ACTE QUATRIÈME

▼Premier Tableau▲

(Chez Anne Boleyn. Un salon dans le goût de la Renaissance anglaise. Au lever du rideau, dames et seigneurs répètent, au fond du théâtre, les pas d'un ballet galant en l'honneur du roi dont c'est la fête native. Anne préside à cette répétition)

▼Scène I▲

(Anne, Norfolk, Surrey, Seigneurs, Dames Sur une musique de scène, la danse se poursuit dans le fond. Anne suit avec intérêt et fait des signes d'assentiment. Pendant ce temps-là, Norfolk et Surrey viennent causer dans un coin en avant)

▼NORFOLK▲
(à Anne)
Bravo! du divertissement
Le roi, je crois, sera content.

(à Surrey mystérieusement)

Avez-vous remarqué l'humeur sombre et farouche
Du roi depuis le jour de son nouvel hymen?

▼SURREY▲
Certes! Les mots amers montent seuls à sa bouche
Et vers nous, ses amis, ne se tend plus sa main.

▼NORFOLK▲
On dirait qu'un secret dans son ombre l'entraîne.

▼SURREY▲
Mieux encore! On dirait qu'il doute de la reine.

▼NORFOLK▲
(avec effroi)
Taisez-vous!

▼SURREY▲
Anne, hélas! sent aussi bien que nous
Qu'un mal mystérieux tourmente son époux.
Elle sourit ici, mais chez elle, elle pleure!
Tout lui fait peur: - Tenez, le roi qui, tout à l'heure
Devait venir, n'est pas venu - nouvel effroi!

▼NORFOLK▲
Elle a raison de craindre: elle connaît le roi!

▼SURREY▲
Sait-on ce que devient la reine Catherine?

▼NORFOLK▲
Au château de Kimbolt elle languit, chagrine
Et bien près de mourir. - On m'a même conté
Que le roi s'informait beaucoup de sa santé.

▼SURREY▲
C'est un peu tard, vraiment, pour s'inquiéter d'elle.

▼NORFOLK▲
Il punit celle-là d'avoir été fidèle!

(Bravos dans le fond. Les deux seigneurs se prennent le bras et rentrent dans les groupes.)

▼UN HUISSIER▲
(annonçant)
Monsieur l'ambassadeur d'Espagne!

(Mouvement de surprise.)

▼Scène II

(Les mêmes, Don Gomez)

▼ANNE▲
(avec terreur)
Encore lui!
Que vient-il faire à la cour aujourd'hui?
Rien qu'à le voir mon sang se glace.

▼DON GOMEZ▲
(entrant en saluant)
Salut, messieurs!

(apercevant Anne)

Pardon, madame, mais de grâce
Si je vous trouble, excusez-moi.
On m'avait dit qu'ici je trouverais le roi
À qui j'apportais un message
De dame Catherine...

▼ANNE▲
Ô ciel!

(aux dames et seigneurs)

Éloignez-vous
Un instant seulement.

(Les dames et seigneurs obéissent, en chantant en sourdine.)

▼SURREY ET NORFOLK▲
Depuis ce mariage
Tout est mystère autour de nous.

▼Scène III▲

(Anne, Don Gomez)

▼ANNE▲
(fiévreusement)
Vous venez pour me perdre ici?

▼DON GOMEZ▲
Qui? Moi, Madame?
Vous perdre? Et pourquoi donc? Sachez que, dans
mon âme, La haine est morte avec l'amour.

▼ANNE▲
Mais ce message de la reine?

▼DON GOMEZ▲
Contient les vœux qu'elle adresse en ce jour
À celui qui l'aima.

▼ANNE▲
Mais qui me rend certaine
Qu'il ne renferme rien de plus?

▼DON GOMEZ▲
En vérité,
Que voulez-vous donc qu'il contienne?

▼ANNE▲
Et, que sais-je!... Un message, et par vous apporté,
À raison, m'est suspect. N'avez-vous pas encore
Des armes contre moi?

▼DON GOMEZ▲
Des armes?

▼ANNE▲
Oui, vraiment
Mes lettres d'autrefois.

▼DON GOMEZ▲
Ce que le feu dévore
Ne trahit plus le faux serment
Et les promesses violées.

▼ANNE▲
(joyeusement)
Ainsi vous les avez brûlées?

