このテンプレはポリウト方式で作成されています。
こちらの役名一覧に和訳を記載して管理人までお知らせください。

▼ACTE PREMIER▲
(Le gare du chemin de fer de l'Ouest. Rive gauche)

▼SCÈNE PREMIÈRE▲
(Employés, facteurs, buralistes)

▼CHOEUR▲
Nous sommes employés de la ligne de l'Ouest,
Qui dessert Saint-Malo, Batignolles et Brest,
Conflans, Triel, Poissy,
Barentin, Pavilly,
Vernon, Bolbec, Nointot,
Motteville, Yvetot,
Saint-Aubin, Viroflay,
Landerneau, Malaunay,
Laval, Condé, Guingamp,
Saint-Brieuc et Fécamp.
Nous sommes employés de la ligne de l'Ouest,
Qui dessert Saint-Malo, Batignolles et Brest.

(A la fin du chœur, cloche dans l'intérieur de la gare. Les facteurs et buralistes se dispersent; un des employés reste en scène. Gardefeu et Bobinet entrent au milieu du brouhaha de la sortie)

▼SCÈNE II▲
(Gardefeu, Bobinet, l'employé)

(Gardefeu et Bobinet se promènent quelques instants en s'observant l'un l'autre, puis ils s'approchent de l'employé)

▼BOBINET▲
A quelle heure arrive le train de Trouville?

▼L'EMPLOYÉ▲
Dans cinq minutes, monsieur.

▼BOBINET▲
Merci, Monsieur.

▼L'EMPLOYÉ▲
(se retournant vers Gardefeu)
Monsieur désire quelque chose?

▼GARDEFEU▲
Non, rien! J'allais justement vous demander ce que vous a demandé monsieur.

(L'employé sort)

▼SCÈNE III▲
(Bobinet, Gardefeu)

(Les deux jeunes gens continuent à s'observer; ils se promènent dans la gare et, tout en marchant, racontent l'histoire suivante; ils manœuvrent de façon à ne pas se rencontrer, mais quand, par hasard, en arpentant la scène, ils se trouvent l'un en face de l'autre, ils s'envoient des regards irrités)

▼BOBINET▲
(à part)
C'est M. Raoul de Gardefeu. Je ne le salue plus, parce qu'il m'a joué un tour.

▼GARDEFEU▲
(à part)
C'est le petit Bobinet. Il ne me salue plus, parce qu'il nous est arrivé une aventure…

▼BOBINET▲
J'étais un peu plus que du dernier bien avec Blanche Taupier. Tout Paris sait que j'ai été un peu plus que du dernier bien avec Blanche Taupier.

▼GARDEFEU▲
Blanche Taupier m'a aimé comme elle sait aimer… Tout Paris sait que Blanche Taupier m'a aimé.

▼BOBINET▲
Un matin, Blanche Taupier et moi demeurions alors tous les deux à Ville-d'Avray… Blanche me dit: Petit Bob, si nous invitions à dîner ton ami Gardefeu…

▼GARDEFEU▲
Blanche était à Ville-d'Avray; elle m'écrit: venez demain à une heure, il n'y sera pas; en sortant de chez vous, recommandez à votre domestique de dire que vous devez bientôt rentrer.

▼BOBINET▲
Je réponds: soit, invitons Gardefeu. Elle me dit: va le chercher à Paris, il est chez lui à une heure, ne reviens pas sans lui… je pars.

(Ils se rencontrent)

▼GARDEFEU▲
J'arrive à Ville-d'Avray, je trouve Blanche, je ne trouve pas Bobinet, je lui dis: comment avez-vous fait pour l'éloigner?

▼BOBINET▲
J'arrive chez Gardefeu… son domestique me dit: monsieur va rentrer à l'instant. Il était une heure; j'attends; deux heures arrivent, puis trois heures… J'attendais toujours…

▼GARDEFEU▲
Blanche me répond: j'ai pris un moyen très-simple… j'ai dit au petit Bob d'aller vous chercher à Paris, et de ne pas revenir sans vous.

▼BOBINET▲
Enfin, à quatre heures, je me décide à m'en aller tout seul, je retourne à Ville-d'Avray, et je le trouve installé.

▼GARDEFEU▲
Vers cinq heures il est revenu; je lui ai dit: tiens, pendant que tu étais chez moi, j'étais chez toi; c'est très drôle!

▼BOBINET▲
Je ne l'ai pas trouvée drôle!

▼GARDEFEU ET BOBINET▲
(ensemble)
Et voilà pourquoi nous ne nous saluons plus!

▼BOBINET▲
Après un pareil tour, vous comprenez bien que j'ai tout de suite rompu avec Blanche Taupier.

▼GARDEFEU▲
Du reste, je n'ai pas tardé à en avoir assez de Blanche Taupier.

▼BOBINET▲
Je me suis mis à adorer Métella.

▼GARDEFEU▲
J'ai fait la cour à Métella,.. Métella n'a pas été insensible.

▼BOBINET▲
Hier Métella m'a dit: je vais à Trouville voir une tante que j'ai… Je reviendrai demain…

(Il passe)

▼GARDEFEU▲
Hier Métella m'a dit: je vais à Trouville souhaiter la fête à ma marraine… je resterai vingt-quatre heures.

▼BOBINET ET GARDEFEU▲
(ensemble)
Et je viens à la gare attendre Métella.

(Cloche au dehors)

▼L'EMPLOYÉ▲
Le train de Trouville, messieurs, le train de Trouville.

(Entrent des voyageurs)

▼SCÈNE IV▲
(Les mêmes, Métella, Gontran, Voyageurs, Bobinet, Gardefeu)

▼CHOEUR DE VOYAGEURS.▲
Le ciel est noir,
Il va pleuvoir
Dans un instant, la chose est sûre!
Vite courons,
Et nous hâtons,
Ou nous n'aurons pas de voiture.

(Ils sortent en courant. Paraît Métella au bras de Gontran)

▼GARDEFEU▲
Métella!

▼BOBINET▲
Métella!

▼MÉTELLA▲
(à part)
Fichtre! je suis pincée!

▼GONTRAN.▲
Vous paraissez embarrassée, Madame, et votre bras frissonne sur mon bras.

▼BOBINET ET GARDEFEU▲
(ensemble)
Madame, en nous voyant, est surprise peut-être.

▼GONTRAN.▲
Ces deux messieurs paraissent vous connaître!

▼MÉTELLA▲
(froidement)
Ces messieurs, connais pas!

▼BOBINET ET GARDEFEU▲
parlé Vous ne nous connaissez pas?

