ACTE DEUXIÈME

(Dans les jardins de Richmond. Un carrefour de verdure auquel aboutissent plusieurs avenues. Apprêts d'une fête)

▼Scène I▲

(Don Gomez)

▼CHŒUR▲
Joyeux enfants qui ne savez encore
Les lourds secrets du monde et de la Cour,
En doux refrains comme en jeux tour à tour
S'évanouit votre gaieté sonore.
Quand des soucis pour vous viendra le jour
Rappelez-vous les plaisirs de l'aurore.

▼DON GOMEZ▲
(sombre)
Norfolk avait dit vrai! J'ai vainement douté!
En vain, pour me rapprocher d'elle
À Londres j'avais tout tenté,
Ne pouvant la croire infidèle!
Et j'espérais encor, si grande était ma foi!
Mais ici plus de doutes et plus d'espoir qui leurre
Elle est ici près de ce roi
Qui déserte la ville à l'heure
Où la peste y sème l'effroi!
Tandis que la reine y demeure!
Elle est ici près de ce roi!
Ah! le lâche! ah! la criminelle!
Je veux pour guérir ma raison
Qu'affola sa beauté cruelle,
Savoir ce qu'elle porte en elle
D'infamie et de trahison!
Ah! par quelle ironie étrange
Le ciel mit-il sous ce front d'ange
Le génie ami d'un démon
Ô mensonge d'un doux visage!
Ô charme trompeur de ses yeux!
Je sens dans mon cœur anxieux
Renaître et mourir le courage.
Tout me redit son crime, hélas!
Sans convaincre mon cœur rebelle.
Ô sort plus dur que le trépas!
Jamais je ne la vis si belle!

(Anne apparaît au fond d'une avenue accompagnée de femmes qui chantent sur un rythme caressant.)

C'est elle! La douleur a brisé ma colère!

▼CHŒUR DES FEMMES▲
Noble dame, pour vous plaire
Tout s'empresse autour de vous,
Sans vouloir d'autre salaire
Que vos sourires si doux!
Chants d'oiseaux, parfums de roses,
Cœurs épris, charmantes choses,
Tout s'empresse autour de vous!

▼ANNE▲
C'est par vous, ô demoiselles,
Que ces lieux sont embellis
Mieux que par le bruit des ailes
Et par la blancheur des lis.
Comme aux fleurs un lit de mousse,
Près de vous la vie est douce,
Pleine de charme et d'oublis.

(En apercevant Don Gomez, Anne fait un geste de surprise et de frayeur, puis fait signe à ses femmes de s'éloigner.)

▼Scène II▲

(Don Gomez, Anne)

▼DON GOMEZ▲
Elle vient: de quel front va m'aborder l'infâme?

▼ANNE▲
(allant à lui avec une grâce forcée)
Je suis heureuse sur mon âme,
Gomez, de vous revoir.

▼DON GOMEZ▲
Bonheur que vous avez
À Londres refusé, madame.

▼ANNE▲
J'étais alors, vous le savez
Toute au service de la reine.

▼DON GOMEZ▲
Assez de mensonges, vraiment,
De feindre, ce n'est plus la peine!
Anne, qui vous a fait oublier le serment
Qui pour jamais à moi vous lie?

▼ANNE▲
(tristement)
Et qui vous dit que je l'oublie?

▼DON GOMEZ▲
Vous m'aimiez, disiez-vous?

▼ANNE▲
Et je le dis encore,
Oui, votre amour me fut un immense bonheur,
S'il me prit mon repos, il me rendit l'honneur.

▼DON GOMEZ▲
Par la fidélité seule, une âme s'honore!

▼ANNE▲
(apercevant Henry VIII)
Ciel! le Roi!

▼Scène III▲

(Henry, Don Gomez, Anne)

▼HENRY▲
(avec étonnement, à Don Gomez)
Vous ici, monsieur, faisant la cour
À la belle marquise?

▼DON GOMEZ▲
En France, autrefois, sire,
J'eus l'honneur de la voir un jour.

▼HENRY▲
Ce fut assez pour vous soumettre à son empire!
Je lui donne ce soir

(d'un air de menace)

Une fête ici même et compte vous y voir.