▼DON GOMEZ▲
Toutes!

▼ANNE▲
Toutes!... Et celle aussi
Qui décida votre arrivée ici
En qualité d'ambassadeur?

▼DON GOMEZ▲
Non, celle-ci
Existe encore.

▼ANNE▲
(avec terreur)
Où donc est-elle?

▼DON GOMEZ▲
Dans les mains de la reine.

▼ANNE▲
Hélas!
Terreur mortelle!

(Henry apparaît.)

▼Scène IV▲

(Les mêmes, Henry)

▼HENRY▲
(à part)
Elle encore avec lui! Nous allons bien savoir...

(à Anne, brusquement)

Madame, laissez-nous.

▼ANNE▲
(se retirent tremblante)
Je n'ai plus qu'un espoir.

▼Scène V▲

(Henry, Don Gomez)

▼HENRY▲
(durement)
Après ce qui s'était passé, monsieur, naguère,
Ne soyez pas surpris si je n'espérais guère
Vous revoir en ces lieux. D'ailleurs, sachez-le bien,
Si vous avez gardé ce poste en Angleterre,
Pour ce nouveau bienfait vous ne me devez rien.
C'est que j'avais besoin de vous pour un mystère
Que je veux pénétrer.

▼DON GOMEZ▲
(froidement)
Sire, de mon côté
Si j'ai gardé le poste autrefois accepté,
C'est qu'un dernier devoir à cette cour m'enchaîne,
Étante seul ami de celle qui fut reine.

▼HENRY▲
(se radoucissant subitement)
De dame Catherine, en effet, parlez-moi.

▼DON GOMEZ▲
D'un message pour vous je suis chargé par elle.

▼HENRY▲
Parlez.

▼DON GOMEZ▲
Si ma mémoire est en tous points fidèle,
Voici ce qu'elle a dit en pleurant: «Ô mon roi!
Bien qu'étant par vous délaissée,
Je ne veux pas laisser passer ce jour
Sans vous dire que ma pensée
Vous reste encore fidèle sans retour!
Mes tristes vœux et ma prière
Gémissants montent vers les cieux,
Et je vous bénirai jusqu'à l'heure dernière
Qui bientôt fermera mes yeux.»

▼HENRY▲
Pauvre reine vraiment! Son discours fait revivre
Plus ardent le désir que j'ai de la revoir.

▼DON GOMEZ▲
(saluant)
Je me retire donc.

▼HENRY▲
Non pas! Veuillez me suivre.

▼DON GOMEZ▲
Pourquoi, sire?

▼HENRY▲
(d'un accent menaçant)
À Kimbolt vous allez le savoir.

(à part)

Qui sait si le secret que je cherche n'est pas
Aux mains de Catherine? Ensemble seuls là-bas,
Elle doit tout savoir, car il doit tout lui dire.
La reine est Espagnole, et malgré sa bonté,
L'ardeur de se venger d'Anne peut la conduire
À me dire la vérité.

▼DON GOMEZ▲
(à part)
Quel dessein à Kimbolt l'entraîne?
Que peut-il vouloir à la reine?
J'ai peur de sa fausse bonté...
Pour un crime nouveau quel démon l'a tenté?

▼HENRY▲
(à part)
Enfin ma vengeance est prochaine!
Je ferai bien parler la reine
Par la rigueur ou la bonté.
Car je veux aujourd'hui savoir la vérité!

▼Deuxième Tableau▲

(Dans la retraite de Catherine à Kimbolt)

▼Scène I▲

(Au lever du rideau, la reine est assise auprès d'une haute cheminée. Chant du dehors où le peuple célèbre le jour natal de Henry VIII)

▼CHŒUR DU PEUPLE▲
(au dehors)
Vive notre roi!
En ce jour prospère,
Naquit notre père,
Du méchant l'effroi!

▼CATHERINE▲
(tristement)
Ô souvenirs cruels! Là-bas, dans ma patrie
Le nom du roi mon père était ainsi fêté!
Tout me parle de toi dans ma captivité,
Ô berceau de mes jours, mon Espagne chérie!
Je ne te reverrai jamais,
Ô douce terre où je suis née!
Au destin qui m'a condamnée
Sans révolte je me soumets.
Mais du moins garde à ma mémoire
Un souvenir plein de pitié,
Ô pays d'amour et de gloire
Que je n'ai jamais oublié!
La mort m'eût été moins amère
Si, comme autrefois, le sommeil,
Je l'avais trouvée, ô ma mère,
Sur ton sein fécond et vermeil.
Comme un soldat vaincu je tombe
Sur une terre de douleurs...
Ceux-là sont heureux dont la tombe
De leur berceau garde des fleurs.