▼MÉTELLA▲
(à Bobinet et à Gardefeu)
▼I▲
Attendez d'abord que je place
Mon lorgnon, là, sous mon sourcil,
Et maintenant voyons de face,
Voyons de trois quarts, de profil…
Eh bien, là, ne vous en déplaise,
J'ai beau du haut jusques en bas
Vous examiner à mon aise,
Connais pas, là, vrai, connais pas,
Connais pas.

▼BOBINET▲
(parlé)
Elle est violente celle-là!

▼MÉTELLA▲
(à Gontran)

▼II▲
Vous en verrez d'autres peut-être,
Mon Gontran, qui, comme ceux-ci,
Diront que je dois les connaître,
Ne les croyez pas, mon ami,
Peut-être un soir, par aventure,
Au bal ai-je accepté leur bras…
A cela près, je vous le jure,
Connais pas, là, vrai, connais pas.

(Elle sort à gauche fièrement au bras de Gontran)

▼SCÈNE V▲
(Bobinet, Gardefeu)

(Ils se regardent pendant quelque temps, puis tombent dans les bras l'un de l'autre)

▼BOBINET▲
Gardefeu!

▼GARDEFEU▲
Bobinet!

▼BOBINET▲
La trahison de Blanche Taupier nous sépara.

▼GARDEFEU▲
Que la trahison de Métella nous réunisse:

▼BOBINET▲
Eh bien, voyons, comment ça va-t-il?

▼GARDEFEU▲
Je te remercie.

▼BOBINET▲
Mais ça n'est pas tout ça, revenons à Métella, c'est une rouée!

▼GARDEFEU▲
Une vraie rouée!

▼BOBINET▲
On dit d'une femme: c'est une rouée.

▼GARDEFEU▲
Pourquoi?

▼BOBINET▲
Parce qu'elle a fait ceci et cela.

▼GARDEFEU▲
La belle affaire!

▼BOBINET▲
Mais Métella, ça n'est pas ça.

▼GARDEFEU▲
C'est autre chose.

▼BOBINET▲
A la bonne heure, quand vous voudrez me parler d'une rouée, parlez-moi de Métella… elle nous trompait…

▼GARDEFEU▲
Elle nous trompait…

▼BOBINET▲
Je m'en doutais depuis quelque temps, du reste. Il y a huit jours je l'ai regardée… là, entre les deux yeux… Quand on tient à savoir la vérité, c'est là qu'il faut regarder les femmes; donc, je l'ai regardée là, et j'ai tout de suite vu clair dans son jeu… elle ne m'aimait pas.

▼GARDEFEU▲
Crois-tu?

▼BOBINET▲
Elle se moquait de moi. Oh! mon Dieu! je ne lui en veux pas… quel plaisir une femme comme Métella peut-elle trouver dans la société d'un homme tel que moi? Nous ne parlons pas la même langue. Il y a des moments, dans la conversation, je ne sais pas si tu l'as remarqué…

▼GARDEFEU▲
Non, mon ami.

▼BOBINET▲
Attends donc, tu ne sais pas ce que je veux dire. Il y a des moments où j'aime à aborder des questions élevées… il n'y a pas… on aurait beau me tenir… il faut absolument que j'aborde…

▼GARDEFEU▲
Je l'ai remarqué, Bobinet.

▼BOBINET▲
Ça a fini par assommer Métella, et alors… tant mieux, du reste… sa conduite me décide à mettre tout de suite à exécution un projet que j'avais formé. Il y a longtemps que les femmes du monde, je ne sais pas si tu as remarqué ça…

▼GARDEFEU▲
Non.

▼BOBINET▲
Attends donc, tu ne sais pas ce que je veux dire. Donc, il y a longtemps que les femmes du monde se plaignent d'être délaissées par les jeunes gens à la mode… je trouve qu'elles ont raison, et je suis décidé à revenir à elles.

▼GARDEFEU▲
Tu n'as peut-être pas tort.

▼BOBINET▲
Tel que tu me vois, je voudrais être le chef d'un grand mouvement qui ramènerait la jeunesse brillante dans les hôtels du grand monde.

▼I▲
Elles sont tristes, les marquises,
De nous voir, fuyant leur salon,
Aller faire un tas de bêtises
Chez des femmes de mauvais ton.
Les ingrats, disent les pauvrettes,
Chez nous ne trouveraient-ils pas,
Chez nous autres, femmes honnêtes,
Des plaisirs bien plus délicats?
Allons-y donc, et dès demain
Repeuplons les salons du faubourg Saint-Germain!

▼BOBINET ET GARDEFEU▲
(ensemble)
Allons-y donc, et dès demain, etc., etc.

▼BOBINET▲

▼II▲
Et puis, cher, ce qui me décide
A quitter le monde galant,
C'est que ma bourse est vide, vide
Vide, que c'en est désolant!
Or, pour peu qu'on y réfléchisse,
Quand on n'a pas le sou, vois-tu,
Il est temps de lâcher le vice
Pour revenir à la vertu.
Allons-y donc, et dès demain,
Repeuplons les salons du faubourg Saint-Germain.

▼BOBINET ET GARDEFEU▲
(ensemble)
Allons-y donc, et dès demain, etc., etc.

▼BOBINET▲
Et maintenant, rue de Varennes, chez la petite comtesse Diane de la Roche-Trompette! Adieu, bon! à bientôt!… Dis donc, où vais-je en ce moment?… repeupler les salons du faubourg Saint-Germain.

(Bobinet sort)

▼SCÈNE VI▲

▼GARDEFEU▲
(seul)
Être l'amant d'une femme du monde… ce n'est pas une mauvaise idée. Mais il faudrait trouver une femme du monde qui consentît à être ma maîtresse! le problème est là… Où pourrais-je trouver?
(Entre Joseph)
J'en connaissais une autrefois, qui s'appelait madame de Beaupertuis, elle montrait un mari et se disait baronne. Mais était-elle du monde?

▼SCÈNE VII▲
(Gardefeu, Joseph)

▼JOSEPH▲
Non, monsieur, elle n'en était pas.

▼GARDEFEU▲
Joseph, mon ancien domestique.

▼JOSEPH▲
Moi-même. Trop heureux de m'être trouvé là pour donner à monsieur ce petit renseignement.

▼GARDEFEU▲
Et qu'est-ce que tu viens faire ici?…

▼JOSEPH▲
Je ne suis plus domestique, monsieur, je suis guide.

▼GARDEFEU▲
Guide!…

▼JOSEPH▲
Oui guide… cicerone… attaché au Grand-Hôtel… c'est moi qui suis chargé de promener les étrangers dans Paris et de leur détailler les beautés de la capitale.

