▼ACTE TROISIÈME▲
(Le grand salon de l'hôtel de Quimper-Karadec; mobilier sévère, portraits de famille)

▼SCÈNE PREMIÈRE▲
(Urbain, Prosper, Pauline, Clara, Léonie, Caroline, Julie, Augustine, Louise. Au lever du rideau ils sont tous en train d'allumer les bougies, do mettre des fleurs dans les jardinières, etc.)

▼CHOEUR▲
Il faut nous dépêcher vite
De tout arranger,
Pour recevoir la visite
De cet étranger.

(Entre Bobinet)

▼SCÈNE II▲
(Les mêmes, Bobinet)

▼BOBINET▲
Eh bien, mes enfants, cela commence-t-il à prendre tournure?…

▼PAULINE▲
Voyez, monsieur.

▼BOBINET▲
C'est très-bien… mais avant tout, passons la ligne de mon personnel. Voyons un peu… les femmes d'abord… comment sont-elles?… mais très-bien! très-bien, la femme de chambre!…

▼PAULINE▲
(amèrement)
C'est aujourd'hui que vous vous en apercevez?…

▼BOBINET▲
(l'embrassant)
Fous que nous sommes… nous allons chercher le bonheur bien loin… nous l'avons sous la main. – Très-bien, aussi, les nièces du concierge…
(Il les embrasse)
Fous que nous sommes… nous allons chercher le… mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit… Écoutez-moi, mes amis, vous m'avez bien compris, vous savez ce que j'attends de vous… Reproduction exacte d'une soirée dans le grand monde… c'est entendu…

▼PROSPER▲
(descendant près de Bobinet)
Parfaitement; des personnages de haute distinction…

▼LÉONIE.▲
Et des dames de haute excentricité…

▼BOBINET▲
C'est cela même…

▼URBAIN▲
Mais des costumes de haute fantaisie…

▼BOBINET▲
(aux deux hommes)
Ceux des hommes sont là…
(Aux femmes)
Quant à vous, mes demoiselles, vous avez des toilettes à vos maîtresses…

▼PAULINE▲
Certainement… madame de Folle Verdure ne met jamais ses robes qu'une fois… au plus…

▼LÉONIE▲
Elle nous les donne après cela…

▼URBAI▲
Ce n'est pas comme monsieur… avec ses pantalons…

▼BOBINET▲
(à Urbain)
C'est à merveille alors… ne perdons pas de temps! allez vous habiller.

▼TOUS▲
Allons.

(Fausse sortie)

▼PROSPER▲
Ah! diable, mais il va nous manquer quelque chose…

▼BOBINET▲
Quoi donc?…

▼PROSPER▲
Du moment que vos domestiques seront vos invités… vous n'aurez pas de domestiques… à moins qu'il ne vienne des invités pour faire les domestiques…

▼BOBINET▲
Ah! diable! c'est vrai…

▼TOUS▲
C'est vrai… c'est vrai…

▼URBAIN▲
Alors tout est perdu…

▼PROSPER▲
Non, tout n'est pas perdu… vous aurez vos invités… vous aurez vos domestiques… vous verrez… vous verrez.

▼BOBINET▲
Bons serviteurs!

Sextuor

▼BOBINET▲
Donc, je puis me fier à vous,

▼TOUS▲
Vous pouvez vous fier à nous.

▼BOBINET▲
Les rôles seront difficiles.

▼PAULINE▲
Les artistes seront habiles.

▼PROSPER▲
Les bêtises,
Les sottises,
Les potins et les caquets
Dont abonde
Le grand monde,
Sont bien connus des valets!
Ils observent
Ceux qu'ils servent,
Et le maître qui les a,
Les égaie
Et les paie
Exactement pour cela!
Les grimaces,
Si cocasses,
Que maint et maint important
Qu'on admire,
Fait sans rire,
Nous les ferons en riant!
En un mot, ne craignez rien,
Si vous voulez des gens de bien
On vous en montrera,
Fournira,
Servira,
Autant qu'il vous en faudra.

▼TOUS▲
Autant, autant, autant qu'il en faudra.

(Reprise de l'ensemble)

Comptez sur nous, notre bon maître,
Ne craignez rien,
On dira, nous voyant paraître:
Ah! qu'ils sont bien!

▼BOBINET▲
C'est cela, mes bons amis!
Ah! que vous m'avez bien compris!

▼TOUS▲
Oui, nous avons bien compris.

▼URBAIN▲
Ah! nous allons vous manigancer
Un petit bal à tout casser!

▼TOUS▲
Un petit bal à tout casser!

▼PAULINE▲
Nous les femmes,
De ces dames
Nous prendrons le ton galant,
Les manières
Cavalières,
Leur air crâne et provoquant!
Leur toilette
De conquête,
C'est nous qui la préparons;
Ces coquettes
Cocodettes
C'est nous qui les habillons;
Pour nous plaire
On va faire
Un tout contraire métier,
Les comtesses,
Nos maîtresses,
On va les déshabiller.
En un mot ne craignez rien,
Si vous voulez des gens de bien,
On vous en montrera,
Servira,
Fournira,
Autant qu'il vous en faudra!

(Reprise de l'ensemble)

Comptez sur nous notre bon maître, etc., etc.

(Tout le monde sort excepté Bobinet)

▼SCÈNE III▲
(Bobinet, puis Gardefeu)

▼BOBINET▲
Allez, mes amis, allez!

(Entre Gardefeu)

▼GARDEFEU▲
Bonjour, cher?…

▼BOBINET▲
Eh bien, ta baronne?…

▼GARDEFEU▲
Elle est aux Italiens sans son mari, et à minuit elle rentrera seule chez moi…

▼BOBINET▲
Et tes affaires, comment marchent-elles?…

▼GARDEFEU▲
Tu vas en juger… Ce matin, elle me dit: venez me prendre à trois heures avec une voiture… Je fais atteler ma calèche, et à trois heures, j'arrive… La baronne paraît… avec son mari. J'aurais préféré que le mari n'y fût pas… Enfin! ils s'installent et me disent de monter… Je veux monter dans la voiture… Eh bien! qu'est-ce que c'est? me dit fièrement le baron… montez à côté du cocher… et menez-nous au bois de Boulogne, autour du lac!… Au bois de Boulogne… autour du lac… à côté de mon cocher!… J'essaie de faire entendre à ce baron que maintenant l'usage du grand monde est d'aller se promener au bois de Vincennes… Il est très-bien le bois de Vincennes…

▼BOBINET▲
On y voit des artilleurs…

▼GARDEFEU▲
Justement, c'est ce que je lui ai dit… Je tiens à aller au bois de Boulogne, me répond ce mari, marchez!… et nous marchons… J'étais dans un état… si tu veux voir un homme qui n'a pas manqué son effet… tout Paris élégant était au Bois…Il y avait là: Carcasson, Bonnivet, Pitou.

▼BOBINET▲
(avec éclat)
Pitou est à Paris…

▼GARDEFEU▲
Oui…

▼BOBINET▲
(amèrement)
Et il n'est pas venu me voir…

▼GARDEFEU▲
Il y avait Lagingeole, Tristapatte et Doublemar… Il est bien changé. Doublemar.

▼BOBINET▲
Ça ce n'est pas un mal… il y aurait du changer plus tôt. – Enfin, tout ce qu'il y a de plusdistingué était au bois…

▼GARDEFEU▲
Ils étaient à cheval… En me voyant sur le siége, à côté de mon cocher, ils ont été stupéfaits, ils m'ont salué de la main, comme ça… et ils se sont mis à suivre la voiture au petit trot. Qu'est-ce que c'est que ces gens-là? m'a crié le baron dans le dos?… Ce sont des amis à moi, des maîtres-d'hôtel… Pendant ce temps-là, notre escorte grossissait… Ils étaient quarante qui suivaient la voiture… Ça a impatienté le baron!

▼BOBINET▲
Je comprends cela, ça a dû le crisper d'être suivi par tant de maîtres-d'hôtel…

▼GARDEFEU▲
Ça l'a crispé, et il m'a dit: J'en ai assez du bois de Boulogne, mais votre mot d'artilleurs m'a fait venir une idée, conduisez-nous au musée d'artillerie… Le musée d'artillerie, je ne savais pas où c'était, mon cocher non plus… avouer mon ignorance c'était me perdre… j'ai répondu: je vais vous y conduire, et je les ai bravement menés au bazar Bonne Nouvelle! Voilà ma journée!