(Sur un appel de Catherine, ses femmes entrent)

▼Scène II▲

(Catherine, ses Femmes)

▼CATHERINE▲
(les appelant autour d'elle et leur distribuant des bijoux)
Chère filles venez! Prête à quitter la terre,
Je veux que vous gardiez un souvenir de moi...
À toi cet anneau d'or, cette croix est pour toi,
Gardez de mon amour cette preuve dernière.

(prenant un livre d'heures et y mettant une lettre qu'elle a tirée du coffret où étaient ses bijoux.)

(à apart)

Quant au livre où je lis chaque soir ma prière,
Il est pour Don Gomez. Il y retrouvera
Cet écrit que j'y mets et que lui seul lira,
La preuve de l'amour que lui donna l'infâme
Qui m'a pris mon époux et tortura son âme!

▼UNE FEMME▲
(entrant)
Reine, une femme est là, qui, sous son voile, attend
L'heure de vous parler.

▼CATHERINE▲
(éloignant ses femmes)
Qu'on nous laisse un instant!
Qui sait, quelque douleur confiante à la mienne...

(Les femmes s'éloignent. Anne voilée; à Anne)

Entrez, vous qui souffrez sans doute... car ici
C'est le triste séjour du deuil et du souci.

(Anne soulève son voile.)

▼Scène III▲

(Catherine, Anne)

▼CATHERINE▲
(après avoir poussé un cri de surprise et d'indignation)
Anne! venez-vous donc pour me braver encore?

▼ANNE▲
(humblement)
Vous braver! non! je vous implore.

▼CATHERINE▲
Et de moi que voulez-vous donc?

▼ANNE▲
Rien qu'un mot de pardon.

▼CATHERINE▲
Vous pardonner! jamais!

▼ANNE▲
Ce n'est pas à la reine
Que j'ai parle, mais c'est à la chrétienne.

▼CATHERINE▲
La chrétienne au Seigneur demandera l'oubli.

▼ANNE▲
Ah! connaissez du moins le remords qui m'accable.

▼CATHERINE▲
Que me fait le remords
D'un mal irréparable,
Laissez dormir en paix mon cœur enseveli.

▼ANNE▲
Mon crime est sans appel, mais du roi d'Angleterre
Le trône m'apparut... un vertige me prit...
Et mon rêve immola mon cœur à mon esprit,
Car moi j'aimais aussi, mais d'un amour sans crime...

▼CATHERINE▲
(durement)
C'est vrai, je ne fus pas votre seule victime,
Et votre main perça du même coup deux cœurs;
Mais vous ne l'aimiez pas celui dont la blessure
Saigne encore aujourd'hui sous vos mépris vainqueurs!
Vous ne l'aimiez pas, j'en suis sûre!

▼ANNE▲
(humblement)
Hélas! qui moins que vous, madame, en douterait?
N'avez-vous donc pas mon secret...

▼CATHERINE▲
Quel secret?

▼ANNE▲
(avec embarras)
Mais la preuve entre vos mains laissée
De l'amour que Gomez m'inspirait autrefois!

▼CATHERINE▲
(avec des éclats d'indignation)
Ah! je comprends enfin pourquoi je te revois!
Tu viens ici, par la terreur poussée,
M'arracher cette preuve et, pour l'anéantir
Me parler de ton repentir.
Dis donc que je n'ai pas deviné ta pensée!

▼ANNE▲
(suppliante et s'humiliant)
Je suis folle! j'ai peur, peur de vous, peur du roi,
Ah! je vous en supplie, ayez pitié de moi!
Rendez-moi cette lettre.

▼CATHERINE▲
(avec colère)
Eh bien non! misérable!
Non, non, fille sans cœur!

(Elle va à son livre d'heures et en retire la lettre)

Regarde, le voilà
Cet écrit qui te perd, et me fait redoutable!...