▼GARDEFEU▲
Et tu attends des voyageurs…

▼JOSEPH▲
Oui, monsieur… j'attends un baron suédois, qui doit arriver par le premier train… un baron suédois accompagné de sa femme.

▼GARDEFEU▲
Une baronne suédoise!

▼JOSEPH▲
Naturellement.

▼GARDEFEU▲
Une baronne suédoise, mais c'est une femme du monde.

▼JOSEPH▲
J'aime à le croire, monsieur.

▼GARDEFEU▲
C'est le ciel qui me l'envoie!… Joseph…

▼JOSEPH▲
Monsieur…

▼GARDEFEU▲
Ce baron et cette baronne, ils ne te connaissent pas…

▼JOSEPH▲
Pas du tout; ils ont envoyé une dépêche à l'hôtel, et c'est moi que l'on a chargé…

▼GARDEFEU▲
Rien ne s'opposerait alors à ce que je poisse ta place…

▼JOSEPH▲
Rien du tout, si j'y consentais…

▼GARDEFEU▲
Et tu y consentiras, bon Joseph, moyennant une honnête rétribution.

▼JOSEPH▲
Soit, monsieur. Je vous céderai mon baron et ma baronne, contre indemnité…

▼GARDEFEU▲
Le baron… le baron… je n'y tiens pas… Je ne pourrais pas prendre la baronne seulement?

▼JOSEPH▲
Oh! non, monsieur… c'est un lot, il faut tout prendre ou rien.

▼GARDEFEU▲
Va pour le lot, je prends tout, mais comment les reconnaîtrai je?

▼JOSEPH▲
C'est mon affaire. Je vais aller dans la gare les recevoir, au sortir du train. Je vous les amène et vous en ferez ce que vous voudrez.

▼GARDEFEU▲
Va, bon Joseph, va, je serai leur guide.

▼JOSEPH.▲
Décidément?

▼GARDEFEU▲
Oui, décidément.

▼JOSEPH.▲
Eh bien, alors, voici une lettre qu'on a envoyée pour la baronne au Grand-Hôtel. Vous aurez à la remettre.

▼GARDEFEU▲
Va me chercher mes Suédois.

▼JOSEPH▲
J'y vais, monsieur, j'y vais.

(Il sort)

▼SCÈNE VIII▲

▼GARDEFEU▲
(seul)
Comme c'est drôle! une femme que je ne connais pas, et je suis ému en l'attendant!

▼I▲
Ce que c'est pourtant que la vie,
J'étais l'amant de Métella,
La coquine me plante là.
Ce que c'est pourtant que la vie,
Je croyais l'aimer et voilà
Qu'en un quart d'heure je l'oublie.
Ce que c'est pourtant que la vie,
J'étais l'amant de Métella.

▼II▲
Je vais conduire une Suédoise
A travers le monde élégant,
Je me fais guide maintenant.
Je vais conduire une Suédoise.
Il faut tâcher d'être amusant
Et de divertir ma bourgeoise.
Je vais conduire une Suédoise
A travers le monde élégant.

▼III▲
Si cette baronne est jolie,
Je sais où je la veux mener,
Et cela peut se deviner.
Si cette baronne est jolie,
Je compte bien la promener
Dans le sentier de la folie.
Si cette baronne est jolie,
Je sais où je la veux mener.

Ah! par exemple! si la baronne n'est pas jolie ou si elle a soixante ans, je la recampe à Joseph, et c'est lui qui la promènera.

(Entre Joseph, suivi du baron et de la baronne)

▼SCÈNE IX▲
(Gardefeu, Joseph, le baron, la baronne. La baronne est voilée)

▼JOSEPH▲
(avec précipitation)
Les voici, monsieur, les voici.

▼GARDEFEU▲
Bien, mais ne t'en va pas encore. Il faut d'abord que je sache si ces Suédois me conviennent.
(Entrent le baron et la baronne)
Le mari est bien, mais c'est la femme qu'il faut voir.

▼JOSEPH▲
Voici votre guide, monsieur le baron…
(à Gardefeu)
Raoul, voici vos voyageurs!

(La baronne lève son voile)

▼GARDEFEU▲
(à part)
Qu'elle est jolie!
(à Joseph)
Ah! c'est bien, va-t-en, Joseph. va-t-en! je serai leur guide!

(Joseph sort)

▼SCÈNE X ▲
(Le baron, la baronne, Gardefeu)

▼LE BARON▲
(à Gardefeu)
Kanner ni Paris och kan alpaga mein nicht Krrrrr…

▼GARDEFEU▲
(à part)
Sacrebleu! je n'avais pas pensé à cela.

▼LA BARONNE▲
(s'approchant de Gardefeu)
Kanner ni Paris och kan alpaga mein nicht Krrrrr…

▼GARDEFEU▲
(à part)
Je ne comprends pas davantage, mais c'est plus doux.

▼LE BARON,▲
(à la baronne à part)
Comment allons-nous faire? ce guide ne parle pas le suédois…

▼LA BARONNE▲
Si nous lui parlions français.

▼LE BARON▲
C'est une idée, une idée de rien et elle ne me serait pas venue.

▼LA BARONNE▲
(à Gardefeu)
Dites-moi, mon ami.

▼GARDEFEU▲
Allons, bon! voilà que je comprends le suédois, maintenant!

▼LA BARONNE▲
Vous connaissez bien Paris, au moins?

▼GARDEFEU▲
(à part)
Eh! non, c'est du français…
(haut avec transport)
Si je connais Paris, madame la baronne! je crois bien!

Trio

▼GARDEFEU▲
Jamais, foi de cicérone,
La moderne Babylone
N'aura vu, soyez-en sûrs,
Dans ses murs,
Étrangers mieux promenés,
Mieux guidés,
Pilotés,
Amusés,
Dirigés,
Hébergés,
Mieux lotis,
Divertis,
Réjouis,
Éblouis,
Et pour cela paîrez
Monsieur, ce que vous voudrez!

▼LE BARON▲
On vous paiera
Ce qu'il faudra.

▼GARDEFEU▲
Ah! ne parlons pas de cela,
Et laissons-là cette misère.
Nous nous entendrons…

▼LE BARON▲
Je l'espère.

▼LA BARONNE▲
On vous paiera
Ce qu'il faudra.

▼GARDEFEU▲
Un pareil mot doit me suffire.
Dites-moi, maintenant où je dois vous conduirs.

▼LE BARON▲
Moi, je voudrais voir les théâtres,
Pas ceux où l'on s'embête, mais
Ceux où des actrices folâtres
Offrent aux regards mille attraits.