▼BOBINET▲
Mon pauvre ami…

▼GARDEFEU▲
Si je ne me démasque pas ce soir, la journée de demain sera pareille. Voilà pourquoi je tiens absolument à me démasquer ce soir…

▼BOBINET▲
Ton baron a dû recevoir une invitation…

▼GARDEFEU▲
Il en a reçu une ainsi conçue: »L'amiral Walter prie M. de Gondremarck de lui faire l'honneur de passer la soirée…« Qu'est-ce que c'est que ça l'amiral Walter?…

▼BOBINET▲
Tu ne connais pas l'amiral Walter: c'est moi… j'ai un costume d'amiral suisse qui ne m'a servi qu'une fois et que je ne serai pas fâché de remettre…

▼GARDEFEU▲
Mon baron aura sa soirée, alors…

▼BOBINET▲
Il aura sa soirée; mais ça sera maigre… dix personnes seulement…

▼GARDEFEU▲
Dix…

▼BOBINET▲
Pas une de plus…

▼GARDEFEU▲
Je t'enverrai madame de Sainte-Amaranthe… Comme cela, vous serez onze!

▼BOBINET▲
Oh! si nous sommes onze!… Qu'est-ce que c'est que madame de Sainte-Amaranthe?…

▼GARDEFEU▲
C'est ma gantière; je t'aurais bien aussi envoyé Frick, mon bottier, mais c'est un homme impossible… imagine-toi qu'au milieu du dîner il voulait absolument forcer le baron de Gondremarck à ôter ses bottes…

▼BOBINET▲
Oh! ne m'envoie pas cet homme-là! Un homme qui veut que l'on se déchausse au rôti…

▼GARDEFEU▲
Sois tranquille!

▼BOBINET▲
Ce serait une invraisemblance, et, vois-tu… pour que ces sortes de choses réussissent, il ne faut pas d'invraisemblances…

▼GARDEFEU▲
Il n'en faut pas; s'il y a des invraisemblances, nous sommes perdus…

▼BOBINET▲
Sauve-toi maintenant.

▼GARDEFEU▲
Je me sauve… tâche que Gondremarck reste longtemps ici…

▼BOBINET▲
Je chargerai Pauline de le retenir…

▼GARDEFEU▲
Pauline?…

▼BOBINET▲
Oui, c'est la femme de chambre. C'est elle qui sera madame l'amirale… elle est très-jolie…

▼GARDEFEU▲
Oh! alors…

(Prosper entre et annonce)

▼PROSPER▲
M. le baron de Gondremarck…

▼GARDEFEU▲
Je vais retrouver la baronne…

▼BOBINET▲
Et moi, je vais m'habiller…
(Gardefeu sort par la droite, Bobinet par la gauche. – Au moment où Gondremark entre en saluant, les deux portes se ferment avec violence)

▼SCÈNE IV▲
(Le baron, Prosper)

▼LE BARON▲
Personne. J'arrive trop tôt, il me semble…
(à Prosper)
Madame l'amirale?…

▼PROSPER▲
Chut!
(Il met un doigt sur sa bouche)

▼LE BARON▲
Comment?

▼PROSPER▲
Chut!

▼LE BARON▲
Et l'amiral?…

▼PROSPER▲
Il met ses ordres et je vais prendre les siens…

(Il sort)

▼SCÈNE V▲
(Le baron, puis Urbain et Prosper)

▼LE BARON▲
Décidément, j'arrive trop tôt… beaucoup trop tôt… mais que ne pardonnerait-on pas à un noble étranger qui ne connaît pas la haute société parisienne, et qui sur les choses étranges, plus qu'étranges, qui lui en ont été dites… brûle de la connaître?… c'est ce matin que j'ai reçu mon invitation… L'amiral Walter et madame Walter prient M. de Gondremarck… l'amiral Walter? je ne connais pas du tout… je ne savais pas si je devais venir… J'ai consulté mon guide, il m'a répondu… Allez-y… Je ne vous dis que ça… – Mais c'est qu'on n'invite pas la baronne… – Vous pouvez l'emmener si vous voulez, mais si j'étais à votre place, moi, je ne l'emmènerais pas; et mon guide, en me disant cela, avait un air si malin, que, ma foi, je n'ai pas emmené la baronne…

(Entre Urbain enveloppé dans une livrée qui lui bat les talons)

▼URBAIN▲
(annonçant)
Le général Malaga de Porto-Rico!…
(Urbain sort)

▼LE BARON▲
Oh! oh! voilà un personnage…. Mon guide m'a dit: il n'y aura pas grand monde… Mais, ça sera d'un choisi…

(Rentre Urbain en costume extravagant de général péruvien)

▼URBAIN▲
Monsieur…

▼LE BARON▲
Général…

▼URBAIN▲
M. de Gondremarck, je suis sûr…

▼LE BARON▲
Vous me connaissez?…

▼URBAIN▲
Je connais tous les habitués de ce salon… vous, je ne vous connais pas, c'est à ça que je vous ai reconnu.

▼LE BARON▲
Quelle perspicacité!
(à part)
Oh! les hommes supérieurs!

▼PROSPER▲
(également en grande livrée qui lui bat les talons)
Le prince Adhémar de Manchabal, ministre ultra plénipotentiaire en disponibilité!
(Il sort)

▼URBAIN▲
(empêchant le baron de se retourner)
Le prince de Manchabal! l'idéal du diplomate, figure impassible! je vais vous le présenter.

(Rentre Prosper, culotte, habit brodé)

▼PROSPER▲
Hum! Hum!

▼URBAIN▲
(saluant)
Prince…

▼PROSPER▲
(saluant)
Général…

▼URBAIN▲
(présentant le baron)
Le baron de Gondremarck.

▼PROSPER▲
Enchanté!

▼URBAIN▲
(au baron)
Le prince de Manchabal…
(à l'oreille)
Le premier diplomate de l'époque…
(haut)
Maintenant, Prince, présentez-moi…

▼PROSPER▲
(avec un bégaiement marqué)
Le général Malaga de Porto-Rico.
(à l'oreille)
Le premier tic-tac…

▼URBAIN▲
Tac tic…

▼PROSPER▲
Tic tac… tacticien de son temps…

▼LE BARON▲
Il ne s'exprime pas avec fa… facilité…
(à part)
Me voilà avec des sommités…
(haut)
Mais l'amiral et sa délicieuse compagne?

▼PROSPER▲
Chut!

▼URBAIN▲
Chut!

▼LE BARON▲
(à part)
Je vais donc entendre causer des hommes supérieurs… Nous allons parler littérature, science, hygiène…

▼PROSPER▲
Eh bien, baron, dites-nous un peu ce que vous pensez de Paris?…

▼LE BARON▲
Mon Dieu, messieurs, il m'a semblé qu'on en exagérait un peu les merveilles… Ainsi, hier, je me suis fait conduire au musée d'artillerie… boulevard Bonne-Nouvelle…

▼PROSPER ET URBAIN▲
Boulevard Bonne-Nouvelle…

▼LE BARON▲
Eh bien, je m'en faisais une toute autre idée… J'y ai trouvé beaucoup de batteries de cuisine, mais pas une d'artillerie!

▼PROSPER▲
(riant)
On vous a mené à la ménagère…

▼URBAIN▲
(riant)
A la ménagère!… à la ménagère… Voulez-vous y aller, au musée d'artillerie?…

▼PROSPER▲
Je vous y mènerai, moi!…

▼URBAIN▲
Prince, voilà une chose que je ne tolérerai pas…

▼PROSPER▲
Et quoi donc, général?…

▼URBAIN▲
J'offre au baron de le conduire au musée d'artillerie, et vous venez me le souffler.

▼PROSPER▲
Qu'est-ce que vous dites?…

▼URBAIN▲
C'est avec moi que monsieur viendra…

▼PROSPER▲
Non pas, c'est avec moi…

▼LE BARON▲
Messieurs, je vous en prie…

▼URBAIN▲
N'est-ce pas, baron… que c'est avec moi…

▼PROSPER▲
Non avec moi…

▼URBAIN▲
A-t-on jamais vu… diplomate d'occasion!

▼PROSPER▲
Général de paco, paco, paco… je ne pourrai jamais dire pacotille.

▼LE BARON▲
Messieurs, messieurs…

▼URBAIN▲
Ah! voilà madame l'amirale!

(Pauline a paru à la porte du fond. Toilette étourdissante. Urbain et Prosper remontent et redescendent avec elle)

▼SCÈNE VI▲
(Les mêmes, Pauline)

▼LE BARON▲
Ah! madame l'amirale.

▼URBAIN▲
(le présentant)
M. de Gondremarck!

▼LE BARON▲
J'ai reçu votre charmante invitation, madame, et je me suis hâté!

▼PAULINE▲
(très-digne)
Je suis heureuse, monsieur, que vous ayez bien voulu choisir ma maison pour y faire vos débuts dans la haute société parisienne.

▼LE BARON▲
Madame…
(à part)
A la bonne heure, je me retrouve! Me voilà dans mon milieu… parce que tout à l'heure le général de pacotiile
(haut)
Et cet excellent amiral, est-ce que nous ne le verrons pas?…

▼PAULINE▲
Mais il ne peut pas venir.