▼ANNE▲
(à genoux et tendant la main pour s'emparer de la lettre)
Ah! grâce!

▼CATHERINE▲
(reculant et impitoyable)
Et si le roi, ton époux, était là,
C'est à lui...

(Le roi apparaît suivi de Don Gomez.)

Le roi!

(Anne se relève épouvantée. Catherine froisse la lettre dans ses mains. Henry entre suivi de Don Gomez.)

▼Scène IV▲

(Anne, Catherine, Henry, Don Gomez)

▼HENRY▲
(à Anne)
Vous ici, madame!
J'en suis fort heureux sur mon âme!

(allant à Catherine et lui parlant sur le ton d'un faux repentir)

Mon cœur fut pour vous sans merci,
Madame je vous fis, avant le temps, ma veuve,
Mais je viens aujourd'hui vous demander la preuve
Que je fus lâche et fou de vous traiter ainsi,
En vous délaissant, noble femme
Honneur d'une antique maison,
Pour une créature infâme
Dont le cœur n'est que trahison.
Cette preuve en vos mains, l'avez-vous, Catherine?

▼ANNE▲
C'en est fait!

▼DON GOMEZ▲
Ciel!

▼CATHERINE▲
(froissant nerveusement la lettre entre ses mains)
Pourquoi me tentez-vous, seigneur?

▼HENRY▲
(après un silence)
Vous vous taisez?

(bas)

En torturant son cœur,
La jalousie et la douleur
La feront parler, j'imagine.

(haut)

Reine, votre silence est doux à mon amour:
Croyez à ma reconnaissance!
Il témoigne de l'innocence,
De celle que j'osais soupçonner en ce jour.

(s'approchant d'Anne avec tendresse)

Anne, pardonne-moi l'injure
Dont t'effleura mon cœur jaloux!
Ta rivale, elle-même, oubliant son courroux,
Te proclame fidèle et pure.
Anne, ma chère idole, jure
Que tu n'aimas jamais que ton époux.

▼CHŒUR▲
(en coulisses)
Chantons le jour où naquit notre Roi!

▼ANNE▲
(avec effort et tremblante)
Je n'ai jamais aimé que vous.

▼CATHERINE▲
(avec angoisse pendant que le roi l'observe)
Seigneur! Seigneur! pourquoi me tentez-vous?

▼HENRY▲
(bas)
Elle se tait!

(prenant Anne dans ses bras. Chœur joyeux du peuple au dehors)

Anne, ma bien-aimée.
Écoute donc, autour de nous
Monter dans la nuit parfumée
Ces chants harmonieux et doux!

▼CATHERINE▲
(prête à lui donner le billet)
Seigneur! seigneur, pourquoi me tentez-vous?

▼ANNE▲
(à part)
Dans mon cœur quel effroi!
Ô Dieu, conseille-moi.

▼DON GOMEZ▲
(à part)
Dans mon cœur quel effroi!
Que va faire le Roi?

▼HENRY▲
Ils disent notre amour immense
Et le bonheur qui recommence
Pour nos cœurs où renaît la foi.

▼CATHERINE▲
(qui va céder à la tentation)
Seigneur, Seigneur, ayez pitié de moi!

▼HENRY▲
Car, sache-le, mon bien suprême,
Anne, c'est toi seule que j'aime!
Je n'ai jamais aimé que toi!

▼CATHERINE▲
(à part)
Ô torture, ô suprême outrage,
Ô mal impossible à souffrir,
Je sens défaillir mon courage,
Seigneur!

▼ANNE▲
(à part)
Ô torture, ô suprême outrage,
En voyant fléchir son courage
Je me sens mourir!

▼DON GOMEZ▲
(à part)
Ô torture, ô suprême outrage,
Ô mal impossible à souffrir,
L'injure a brisé son courage,
Va-t-elle parler?

▼HENRY▲
(à part)
L'injure a brisé son courage,
Enfin tout va se découvrir.
Par cet outrage
J'ai brisé son courage.

(Il serre Anne dans ses bras. Catherine pousse un cri terrible comme si quelque chose se déchirait dans son cœur. Elle jette la lettre dans la cheminée où elle disparaît immédiatement, brûlée, et se laisse retomber presque inanimée sur un fauteuil.)

▼CATHERINE▲
(d'une voix mourante)
Auprès de tes élus, Dieu juste, accueille-moi!