▼GARDEFEU▲
Soit, monsieur, nous irons-là,
Et vous verrez tout cela.

▼LE BARON▲
Eh! quoi, vraiment, nous irons-là?

▼GARDEFEU▲
Oui, vous verrez tout cela!

▼LA BARONNE▲
Je veux, moi, dans la capitale
Voir les divas qui font fureur,
Voir la Patti dans Don Pasquale,
Et Thérésa dans le Sapeur!

▼GARDEFEU▲
Madame, oui, nous irons-là,
Et vous verrez tout cela.

Ensemble

▼GARDEFEU▲
Je serai votre guide
Dans la ville splendide,
Vous visiterez tout
Et vous irez partout.

▼LE BARON ET LA BARONNE▲
Vous serez notre guide
Dans la ville splendide,
Nous visiterons tout
Et nous irons partout!

▼LE BARON▲
(prenant Gardefeu à part)
Il est certaines choses
Que je voudrais voir… parlons bas…
Sur ce point il faut, et pour causes,
Que ma femme n'entende pas!

▼GARDEFEU▲
(bas)
Ah! vous êtes un gros farceur!

▼LE BARON,▲
(bas)
Oh! c'est en tout bien, tout honneur!

▼LA BARONNE▲
(prenant Gardefeu à part)
J'ai deux ou trois courses à faire,
A faire seule, parlons bas…
Sur ce point il est nécessaire
Que mon mari n'entende pas.

▼GARDEFEU▲
(à part)
Eh! la baronne me fait peur!

▼LA BARONNE▲
(bas)
Oh! c'est en tout bien, tout honneur!

▼GARDEFEU▲
(au baron et à la baronne)
Ne craignez rien,
Tout ira bien,
Allez, allez,
Vous en verrez
Plus encor que vous ne pensez!

(Reprise de l'ensemble)

▼GARDEFEU▲
Je serai votre guide, etc., etc.

▼LE BARON ET LA BARONNE▲
Vous serez notre guide, etc.

▼GARDEFEU▲
Et maintenant, partons.

▼LE BARON▲
Mais nos bagages… allez les prendre, voici le bulletin.

▼GARDEFEU▲
Oh! les bagages… on pourrait à la rigueur…

▼LE BARON▲
Comment, on pourrait.

▼GARDEFEU▲
Vous y tenez à vos bagages…

▼LE BARON▲
Comment, si j'y tiens… La baronne qui a quarante-quatre caisses…

▼GARDEFEU▲
Eh bien, je vais aller les chercher… attendez-moi, ne partez pas sans moi.

▼LA BARONNE▲
Il n'y a pas de danger, puisque vous êtes notre guide.

▼GARDEFEU▲
Au fait, c'est vrai, puisque je suis votre guide! Mais cela ne fait rien. Il y a encore quelque chose de plus sûr. Venez avec moi. Ne me quittez pas. Je serai plus tranquille.

(Il sort)

▼LE BARON▲
Il est zélé, ce garçon. Je crois bien, chère amie, que nous allons avoir un excellent guide.

(Ils sortent à droite, et en sortant se mettent à parler en suédois)

▼SCÈNE XI▲
(Le Brésilien, Voyageurs, diversement et bizarrement accontrés. Puis le baron, la baronne et Gardefeu. Entrée de voyageurs)

Finale

▼ENSEMBLE▲
A Paris nous arrivons en masse,
A Paris nous nous précipitons!
A Paris, il faut nous faire place
A Paris nous nous ruinerons.

(Entre le Brésilien, suivi de deux petits nègres portant des sacs et des valises)

▼LE BRÉSILIEN▲
Je suis Brésilien, j'ai de l'or,
Et j'arrive de Rio-Janeire
Plus riche aujourd'hui que naguère,
Paris, je te reviens encor!
Deux fois je suis venu déjà,
J'avais de l'or dans ma valise,
Des diamants à ma chemise,
Combien a duré tout cela?
Le temps d'avoir deux cents amis
Et d'aimer quatre ou cinq maîtresses,
Six mois de galantes ivresses,
Et plus rien! ô Paris! Paris!
En six mois tu m'a tout raflé,
Et puis, vers ma jeune Amérique,
Tu m'as, pauvre et mélancolique,
Délicatement remballé!
Mais je brûlais de revenir,
Et là-bas, sous mon ciel sauvage,
Je me répétais avec rage:
Une autre fortune ou mourir!
Je ne suis pas mort, j'ai gagné
Tant bien que mal, des sommes folies,
Et je viens pour que tu me voles
Tout ce que là-bas j'ai volé!
Ce que je veux de toi, Paris,
Ce que je veux, ce sont tes femmes,
Ni bourgeoises, ni grandes dames,
Mais les autres… l'on m'a compris!
Celles que l'on voìt étalant,
Sur le velours de l'avant-scène,
Avec des allures de reine,
Un gros bouquet de lilas blanc:
Celles dont l'œil froid et calin
En un instant jauge une salle,
Et va cherchant de stalle en stalle
Un successeur à ce gandin,
Qui plein de chic, mais indigent,
Au fond de la loge se cache,
Et dit, en mordant sa moustache
Où diable trouver de l'argent?
De l'argent! Moi j'en ai! Venez!
Nous le mangerons, mes poulettes,
Puis après, je ferai des dettes.
Tendez vos deux mains et prenez!
Hurrah! je viens de débarquer,
Mettez vos faux cheveux, cocottes!
J'apporte à vos blanches quenottes
Toute une fortune à croquer!
Le pigeon vient! plumez, plumez…
Prenez mes dollars, mes bank-notes,
Ma montre, mon chapeau, mes bottes,
Mais dites moi que vous m'aimez!
J'agirai magnifiquement,
Mais vous connaissez ma nature,
Et j'en prendrai, je vous le jure
Oui, j'en prendrai pour mon argent.
Je suis Brésilien, j'ai de l'or,
Et j'arrive de Rio-Janeire
Vingt fois plus riche que naguère,
Paris, je te reviens encor!

(Reprise du Choeur)

Paris! Paris! Paris! etc., etc.

(Rentrent le baron, la baronne et Gardefeu)

▼LE BRÉSILIEN, LE BARON, LA BARONNE ET GARDEFEU▲
Entrons, entrons dans la fournaise,
Entrons, voici le grand moment.
Pour les gens qui sont à leur aise,
Paris est un endroit charmant!

▼QUATRE EMPLOYÉS DE L'OCTROI▲
(parlé)
N'avez-vous rien à déclarer?