▼DON GOMEZ▲
Sire, j'obéirai.

(Il s'incline et se retire en jetant sur Anne un douloureux regard.)

▼Scène IV▲

(Henry, Anne)

▼HENRY▲
Chère Anne que j'implore,
Vous trouvez-vous heureuse ici?
À vous plaire ai-je réussi?
Puis-je espérer enfin?

▼ANNE▲
(avec fermeté)
Je vous le dis encore;
Sire, n'espérez rien de moi!

▼HENRY▲
Rien! Pourquoi donc alors te montrer, fille ingrate,
Heureuse des honneurs où mon amour éclate?

▼ANNE▲
Vous osez demander pourquoi?
C'est pour laver la flétrissure,
Qu'à mon nom jadis plein d'honneur
Mit le triste amour de ma sœur!

▼HENRY▲
N'évoque pas, je t'en conjure,
Cette affreuse douleur!
Ah! tes doutes sont des blasphèmes!
Paix du foyer, souci du rang,
Honneurs que mérite mon sang,
J'ai tout quitté pour que tu m'aimes!

▼ANNE▲
Attendez donc encor!

▼HENRY▲
Ne désespère pas
Un amour qui ferait ta fierté si contente!
Ah! si tu le voulais, ingrate, sous tes pas,
Tant d'honneurs te feraient une route éclatante,
Que ton destin serait le plus grand d'ici-bas!

▼ANNE▲
N'achevez pas! oh! n'achevez pas, Sire!

▼HENRY▲
Oui, je comprends! que vaut l'empire!
Que vaut la fortune d'un Roi,
Auprès de ton divin sourire,
Auprès d'un seul regard de toi?

▼ANNE▲
(s'attendrissant)
Oh! malgré moi, sa voix me touche!

▼HENRY▲
Ah! ne me reste pas farouche,
Laisse enfin ton cœur s'attendrir,
Vienne un sourire sur ta bouche
Et pour moi le ciel va s'ouvrir!

▼ANNE▲
Quel rêve, quel avenir!

▼HENRY▲
De ton regard la douceur me pénètre,
De doux frissons il emplit tout mon être!
Ô mon amour, crois donc en moi!
Ton esclave, c'est ton roi!

▼ANNE▲
De ses regards la chaleur me pénètre.

▼HENRY▲
Oui, pour jamais je t'ai donné mon âme,
Une tendresse éternelle m'enflamme,
Ce jour pour nous est un beau jour,
Si tu crois à mon amour!

▼ANNE▲
(avec un effort)
Ah! Sire, gardez votre amour!

▼HENRY▲
(essayant de la prendre dans ses bras)
Je t'aime, je te veux, ma belle enchanteresse!

▼ANNE▲
(se réveillant de son rêve et le repoussant)
Non! non! jamais votre maîtresse!

▼HENRY▲
Ma maîtresse, dis-tu? Qui parle de cela?
Ma femme!

▼ANNE▲
(avec éclat)
Que dites-vous là?
Votre femme?

▼HENRY▲
Oui.

▼ANNE▲
Parole vaine!

▼HENRY▲
La reine alors n'est plus la reine,
Et la reine, c'est toi!

▼ANNE▲
(très troublée)
Mais ce lien sacré
Qui vous fait son époux?

▼HENRY▲
Eh bien! je le romprai.

▼ANNE▲
Rêve que tout cela!

▼HENRY▲
(tendrement)
Non! ce n'est pas un rêve!
C'est bientôt la réalité,
Tu n'avais pas assez compté
Sur l'amour profond qui m'a fait, sans trêve,
L'humble esclave de ta beauté.
Repousseras-tu donc, d'un époux respecté,
Avec un nom royal, la pourpre souveraine?

▼ANNE▲
(comme affolée)
Reine! reine! Je serais reine!

▼HENRY▲
Refuseras-tu donc de suivre cet époux
Sur le chemin d'honneur où son amour t'entraîne?

▼ANNE▲
(même jeu)
Reine! reine! je serais reine!