(à Don Gomez, lui montrant la lettre qui brûle)

Comme moi, pardonnez!

(Elle meurt. Ses femmes accourent.)

▼HENRY▲
(qui s'est dégagé avec fureur de l'étreinte d'Anne et contemple froidement le cadavre de Catherine)
Morte avec son secret! Mais si j'apprends jamais
Qu'on s'est raillé de moi, la hache désormais!

(Il lance un regard terrible à Anne, folle de terreur)
ACTE QUATRIÈME

Premier Tableau

(Chez Anne Boleyn. Un salon dans le goût de la Renaissance anglaise. Au lever du rideau, dames et seigneurs répètent, au fond du théâtre, les pas d'un ballet galant en l'honneur du roi dont c'est la fête native. Anne préside à cette répétition)

Scène I

(Anne, Norfolk, Surrey, Seigneurs, Dames Sur une musique de scène, la danse se poursuit dans le fond. Anne suit avec intérêt et fait des signes d'assentiment. Pendant ce temps-là, Norfolk et Surrey viennent causer dans un coin en avant)

NORFOLK
(à Anne)
Bravo! du divertissement
Le roi, je crois, sera content.

(à Surrey mystérieusement)

Avez-vous remarqué l'humeur sombre et farouche
Du roi depuis le jour de son nouvel hymen?

SURREY
Certes! Les mots amers montent seuls à sa bouche
Et vers nous, ses amis, ne se tend plus sa main.

NORFOLK
On dirait qu'un secret dans son ombre l'entraîne.

SURREY
Mieux encore! On dirait qu'il doute de la reine.

NORFOLK
(avec effroi)
Taisez-vous!

SURREY
Anne, hélas! sent aussi bien que nous
Qu'un mal mystérieux tourmente son époux.
Elle sourit ici, mais chez elle, elle pleure!
Tout lui fait peur: - Tenez, le roi qui, tout à l'heure
Devait venir, n'est pas venu - nouvel effroi!

NORFOLK
Elle a raison de craindre: elle connaît le roi!

SURREY
Sait-on ce que devient la reine Catherine?

NORFOLK
Au château de Kimbolt elle languit, chagrine
Et bien près de mourir. - On m'a même conté
Que le roi s'informait beaucoup de sa santé.

SURREY
C'est un peu tard, vraiment, pour s'inquiéter d'elle.

NORFOLK
Il punit celle-là d'avoir été fidèle!

(Bravos dans le fond. Les deux seigneurs se prennent le bras et rentrent dans les groupes.)

UN HUISSIER
(annonçant)
Monsieur l'ambassadeur d'Espagne!

(Mouvement de surprise.)

Scène II

(Les mêmes, Don Gomez)

ANNE
(avec terreur)
Encore lui!
Que vient-il faire à la cour aujourd'hui?
Rien qu'à le voir mon sang se glace.

DON GOMEZ
(entrant en saluant)
Salut, messieurs!

(apercevant Anne)

Pardon, madame, mais de grâce
Si je vous trouble, excusez-moi.
On m'avait dit qu'ici je trouverais le roi
À qui j'apportais un message
De dame Catherine...

ANNE
Ô ciel!

(aux dames et seigneurs)

Éloignez-vous
Un instant seulement.

(Les dames et seigneurs obéissent, en chantant en sourdine.)

SURREY ET NORFOLK
Depuis ce mariage
Tout est mystère autour de nous.

Scène III

(Anne, Don Gomez)

ANNE
(fiévreusement)
Vous venez pour me perdre ici?

DON GOMEZ
Qui? Moi, Madame?
Vous perdre? Et pourquoi donc? Sachez que, dans
mon âme, La haine est morte avec l'amour.

ANNE
Mais ce message de la reine?

DON GOMEZ
Contient les vœux qu'elle adresse en ce jour
À celui qui l'aima.

ANNE
Mais qui me rend certaine
Qu'il ne renferme rien de plus?

DON GOMEZ
En vérité,
Que voulez-vous donc qu'il contienne?

ANNE
Et, que sais-je!... Un message, et par vous apporté,
À raison, m'est suspect. N'avez-vous pas encore
Des armes contre moi?

DON GOMEZ
Des armes?

ANNE
Oui, vraiment
Mes lettres d'autrefois.