▼TOUS▲
Non, rien…
(Choeur général)
Nous venons,
Arrivons,
De tous les pays du monde,
Par la terre ou bien par l'onde.
Italiens,
Brésiliens,
Japonais,
Hollandais,
Espagnols,
Romagnols,
Égyptiens,
Péruviens.
Nous venons,
Arrivons!
De tous les pays du monde,
Par la terre ou bien par l'onde,
Nous venons.
Arrivons!
La vapeur nous amène,
Nous allons envahir
La cité souveraine,
Le séjour du plaisir.
On accourt, on s'empresse,
Pour connaître, ô Paris,
Pour connaître l'ivresse
De tes jours, de tes nuits.
Tous les étrangers ravis
Vers toi s'élancent Paris!
Nous allons chanter,
Nous allons crier,
Nous allons souper,
Nous allons aimer,
Oh! mon Dieu, nous allons tous
Nous amuser comme des fous.
La vapeur nous amène,
Etc., etc.
Tous les étrangers ravis.
Vers toi s'élancent Paris,
Paris! Paris!

(Tableau)
(Le chœur fait placé au Brésilien. Gardefeu montre le chemin au baron et a la baronne)
ACTE PREMIER
Le gare du chemin de fer de l'Ouest. Rive gauche

SCÈNE PREMIÈRE
Employés, facteurs, buralistes

CHOEUR
Nous sommes employés de la ligne de l'Ouest,
Qui dessert Saint-Malo, Batignolles et Brest,
Conflans, Triel, Poissy,
Barentin, Pavilly,
Vernon, Bolbec, Nointot,
Motteville, Yvetot,
Saint-Aubin, Viroflay,
Landerneau, Malaunay,
Laval, Condé, Guingamp,
Saint-Brieuc et Fécamp.
Nous sommes employés de la ligne de l'Ouest,
Qui dessert Saint-Malo, Batignolles et Brest.

A la fin du chœur, cloche dans l'intérieur de la gare. Les facteurs et buralistes se dispersent; un des employés reste en scène. Gardefeu et Bobinet entrent au milieu du brouhaha de la sortie

SCÈNE II
Gardefeu, Bobinet, l'employé

Gardefeu et Bobinet se promènent quelques instants en s'observant l'un l'autre, puis ils s'approchent de l'employé

BOBINET
A quelle heure arrive le train de Trouville?

L'EMPLOYÉ
Dans cinq minutes, monsieur.

BOBINET
Merci, Monsieur.

L'EMPLOYÉ
se retournant vers Gardefeu
Monsieur désire quelque chose?

GARDEFEU
Non, rien! J'allais justement vous demander ce que vous a demandé monsieur.

L'employé sort

SCÈNE III
Bobinet, Gardefeu

Les deux jeunes gens continuent à s'observer; ils se promènent dans la gare et, tout en marchant, racontent l'histoire suivante; ils manœuvrent de façon à ne pas se rencontrer, mais quand, par hasard, en arpentant la scène, ils se trouvent l'un en face de l'autre, ils s'envoient des regards irrités

BOBINET
à part
C'est M. Raoul de Gardefeu. Je ne le salue plus, parce qu'il m'a joué un tour.

GARDEFEU
à part
C'est le petit Bobinet. Il ne me salue plus, parce qu'il nous est arrivé une aventure…

BOBINET
J'étais un peu plus que du dernier bien avec Blanche Taupier. Tout Paris sait que j'ai été un peu plus que du dernier bien avec Blanche Taupier.

GARDEFEU
Blanche Taupier m'a aimé comme elle sait aimer… Tout Paris sait que Blanche Taupier m'a aimé.

BOBINET
Un matin, Blanche Taupier et moi demeurions alors tous les deux à Ville-d'Avray… Blanche me dit: Petit Bob, si nous invitions à dîner ton ami Gardefeu…

GARDEFEU
Blanche était à Ville-d'Avray; elle m'écrit: venez demain à une heure, il n'y sera pas; en sortant de chez vous, recommandez à votre domestique de dire que vous devez bientôt rentrer.

BOBINET
Je réponds: soit, invitons Gardefeu. Elle me dit: va le chercher à Paris, il est chez lui à une heure, ne reviens pas sans lui… je pars.

Ils se rencontrent

GARDEFEU
J'arrive à Ville-d'Avray, je trouve Blanche, je ne trouve pas Bobinet, je lui dis: comment avez-vous fait pour l'éloigner?

BOBINET
J'arrive chez Gardefeu… son domestique me dit: monsieur va rentrer à l'instant. Il était une heure; j'attends; deux heures arrivent, puis trois heures… J'attendais toujours…

GARDEFEU
Blanche me répond: j'ai pris un moyen très-simple… j'ai dit au petit Bob d'aller vous chercher à Paris, et de ne pas revenir sans vous.

BOBINET
Enfin, à quatre heures, je me décide à m'en aller tout seul, je retourne à Ville-d'Avray, et je le trouve installé.

GARDEFEU
Vers cinq heures il est revenu; je lui ai dit: tiens, pendant que tu étais chez moi, j'étais chez toi; c'est très drôle!

BOBINET
Je ne l'ai pas trouvée drôle!

GARDEFEU ET BOBINET
ensemble
Et voilà pourquoi nous ne nous saluons plus!

BOBINET
Après un pareil tour, vous comprenez bien que j'ai tout de suite rompu avec Blanche Taupier.

GARDEFEU
Du reste, je n'ai pas tardé à en avoir assez de Blanche Taupier.

BOBINET
Je me suis mis à adorer Métella.

GARDEFEU
J'ai fait la cour à Métella,.. Métella n'a pas été insensible.

BOBINET
Hier Métella m'a dit: je vais à Trouville voir une tante que j'ai… Je reviendrai demain…

Il passe

GARDEFEU
Hier Métella m'a dit: je vais à Trouville souhaiter la fête à ma marraine… je resterai vingt-quatre heures.

BOBINET ET GARDEFEU
ensemble
Et je viens à la gare attendre Métella.

Cloche au dehors

L'EMPLOYÉ
Le train de Trouville, messieurs, le train de Trouville.

Entrent des voyageurs

SCÈNE IV
Les mêmes, Métella, Gontran, Voyageurs, Bobinet, Gardefeu

CHOEUR DE VOYAGEURS.
Le ciel est noir,
Il va pleuvoir
Dans un instant, la chose est sûre!
Vite courons,
Et nous hâtons,
Ou nous n'aurons pas de voiture.

Ils sortent en courant. Paraît Métella au bras de Gontran

GARDEFEU
Métella!

BOBINET
Métella!

MÉTELLA
à part
Fichtre! je suis pincée!