▼HENRY▲
J'en jure par le ciel et par ces yeux si doux!

▼ANNE▲
Je cède au rêve qui m'enivre,
Comment repousser un tel sort?
Ah! sire, je jure de vivre
Fidèle à vous jusqu'à la mort!
Aimons-nous d'un amour puissant et fort!

▼HENRY▲
Ah! cède au rêve qui t'enivre!
Pourquoi repousser un tel sort?
Chère Anne, jure-moi de vivre
Fidèle à moi jusqu'à la mort!
Aimons-nous d'un amour profond puissant et fort!

(Anne est dans les bras d'Henry VIII.)

▼HENRY▲
(tout bas)
Tu seras, n'est-ce pas, ma femme?

▼ANNE▲
(plus bas encore)
Oui, votre femme,
Jurez-le!

▼HENRY▲
(solennellement)
Sur mon âme
Je le jure! Je suis à toi jusqu'à la mort.

(Surrey apparaît et le roi s'arrache des bras d'Anne pour le suivre, mais non sans échanger avec elle un regard d'adieu plein de tendresse)

▼Scène V▲

(Anne)

▼ANNE▲
Reine! je serai reine! Ah! ce n'est plus un rêve!
Plus haut que mes rêves pâlis,
Mon destin glorieux se lève
Sur tous mes projets abolis!
Je vais donc enfin te connaître,
Ivresse du pouvoir, suprême volupté!
J'aurai pour esclave le maître,
Le maître de tous redouté!
De ceux qui jadis m'ont bravée,
J'aurai, pour défier l'affront,
Un sceptre dans ma main levée,
Une couronne sur mon front!
Sûre aujourd'hui de la victoire
Et d'un triomphe sans retour,
Enfin je saurai si la gloire
Ne fait pas oublier l'amour!
Enfin je connaîtrai la gloire!
L'humble fille d'hier sera reine demain!

(À ce moment apparaît Catherine qui s'avance lentement vers elle.)

▼Scène VI▲

(Anne, Catherine)

▼CATHERINE▲
(lui posant la main sur l'épaule)
Pauvre fille! que Dieu t'arrête en ton chemin.

(avec autorité)

Regarde-moi! Je suis la reine d'Angleterre!
La reine au cœur clément, qui, te voyant à terre,
Un jour vers toi tendit sa main!
Avant d'oser, pour récompense,
Lever les yeux sur mon époux,
Tu n'as pas mesuré, je pense,
Quel abîme existe entre nous?
En te voyant à ce point descendue,
Longtemps, oubliant mon courroux,
J'ai plaint l'orgueil qui t'a perdue,
Prends garde maintenant!

▼ANNE▲
Mais, madame, je vous jure que...

▼CATHERINE▲
Crois-tu donc que mes regards jaloux
Dans tes projets obscurs ne t'aient pas poursuivie?

▼ANNE▲
Hélas! madame, sur ma vie
Pour fuir le roi j'avais tout fait.

▼CATHERINE▲
(ironiquement)
C'est pour le fuir qu'on te vit, en effet,
En accepter titres, honneurs, fortune?

▼ANNE▲
Mais je ne demandais aucune
De ces faveurs dont le poids m'accablait.

▼CATHERINE▲
(même jeu)
Tu ne demandais rien? Sans en être enhardie,
Tu souffrais, des faveurs dont t'accablait le roi,
N'est-ce pas, pauvre enfant?...
Et vous voudrais que, moi,
Je crusse à cette comédie!
Non!... je sais les calculs de ta feinte douceur:
Il te reste en effet, - à merveille, tu comptes-
À te faire payer deux hontes:
La tienne et celle de ta sœur!

▼ANNE▲
(se relevant furieuse)
Dieu m'est témoin, madame,
Que je voulais vous respecter ici!
Mais puisqu'on est pour moi sans pitié ni merci,
Je saurai me venger. Soit! torturez mon âme!
Votre époux est à moi. Je relève le front!