DON GOMEZ
Ce que le feu dévore
Ne trahit plus le faux serment
Et les promesses violées.

ANNE
(joyeusement)
Ainsi vous les avez brûlées?

DON GOMEZ
Toutes!

ANNE
Toutes!... Et celle aussi
Qui décida votre arrivée ici
En qualité d'ambassadeur?

DON GOMEZ
Non, celle-ci
Existe encore.

ANNE
(avec terreur)
Où donc est-elle?

DON GOMEZ
Dans les mains de la reine.

ANNE
Hélas!
Terreur mortelle!

(Henry apparaît.)

Scène IV

(Les mêmes, Henry)

HENRY
(à part)
Elle encore avec lui! Nous allons bien savoir...

(à Anne, brusquement)

Madame, laissez-nous.

ANNE
(se retirent tremblante)
Je n'ai plus qu'un espoir.

Scène V

(Henry, Don Gomez)

HENRY
(durement)
Après ce qui s'était passé, monsieur, naguère,
Ne soyez pas surpris si je n'espérais guère
Vous revoir en ces lieux. D'ailleurs, sachez-le bien,
Si vous avez gardé ce poste en Angleterre,
Pour ce nouveau bienfait vous ne me devez rien.
C'est que j'avais besoin de vous pour un mystère
Que je veux pénétrer.

DON GOMEZ
(froidement)
Sire, de mon côté
Si j'ai gardé le poste autrefois accepté,
C'est qu'un dernier devoir à cette cour m'enchaîne,
Étante seul ami de celle qui fut reine.

HENRY
(se radoucissant subitement)
De dame Catherine, en effet, parlez-moi.

DON GOMEZ
D'un message pour vous je suis chargé par elle.

HENRY
Parlez.

DON GOMEZ
Si ma mémoire est en tous points fidèle,
Voici ce qu'elle a dit en pleurant: «Ô mon roi!
Bien qu'étant par vous délaissée,
Je ne veux pas laisser passer ce jour
Sans vous dire que ma pensée
Vous reste encore fidèle sans retour!
Mes tristes vœux et ma prière
Gémissants montent vers les cieux,
Et je vous bénirai jusqu'à l'heure dernière
Qui bientôt fermera mes yeux.»

HENRY
Pauvre reine vraiment! Son discours fait revivre
Plus ardent le désir que j'ai de la revoir.

DON GOMEZ
(saluant)
Je me retire donc.

HENRY
Non pas! Veuillez me suivre.

DON GOMEZ
Pourquoi, sire?

HENRY
(d'un accent menaçant)
À Kimbolt vous allez le savoir.

(à part)

Qui sait si le secret que je cherche n'est pas
Aux mains de Catherine? Ensemble seuls là-bas,
Elle doit tout savoir, car il doit tout lui dire.
La reine est Espagnole, et malgré sa bonté,
L'ardeur de se venger d'Anne peut la conduire
À me dire la vérité.

DON GOMEZ
(à part)
Quel dessein à Kimbolt l'entraîne?
Que peut-il vouloir à la reine?
J'ai peur de sa fausse bonté...
Pour un crime nouveau quel démon l'a tenté?

HENRY
(à part)
Enfin ma vengeance est prochaine!
Je ferai bien parler la reine
Par la rigueur ou la bonté.
Car je veux aujourd'hui savoir la vérité!

Deuxième Tableau

(Dans la retraite de Catherine à Kimbolt)

Scène I

(Au lever du rideau, la reine est assise auprès d'une haute cheminée. Chant du dehors où le peuple célèbre le jour natal de Henry VIII)

CHŒUR DU PEUPLE
(au dehors)
Vive notre roi!
En ce jour prospère,
Naquit notre père,
Du méchant l'effroi!

CATHERINE
(tristement)
Ô souvenirs cruels! Là-bas, dans ma patrie
Le nom du roi mon père était ainsi fêté!
Tout me parle de toi dans ma captivité,
Ô berceau de mes jours, mon Espagne chérie!
Je ne te reverrai jamais,
Ô douce terre où je suis née!
Au destin qui m'a condamnée
Sans révolte je me soumets.
Mais du moins garde à ma mémoire
Un souvenir plein de pitié,
Ô pays d'amour et de gloire
Que je n'ai jamais oublié!
La mort m'eût été moins amère
Si, comme autrefois, le sommeil,
Je l'avais trouvée, ô ma mère,
Sur ton sein fécond et vermeil.
Comme un soldat vaincu je tombe
Sur une terre de douleurs...
Ceux-là sont heureux dont la tombe
De leur berceau garde des fleurs.

