunes Garçons, venez aimables Filles,
Rassemblez-vous, venez les imiter;
Venez galans Bergers,
venez beautés gentilles
En chantant leur bonheur
apprendre À le goûter.
Scène Dernière
(Le Devin, Colin, Colette. Garçons Filles du Village.)
CHŒUR.
Colin revient À sa Bergere;
Célébrons un retour si beau.
Que leur amitié sincere
Soit un charme toujours nouveau.
Du Devin de notre Village
Chantons le pouvoir éclatant:
Il ramene un Amant volage,
Et le rend heureux constant.
(On danse)
COLIN
Dans ma cabane obscure
Toujours soucis nouveaux;
Vent, Soleil, ou froidure,
Toujours peine travaux.
Colette ma Bergere
Si tu viens l’habiter,
Colin dans sa chaumière
N’a rien À regretter.
Des champs, de la prairie
Retournant chaque soir,
Chaque soir plus chérie
Je viendrai te revoir:
Du Soleil dans nos plaines
Devançant le retour,
Je charmerai mes peines
En chantant notre Amour.
(On danse une pantomime)
LE DEVIN.
Il faut tous À l’envi
Nous signaler ici;
Si je ne puis fauter ainsi,
Je dirai pour ma part
une Chanson nouvelle.
(Il tire une Chanson de sa poche)
I
L’art À l’Amour est favorable,
Et sans art l’Amour fait charmer;
A la Ville on est plus aimable,
Au Village on fait mieux aimer
Ah! pour l’ordinaire,
L’Amour ne fait guère
Ce qu’il permet., ce qu’il défend;
C’est un Enfant, c’est un Enfant.
COLIN
(avec le Chœur répete le refrain)
Ah! pour l’ordinaire,
L’Amour ne fait guère
Ce qu’il permet, ce qu’il défend;
C’est un Enfant, c’est un Enfant.
(Regardant la Chanson)
Elle a d’autres Couplets!
je la trouve assez belle.
COLETTE
(avec empressement)
Voyons, voyons;
nous chanterons aussi.
(Elle prend la Chanson)
II
Ici de la simple Nature,
L’Amour suit la naïveté;
En d’autres lieux de la parure
Il cherche l’éclat emprunte.
Ah! pour l’ordinaire,
L’Amour ne fait guère
Ce qu’il permet, ce qu’il défend;
C’est un Enfant, c’est un Enfant.
CHŒUR
C’est un Enfant, c’est un Enfant.
COLIN
III
Souvent une flâme chérie
Est celle d’un cœur ingénu:
Souvent par la coquetterie
Un cœur volage est retenu.
Ah! pour l’ordinaire...
(À la fin de chaque Couplet, le Chœur répete toujours ce vers)
C’est un Enfant, c’est un Enfant.
LE DEVIN
IV
L’Amour selon sa fantaisie,
Ordonne dispose de nous:
Ce Dieu permet la jalousie,
Et ce Dieu punit les jaloux.
Ah! pour l’ordinaire...
COLIN
V
A voltiger de belle en belle,
On perd souvent l’heureux instant;
Souvent un Berger trop fidelle
Est moins aime qu’un inconstant.
Ah! pour l’ordinaire...
COLETTE
VI
A son caprice on est en butte,
Il veut les ris, il veut les pleurs;
Par les.... par les....
COLIN
(lui aidant À lire)
Par les rigueurs on le rebutte.
COLETTE
On l’affoiblit par les faveurs.
COLIN, COLETTE
Ah! pour l’ordinaire,
L’Amour ne fait guère
Ce qu’il permet, ce qu’il défend;
C’est un Enfant, c’est un Enfant.
CHŒUR.
C’est un Enfant; c’est un Enfant.
(On danse)
COLETTE
Avec l’objet de mes amours,
Rien ne m’afflige, tout m’enchante;
Sans cesse il rit, toujours je chante:
C’est une chaîne d’heureux jours.
Quand on fait bien aimer,
que la vie est charmante !
Tel, au milieu des fleurs
qui brillent sur son cours,
Un doux ruisseau coule serpente.
Quand on fait bien aimer,
que la vie est charmante!
(On danse)
Allons danser sous les ormeaux,
Animez-vous jeunes fillettes:
Allons danser sous les ormeaux,
Galans prenez vos chalumeaux.
LES VILLAGEOISES
(repentent ces quatre vers)
COLETTE
Répétons mille chansonnettes,
Et pour avoir le cœur joyeux,
Dansons avec nos amoureux,
Mais n’y restons jamais seulettes.
Allons danser sous les ormeaux...
LES VILLAGEOISES.
Allons danser sous les ormeaux...
COLETTE
A la Ville on fait bien plus de fracas;
Mais sont-ils aussi gais dans leurs ébats?
Toujours contens,
Toujours chantans;
Beauté sans fard,
Plaisir sans art;
Tous leurs Concerts
valent-ils nos musettes?
Allons danser sous les ormeaux...
LES VILLAGEOISES.
Allons danser sous les ormeaux...