▼CATHERINE▲
Assez! C'est trop longtemps écouter une infâme!
C'est trop longtemps subir l'affront!
Va! poursuis dans l'ombre ta trame;
Méprisée en tout lieu!
Va! mais ne tente pas la justice de Dieu!
Pour châtier ton cœur rebelle
C'est à ce Dieu que j'en appelle
À mon époux il rendra la fierté...
Et, s'il m'abandonne en ce monde,
C'est plus haut et plus loin que mon espoir se fonde:
Anne, gardez le temps! j'aurai l'éternité!

▼Scène VII▲

(Les mêmes, Henry, Don Gomez, Lady Clarence, Surrey, Norfolk, puis le Légat)

▼HENRY▲
(avec colère)
Eh! quoi, madame, vous ici?

▼ANNE▲
(s'avançant résolument)
Sire, défendez-moi.

▼CATHERINE▲
Sire, j'y viens rappeler à mon roi
Que je suis la reine.

▼HENRY▲
Pourquoi?
Je n'ai pas encor, sur mon âme,
Dit le contraire.

▼CATHERINE▲
(épouvantée)
Pas encor?

▼HENRY▲
Et vous serez reine, d'accord,
Jusqu'au jour où la loi, par mes soins consultée,
De mon trône royal vous aura rejetée.
Demain vous saurez votre sort.

▼NORFOLK▲
(annonçant le légat qui le suit)
Monseigneur, le légat du pape.

▼CATHERINE▲
(avec un cri d'espoir)
Mon refuge!

▼HENRY▲
(à Catherine)
Non! c'est le Parlement qui sera votre juge.

(à Norfolk)

Qu'il soit le bienvenu.

(Le légat est introduit)

▼LE LÉGAT▲
Salut, roi d'Angleterre.
Au nom du Pape-roi, représentant sur terre
Du Dieu puissant et doux que nous servons tous deux,
Sachant ton âme en proie aux desseins hasardeux,
Je viens pour te parler une parole austère.

▼HENRY▲
(au légat)
De l'écouter demain nous aurons le loisir.

(à Anne)

Madame, en attendant, soyons tout au plaisir.

(Un bouffon vient annoncer au roi que tout est prêt pour la fête. Le roi fait signe qu'on peut commencer. Catherine et le légat se retirent. Les autres personnages se dispersent dans les jardins, Henry sort, donnant la main à Anne.)

Divertissement

(Fête populaire dans le parc de Richmond)

1 - Introduction. Entrée des Clans.
2 - Idylle écossaise.
3 - La fête du houblon.
4 - Danse de la gitane.
5 - Scherzetto.
6 - Gigue et Finale.
ACTE DEUXIÈME

(Dans les jardins de Richmond. Un carrefour de verdure auquel aboutissent plusieurs avenues. Apprêts d'une fête)

Scène I

(Don Gomez)

CHŒUR
Joyeux enfants qui ne savez encore
Les lourds secrets du monde et de la Cour,
En doux refrains comme en jeux tour à tour
S'évanouit votre gaieté sonore.
Quand des soucis pour vous viendra le jour
Rappelez-vous les plaisirs de l'aurore.

DON GOMEZ
(sombre)
Norfolk avait dit vrai! J'ai vainement douté!
En vain, pour me rapprocher d'elle
À Londres j'avais tout tenté,
Ne pouvant la croire infidèle!
Et j'espérais encor, si grande était ma foi!
Mais ici plus de doutes et plus d'espoir qui leurre
Elle est ici près de ce roi
Qui déserte la ville à l'heure
Où la peste y sème l'effroi!
Tandis que la reine y demeure!
Elle est ici près de ce roi!
Ah! le lâche! ah! la criminelle!
Je veux pour guérir ma raison
Qu'affola sa beauté cruelle,
Savoir ce qu'elle porte en elle
D'infamie et de trahison!
Ah! par quelle ironie étrange
Le ciel mit-il sous ce front d'ange
Le génie ami d'un démon
Ô mensonge d'un doux visage!
Ô charme trompeur de ses yeux!
Je sens dans mon cœur anxieux
Renaître et mourir le courage.
Tout me redit son crime, hélas!
Sans convaincre mon cœur rebelle.
Ô sort plus dur que le trépas!
Jamais je ne la vis si belle!