(Sur un appel de Catherine, ses femmes entrent)

Scène II

(Catherine, ses Femmes)

CATHERINE
(les appelant autour d'elle et leur distribuant des bijoux)
Chère filles venez! Prête à quitter la terre,
Je veux que vous gardiez un souvenir de moi...
À toi cet anneau d'or, cette croix est pour toi,
Gardez de mon amour cette preuve dernière.

(prenant un livre d'heures et y mettant une lettre qu'elle a tirée du coffret où étaient ses bijoux.)

(à apart)

Quant au livre où je lis chaque soir ma prière,
Il est pour Don Gomez. Il y retrouvera
Cet écrit que j'y mets et que lui seul lira,
La preuve de l'amour que lui donna l'infâme
Qui m'a pris mon époux et tortura son âme!

UNE FEMME
(entrant)
Reine, une femme est là, qui, sous son voile, attend
L'heure de vous parler.

CATHERINE
(éloignant ses femmes)
Qu'on nous laisse un instant!
Qui sait, quelque douleur confiante à la mienne...

(Les femmes s'éloignent. Anne voilée; à Anne)

Entrez, vous qui souffrez sans doute... car ici
C'est le triste séjour du deuil et du souci.

(Anne soulève son voile.)

Scène III

(Catherine, Anne)

CATHERINE
(après avoir poussé un cri de surprise et d'indignation)
Anne! venez-vous donc pour me braver encore?

ANNE
(humblement)
Vous braver! non! je vous implore.

CATHERINE
Et de moi que voulez-vous donc?

ANNE
Rien qu'un mot de pardon.

CATHERINE
Vous pardonner! jamais!

ANNE
Ce n'est pas à la reine
Que j'ai parle, mais c'est à la chrétienne.

CATHERINE
La chrétienne au Seigneur demandera l'oubli.

ANNE
Ah! connaissez du moins le remords qui m'accable.

CATHERINE
Que me fait le remords
D'un mal irréparable,
Laissez dormir en paix mon cœur enseveli.

ANNE
Mon crime est sans appel, mais du roi d'Angleterre
Le trône m'apparut... un vertige me prit...
Et mon rêve immola mon cœur à mon esprit,
Car moi j'aimais aussi, mais d'un amour sans crime...

CATHERINE
(durement)
C'est vrai, je ne fus pas votre seule victime,
Et votre main perça du même coup deux cœurs;
Mais vous ne l'aimiez pas celui dont la blessure
Saigne encore aujourd'hui sous vos mépris vainqueurs!
Vous ne l'aimiez pas, j'en suis sûre!

ANNE
(humblement)
Hélas! qui moins que vous, madame, en douterait?
N'avez-vous donc pas mon secret...

CATHERINE
Quel secret?

ANNE
(avec embarras)
Mais la preuve entre vos mains laissée
De l'amour que Gomez m'inspirait autrefois!

CATHERINE
(avec des éclats d'indignation)
Ah! je comprends enfin pourquoi je te revois!
Tu viens ici, par la terreur poussée,
M'arracher cette preuve et, pour l'anéantir
Me parler de ton repentir.
Dis donc que je n'ai pas deviné ta pensée!

ANNE
(suppliante et s'humiliant)
Je suis folle! j'ai peur, peur de vous, peur du roi,
Ah! je vous en supplie, ayez pitié de moi!
Rendez-moi cette lettre.

CATHERINE
(avec colère)
Eh bien non! misérable!
Non, non, fille sans cœur!

(Elle va à son livre d'heures et en retire la lettre)

Regarde, le voilà
Cet écrit qui te perd, et me fait redoutable!...

ANNE
(à genoux et tendant la main pour s'emparer de la lettre)
Ah! grâce!

CATHERINE
(reculant et impitoyable)
Et si le roi, ton époux, était là,
C'est à lui...

(Le roi apparaît suivi de Don Gomez.)

Le roi!