▼PROSPER▲
Pourquoi ça?…

▼PAULINE▲
Pas possible d'entrer dans son uniforme…

▼URBAIN▲
Il aura engraissé…

(On sonne)

▼PROSPER ET URBAIN▲
Voilà! voilà!

▼LE BARON▲
Qu'est-ce que c'est?…

(On sonne plus fort)

▼PAULINE▲
(à Urbain et à Prosper)
Tenez… il s'impatiente…

▼URBAIN ET PROSPER▲
On y va! on y va!

(Ils sortent en courant; le baron ébahi les regarde s'en aller)

▼SCÈNE VII▲
(Le baron, Pauline)

▼LE BARON▲
Qu'est-ce que c'est encore que ça.

▼PAULINE▲
Qu'avez-vous?…

▼LE BARON▲
Mais il me semble que le prince et le général nous quittent d'une façon un peu singulière.

▼PAULINE▲
(avec expression)
Vous vous en plaignez…

(Coup d'oeil jeu de scène)

▼LE BARON▲
Moi, pas du tout…
(à part)
Les voilà donc ces femmes du grand monde parisien… Ah!

▼PAULINE▲
(à part)
Le retenir ici le plus tard possible… Voilà ce qu'on m'a recommandé!

▼LE BARON▲
Les Parisiennes! les Parisiennes!

▼PAULINE▲
Venez vous asseoir près de moi… plus près… plus près encore.
(Il s'assied… elle s'assied auprès de lui sur le canapé et en étalant ses jupes elle couvre le baron de sa robe; celui-ci disparaît complètement)
Où êtes vous, mon ami?

▼LE BARON▲
(reparaissant)
Là, madame…

▼PAULINE▲
Ah! bien… Vous aussi, j'en suis sûre, vous pensez du mal de nous?…

▼LE BARON▲
Par exemple!

▼PAULINE▲
Oui… vous vous dites: ah! ces femmes du monde, coquettes, dépensières… toquées…

▼LE BARON▲
Oh! oh!

▼PAULINE▲
Tout cela est vrai… mais à qui la faute?… à la société moderne qui ne laisse aux femmes qu'une place insuffisante…

▼LE BARON▲
Oh! quant à cela…

▼PAULINE▲
Vous dites?…

▼LE BARON▲
(regardant la place que tiennent les jupes de Pauline)
Je dis que quant à la place insufsante…

▼PAULINE▲
(lui donnant un petit coup dans l'estomac)
Farceur!

(Elle se lève)

▼LE BARON▲
Madame…

▼PAULINE▲
Oui, tout ce que l'on dit de nous est vrai; mais si l'on savait… on ne sait pas… pourquoi toutes ces folies? c'est que nous avons besoin de nous étourdir… c'est que nous souffrons… c'est qu'il nous manque quelque chose…

▼LE BARON▲
Quoi donc?…

▼PAULINE▲
(rêveuse)
Ah! pourquoi me le demandez-vous…

▼LE BARON▲
(ardent)
Pour le savoir…

▼PAULINE▲
Eh bien! voilà, il nous manque…
(avec un regard de flamme)
celui que nous avons rêvé…

▼LE BARON▲
Ce regard…

▼PAULINE▲
Vous savez… jeune fille, on rêve… un idéal, mais quand on est jeune fille, on ne peut pas chercher… voilà le diable… Alors, on se marie pour avoir le droit de chercher, et on cherche…

▼LE BARON▲
C'est pour cela que vous vous êtes mariée…

▼PAULINE▲
Pas pour autre chose…

▼LE BARON▲
Et vous avez cherché!…

▼PAULINE▲
Je vous en réponds… mais je n'avais pas rencontré…
(en le regardant tendrement)
jusqu'à présent…

▼LE BARON▲
(avec transport)
Jusqu'à présent!

▼PAULINE▲
Je ne l'ai pas dit…

▼LE BARON▲
Vous l'avez dit…

▼PAULINE▲
(petit coup dans l'estomac)
Ah! non!

▼LE BARON▲
Ah! si!

▼PAULINE▲
(nouveau petit coup dans l'estomac)
Je vous dis que je ne l'ai pas dit…

▼LE BARON▲
(lui donnant une tape sur l'épaule)
Je vous dis que vous l'avez dit.

▼PAULINE▲
(avec une tristesse mêlée de fierté)
Ah! voilà que vous me méprisez déjà!

▼LE BARON▲
(confus)
Madame…

▼PAULINE▲
(gaiement)
On m'appelle Pauline.

▼LE BARON▲
Pauline…

▼PAULINE▲
(à part, le regardant)
Voilà un homme qui n'a pas envie de s'en aller.

▼LE BARON▲
(à part)
Comme j'ai bien fait de ne pas amener la baronne…
(haut)
Ah! pourquoi suis-je marié!

▼PAULINE▲
Puisque je le suis aussi, moi.

▼LE BARON▲
C'est juste! j'ai dit une bêtise…

▼PAULINE▲
Non… ce n'est pas là l'obstacle.

▼LE BARON▲
L'obstacle.

▼PAULINE▲
C'est que je me méfie…

▼LE BARON▲
Ah!

▼PAULINE▲
Vous êtes là près de moi, vous me regardez, je vous regarde. Eh bien! là, voulez-vous que je vous dise? vous ne me faites pas l'effet d'un homme qui sait ce que c'est que l'amour.

▼LE BARON▲
Moi… je ne saurais pas…

Duetto

▼PAULINE▲
▼I▲
L'amour, c'est une échelle immense
Qui commence
Sur la terre et finit aux cieux!
L'amour, pour moi, c'est le nuage
Qui voyage
Et s'en va vers les pays bleus!

(Ensemble)

O beau nuage,
Qui voyage,
Ne t'en va pas sans nous, sans nous,
Vers ce pays si doux, si doux,
O beau nuage,
Emporte-nous!

▼PAULINE▲
▼II▲
Elle est là-bas cette contrée
Adorée,
Où l'on voudrait vivre toujours!
Filons vers la terre promise!
Bonne brise!
Allons aux pays des amours!

(Ensemble)

O beau nuage,
Qui voyage, etc., etc.

▼SCÈNE VIII▲
(Les mêmes, Clara, Louise, Léonie, Prosper, Caroline, Julie, Augustine)

▼PROSPER▲
(annonçant)
Madame la vicomtesse de la Pépinière.

(Entre Clara en grande toilette)

▼LE BARON▲
Ah! quelqu'un…

▼PAULINE▲
Ça ne m'étonne pas, seule avec vous, ce bonheur-là ne pouvait pas durer.
(à Clara)
Cette chère vicomtesse.

▼PROSPER▲
(annonçant)
Madame la baronne de la Haute-Venue
(Entre Louise)
Madame la marquise de la Farandole!

(Entre Léonie)

▼PAULINE▲
Cette chère baronne, cette chère marquise!

▼LÉONIE▲
Cette chère amirale. Oh! mais, vous avez un air de contentement.

▼PAULINE▲
Ça se voit…

▼LÉONIE▲
Parfaitement…

▼PAULINE▲
(à part)
Ah! mais alors me voilà perdue, moi.

▼PROSPER▲
(annonçant il est en domestique)
Madame la marquise de la Butte-Jonvel, madame la baronne de Galuchet, madame la comtesse de Valangoujar.

(Entrent Caroline, Julie, Augustine)

▼PAULINE▲
(présentant le baron)
Monsieur le baron de Gondremarck…

▼LES FEMMES▲
(saluant; grandes révérences)
Baron…

▼LE BARON▲
Mesdames…

▼PROSPER▲
(annonçant)
Madame de Sainte-Amaranthe… le général de Porto-Rico déjà nommé!

(Entre Gabrielle an bras d'Urbain)

▼SCÈNE IX▲
(Les mêmes, Gabrielle, Urbain en général)

▼URBAIN▲
(entrant)
C'est une distribution de prix… on va nous embrasser.

▼LE BARON▲
(à Gabrielle)
Oh! madame, quel heureux hasard!

▼PAULINE▲
(jalouse)
Ah! vous connaissez madame?

▼LE BARON▲
A peine!

▼PAULINE▲
Je vous défends de la regarder.
(à Gabrielle)
Chère madame.

▼GABRIELLE▲
Madame…

▼PAULINE▲
Oh! mais quelles toilettes, mesdames, quelles toilettes! qu'en pensez-vous, baron?

▼LE BARON▲
Je les trouve adorables… Cependant je préfère celles que les Parisiennes font pour se promener à pied. Ainsi, tenez, ce matin, je suis sorti à midi… mon intention était d'aller visiter les Invalides… sur ma route j'ai trouvé un tas de petites femmes qui trottinaient, trottinaient, trottinaient… J'ai complètement lâché les Invalides.

▼GABRIELLE▲
Vous êtes observateur… Il n'y a vraiment que les Parisiennes qui sachent sortir à pied.