GONTRAN.
Vous paraissez embarrassée, Madame, et votre bras frissonne sur mon bras.

BOBINET ET GARDEFEU
ensemble
Madame, en nous voyant, est surprise peut-être.

GONTRAN.
Ces deux messieurs paraissent vous connaître!

MÉTELLA
froidement
Ces messieurs, connais pas!

BOBINET ET GARDEFEU
parlé Vous ne nous connaissez pas?

MÉTELLA
à Bobinet et à Gardefeu
I
Attendez d'abord que je place
Mon lorgnon, là, sous mon sourcil,
Et maintenant voyons de face,
Voyons de trois quarts, de profil…
Eh bien, là, ne vous en déplaise,
J'ai beau du haut jusques en bas
Vous examiner à mon aise,
Connais pas, là, vrai, connais pas,
Connais pas.

BOBINET
parlé
Elle est violente celle-là!

MÉTELLA
à Gontran

II
Vous en verrez d'autres peut-être,
Mon Gontran, qui, comme ceux-ci,
Diront que je dois les connaître,
Ne les croyez pas, mon ami,
Peut-être un soir, par aventure,
Au bal ai-je accepté leur bras…
A cela près, je vous le jure,
Connais pas, là, vrai, connais pas.

Elle sort à gauche fièrement au bras de Gontran

SCÈNE V
Bobinet, Gardefeu

Ils se regardent pendant quelque temps, puis tombent dans les bras l'un de l'autre

BOBINET
Gardefeu!

GARDEFEU
Bobinet!

BOBINET
La trahison de Blanche Taupier nous sépara.

GARDEFEU
Que la trahison de Métella nous réunisse:

BOBINET
Eh bien, voyons, comment ça va-t-il?

GARDEFEU
Je te remercie.

BOBINET
Mais ça n'est pas tout ça, revenons à Métella, c'est une rouée!

GARDEFEU
Une vraie rouée!

BOBINET
On dit d'une femme: c'est une rouée.

GARDEFEU
Pourquoi?

BOBINET
Parce qu'elle a fait ceci et cela.

GARDEFEU
La belle affaire!

BOBINET
Mais Métella, ça n'est pas ça.

GARDEFEU
C'est autre chose.

BOBINET
A la bonne heure, quand vous voudrez me parler d'une rouée, parlez-moi de Métella… elle nous trompait…

GARDEFEU
Elle nous trompait…

BOBINET
Je m'en doutais depuis quelque temps, du reste. Il y a huit jours je l'ai regardée… là, entre les deux yeux… Quand on tient à savoir la vérité, c'est là qu'il faut regarder les femmes; donc, je l'ai regardée là, et j'ai tout de suite vu clair dans son jeu… elle ne m'aimait pas.

GARDEFEU
Crois-tu?

BOBINET
Elle se moquait de moi. Oh! mon Dieu! je ne lui en veux pas… quel plaisir une femme comme Métella peut-elle trouver dans la société d'un homme tel que moi? Nous ne parlons pas la même langue. Il y a des moments, dans la conversation, je ne sais pas si tu l'as remarqué…

GARDEFEU
Non, mon ami.

BOBINET
Attends donc, tu ne sais pas ce que je veux dire. Il y a des moments où j'aime à aborder des questions élevées… il n'y a pas… on aurait beau me tenir… il faut absolument que j'aborde…

GARDEFEU
Je l'ai remarqué, Bobinet.

BOBINET
Ça a fini par assommer Métella, et alors… tant mieux, du reste… sa conduite me décide à mettre tout de suite à exécution un projet que j'avais formé. Il y a longtemps que les femmes du monde, je ne sais pas si tu as remarqué ça…

GARDEFEU
Non.

BOBINET
Attends donc, tu ne sais pas ce que je veux dire. Donc, il y a longtemps que les femmes du monde se plaignent d'être délaissées par les jeunes gens à la mode… je trouve qu'elles ont raison, et je suis décidé à revenir à elles.

GARDEFEU
Tu n'as peut-être pas tort.

BOBINET
Tel que tu me vois, je voudrais être le chef d'un grand mouvement qui ramènerait la jeunesse brillante dans les hôtels du grand monde.

I
Elles sont tristes, les marquises,
De nous voir, fuyant leur salon,
Aller faire un tas de bêtises
Chez des femmes de mauvais ton.
Les ingrats, disent les pauvrettes,
Chez nous ne trouveraient-ils pas,
Chez nous autres, femmes honnêtes,
Des plaisirs bien plus délicats?
Allons-y donc, et dès demain
Repeuplons les salons du faubourg Saint-Germain!

BOBINET ET GARDEFEU
ensemble
Allons-y donc, et dès demain, etc., etc.

BOBINET

II
Et puis, cher, ce qui me décide
A quitter le monde galant,
C'est que ma bourse est vide, vide
Vide, que c'en est désolant!
Or, pour peu qu'on y réfléchisse,
Quand on n'a pas le sou, vois-tu,
Il est temps de lâcher le vice
Pour revenir à la vertu.
Allons-y donc, et dès demain,
Repeuplons les salons du faubourg Saint-Germain.

BOBINET ET GARDEFEU
ensemble
Allons-y donc, et dès demain, etc., etc.

BOBINET
Et maintenant, rue de Varennes, chez la petite comtesse Diane de la Roche-Trompette! Adieu, bon! à bientôt!… Dis donc, où vais-je en ce moment?… repeupler les salons du faubourg Saint-Germain.

Bobinet sort

SCÈNE VI

GARDEFEU
seul
Être l'amant d'une femme du monde… ce n'est pas une mauvaise idée. Mais il faudrait trouver une femme du monde qui consentît à être ma maîtresse! le problème est là… Où pourrais-je trouver?
Entre Joseph
J'en connaissais une autrefois, qui s'appelait madame de Beaupertuis, elle montrait un mari et se disait baronne. Mais était-elle du monde?

SCÈNE VII
Gardefeu, Joseph

JOSEPH
Non, monsieur, elle n'en était pas.

GARDEFEU
Joseph, mon ancien domestique.

JOSEPH
Moi-même. Trop heureux de m'être trouvé là pour donner à monsieur ce petit renseignement.

GARDEFEU
Et qu'est-ce que tu viens faire ici?…

JOSEPH
Je ne suis plus domestique, monsieur, je suis guide.

GARDEFEU
Guide!…

JOSEPH
Oui guide… cicerone… attaché au Grand-Hôtel… c'est moi qui suis chargé de promener les étrangers dans Paris et de leur détailler les beautés de la capitale.