(Anne se relève épouvantée. Catherine froisse la lettre dans ses mains. Henry entre suivi de Don Gomez.)

Scène IV

(Anne, Catherine, Henry, Don Gomez)

HENRY
(à Anne)
Vous ici, madame!
J'en suis fort heureux sur mon âme!

(allant à Catherine et lui parlant sur le ton d'un faux repentir)

Mon cœur fut pour vous sans merci,
Madame je vous fis, avant le temps, ma veuve,
Mais je viens aujourd'hui vous demander la preuve
Que je fus lâche et fou de vous traiter ainsi,
En vous délaissant, noble femme
Honneur d'une antique maison,
Pour une créature infâme
Dont le cœur n'est que trahison.
Cette preuve en vos mains, l'avez-vous, Catherine?

ANNE
C'en est fait!

DON GOMEZ
Ciel!

CATHERINE
(froissant nerveusement la lettre entre ses mains)
Pourquoi me tentez-vous, seigneur?

HENRY
(après un silence)
Vous vous taisez?

(bas)

En torturant son cœur,
La jalousie et la douleur
La feront parler, j'imagine.

(haut)

Reine, votre silence est doux à mon amour:
Croyez à ma reconnaissance!
Il témoigne de l'innocence,
De celle que j'osais soupçonner en ce jour.

(s'approchant d'Anne avec tendresse)

Anne, pardonne-moi l'injure
Dont t'effleura mon cœur jaloux!
Ta rivale, elle-même, oubliant son courroux,
Te proclame fidèle et pure.
Anne, ma chère idole, jure
Que tu n'aimas jamais que ton époux.

CHŒUR
(en coulisses)
Chantons le jour où naquit notre Roi!

ANNE
(avec effort et tremblante)
Je n'ai jamais aimé que vous.

CATHERINE
(avec angoisse pendant que le roi l'observe)
Seigneur! Seigneur! pourquoi me tentez-vous?

HENRY
(bas)
Elle se tait!

(prenant Anne dans ses bras. Chœur joyeux du peuple au dehors)

Anne, ma bien-aimée.
Écoute donc, autour de nous
Monter dans la nuit parfumée
Ces chants harmonieux et doux!

CATHERINE
(prête à lui donner le billet)
Seigneur! seigneur, pourquoi me tentez-vous?

ANNE
(à part)
Dans mon cœur quel effroi!
Ô Dieu, conseille-moi.

DON GOMEZ
(à part)
Dans mon cœur quel effroi!
Que va faire le Roi?

HENRY
Ils disent notre amour immense
Et le bonheur qui recommence
Pour nos cœurs où renaît la foi.

CATHERINE
(qui va céder à la tentation)
Seigneur, Seigneur, ayez pitié de moi!

HENRY
Car, sache-le, mon bien suprême,
Anne, c'est toi seule que j'aime!
Je n'ai jamais aimé que toi!

CATHERINE
(à part)
Ô torture, ô suprême outrage,
Ô mal impossible à souffrir,
Je sens défaillir mon courage,
Seigneur!

ANNE
(à part)
Ô torture, ô suprême outrage,
En voyant fléchir son courage
Je me sens mourir!

DON GOMEZ
(à part)
Ô torture, ô suprême outrage,
Ô mal impossible à souffrir,
L'injure a brisé son courage,
Va-t-elle parler?

HENRY
(à part)
L'injure a brisé son courage,
Enfin tout va se découvrir.
Par cet outrage
J'ai brisé son courage.

(Il serre Anne dans ses bras. Catherine pousse un cri terrible comme si quelque chose se déchirait dans son cœur. Elle jette la lettre dans la cheminée où elle disparaît immédiatement, brûlée, et se laisse retomber presque inanimée sur un fauteuil.)

CATHERINE
(d'une voix mourante)
Auprès de tes élus, Dieu juste, accueille-moi!

(à Don Gomez, lui montrant la lettre qui brûle)

Comme moi, pardonnez!

(Elle meurt. Ses femmes accourent.)

HENRY
(qui s'est dégagé avec fureur de l'étreinte d'Anne et contemple froidement le cadavre de Catherine)
Morte avec son secret! Mais si j'apprends jamais
Qu'on s'est raillé de moi, la hache désormais!

(Il lance un regard terrible à Anne, folle de terreur)
最終更新:2020年02月12日 17:39