(Anne apparaît au fond d'une avenue accompagnée de femmes qui chantent sur un rythme caressant.)

C'est elle! La douleur a brisé ma colère!

CHŒUR DES FEMMES
Noble dame, pour vous plaire
Tout s'empresse autour de vous,
Sans vouloir d'autre salaire
Que vos sourires si doux!
Chants d'oiseaux, parfums de roses,
Cœurs épris, charmantes choses,
Tout s'empresse autour de vous!

ANNE
C'est par vous, ô demoiselles,
Que ces lieux sont embellis
Mieux que par le bruit des ailes
Et par la blancheur des lis.
Comme aux fleurs un lit de mousse,
Près de vous la vie est douce,
Pleine de charme et d'oublis.

(En apercevant Don Gomez, Anne fait un geste de surprise et de frayeur, puis fait signe à ses femmes de s'éloigner.)

Scène II

(Don Gomez, Anne)

DON GOMEZ
Elle vient: de quel front va m'aborder l'infâme?

ANNE
(allant à lui avec une grâce forcée)
Je suis heureuse sur mon âme,
Gomez, de vous revoir.

DON GOMEZ
Bonheur que vous avez
À Londres refusé, madame.

ANNE
J'étais alors, vous le savez
Toute au service de la reine.

DON GOMEZ
Assez de mensonges, vraiment,
De feindre, ce n'est plus la peine!
Anne, qui vous a fait oublier le serment
Qui pour jamais à moi vous lie?

ANNE
(tristement)
Et qui vous dit que je l'oublie?

DON GOMEZ
Vous m'aimiez, disiez-vous?

ANNE
Et je le dis encore,
Oui, votre amour me fut un immense bonheur,
S'il me prit mon repos, il me rendit l'honneur.

DON GOMEZ
Par la fidélité seule, une âme s'honore!

ANNE
(apercevant Henry VIII)
Ciel! le Roi!

Scène III

(Henry, Don Gomez, Anne)

HENRY
(avec étonnement, à Don Gomez)
Vous ici, monsieur, faisant la cour
À la belle marquise?

DON GOMEZ
En France, autrefois, sire,
J'eus l'honneur de la voir un jour.

HENRY
Ce fut assez pour vous soumettre à son empire!
Je lui donne ce soir

(d'un air de menace)

Une fête ici même et compte vous y voir.

DON GOMEZ
Sire, j'obéirai.

(Il s'incline et se retire en jetant sur Anne un douloureux regard.)

Scène IV

(Henry, Anne)

HENRY
Chère Anne que j'implore,
Vous trouvez-vous heureuse ici?
À vous plaire ai-je réussi?
Puis-je espérer enfin?

ANNE
(avec fermeté)
Je vous le dis encore;
Sire, n'espérez rien de moi!

HENRY
Rien! Pourquoi donc alors te montrer, fille ingrate,
Heureuse des honneurs où mon amour éclate?

ANNE
Vous osez demander pourquoi?
C'est pour laver la flétrissure,
Qu'à mon nom jadis plein d'honneur
Mit le triste amour de ma sœur!

HENRY
N'évoque pas, je t'en conjure,
Cette affreuse douleur!
Ah! tes doutes sont des blasphèmes!
Paix du foyer, souci du rang,
Honneurs que mérite mon sang,
J'ai tout quitté pour que tu m'aimes!

ANNE
Attendez donc encor!

HENRY
Ne désespère pas
Un amour qui ferait ta fierté si contente!
Ah! si tu le voulais, ingrate, sous tes pas,
Tant d'honneurs te feraient une route éclatante,
Que ton destin serait le plus grand d'ici-bas!

ANNE
N'achevez pas! oh! n'achevez pas, Sire!

HENRY
Oui, je comprends! que vaut l'empire!
Que vaut la fortune d'un Roi,
Auprès de ton divin sourire,
Auprès d'un seul regard de toi?

ANNE
(s'attendrissant)
Oh! malgré moi, sa voix me touche!

HENRY
Ah! ne me reste pas farouche,
Laisse enfin ton cœur s'attendrir,
Vienne un sourire sur ta bouche
Et pour moi le ciel va s'ouvrir!