Couplets

▼I▲
On va courir,
On va sortir,
Sortir à pied… pas en berline
On va pouvoir
En laisser voir
Un peu plus haut que la bottine,
Ah! que d'apprêts,
De soins coquets,
Quel tracas pour la chambrière!
Enfin c'est fait,
Elle paraît,
La Parisienne armée en guerre!
En la voyant on devient fou,
Et l'on ressent là comme an choc;
Sa robe fait frou, frou, frou, frou,
Ses petits pieds font toc, toc, toc.

(Ensemble)

Sa robe fait frou, frou, frou, frou,
Ses petits pieds font toc, toc, toc,

▼GABRIELLE▲
▼II▲
Le nez au vent,
Trottant, trottant, trottant,
Elle s'en va droit devant elle.
En la croisant,
Chaque passant,
S'arrête et dit: Dieu! qu'elle est belle!
Ce compliment,
Elle l'entend,
Et suit son chemin toute fière,
Se balançant,
Se trémoussant,
D'une façon particulière.
En la voyant on devient fou, etc., etc.

(Ensemble)

Sa robe fait frou, frou, frou, frou, etc, etc.

(Entre Prosper en diplomate)

▼SCÈNE X▲
(Les mêmes, Prosper, puis Bobinet en amiral suisse, éperons, épaulettes, décorations folles; à la main un porte-voix; un grand trou dans le dos)

▼PROSPER▲
Ah! mesdames… ah! messieurs…

▼PAULINE▲
Qu'y a-t-il, prince?

▼PROSPER▲
Si vous saviez.

▼LE BARON▲
Je vous en prie… dites-nous…

▼PROSPER▲
L'amiral, mesdames et messieurs, voici l'amiral.

(Tout le monde s'écarte, bouscule les meubles et dégage la porte du fond)

▼TOUS▲
L'amiral! l'amiral!…

(Entre Bobinet)

▼BOBINET▲
Dieu vous garde, messieurs…
(Il arrive sur le devant de la scène)
J'ai fini par entrer dans mon uniforme, et ça m'étonne même d'y être tout d'un coup entré si facilement.

▼PAULINE▲
M. de Gondremarck, mon ami…

▼BOBINET▲
Ah! ce cher baron…

(En allant saluer Gabrielle et Clara, Bobinet passe devant le baron qui voit le trou)

Sextuor

▼LE BARON▲
Votre habit a craqué dans le dos!

▼BOBINET▲
Mon habit a craqué dans le dos!

▼TOUS▲
Son / Mon habit a craqué dans le dos!

▼LE BARON▲
Cela gâte ce beau costume.

▼PAULINE▲
Ce sont là de nobles accrocs.

▼PROSPER▲
Vous pourriez attraper un rhume.

▼GABRIELLE▲
Baron, c'est l'habit d'un héros.

(Reprise de l'ensemble.)

Son / Mon habit a craqué dans le dos!

▼LE BARON▲
Mon Dieu, cher amiral.

▼PAULINE▲
(bas au baron)
Vous allez parler à mon mari…

▼LE BARON▲
Oui, j'allais…

▼PAULINE▲
Promettez-moi de ne pas le provoquer…

▼LE BARON▲
Pour qui me prenez-vous? vous allez voir…
(allant à Bobinet)
Vous avez de beaux éperons…

▼BOBINET▲
Cela fait bien.

▼LE BARON▲
Je ne dis pas le contraire; mais je croyais que les amiraux n'en portaient pas.

▼BOBINET▲
Dans les pays qui ont une marine, mais la Suisse n'en ayant pas…

▼LE BARON▲
C'est juste, mais alors…

▼BOBINET▲
(avec hauteur)
Mais alors…

▼LE BARON▲
Si la Suisse n'a pas de marine, comment êtes-vous amiral?…

▼BOBINET▲
C'est de naissance!…

▼LE BARON▲
Drôle d'amiral!…

▼BOBINET▲
Et maintenant, général, sonnez, afin que l'on nous serve à souper.

▼URBAIN▲
Oh! sonner…

▼PROSPER▲
Pourquoi sonner…

▼PAULINE▲
Si l'on sonne, il viendra des domestiques.

▼LOUISE▲
On ne pourra plus s'amuser.

▼GABRIELLE▲
C'est vrai, ça… quand il y a des domestiques, on est obligé de se tenir…

▼PAULINE▲
Tandis que quand il n'y en a pas…

▼PROSPER▲
Renvoyons les domestiques…

▼TOUS▲
C'est ça… envoyons-les… renvoyons-les…

▼BOBINET▲
Renvoyez-les, renvoyez-les.

▼TOUS▲
(parlant aux portes)
Allez-vous en, domestiques, allez-vous en.

(Le baron stupéfait regarde tout cela)

▼PAULINE▲
Là, ils sont partis…

▼PROSPER▲
Nous nous servirons nous-mêmes. Allons chercher la table, mes amis, allons chercher la table.

▼PAULINE▲
Voyons, baron, allez chercher la table.

▼LE BARON▲
Quoi, vous voulez…

▼PAULINE▲
Je vous en prie…

▼LE BARON▲
Ah bah! allons chercher la table.
(Il sort)

▼PAULINE▲
(aux dames)
Vous connaissez la consigne, mesdames, il faut que ce baron ne sorte pas d'ici…

▼LÉONIE▲
Comment le retenir?…

▼GABRIELLE▲
Si nous commencions par le griser?

▼PAULINE▲
Grisons-le…

▼GABRIELLE▲
Si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal.

(Rentrent les hommes apportant trois petites tables. Pendant le chœur qui suit, on se place dans l'ordre suivant: à la table de gauche, Prosper, Clara et Louise; à celle du milieu, Gabrielle, le baron et Pauline; à celle de droite, Bobinet, Urbain et Léonie)

Finale

▼GABRIELLE▲
Soupons, soupons, c'est le moment,
Et tâchons de souper gaîment.
Ne nous lançons pas tout de suite
Allons doucement, piano, piano,
C'est sottise d'aller trop vite,
Qui va piano, va sano.

▼LE BARON▲
Prenez mon bras, madame.

▼PAULINE▲
Je le veux bien, baron.

▼PROSPER▲
Souffrez que je réclame.

▼CLARA▲
Je ne vous dis pas non.

▼BOBINET▲
La comtesse est exquise.

▼LÉONIE▲
Taisez-vous, amiral.

▼URBAIN▲
M'acceptez-vous, marquise?

▼GABRIELLE▲
Comment donc! général.

(Ensemble)

Ne nous lançons pas trop vite, etc., etc.

(On s'assied)

▼BOBINET▲
Traçons notre plan de campagne
(à Urbain)
Chez vous, en quoi se grise-t-on?

▼URBAIN▲
En Bourgogne?

▼BOBINET▲
(à Prosper)
Et vous?

▼PROSPER▲
En Champagne.

▼BOBINET▲
(à Pauline)
Et vous?

▼PAULINE▲
En Bordeaux.

▼BOBINET▲
Et le baron.

▼LE BARON▲
En tout; en tout, moi je me grise en tout.

▼PROSPER▲
Cette réponse est de bon goût.

▼LE BARON▲
Si nous voulons nous amuser,
En nous grisant, il faut, marquises,
Il faut dire un tas de bêtises.

(Ensemble)

Nous allons dire des bêtises.

▼BOBINET▲
▼I▲
En endossant mon uniforme,
Je vis qu'il n'était pas complet,
Je m'aperçus… lacune énorme!
Que je n'avais pas mon plumet.

▼PROSPER▲
De nos hôtes chantons la gloire,
Tous deux ils savent nous charmer,
Oui, tous deux, car l'un nous fait boire.
Et l'autre elle nous fait aimer.

▼TOUS▲
Ah! ah! ah! ça commence!

▼PROSPER▲
Ah! ah! ah! ça commence!
Tout tourne, tout danse,
Et voilà déjà,
Que ma tête s'en va!

▼TOUS▲
Tout tourne, tout danse,
Et voilà déjà,
Que ma tête s'en va!

▼URBAIN▲
▼II▲
Volontiers, je fais longue pause,
Quand on me verse du bon vin,
Je prends racine où l'on m arrose,
Comme une fleur dans un jardin.

▼GABRIELLE▲
Ce que je ne m'explique guères,
C'est pourquoi l'on boit à Paris,
Le mauvais vin dans les grands verres,
Et le bon vin dans les petits.

▼TOUS▲
Ah! ah! ah! ça commence.

▼GABRIELLE▲
Ah! ah! ah! ça commence!
Tout tourne, tout danse, etc…

▼PAULINE▲
(élevant son verre)
A vous, baron.

▼CLARA▲
(même jeu)
A vous, baron.

▼LÉONIE▲
(même jeu)
A vous, baron.

▼CLARA▲
(même jeu)
A vous, baron.

▼LE BARON▲
(qui est gris)
Ah! mesdames, je vous fais raison.
A la marquise, à la duchesse,
A la baronne, à la comtesse.