GARDEFEU
Et tu attends des voyageurs…

JOSEPH
Oui, monsieur… j'attends un baron suédois, qui doit arriver par le premier train… un baron suédois accompagné de sa femme.

GARDEFEU
Une baronne suédoise!

JOSEPH
Naturellement.

GARDEFEU
Une baronne suédoise, mais c'est une femme du monde.

JOSEPH
J'aime à le croire, monsieur.

GARDEFEU
C'est le ciel qui me l'envoie!… Joseph…

JOSEPH
Monsieur…

GARDEFEU
Ce baron et cette baronne, ils ne te connaissent pas…

JOSEPH
Pas du tout; ils ont envoyé une dépêche à l'hôtel, et c'est moi que l'on a chargé…

GARDEFEU
Rien ne s'opposerait alors à ce que je poisse ta place…

JOSEPH
Rien du tout, si j'y consentais…

GARDEFEU
Et tu y consentiras, bon Joseph, moyennant une honnête rétribution.

JOSEPH
Soit, monsieur. Je vous céderai mon baron et ma baronne, contre indemnité…

GARDEFEU
Le baron… le baron… je n'y tiens pas… Je ne pourrais pas prendre la baronne seulement?

JOSEPH
Oh! non, monsieur… c'est un lot, il faut tout prendre ou rien.

GARDEFEU
Va pour le lot, je prends tout, mais comment les reconnaîtrai je?

JOSEPH
C'est mon affaire. Je vais aller dans la gare les recevoir, au sortir du train. Je vous les amène et vous en ferez ce que vous voudrez.

GARDEFEU
Va, bon Joseph, va, je serai leur guide.

JOSEPH.
Décidément?

GARDEFEU
Oui, décidément.

JOSEPH.
Eh bien, alors, voici une lettre qu'on a envoyée pour la baronne au Grand-Hôtel. Vous aurez à la remettre.

GARDEFEU
Va me chercher mes Suédois.

JOSEPH
J'y vais, monsieur, j'y vais.

Il sort

SCÈNE VIII

GARDEFEU
seul
Comme c'est drôle! une femme que je ne connais pas, et je suis ému en l'attendant!

I
Ce que c'est pourtant que la vie,
J'étais l'amant de Métella,
La coquine me plante là.
Ce que c'est pourtant que la vie,
Je croyais l'aimer et voilà
Qu'en un quart d'heure je l'oublie.
Ce que c'est pourtant que la vie,
J'étais l'amant de Métella.

II
Je vais conduire une Suédoise
A travers le monde élégant,
Je me fais guide maintenant.
Je vais conduire une Suédoise.
Il faut tâcher d'être amusant
Et de divertir ma bourgeoise.
Je vais conduire une Suédoise
A travers le monde élégant.

III
Si cette baronne est jolie,
Je sais où je la veux mener,
Et cela peut se deviner.
Si cette baronne est jolie,
Je compte bien la promener
Dans le sentier de la folie.
Si cette baronne est jolie,
Je sais où je la veux mener.

Ah! par exemple! si la baronne n'est pas jolie ou si elle a soixante ans, je la recampe à Joseph, et c'est lui qui la promènera.

Entre Joseph, suivi du baron et de la baronne

SCÈNE IX
Gardefeu, Joseph, le baron, la baronne. La baronne est voilée

JOSEPH
avec précipitation
Les voici, monsieur, les voici.

GARDEFEU
Bien, mais ne t'en va pas encore. Il faut d'abord que je sache si ces Suédois me conviennent.
Entrent le baron et la baronne
Le mari est bien, mais c'est la femme qu'il faut voir.

JOSEPH
Voici votre guide, monsieur le baron…
à Gardefeu
Raoul, voici vos voyageurs!

La baronne lève son voile

GARDEFEU
à part
Qu'elle est jolie!
à Joseph
Ah! c'est bien, va-t-en, Joseph. va-t-en! je serai leur guide!

Joseph sort

SCÈNE X
Le baron, la baronne, Gardefeu

LE BARON
à Gardefeu
Kanner ni Paris och kan alpaga mein nicht Krrrrr…

GARDEFEU
à part
Sacrebleu! je n'avais pas pensé à cela.

LA BARONNE
s'approchant de Gardefeu
Kanner ni Paris och kan alpaga mein nicht Krrrrr…

GARDEFEU
à part
Je ne comprends pas davantage, mais c'est plus doux.

LE BARON,
à la baronne à part
Comment allons-nous faire? ce guide ne parle pas le suédois…

LA BARONNE
Si nous lui parlions français.

LE BARON
C'est une idée, une idée de rien et elle ne me serait pas venue.

LA BARONNE
à Gardefeu
Dites-moi, mon ami.

GARDEFEU
Allons, bon! voilà que je comprends le suédois, maintenant!

LA BARONNE
Vous connaissez bien Paris, au moins?

GARDEFEU
à part
Eh! non, c'est du français…
haut avec transport
Si je connais Paris, madame la baronne! je crois bien!

Trio

GARDEFEU
Jamais, foi de cicérone,
La moderne Babylone
N'aura vu, soyez-en sûrs,
Dans ses murs,
Étrangers mieux promenés,
Mieux guidés,
Pilotés,
Amusés,
Dirigés,
Hébergés,
Mieux lotis,
Divertis,
Réjouis,
Éblouis,
Et pour cela paîrez
Monsieur, ce que vous voudrez!

LE BARON
On vous paiera
Ce qu'il faudra.

GARDEFEU
Ah! ne parlons pas de cela,
Et laissons-là cette misère.
Nous nous entendrons…

LE BARON
Je l'espère.

LA BARONNE
On vous paiera
Ce qu'il faudra.

GARDEFEU
Un pareil mot doit me suffire.
Dites-moi, maintenant où je dois vous conduirs.

LE BARON
Moi, je voudrais voir les théâtres,
Pas ceux où l'on s'embête, mais
Ceux où des actrices folâtres
Offrent aux regards mille attraits.

GARDEFEU
Soit, monsieur, nous irons-là,
Et vous verrez tout cela.

LE BARON
Eh! quoi, vraiment, nous irons-là?

GARDEFEU
Oui, vous verrez tout cela!

LA BARONNE
Je veux, moi, dans la capitale
Voir les divas qui font fureur,
Voir la Patti dans Don Pasquale,
Et Thérésa dans le Sapeur!

GARDEFEU
Madame, oui, nous irons-là,
Et vous verrez tout cela.

Ensemble

GARDEFEU
Je serai votre guide
Dans la ville splendide,
Vous visiterez tout
Et vous irez partout.

LE BARON ET LA BARONNE
Vous serez notre guide
Dans la ville splendide,
Nous visiterons tout
Et nous irons partout!