ANNE
Quel rêve, quel avenir!

HENRY
De ton regard la douceur me pénètre,
De doux frissons il emplit tout mon être!
Ô mon amour, crois donc en moi!
Ton esclave, c'est ton roi!

ANNE
De ses regards la chaleur me pénètre.

HENRY
Oui, pour jamais je t'ai donné mon âme,
Une tendresse éternelle m'enflamme,
Ce jour pour nous est un beau jour,
Si tu crois à mon amour!

ANNE
(avec un effort)
Ah! Sire, gardez votre amour!

HENRY
(essayant de la prendre dans ses bras)
Je t'aime, je te veux, ma belle enchanteresse!

ANNE
(se réveillant de son rêve et le repoussant)
Non! non! jamais votre maîtresse!

HENRY
Ma maîtresse, dis-tu? Qui parle de cela?
Ma femme!

ANNE
(avec éclat)
Que dites-vous là?
Votre femme?

HENRY
Oui.

ANNE
Parole vaine!

HENRY
La reine alors n'est plus la reine,
Et la reine, c'est toi!

ANNE
(très troublée)
Mais ce lien sacré
Qui vous fait son époux?

HENRY
Eh bien! je le romprai.

ANNE
Rêve que tout cela!

HENRY
(tendrement)
Non! ce n'est pas un rêve!
C'est bientôt la réalité,
Tu n'avais pas assez compté
Sur l'amour profond qui m'a fait, sans trêve,
L'humble esclave de ta beauté.
Repousseras-tu donc, d'un époux respecté,
Avec un nom royal, la pourpre souveraine?

ANNE
(comme affolée)
Reine! reine! Je serais reine!

HENRY
Refuseras-tu donc de suivre cet époux
Sur le chemin d'honneur où son amour t'entraîne?

ANNE
(même jeu)
Reine! reine! je serais reine!

HENRY
J'en jure par le ciel et par ces yeux si doux!

ANNE
Je cède au rêve qui m'enivre,
Comment repousser un tel sort?
Ah! sire, je jure de vivre
Fidèle à vous jusqu'à la mort!
Aimons-nous d'un amour puissant et fort!

HENRY
Ah! cède au rêve qui t'enivre!
Pourquoi repousser un tel sort?
Chère Anne, jure-moi de vivre
Fidèle à moi jusqu'à la mort!
Aimons-nous d'un amour profond puissant et fort!

(Anne est dans les bras d'Henry VIII.)

HENRY
(tout bas)
Tu seras, n'est-ce pas, ma femme?

ANNE
(plus bas encore)
Oui, votre femme,
Jurez-le!

HENRY
(solennellement)
Sur mon âme
Je le jure! Je suis à toi jusqu'à la mort.

(Surrey apparaît et le roi s'arrache des bras d'Anne pour le suivre, mais non sans échanger avec elle un regard d'adieu plein de tendresse)

Scène V

(Anne)

ANNE
Reine! je serai reine! Ah! ce n'est plus un rêve!
Plus haut que mes rêves pâlis,
Mon destin glorieux se lève
Sur tous mes projets abolis!
Je vais donc enfin te connaître,
Ivresse du pouvoir, suprême volupté!
J'aurai pour esclave le maître,
Le maître de tous redouté!
De ceux qui jadis m'ont bravée,
J'aurai, pour défier l'affront,
Un sceptre dans ma main levée,
Une couronne sur mon front!
Sûre aujourd'hui de la victoire
Et d'un triomphe sans retour,
Enfin je saurai si la gloire
Ne fait pas oublier l'amour!
Enfin je connaîtrai la gloire!
L'humble fille d'hier sera reine demain!

(À ce moment apparaît Catherine qui s'avance lentement vers elle.)

Scène VI

(Anne, Catherine)

CATHERINE
(lui posant la main sur l'épaule)
Pauvre fille! que Dieu t'arrête en ton chemin.