▼BOBINET▲
(également gris)
Baron, je porte une santé,
Et cette santé, c'est la tienne.

▼LE BARON▲
Amiral, ta main dans la mienne.
Ta femme est belle, en vérité.

▼TOUS▲
(buvant au baron)
A vous, baron!

▼LE BARON▲
Pardieu, je vous ferai raison!

▼PROSPER▲
(regardant le baron)
Il est gris.

▼BOBINET▲
Il est gris.

(Ensemble)
Il est gris, tout à fait gris.

▼URBAIN▲
Il est gris.

▼LE BARON▲
Moi pas gris.

▼BOBINET▲
Il est gris.

▼LE BARON▲
Ils sont tous gris.

(Ensemble)

▼LE BARON▲
Moi pas gris,
Mais vous tous gris.

▼TOUS LES AUTRES▲
Il est gris,
Tout à fait gris.

▼GABRIELLE▲
Quand on boit, il est une chose
Qui me surprend fort, mes amis,
Et c'est que pour tout voir en rose,
Il faille soi-même être gris.

(Reprise de l'ensemble)

Il est gris.
Etc., etc.

(Puis ensuite, sur un mouvement de polka, reprise de l'ensemble: Tout tourne, tout danse. Ils sont tous complétement gris)

Chœur Final

Feu partout!
Lâchez tout!
Qu'on s'élance,
Que l'on danse!
Feu partout!
Lâchez tout!
Feu partout!

▼LE BARON▲
à l'amiral
Ohé, l'amiral! ta fête
Est charmante, sur l'honneur,
Du champagne plein la tête
Et de l'amour plein le cœur.
Dans l'monde où l'on s'tient, cher maître,
Si l'on prend de tels ébats,
Mon Dieu! qu'est-c'que ça doit être,
Dans l'monde où l'on n'se tient pas.

▼TOUS▲
(reprenant)
Feu partout! etc., etc.

(Danse folle à la chute du rideau)
ACTE TROISIÈME
Le grand salon de l'hôtel de Quimper-Karadec; mobilier sévère, portraits de famille

SCÈNE PREMIÈRE
Urbain, Prosper, Pauline, Clara, Léonie, Caroline, Julie, Augustine, Louise. Au lever du rideau ils sont tous en train d'allumer les bougies, do mettre des fleurs dans les jardinières, etc.

CHOEUR
Il faut nous dépêcher vite
De tout arranger,
Pour recevoir la visite
De cet étranger.

Entre Bobinet

SCÈNE II
Les mêmes, Bobinet

BOBINET
Eh bien, mes enfants, cela commence-t-il à prendre tournure?…

PAULINE
Voyez, monsieur.

BOBINET
C'est très-bien… mais avant tout, passons la ligne de mon personnel. Voyons un peu… les femmes d'abord… comment sont-elles?… mais très-bien! très-bien, la femme de chambre!…

PAULINE
amèrement
C'est aujourd'hui que vous vous en apercevez?…

BOBINET
l'embrassant
Fous que nous sommes… nous allons chercher le bonheur bien loin… nous l'avons sous la main. – Très-bien, aussi, les nièces du concierge…
Il les embrasse
Fous que nous sommes… nous allons chercher le… mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit… Écoutez-moi, mes amis, vous m'avez bien compris, vous savez ce que j'attends de vous… Reproduction exacte d'une soirée dans le grand monde… c'est entendu…

PROSPER
descendant près de Bobinet
Parfaitement; des personnages de haute distinction…

LÉONIE.
Et des dames de haute excentricité…

BOBINET
C'est cela même…

URBAIN
Mais des costumes de haute fantaisie…

BOBINET
aux deux hommes
Ceux des hommes sont là…
Aux femmes
Quant à vous, mes demoiselles, vous avez des toilettes à vos maîtresses…

PAULINE
Certainement… madame de Folle Verdure ne met jamais ses robes qu'une fois… au plus…

LÉONIE
Elle nous les donne après cela…

URBAI
Ce n'est pas comme monsieur… avec ses pantalons…

BOBINET
à Urbain
C'est à merveille alors… ne perdons pas de temps! allez vous habiller.

TOUS
Allons.

Fausse sortie

PROSPER
Ah! diable, mais il va nous manquer quelque chose…

BOBINET
Quoi donc?…

PROSPER
Du moment que vos domestiques seront vos invités… vous n'aurez pas de domestiques… à moins qu'il ne vienne des invités pour faire les domestiques…

BOBINET
Ah! diable! c'est vrai…

TOUS
C'est vrai… c'est vrai…

URBAIN
Alors tout est perdu…

PROSPER
Non, tout n'est pas perdu… vous aurez vos invités… vous aurez vos domestiques… vous verrez… vous verrez.

BOBINET
Bons serviteurs!

Sextuor

BOBINET
Donc, je puis me fier à vous,

TOUS
Vous pouvez vous fier à nous.

BOBINET
Les rôles seront difficiles.

PAULINE
Les artistes seront habiles.

PROSPER
Les bêtises,
Les sottises,
Les potins et les caquets
Dont abonde
Le grand monde,
Sont bien connus des valets!
Ils observent
Ceux qu'ils servent,
Et le maître qui les a,
Les égaie
Et les paie
Exactement pour cela!
Les grimaces,
Si cocasses,
Que maint et maint important
Qu'on admire,
Fait sans rire,
Nous les ferons en riant!
En un mot, ne craignez rien,
Si vous voulez des gens de bien
On vous en montrera,
Fournira,
Servira,
Autant qu'il vous en faudra.

TOUS
Autant, autant, autant qu'il en faudra.

Reprise de l'ensemble

Comptez sur nous, notre bon maître,
Ne craignez rien,
On dira, nous voyant paraître:
Ah! qu'ils sont bien!

BOBINET
C'est cela, mes bons amis!
Ah! que vous m'avez bien compris!

TOUS
Oui, nous avons bien compris.

URBAIN
Ah! nous allons vous manigancer
Un petit bal à tout casser!

TOUS
Un petit bal à tout casser!

PAULINE
Nous les femmes,
De ces dames
Nous prendrons le ton galant,
Les manières
Cavalières,
Leur air crâne et provoquant!
Leur toilette
De conquête,
C'est nous qui la préparons;
Ces coquettes
Cocodettes
C'est nous qui les habillons;
Pour nous plaire
On va faire
Un tout contraire métier,
Les comtesses,
Nos maîtresses,
On va les déshabiller.
En un mot ne craignez rien,
Si vous voulez des gens de bien,
On vous en montrera,
Servira,
Fournira,
Autant qu'il vous en faudra!

Reprise de l'ensemble

Comptez sur nous notre bon maître, etc., etc.

Tout le monde sort excepté Bobinet

SCÈNE III
Bobinet, puis Gardefeu

BOBINET
Allez, mes amis, allez!

Entre Gardefeu

GARDEFEU
Bonjour, cher?…

BOBINET
Eh bien, ta baronne?…

GARDEFEU
Elle est aux Italiens sans son mari, et à minuit elle rentrera seule chez moi…

BOBINET
Et tes affaires, comment marchent-elles?…

GARDEFEU
Tu vas en juger… Ce matin, elle me dit: venez me prendre à trois heures avec une voiture… Je fais atteler ma calèche, et à trois heures, j'arrive… La baronne paraît… avec son mari. J'aurais préféré que le mari n'y fût pas… Enfin! ils s'installent et me disent de monter… Je veux monter dans la voiture… Eh bien! qu'est-ce que c'est? me dit fièrement le baron… montez à côté du cocher… et menez-nous au bois de Boulogne, autour du lac!… Au bois de Boulogne… autour du lac… à côté de mon cocher!… J'essaie de faire entendre à ce baron que maintenant l'usage du grand monde est d'aller se promener au bois de Vincennes… Il est très-bien le bois de Vincennes…

BOBINET
On y voit des artilleurs…

GARDEFEU
Justement, c'est ce que je lui ai dit… Je tiens à aller au bois de Boulogne, me répond ce mari, marchez!… et nous marchons… J'étais dans un état… si tu veux voir un homme qui n'a pas manqué son effet… tout Paris élégant était au Bois…Il y avait là: Carcasson, Bonnivet, Pitou.

BOBINET
avec éclat
Pitou est à Paris…

GARDEFEU
Oui…

BOBINET
amèrement
Et il n'est pas venu me voir…

GARDEFEU
Il y avait Lagingeole, Tristapatte et Doublemar… Il est bien changé. Doublemar.