LE BARON
prenant Gardefeu à part
Il est certaines choses
Que je voudrais voir… parlons bas…
Sur ce point il faut, et pour causes,
Que ma femme n'entende pas!

GARDEFEU
bas
Ah! vous êtes un gros farceur!

LE BARON,
bas
Oh! c'est en tout bien, tout honneur!

LA BARONNE
prenant Gardefeu à part
J'ai deux ou trois courses à faire,
A faire seule, parlons bas…
Sur ce point il est nécessaire
Que mon mari n'entende pas.

GARDEFEU
à part
Eh! la baronne me fait peur!

LA BARONNE
bas
Oh! c'est en tout bien, tout honneur!

GARDEFEU
au baron et à la baronne
Ne craignez rien,
Tout ira bien,
Allez, allez,
Vous en verrez
Plus encor que vous ne pensez!

Reprise de l'ensemble

GARDEFEU
Je serai votre guide, etc., etc.

LE BARON ET LA BARONNE
Vous serez notre guide, etc.

GARDEFEU
Et maintenant, partons.

LE BARON
Mais nos bagages… allez les prendre, voici le bulletin.

GARDEFEU
Oh! les bagages… on pourrait à la rigueur…

LE BARON
Comment, on pourrait.

GARDEFEU
Vous y tenez à vos bagages…

LE BARON
Comment, si j'y tiens… La baronne qui a quarante-quatre caisses…

GARDEFEU
Eh bien, je vais aller les chercher… attendez-moi, ne partez pas sans moi.

LA BARONNE
Il n'y a pas de danger, puisque vous êtes notre guide.

GARDEFEU
Au fait, c'est vrai, puisque je suis votre guide! Mais cela ne fait rien. Il y a encore quelque chose de plus sûr. Venez avec moi. Ne me quittez pas. Je serai plus tranquille.

Il sort

LE BARON
Il est zélé, ce garçon. Je crois bien, chère amie, que nous allons avoir un excellent guide.

Ils sortent à droite, et en sortant se mettent à parler en suédois

SCÈNE XI
Le Brésilien, Voyageurs, diversement et bizarrement accontrés. Puis le baron, la baronne et Gardefeu. Entrée de voyageurs

Finale

ENSEMBLE
A Paris nous arrivons en masse,
A Paris nous nous précipitons!
A Paris, il faut nous faire place
A Paris nous nous ruinerons.

Entre le Brésilien, suivi de deux petits nègres portant des sacs et des valises

LE BRÉSILIEN
Je suis Brésilien, j'ai de l'or,
Et j'arrive de Rio-Janeire
Plus riche aujourd'hui que naguère,
Paris, je te reviens encor!
Deux fois je suis venu déjà,
J'avais de l'or dans ma valise,
Des diamants à ma chemise,
Combien a duré tout cela?
Le temps d'avoir deux cents amis
Et d'aimer quatre ou cinq maîtresses,
Six mois de galantes ivresses,
Et plus rien! ô Paris! Paris!
En six mois tu m'a tout raflé,
Et puis, vers ma jeune Amérique,
Tu m'as, pauvre et mélancolique,
Délicatement remballé!
Mais je brûlais de revenir,
Et là-bas, sous mon ciel sauvage,
Je me répétais avec rage:
Une autre fortune ou mourir!
Je ne suis pas mort, j'ai gagné
Tant bien que mal, des sommes folies,
Et je viens pour que tu me voles
Tout ce que là-bas j'ai volé!
Ce que je veux de toi, Paris,
Ce que je veux, ce sont tes femmes,
Ni bourgeoises, ni grandes dames,
Mais les autres… l'on m'a compris!
Celles que l'on voìt étalant,
Sur le velours de l'avant-scène,
Avec des allures de reine,
Un gros bouquet de lilas blanc:
Celles dont l'œil froid et calin
En un instant jauge une salle,
Et va cherchant de stalle en stalle
Un successeur à ce gandin,
Qui plein de chic, mais indigent,
Au fond de la loge se cache,
Et dit, en mordant sa moustache
Où diable trouver de l'argent?
De l'argent! Moi j'en ai! Venez!
Nous le mangerons, mes poulettes,
Puis après, je ferai des dettes.
Tendez vos deux mains et prenez!
Hurrah! je viens de débarquer,
Mettez vos faux cheveux, cocottes!
J'apporte à vos blanches quenottes
Toute une fortune à croquer!
Le pigeon vient! plumez, plumez…
Prenez mes dollars, mes bank-notes,
Ma montre, mon chapeau, mes bottes,
Mais dites moi que vous m'aimez!
J'agirai magnifiquement,
Mais vous connaissez ma nature,
Et j'en prendrai, je vous le jure
Oui, j'en prendrai pour mon argent.
Je suis Brésilien, j'ai de l'or,
Et j'arrive de Rio-Janeire
Vingt fois plus riche que naguère,
Paris, je te reviens encor!

Reprise du Choeur

Paris! Paris! Paris! etc., etc.

Rentrent le baron, la baronne et Gardefeu

LE BRÉSILIEN, LE BARON, LA BARONNE ET GARDEFEU
Entrons, entrons dans la fournaise,
Entrons, voici le grand moment.
Pour les gens qui sont à leur aise,
Paris est un endroit charmant!

QUATRE EMPLOYÉS DE L'OCTROI
parlé
N'avez-vous rien à déclarer?

TOUS
Non, rien…
Choeur général
Nous venons,
Arrivons,
De tous les pays du monde,
Par la terre ou bien par l'onde.
Italiens,
Brésiliens,
Japonais,
Hollandais,
Espagnols,
Romagnols,
Égyptiens,
Péruviens.
Nous venons,
Arrivons!
De tous les pays du monde,
Par la terre ou bien par l'onde,
Nous venons.
Arrivons!
La vapeur nous amène,
Nous allons envahir
La cité souveraine,
Le séjour du plaisir.
On accourt, on s'empresse,
Pour connaître, ô Paris,
Pour connaître l'ivresse
De tes jours, de tes nuits.
Tous les étrangers ravis
Vers toi s'élancent Paris!
Nous allons chanter,
Nous allons crier,
Nous allons souper,
Nous allons aimer,
Oh! mon Dieu, nous allons tous
Nous amuser comme des fous.
La vapeur nous amène,
Etc., etc.
Tous les étrangers ravis.
Vers toi s'élancent Paris,
Paris! Paris!

Tableau
Le chœur fait placé au Brésilien. Gardefeu montre le chemin au baron et a la baronne
最終更新:2019年05月24日 10:46