(avec autorité)

Regarde-moi! Je suis la reine d'Angleterre!
La reine au cœur clément, qui, te voyant à terre,
Un jour vers toi tendit sa main!
Avant d'oser, pour récompense,
Lever les yeux sur mon époux,
Tu n'as pas mesuré, je pense,
Quel abîme existe entre nous?
En te voyant à ce point descendue,
Longtemps, oubliant mon courroux,
J'ai plaint l'orgueil qui t'a perdue,
Prends garde maintenant!

ANNE
Mais, madame, je vous jure que...

CATHERINE
Crois-tu donc que mes regards jaloux
Dans tes projets obscurs ne t'aient pas poursuivie?

ANNE
Hélas! madame, sur ma vie
Pour fuir le roi j'avais tout fait.

CATHERINE
(ironiquement)
C'est pour le fuir qu'on te vit, en effet,
En accepter titres, honneurs, fortune?

ANNE
Mais je ne demandais aucune
De ces faveurs dont le poids m'accablait.

CATHERINE
(même jeu)
Tu ne demandais rien? Sans en être enhardie,
Tu souffrais, des faveurs dont t'accablait le roi,
N'est-ce pas, pauvre enfant?...
Et vous voudrais que, moi,
Je crusse à cette comédie!
Non!... je sais les calculs de ta feinte douceur:
Il te reste en effet, - à merveille, tu comptes-
À te faire payer deux hontes:
La tienne et celle de ta sœur!

ANNE
(se relevant furieuse)
Dieu m'est témoin, madame,
Que je voulais vous respecter ici!
Mais puisqu'on est pour moi sans pitié ni merci,
Je saurai me venger. Soit! torturez mon âme!
Votre époux est à moi. Je relève le front!

CATHERINE
Assez! C'est trop longtemps écouter une infâme!
C'est trop longtemps subir l'affront!
Va! poursuis dans l'ombre ta trame;
Méprisée en tout lieu!
Va! mais ne tente pas la justice de Dieu!
Pour châtier ton cœur rebelle
C'est à ce Dieu que j'en appelle
À mon époux il rendra la fierté...
Et, s'il m'abandonne en ce monde,
C'est plus haut et plus loin que mon espoir se fonde:
Anne, gardez le temps! j'aurai l'éternité!

Scène VII

(Les mêmes, Henry, Don Gomez, Lady Clarence, Surrey, Norfolk, puis le Légat)

HENRY
(avec colère)
Eh! quoi, madame, vous ici?

ANNE
(s'avançant résolument)
Sire, défendez-moi.

CATHERINE
Sire, j'y viens rappeler à mon roi
Que je suis la reine.

HENRY
Pourquoi?
Je n'ai pas encor, sur mon âme,
Dit le contraire.

CATHERINE
(épouvantée)
Pas encor?

HENRY
Et vous serez reine, d'accord,
Jusqu'au jour où la loi, par mes soins consultée,
De mon trône royal vous aura rejetée.
Demain vous saurez votre sort.

NORFOLK
(annonçant le légat qui le suit)
Monseigneur, le légat du pape.

CATHERINE
(avec un cri d'espoir)
Mon refuge!

HENRY
(à Catherine)
Non! c'est le Parlement qui sera votre juge.

(à Norfolk)

Qu'il soit le bienvenu.

(Le légat est introduit)

LE LÉGAT
Salut, roi d'Angleterre.
Au nom du Pape-roi, représentant sur terre
Du Dieu puissant et doux que nous servons tous deux,
Sachant ton âme en proie aux desseins hasardeux,
Je viens pour te parler une parole austère.

HENRY
(au légat)
De l'écouter demain nous aurons le loisir.

(à Anne)

Madame, en attendant, soyons tout au plaisir.

(Un bouffon vient annoncer au roi que tout est prêt pour la fête. Le roi fait signe qu'on peut commencer. Catherine et le légat se retirent. Les autres personnages se dispersent dans les jardins, Henry sort, donnant la main à Anne.)

Divertissement

(Fête populaire dans le parc de Richmond)

1 - Introduction. Entrée des Clans.
2 - Idylle écossaise.
3 - La fête du houblon.
4 - Danse de la gitane.
5 - Scherzetto.
6 - Gigue et Finale.
最終更新:2020年02月12日 17:43