BOBINET
Ça ce n'est pas un mal… il y aurait du changer plus tôt. – Enfin, tout ce qu'il y a de plusdistingué était au bois…

GARDEFEU
Ils étaient à cheval… En me voyant sur le siége, à côté de mon cocher, ils ont été stupéfaits, ils m'ont salué de la main, comme ça… et ils se sont mis à suivre la voiture au petit trot. Qu'est-ce que c'est que ces gens-là? m'a crié le baron dans le dos?… Ce sont des amis à moi, des maîtres-d'hôtel… Pendant ce temps-là, notre escorte grossissait… Ils étaient quarante qui suivaient la voiture… Ça a impatienté le baron!

BOBINET
Je comprends cela, ça a dû le crisper d'être suivi par tant de maîtres-d'hôtel…

GARDEFEU
Ça l'a crispé, et il m'a dit: J'en ai assez du bois de Boulogne, mais votre mot d'artilleurs m'a fait venir une idée, conduisez-nous au musée d'artillerie… Le musée d'artillerie, je ne savais pas où c'était, mon cocher non plus… avouer mon ignorance c'était me perdre… j'ai répondu: je vais vous y conduire, et je les ai bravement menés au bazar Bonne Nouvelle! Voilà ma journée!

BOBINET
Mon pauvre ami…

GARDEFEU
Si je ne me démasque pas ce soir, la journée de demain sera pareille. Voilà pourquoi je tiens absolument à me démasquer ce soir…

BOBINET
Ton baron a dû recevoir une invitation…

GARDEFEU
Il en a reçu une ainsi conçue: »L'amiral Walter prie M. de Gondremarck de lui faire l'honneur de passer la soirée…« Qu'est-ce que c'est que ça l'amiral Walter?…

BOBINET
Tu ne connais pas l'amiral Walter: c'est moi… j'ai un costume d'amiral suisse qui ne m'a servi qu'une fois et que je ne serai pas fâché de remettre…

GARDEFEU
Mon baron aura sa soirée, alors…

BOBINET
Il aura sa soirée; mais ça sera maigre… dix personnes seulement…

GARDEFEU
Dix…

BOBINET
Pas une de plus…

GARDEFEU
Je t'enverrai madame de Sainte-Amaranthe… Comme cela, vous serez onze!

BOBINET
Oh! si nous sommes onze!… Qu'est-ce que c'est que madame de Sainte-Amaranthe?…

GARDEFEU
C'est ma gantière; je t'aurais bien aussi envoyé Frick, mon bottier, mais c'est un homme impossible… imagine-toi qu'au milieu du dîner il voulait absolument forcer le baron de Gondremarck à ôter ses bottes…

BOBINET
Oh! ne m'envoie pas cet homme-là! Un homme qui veut que l'on se déchausse au rôti…

GARDEFEU
Sois tranquille!

BOBINET
Ce serait une invraisemblance, et, vois-tu… pour que ces sortes de choses réussissent, il ne faut pas d'invraisemblances…

GARDEFEU
Il n'en faut pas; s'il y a des invraisemblances, nous sommes perdus…

BOBINET
Sauve-toi maintenant.

GARDEFEU
Je me sauve… tâche que Gondremarck reste longtemps ici…

BOBINET
Je chargerai Pauline de le retenir…

GARDEFEU
Pauline?…

BOBINET
Oui, c'est la femme de chambre. C'est elle qui sera madame l'amirale… elle est très-jolie…

GARDEFEU
Oh! alors…

Prosper entre et annonce

PROSPER
M. le baron de Gondremarck…

GARDEFEU
Je vais retrouver la baronne…

BOBINET
Et moi, je vais m'habiller…
Gardefeu sort par la droite, Bobinet par la gauche. – Au moment où Gondremark entre en saluant, les deux portes se ferment avec violence

SCÈNE IV
Le baron, Prosper

LE BARON
Personne. J'arrive trop tôt, il me semble…
à Prosper
Madame l'amirale?…

PROSPER
Chut!
Il met un doigt sur sa bouche

LE BARON
Comment?

PROSPER
Chut!

LE BARON
Et l'amiral?…

PROSPER
Il met ses ordres et je vais prendre les siens…

Il sort

SCÈNE V
Le baron, puis Urbain et Prosper

LE BARON
Décidément, j'arrive trop tôt… beaucoup trop tôt… mais que ne pardonnerait-on pas à un noble étranger qui ne connaît pas la haute société parisienne, et qui sur les choses étranges, plus qu'étranges, qui lui en ont été dites… brûle de la connaître?… c'est ce matin que j'ai reçu mon invitation… L'amiral Walter et madame Walter prient M. de Gondremarck… l'amiral Walter? je ne connais pas du tout… je ne savais pas si je devais venir… J'ai consulté mon guide, il m'a répondu… Allez-y… Je ne vous dis que ça… – Mais c'est qu'on n'invite pas la baronne… – Vous pouvez l'emmener si vous voulez, mais si j'étais à votre place, moi, je ne l'emmènerais pas; et mon guide, en me disant cela, avait un air si malin, que, ma foi, je n'ai pas emmené la baronne…

Entre Urbain enveloppé dans une livrée qui lui bat les talons

URBAIN
annonçant
Le général Malaga de Porto-Rico!…
Urbain sort

LE BARON
Oh! oh! voilà un personnage…. Mon guide m'a dit: il n'y aura pas grand monde… Mais, ça sera d'un choisi…

Rentre Urbain en costume extravagant de général péruvien

URBAIN
Monsieur…

LE BARON
Général…

URBAIN
M. de Gondremarck, je suis sûr…

LE BARON
Vous me connaissez?…

URBAIN
Je connais tous les habitués de ce salon… vous, je ne vous connais pas, c'est à ça que je vous ai reconnu.

LE BARON
Quelle perspicacité!
à part
Oh! les hommes supérieurs!

PROSPER
également en grande livrée qui lui bat les talons
Le prince Adhémar de Manchabal, ministre ultra plénipotentiaire en disponibilité!
Il sort

URBAIN
empêchant le baron de se retourner
Le prince de Manchabal! l'idéal du diplomate, figure impassible! je vais vous le présenter.

Rentre Prosper, culotte, habit brodé

PROSPER
Hum! Hum!

URBAIN
saluant
Prince…

PROSPER
saluant
Général…

URBAIN
présentant le baron
Le baron de Gondremarck.

PROSPER
Enchanté!

URBAIN
au baron
Le prince de Manchabal…
à l'oreille
Le premier diplomate de l'époque…
haut
Maintenant, Prince, présentez-moi…

PROSPER
avec un bégaiement marqué
Le général Malaga de Porto-Rico.
à l'oreille
Le premier tic-tac…

URBAIN
Tac tic…

PROSPER
Tic tac… tacticien de son temps…

LE BARON
Il ne s'exprime pas avec fa… facilité…
à part
Me voilà avec des sommités…
haut
Mais l'amiral et sa délicieuse compagne?

PROSPER
Chut!

URBAIN
Chut!

LE BARON
à part
Je vais donc entendre causer des hommes supérieurs… Nous allons parler littérature, science, hygiène…

PROSPER
Eh bien, baron, dites-nous un peu ce que vous pensez de Paris?…

LE BARON
Mon Dieu, messieurs, il m'a semblé qu'on en exagérait un peu les merveilles… Ainsi, hier, je me suis fait conduire au musée d'artillerie… boulevard Bonne-Nouvelle…

PROSPER ET URBAIN
Boulevard Bonne-Nouvelle…

LE BARON
Eh bien, je m'en faisais une toute autre idée… J'y ai trouvé beaucoup de batteries de cuisine, mais pas une d'artillerie!

PROSPER
riant
On vous a mené à la ménagère…

URBAIN
riant
A la ménagère!… à la ménagère… Voulez-vous y aller, au musée d'artillerie?…

PROSPER
Je vous y mènerai, moi!…

URBAIN
Prince, voilà une chose que je ne tolérerai pas…

PROSPER
Et quoi donc, général?…

URBAIN
J'offre au baron de le conduire au musée d'artillerie, et vous venez me le souffler.

PROSPER
Qu'est-ce que vous dites?…

URBAIN
C'est avec moi que monsieur viendra…

PROSPER
Non pas, c'est avec moi…

LE BARON
Messieurs, je vous en prie…

URBAIN
N'est-ce pas, baron… que c'est avec moi…

PROSPER
Non avec moi…

URBAIN
A-t-on jamais vu… diplomate d'occasion!

PROSPER
Général de paco, paco, paco… je ne pourrai jamais dire pacotille.

LE BARON
Messieurs, messieurs…

URBAIN
Ah! voilà madame l'amirale!

Pauline a paru à la porte du fond. Toilette étourdissante. Urbain et Prosper remontent et redescendent avec elle

SCÈNE VI
Les mêmes, Pauline

LE BARON
Ah! madame l'amirale.

URBAIN
le présentant
M. de Gondremarck!

LE BARON
J'ai reçu votre charmante invitation, madame, et je me suis hâté!

PAULINE
très-digne
Je suis heureuse, monsieur, que vous ayez bien voulu choisir ma maison pour y faire vos débuts dans la haute société parisienne.

LE BARON
Madame…
à part
A la bonne heure, je me retrouve! Me voilà dans mon milieu… parce que tout à l'heure le général de pacotiile
haut
Et cet excellent amiral, est-ce que nous ne le verrons pas?…

PAULINE
Mais il ne peut pas venir.

PROSPER
Pourquoi ça?…

PAULINE
Pas possible d'entrer dans son uniforme…

URBAIN
Il aura engraissé…

On sonne

PROSPER ET URBAIN
Voilà! voilà!

LE BARON
Qu'est-ce que c'est?…

On sonne plus fort

PAULINE
à Urbain et à Prosper
Tenez… il s'impatiente…

URBAIN ET PROSPER
On y va! on y va!

Ils sortent en courant; le baron ébahi les regarde s'en aller

SCÈNE VII
Le baron, Pauline

LE BARON
Qu'est-ce que c'est encore que ça.

PAULINE
Qu'avez-vous?…

LE BARON
Mais il me semble que le prince et le général nous quittent d'une façon un peu singulière.

PAULINE
avec expression
Vous vous en plaignez…

Coup d'oeil jeu de scène

LE BARON
Moi, pas du tout…
à part
Les voilà donc ces femmes du grand monde parisien… Ah!

PAULINE
à part
Le retenir ici le plus tard possible… Voilà ce qu'on m'a recommandé!

LE BARON
Les Parisiennes! les Parisiennes!

PAULINE
Venez vous asseoir près de moi… plus près… plus près encore.
Il s'assied… elle s'assied auprès de lui sur le canapé et en étalant ses jupes elle couvre le baron de sa robe; celui-ci disparaît complètement
Où êtes vous, mon ami?

LE BARON
reparaissant
Là, madame…

PAULINE
Ah! bien… Vous aussi, j'en suis sûre, vous pensez du mal de nous?…

LE BARON
Par exemple!

PAULINE
Oui… vous vous dites: ah! ces femmes du monde, coquettes, dépensières… toquées…

LE BARON
Oh! oh!

PAULINE
Tout cela est vrai… mais à qui la faute?… à la société moderne qui ne laisse aux femmes qu'une place insuffisante…

LE BARON
Oh! quant à cela…

PAULINE
Vous dites?…

LE BARON
regardant la place que tiennent les jupes de Pauline
Je dis que quant à la place insufsante…

PAULINE
lui donnant un petit coup dans l'estomac
Farceur!

Elle se lève

LE BARON
Madame…

PAULINE
Oui, tout ce que l'on dit de nous est vrai; mais si l'on savait… on ne sait pas… pourquoi toutes ces folies? c'est que nous avons besoin de nous étourdir… c'est que nous souffrons… c'est qu'il nous manque quelque chose…

LE BARON
Quoi donc?…

PAULINE
rêveuse
Ah! pourquoi me le demandez-vous…

LE BARON
ardent
Pour le savoir…

PAULINE
Eh bien! voilà, il nous manque…
avec un regard de flamme
celui que nous avons rêvé…

LE BARON
Ce regard…

PAULINE
Vous savez… jeune fille, on rêve… un idéal, mais quand on est jeune fille, on ne peut pas chercher… voilà le diable… Alors, on se marie pour avoir le droit de chercher, et on cherche…

LE BARON
C'est pour cela que vous vous êtes mariée…

PAULINE
Pas pour autre chose…

LE BARON
Et vous avez cherché!…

PAULINE
Je vous en réponds… mais je n'avais pas rencontré…
en le regardant tendrement
jusqu'à présent…

LE BARON
avec transport
Jusqu'à présent!

PAULINE
Je ne l'ai pas dit…

LE BARON
Vous l'avez dit…

PAULINE
petit coup dans l'estomac
Ah! non!

LE BARON
Ah! si!

PAULINE
nouveau petit coup dans l'estomac
Je vous dis que je ne l'ai pas dit…

LE BARON
lui donnant une tape sur l'épaule
Je vous dis que vous l'avez dit.

PAULINE
avec une tristesse mêlée de fierté
Ah! voilà que vous me méprisez déjà!

LE BARON
confus
Madame…

PAULINE
gaiement
On m'appelle Pauline.

LE BARON
Pauline…

PAULINE
à part, le regardant
Voilà un homme qui n'a pas envie de s'en aller.

LE BARON
à part
Comme j'ai bien fait de ne pas amener la baronne…
haut
Ah! pourquoi suis-je marié!

PAULINE
Puisque je le suis aussi, moi.

LE BARON
C'est juste! j'ai dit une bêtise…

PAULINE
Non… ce n'est pas là l'obstacle.

LE BARON
L'obstacle.

PAULINE
C'est que je me méfie…

LE BARON
Ah!

PAULINE
Vous êtes là près de moi, vous me regardez, je vous regarde. Eh bien! là, voulez-vous que je vous dise? vous ne me faites pas l'effet d'un homme qui sait ce que c'est que l'amour.

LE BARON
Moi… je ne saurais pas…

Duetto

PAULINE
I
L'amour, c'est une échelle immense
Qui commence
Sur la terre et finit aux cieux!
L'amour, pour moi, c'est le nuage
Qui voyage
Et s'en va vers les pays bleus!

Ensemble

O beau nuage,
Qui voyage,
Ne t'en va pas sans nous, sans nous,
Vers ce pays si doux, si doux,
O beau nuage,
Emporte-nous!

PAULINE
II
Elle est là-bas cette contrée
Adorée,
Où l'on voudrait vivre toujours!
Filons vers la terre promise!
Bonne brise!
Allons aux pays des amours!

Ensemble

O beau nuage,
Qui voyage, etc., etc.

SCÈNE VIII
Les mêmes, Clara, Louise, Léonie, Prosper, Caroline, Julie, Augustine

PROSPER
annonçant
Madame la vicomtesse de la Pépinière.

Entre Clara en grande toilette

LE BARON
Ah! quelqu'un…

PAULINE
Ça ne m'étonne pas, seule avec vous, ce bonheur-là ne pouvait pas durer.
à Clara
Cette chère vicomtesse.

PROSPER
annonçant
Madame la baronne de la Haute-Venue
Entre Louise
Madame la marquise de la Farandole!

Entre Léonie

PAULINE
Cette chère baronne, cette chère marquise!

LÉONIE
Cette chère amirale. Oh! mais, vous avez un air de contentement.

PAULINE
Ça se voit…

LÉONIE
Parfaitement…

PAULINE
à part
Ah! mais alors me voilà perdue, moi.

PROSPER
annonçant il est en domestique
Madame la marquise de la Butte-Jonvel, madame la baronne de Galuchet, madame la comtesse de Valangoujar.

Entrent Caroline, Julie, Augustine

PAULINE
présentant le baron
Monsieur le baron de Gondremarck…

LES FEMMES
saluant; grandes révérences
Baron…

LE BARON
Mesdames…

PROSPER
annonçant
Madame de Sainte-Amaranthe… le général de Porto-Rico déjà nommé!

Entre Gabrielle an bras d'Urbain

SCÈNE IX
Les mêmes, Gabrielle, Urbain en général

URBAIN
entrant
C'est une distribution de prix… on va nous embrasser.

LE BARON
à Gabrielle
Oh! madame, quel heureux hasard!

PAULINE
jalouse
Ah! vous connaissez madame?

LE BARON
A peine!

PAULINE
Je vous défends de la regarder.
à Gabrielle
Chère madame.

GABRIELLE
Madame…

PAULINE
Oh! mais quelles toilettes, mesdames, quelles toilettes! qu'en pensez-vous, baron?

LE BARON
Je les trouve adorables… Cependant je préfère celles que les Parisiennes font pour se promener à pied. Ainsi, tenez, ce matin, je suis sorti à midi… mon intention était d'aller visiter les Invalides… sur ma route j'ai trouvé un tas de petites femmes qui trottinaient, trottinaient, trottinaient… J'ai complètement lâché les Invalides.

GABRIELLE
Vous êtes observateur… Il n'y a vraiment que les Parisiennes qui sachent sortir à pied.

Couplets

I
On va courir,
On va sortir,
Sortir à pied… pas en berline
On va pouvoir
En laisser voir
Un peu plus haut que la bottine,
Ah! que d'apprêts,
De soins coquets,
Quel tracas pour la chambrière!
Enfin c'est fait,
Elle paraît,
La Parisienne armée en guerre!
En la voyant on devient fou,
Et l'on ressent là comme an choc;
Sa robe fait frou, frou, frou, frou,
Ses petits pieds font toc, toc, toc.

Ensemble

Sa robe fait frou, frou, frou, frou,
Ses petits pieds font toc, toc, toc,

GABRIELLE
II
Le nez au vent,
Trottant, trottant, trottant,
Elle s'en va droit devant elle.
En la croisant,
Chaque passant,
S'arrête et dit: Dieu! qu'elle est belle!
Ce compliment,
Elle l'entend,
Et suit son chemin toute fière,
Se balançant,
Se trémoussant,
D'une façon particulière.
En la voyant on devient fou, etc., etc.

Ensemble

Sa robe fait frou, frou, frou, frou, etc, etc.

Entre Prosper en diplomate

SCÈNE X
Les mêmes, Prosper, puis Bobinet en amiral suisse, éperons, épaulettes, décorations folles; à la main un porte-voix; un grand trou dans le dos

PROSPER
Ah! mesdames… ah! messieurs…

PAULINE
Qu'y a-t-il, prince?

PROSPER
Si vous saviez.

LE BARON
Je vous en prie… dites-nous…

PROSPER
L'amiral, mesdames et messieurs, voici l'amiral.

Tout le monde s'écarte, bouscule les meubles et dégage la porte du fond

TOUS
L'amiral! l'amiral!…

Entre Bobinet

BOBINET
Dieu vous garde, messieurs…
Il arrive sur le devant de la scène
J'ai fini par entrer dans mon uniforme, et ça m'étonne même d'y être tout d'un coup entré si facilement.

PAULINE
M. de Gondremarck, mon ami…

BOBINET
Ah! ce cher baron…

En allant saluer Gabrielle et Clara, Bobinet passe devant le baron qui voit le trou

Sextuor

LE BARON
Votre habit a craqué dans le dos!

BOBINET
Mon habit a craqué dans le dos!

TOUS
Son / Mon habit a craqué dans le dos!

LE BARON
Cela gâte ce beau costume.

PAULINE
Ce sont là de nobles accrocs.

PROSPER
Vous pourriez attraper un rhume.

GABRIELLE
Baron, c'est l'habit d'un héros.

Reprise de l'ensemble.

Son / Mon habit a craqué dans le dos!

LE BARON
Mon Dieu, cher amiral.

PAULINE
bas au baron
Vous allez parler à mon mari…

LE BARON
Oui, j'allais…

PAULINE
Promettez-moi de ne pas le provoquer…

LE BARON
Pour qui me prenez-vous? vous allez voir…
allant à Bobinet
Vous avez de beaux éperons…

BOBINET
Cela fait bien.

LE BARON
Je ne dis pas le contraire; mais je croyais que les amiraux n'en portaient pas.

BOBINET
Dans les pays qui ont une marine, mais la Suisse n'en ayant pas…

LE BARON
C'est juste, mais alors…

BOBINET
avec hauteur
Mais alors…

LE BARON
Si la Suisse n'a pas de marine, comment êtes-vous amiral?…

BOBINET
C'est de naissance!…

LE BARON
Drôle d'amiral!…

BOBINET
Et maintenant, général, sonnez, afin que l'on nous serve à souper.

URBAIN
Oh! sonner…

PROSPER
Pourquoi sonner…

PAULINE
Si l'on sonne, il viendra des domestiques.

LOUISE
On ne pourra plus s'amuser.

GABRIELLE
C'est vrai, ça… quand il y a des domestiques, on est obligé de se tenir…

PAULINE
Tandis que quand il n'y en a pas…

PROSPER
Renvoyons les domestiques…

TOUS
C'est ça… envoyons-les… renvoyons-les…

BOBINET
Renvoyez-les, renvoyez-les.

TOUS
parlant aux portes
Allez-vous en, domestiques, allez-vous en.

Le baron stupéfait regarde tout cela

PAULINE
Là, ils sont partis…

PROSPER
Nous nous servirons nous-mêmes. Allons chercher la table, mes amis, allons chercher la table.

PAULINE
Voyons, baron, allez chercher la table.

LE BARON
Quoi, vous voulez…

PAULINE
Je vous en prie…

LE BARON
Ah bah! allons chercher la table.
Il sort

PAULINE
aux dames
Vous connaissez la consigne, mesdames, il faut que ce baron ne sorte pas d'ici…

LÉONIE
Comment le retenir?…

GABRIELLE
Si nous commencions par le griser?

PAULINE
Grisons-le…

GABRIELLE
Si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal.

Rentrent les hommes apportant trois petites tables. Pendant le chœur qui suit, on se place dans l'ordre suivant: à la table de gauche, Prosper, Clara et Louise; à celle du milieu, Gabrielle, le baron et Pauline; à celle de droite, Bobinet, Urbain et Léonie

Finale

GABRIELLE
Soupons, soupons, c'est le moment,
Et tâchons de souper gaîment.
Ne nous lançons pas tout de suite
Allons doucement, piano, piano,
C'est sottise d'aller trop vite,
Qui va piano, va sano.

LE BARON
Prenez mon bras, madame.

PAULINE
Je le veux bien, baron.

PROSPER
Souffrez que je réclame.

CLARA
Je ne vous dis pas non.

BOBINET
La comtesse est exquise.

LÉONIE
Taisez-vous, amiral.

URBAIN
M'acceptez-vous, marquise?

GABRIELLE
Comment donc! général.

Ensemble

Ne nous lançons pas trop vite, etc., etc.

On s'assied

BOBINET
Traçons notre plan de campagne
à Urbain
Chez vous, en quoi se grise-t-on?

URBAIN
En Bourgogne?

BOBINET
à Prosper
Et vous?

PROSPER
En Champagne.

BOBINET
à Pauline
Et vous?

PAULINE
En Bordeaux.

BOBINET
Et le baron.

LE BARON
En tout; en tout, moi je me grise en tout.

PROSPER
Cette réponse est de bon goût.

LE BARON
Si nous voulons nous amuser,
En nous grisant, il faut, marquises,
Il faut dire un tas de bêtises.

Ensemble

Nous allons dire des bêtises.

BOBINET
I
En endossant mon uniforme,
Je vis qu'il n'était pas complet,
Je m'aperçus… lacune énorme!
Que je n'avais pas mon plumet.

PROSPER
De nos hôtes chantons la gloire,
Tous deux ils savent nous charmer,
Oui, tous deux, car l'un nous fait boire.
Et l'autre elle nous fait aimer.

TOUS
Ah! ah! ah! ça commence!

PROSPER
Ah! ah! ah! ça commence!
Tout tourne, tout danse,
Et voilà déjà,
Que ma tête s'en va!

TOUS
Tout tourne, tout danse,
Et voilà déjà,
Que ma tête s'en va!

URBAIN
II
Volontiers, je fais longue pause,
Quand on me verse du bon vin,
Je prends racine où l'on m arrose,
Comme une fleur dans un jardin.

GABRIELLE
Ce que je ne m'explique guères,
C'est pourquoi l'on boit à Paris,
Le mauvais vin dans les grands verres,
Et le bon vin dans les petits.

TOUS
Ah! ah! ah! ça commence.

GABRIELLE
Ah! ah! ah! ça commence!
Tout tourne, tout danse, etc…

PAULINE
élevant son verre
A vous, baron.

CLARA
même jeu
A vous, baron.

LÉONIE
même jeu
A vous, baron.

CLARA
même jeu
A vous, baron.

LE BARON
qui est gris
Ah! mesdames, je vous fais raison.
A la marquise, à la duchesse,
A la baronne, à la comtesse.

BOBINET
également gris
Baron, je porte une santé,
Et cette santé, c'est la tienne.

LE BARON
Amiral, ta main dans la mienne.
Ta femme est belle, en vérité.

TOUS
buvant au baron
A vous, baron!

LE BARON
Pardieu, je vous ferai raison!

PROSPER
regardant le baron
Il est gris.

BOBINET
Il est gris.

Ensemble
Il est gris, tout à fait gris.

URBAIN
Il est gris.

LE BARON
Moi pas gris.

BOBINET
Il est gris.

LE BARON
Ils sont tous gris.

Ensemble

LE BARON
Moi pas gris,
Mais vous tous gris.

TOUS LES AUTRES
Il est gris,
Tout à fait gris.

GABRIELLE
Quand on boit, il est une chose
Qui me surprend fort, mes amis,
Et c'est que pour tout voir en rose,
Il faille soi-même être gris.

Reprise de l'ensemble

Il est gris.
Etc., etc.

Puis ensuite, sur un mouvement de polka, reprise de l'ensemble: Tout tourne, tout danse. Ils sont tous complétement gris

Chœur Final

Feu partout!
Lâchez tout!
Qu'on s'élance,
Que l'on danse!
Feu partout!
Lâchez tout!
Feu partout!

LE BARON
à l'amiral
Ohé, l'amiral! ta fête
Est charmante, sur l'honneur,
Du champagne plein la tête
Et de l'amour plein le cœur.
Dans l'monde où l'on s'tient, cher maître,
Si l'on prend de tels ébats,
Mon Dieu! qu'est-c'que ça doit être,
Dans l'monde où l'on n'se tient pas.

TOUS
reprenant
Feu partout! etc., etc.

Danse folle à la chute du rideau
最終更新:2019年05月24日 10:41